a) Adapter la régulation des affectations des personnels
(1) Mieux prendre en compte l'intérêt général dans les mouvements inter et intra académiques

Lors de son audition par votre mission d'information, le 18 janvier 2011, Mme Josette Théophile, directrice générale des ressources humaines du ministère de l'Éducation nationale reconnaissait que « le système d'affectation [était] aveugle et ne permet pas de tenir compte des capacités professionnelles des personnes concernées. Les jeunes enseignants sont affectés sur des postes vacants qui sont précisément ceux désertés par la génération plus âgée de professeurs. Nous avons fait en sorte de les affecter désormais sur des postes moins exposés. Cette tendance est observable dans les données concrètes. Nous ne parviendrons que progressivement à surmonter les difficultés liées à l'affectation des jeunes enseignants. »

Lors de ses déplacements dans les académies de Créteil et d'Aix-Marseille, votre mission a relevé la préoccupation liée à la constitution des équipes dans les établissements de l'éducation prioritaire : si l'affectation par défaut des jeunes enseignants est importante, il convient également de retenir le taux élevé de rotation des équipes, les personnels cherchant dans la quasi-totalité des cas à être affectés dans un établissement « moins difficile » dès que leur barème le permet . Le système du barème consiste à satisfaire aux demandes de mutation en tenant compte du nombre de points attribués à l'enseignant en fonction de différents critères, come le précise l'encadré ci-après.

Le mouvement national à gestion déconcentrée dans le second degré :
barèmes et prise en compte de l'affectation dans les établissements peu demandés

Extraits de la circulaire n° 2010-200 du 20 octobre 2010

« Un barème interacadémique défini nationalement et des barèmes académiques arrêtés par les recteurs et le vice-recteur permettent le classement des demandes ainsi que l'élaboration des projets de mouvement. Néanmoins, ils n'ont qu'un caractère indicatif . (...).

« Les barèmes traduisent les priorités légales et réglementaires de traitement des demandes de certains agents : rapprochements de conjoints, fonctionnaires handicapés et agents exerçant dans les quartiers urbains où se posent des problèmes sociaux et de sécurité particulièrement difficiles, mesures de carte scolaire. (...) Ils prennent également en compte les éléments liés à la situation des personnels : la situation familiale ou civile ; la situation de carrière (ancienneté de service et de poste) ; la situation individuelle de l'agent.

« Les barèmes valorisent aussi la stabilité des affectations, notamment par le dispositif des affectations à caractère prioritaire justifiant une valorisation (APV).

« La prise en compte de situations personnelles et professionnelles particulières justifie de traiter prioritairement certaines demandes. Compte tenu de leur spécificité, ces affectations se feront sans s'appuyer sur des critères de classement barémés. Conformément au 2 e alinéa du paragraphe I.3.1 « Critères de classement des demandes », dans toute la mesure compatible avec le bon fonctionnement du service, les priorités de traitement des demandes de mutatio n définies par l'article 60 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 pourront être examinées, lors de la tenue des instances paritaires, en dehors des critères de classement « barémés ». Il s'agit des demandes formulées par des personnels handicapés, des agents séparés de leur conjoint ou qui se sont investis dans les établissements les plus difficiles pendant au moins cinq ans. »

Toutefois, il convient de noter que certains éléments de barème sont liés à l'objectif de stabilité des affectations, en particulier les affectations à caractère prioritaire justifiant une valorisation (APV). « L'objectif du dispositif de l'affectation à caractère prioritaire justifiant une valorisation (APV) est de contribuer au renforcement de la stabilité des équipes pédagogiques dans les établissements les moins demandés par les candidats au mouvement ou qui sont fragilisés par un taux de rotation élevé de leurs équipes pédagogiques.

« Ce dispositif permet de reconnaître le caractère prioritaire de certaines affectations et de valoriser, dans le cadre de la mobilité, le parcours professionnel des enseignants qui se seront investis durablement dans ces affectations.

« Cette valorisation a pour but, d'une part, de rendre plus attractives les affectations à caractère prioritaire auprès des participants au mouvement et, d'autre part, en favorisant la motivation des personnels qui auront obtenu ce type d'affectation, de les inciter à s'investir durablement pour une période d'au moins cinq ans dans le poste et dans l'établissement où se situe l'APV. »

Ce constat n'est ni nouveau ni isolé . Le rapport annuel du médiateur de l'Éducation nationale et de l'enseignement supérieur pour l'année 2010, rendu public le 30 mai 2011, consacre plusieurs développements à cette question. A ce jour, le rapport du médiateur n'étant pas encore disponible, les éléments ci-dessous reprennent la présentation du rapport effectuée par le ministère de l'Éducation nationale.

Conclusions du rapport du médiateur de l'Éducation nationale

Selon le rapport du médiateur de l'Éducation nationale pour 2011, les réclamations des personnels concernent pour 18 % d'entre elles les mutations et les affectations. Les principales conclusions du rapport sont les suivantes :

- dans le premier degré, l'existence de concours locaux permet en principe aux enseignants d'exercer dans l'académie qu'ils ont choisie, mais elle restreint fortement les possibilités de mutation. Au total, le système tend à une concentration des enseignants les plus expérimentés dans les départements attractifs ;

- dans le second degré, la majorité des enseignants parviennent à exercer dans l'académie de leur choix quelques années après leur réussite au concours national . Pour ses premières années, l'enseignant nouveau titulaire se trouve affecté le plus souvent dans un établissement difficile, parfois dans une académie qu'il ne choisit pas. Assez rapidement, il obtient une mutation dans le secteur de son choix, au sein d'un établissement difficile où il restera une dizaine d'années. Enfin, l'enseignant parvient à être muté dans un établissement qui lui convient, où il exercera jusqu'à la fin de sa carrière. Ainsi, dans leur grande majorité, les enseignants connaissent dix à quinze ans de relative insatisfaction professionnelle avant d'être enfin stabilisés ;

- les règles du mouvement conduisent à affecter les débutants dans les établissements et sur les postes difficiles. Cela constitue la principale source d'insatisfaction liée au mécanisme du barème. Les enseignants les moins expérimentés sont amenés à exercer dans les établissements les plus difficiles et cette situation se double parfois d'une affectation dans les classes les plus exigeantes ou délicates , telles que le cours préparatoire (CP) ou les sections d'enseignement général et professionnel adaptées (SEGPA) ;

- les établissements sensibles sont confrontés à la difficulté d'obtenir une stabilité suffisante des équipes d'enseignants. Les enseignants affectés dans des établissements difficiles aspirent à se stabiliser dans un poste moins exposé et tendent à demander rapidement leur mutation.

Toutefois, force est de constater que les critiques se sont renforcées avec la mise en place de la masterisation, où les futurs enseignants se trouvent en responsabilité devant une classe dès leur première année de stage alors même qu'ils ne maîtrisent pas encore les gestes professionnels pour tenir une classe. Votre mission d'information fut étonnée de voir que la plateforme Neopass, destinée à promouvoir l'innovation des pratiques enseignantes, était à maints égards « un rappel du B.A.-BA du métier d'enseignant » 47 ( * ) .

Au regard de ces éléments, qui ne font que traduire la persistance de maux identifiés depuis plusieurs années, votre rapporteur souhaite que le législateur prenne ses responsabilités au regard de l'absolue nécessité d'assurer une meilleure prise en charge scolaire des élèves en éducation prioritaire et, au-delà, de l'ensemble des élèves, grâce à des enseignants entrés normalement dans la carrière et non pas par des traumatismes. A ce titre, il propose d'interdire l'affectation d'enseignants stagiaires ou d'enseignants néo-titulaires dans un établissement relevant de l'éducation prioritaire. Il recommande également que les mouvements de personnels soient davantage encadrés en vue de mieux prendre en compte :

- l'intérêt des élèves, afin de permettre les progrès escomptés au titre du socle commun ;

- celui des enseignants, dont l'entrée dans la vie professionnelle doit être apaisée ;

- et celui des établissements, qui ont besoin des équipes stables afin de pouvoir mettre en oeuvre des actions collectives et durables.

A ce titre, pourraient être envisagées les deux pistes de réflexion suivantes :

- lors des mouvements inter et intra académiques, le recteur veillerait à ce que, dans chaque établissement, au moins la moitié des effectifs enseignants et la moitié des personnels de direction, aient au minimum cinq années d'ancienneté dans ledit établissement ;

- par dérogation, le recteur serait libéré de cette obligation si les candidats susceptibles d'intégrer l'établissement disposaient d'au moins dix années d'ancienneté dans la carrière.


* 47 Audition du 18 janvier 2011, Mme Françoise Cartron, sénatrice de la Gironde.

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