(2) Revaloriser l'affectation en éducation prioritaire
A Marseille, lors de la visite du collège Belle de Mai, les membres de la mission ont eu un dialogue éclairant sur les conditions de travail des enseignants en éducation prioritaire et les limites des dispositifs incitatifs actuellement mis en place. Trois éléments ont notamment retenu l'attention de votre rapporteur :
- reconnaître que le fait d'enseigner en éducation prioritaire est un métier à part ;
- acter la difficulté psychologique des postes, qui conduit à décourager après quelques années même les enseignants les plus motivés ;
- la nécessité absolue de revaloriser l'investissement des personnels dans ces zones, valorisation qui ne passe pas seulement par des primes financières qui, tout au mieux, « paient les séances chez le psy » selon l'expression de l'un des enseignants rencontrés. Ainsi que l'a suggéré un proviseur rencontré en Bretagne, « les personnels ont besoin d'une autre forme de considération, qui passe par une différenciation dans les carrières ».
S'agissant des postes en éducation prioritaire, votre rapporteur est convaincu de la pertinence de reconnaître la spécificité de l'enseignement dans ces territoires. En conséquence, il estime que le recrutement sur profil des enseignants avec droit de regard du chef d'établissement, dans le cadre du programme Clair (futur Eclair) est une orientation pertinente : il est indispensable que l'engagement des enseignants soit davantage formalisé et en adéquation avec le projet de l'établissement , dont la dimension collective est fatalement importante.
Toutefois, votre rapporteur doute de l'effectivité de la mesure dans sa configuration actuelle : à deux reprises, il lui a été indiqué que, de facto, la gestion des ressources humaines est inexistante dans l'éducation prioritaire et qu'un chef d'établissement ne voit jamais plus d'un candidat pour un poste, quand candidat il y a...
Compte tenu de cette situation, il convient de trouver les moyens de revaloriser de manière forte les postes de l'éducation prioritaire afin d'ouvrir le vivier de recrutement des établissements. Votre rapporteur propose que deux pistes soient examinées conjointement :
- d'une part, moduler les maxima des services hebdomadaires non plus en fonction des concours obtenus mais en fonction de la difficulté de la prise en charge des élèves, plus élevée en éducation prioritaire, tant en termes éducatifs (qualité de la vie scolaire) que scolaires (acquisition des savoirs) ;
- d'autre part, labelliser une « classe exceptionnelle » en ne réservant ces niveaux de rémunération qu'aux seuls personnels ayant enseigné ou exercé au moins quinze années en éducation prioritaire lors de leur carrière .
S'agissant de la première proposition, votre rapporteur est conscient qu'elle conduit à modifier la représentation des corps enseignants.
Néanmoins, il estime nécessaire de s'interroger sur la pertinence des différences de service hebdomadaire entre agrégés et certifiés ou des différenciations de service liées aux heures de « première chaire 48 ( * ) » ou encore des heures de « laboratoire 49 ( * ) ».
Le rapport de la Cour des comptes de 2005 sur la gestion, par le ministère chargé de l'enseignement scolaire, des personnels détachés dans des fonctions autres que d'enseignement ou demeurant sans affectation constatait d'une façon particulièrement cinglante :
« Les principes, la motivation, et dans la plupart des cas la quotité des décharges, réductions, et autres compensations d'horaires de service, datent des années 1950. (...) On ne discutera pas ici chacune des catégories de décharge ou de réduction de service. Mais, après avoir remarqué que persiste le principe selon lequel plus un professeur est supposé hautement formé moins il est censé restituer chaque semaine aux élèves le bénéfice de cette haute formation , on observera que pour certaines de ces décharges la justification, souvent obsolète, héritière d'un système éducatif désuet, peut laisser perplexe.
En ce qui concerne la « première chaire » par exemple, on ne voit pas ce qui aujourd'hui justifie cette sorte de privilège accordé autrefois, quels que soient leur corps et leur grade, aux supposés meilleurs des enseignants nommés en classes supérieures du second degré ; on sait (ou on admet mieux) aujourd'hui que la difficulté à enseigner (tant dans les phases de préparation que de restitution des cours) n'est pas corrélée au niveau formel des classes mais à des paramètres psychosociologiques indépendants de ce niveau. Si donc les services rendus doivent incontestablement être rémunérés en fonction de leur qualité et de leur niveau (dont on peut admettre en principe qu'ils soient plus ou moins liés au niveau de la formation initiale de l'enseignant), la justification d'une réduction de l'obligation de service paraît moins évidente. 50 ( * ) »
La Cour des comptes a réitéré ses observations devant la mission en ces termes : « Nous avons également soulevé la question des obligations de service des enseignants. Il est paradoxal que les jeunes héritent des postes les plus difficiles - les remplacements ou les zones d'éducation prioritaire. Les obligations de service qui datent de 60 ans - à l'époque où 5 % d'une classe d'âge arrivaient au bac - doivent être revues à l'aune des enjeux du XXI e siècle, et notamment de l'indispensable personnalisation de l'enseignement face à des publics hétérogènes. »
Au regard de ce constat, que votre rapporteur partage pleinement, il serait souhaitable que les différences d'obligation de service soient revues à l'aune de critères « actualisés » et ce d'autant plus que les modalités de formation des enseignants sont au demeurant similaires depuis l'entrée en vigueur de la mastérisation. Cette modernisation devrait permettre de revaloriser effectivement les personnels qui prennent en charge les élèves les plus difficiles et qui contribuent de ce fait le plus à la réduction des inégalités scolaires.
* 48 Les « heures de première chaire » sont accordées à certains enseignants (philosophie, mathématiques, lettres) enseignant en classe de première, ou à ceux qui effectuent au moins 6 heures de service par semaine dans les classes préparatoires aux grandes écoles.
* 49 Ces heures sont accordées pour le service d'un laboratoire lorsqu'il n'existe pas de professeur attaché au laboratoire ni d'agent de service affecté et que l'enseignant assure au moins huit heures de cours en sciences physiques ou naturelles, ou que le laboratoire de technologie est utilisé par au moins six divisions, ou si le laboratoire de langue comporte au moins six cabines.
* 50 Rapport demandé par l'Assemblée nationale au titre de l'article 58-2 de la loi organique relative aux lois de finances du 1 er août 2001.