b) Jeter les bases d'une évaluation des établissements
Le corollaire nécessaire de l'autonomie et de la responsabilisation des équipes est l'évaluation des établissements. C'est déjà une réalité dans la très grande majorité des pays européens, la France, la Bulgarie et la Grèce demeurant les seuls à ne pas avoir mis en place des dispositifs systématiques d'évaluation des établissements. 41 ( * ) Les analyses des tests PISA permettent pourtant d'établir que l'autonomie des écoles en matière d'allocation des ressources a un impact positif sur les performances des élèves , si les écoles sont responsabilisées via la publication des résultats des évaluations. 42 ( * ) Hormis quelques expériences menées ponctuellement dans telle ou telle académie 43 ( * ) , notre pays se concentre sur les inspections individuelles des enseignants, qui s'apparentent à un contrôle de conformité à la réglementation ministérielle et ne sont pas susceptibles d'améliorer les performances du système éducatif. Éplucher les emplois du temps, vérifier que les grilles horaires sont bien respectées par les chefs d'établissement, contrôler le parc informatique, etc. : autant de tâches qui mobilisent des inspecteurs dont l'expérience pourrait être mise à profit plus utilement, tout cela pour constater le plus souvent que les établissements dérogent systématiquement - ou presque - à des prescriptions pointilleuses, mais de manière intelligente, en tenant compte de la réalité des élèves. 44 ( * )
Votre mission rejoint donc pleinement les appréciations de M. Jean Picq, président de chambre à la Cour des comptes : « l'inspection traditionnelle, individuelle, a vécu, chacun le sait - dans nombre de pays elle n'existe plus. Mieux vaudrait concevoir une évaluation de l'établissement. En Suisse, en Écosse, ce sont des équipes d'enseignants qui évaluent les performances de leurs pairs, comme dans la recherche. L'auto-évaluation comporte un élément vertueux : elle oblige les intéressés à se donner eux-mêmes des indicateurs, à se fixer des objectifs liés aux types d'élèves mais respectant aussi les objectifs nationaux. Le corps d'inspection effectue alors sa tournée pour évaluer les résultats [...]. L'évaluation est moins une institution qu'une pratique, les acteurs doivent être eux-mêmes convaincus de son utilité. » 45 ( * )
Il serait particulièrement intéressant de développer en France deux modalités complémentaires d'évaluation des établissements . En premier lieu, devrait être mise en place une évaluation externe effectuée par les corps d'inspection repositionnés sur cette nouvelle mission après l'abandon de l'inspection individuelle des enseignants. Ceci vaudrait à la fois pour le premier et le second degrés. Il serait également possible, à plus long terme, de réfléchir à une modulation de l'avancement individuel dans la grille en fonction des résultats collectivement atteints dans l'établissement. Étant donné le nombre de lieux d'enseignement concernés et le temps que nécessite une analyse approfondie de chaque situation, l'évaluation externe ne pourrait avoir lieu tous les ans, mais plutôt tous les trois ou quatre ans. Les rapports d'évaluation pourraient être rendus publics, comme c'est le cas au Portugal notamment. Votre rapporteur y verrait plus d'un avantage : une transparence accrue qui augmenterait la confiance des parents et des collectivités territoriales dans l'Éducation nationale ; l'obsolescence des classements publiés dans la presse, qui offrent une image biaisée et appauvrie du travail accompli ; la possibilité pour certains établissements injustement délaissés de rétablir leur réputation en faisant connaître leurs réalisations.
Mais, l'intérêt de l'évaluation externe réside aussi dans l'incitation supplémentaire qu'elle procure aux établissements pour s'engager eux-mêmes dans un processus d'autoévaluation . C'est le second volet mis en place communément dans les pays européens. Il s'agirait de stimuler dans notre pays les évaluations réflexives menées par l'équipe pédagogique sur la base du projet d'établissement ou, mieux encore, du contrat d'objectifs signé avec les autorités académiques. Par rapport à l'évaluation externe, l'autoévaluation a l'avantage d'être en prise directe et constante, sur une longue durée, avec les pratiques concrètes des acteurs. Sans doute serait-ce là également le meilleur moyen de dépasser véritablement le cadre de la classe, de faire tomber les barrières disciplinaires et de constituer le « collectif pédagogique ». Enfin, potentiellement mieux acceptées que les préconisations d'un organe de contrôle extérieur, les conclusions partagées de l'autoévaluation seront moins ignorées et, dès lors, infléchiront davantage les pratiques. Avec l'autoévaluation, c'est en interne que se déroule pour l'essentiel la discussion. Mais cela n'interdit pas le recours à des experts extérieurs - comme en Écosse - ou l'appui du rectorat et des inspections, en particulier lorsque l'évaluation est adossée à une démarche de contractualisation, comme le souhaite la mission.
Sur ce point, nous ne partons pas tout à fait de rien et il devrait être tiré profit de l'expérience de l'académie de Strasbourg . Depuis la rentrée 2006, tous les établissements secondaires disposent d'un guide d'autoévaluation que les inspections générales jugent « suffisamment précis pour aider les chefs d'établissement à conduire ces opérations, mais aussi suffisamment souple pour laisser place à une certaine inventivité du terrain. » 46 ( * ) Un tiers des établissements de l'académie réalisent une autoévaluation sur le fondement du contrat d'objectifs signé avec le recteur. Votre mission souhaite que soient tirées les conséquences de cette expérience afin de l'étendre dans les meilleurs conditions à d'autres académies. Elle est, en effet, convaincue que l'autoévaluation peut devenir un mode très efficace de régulation pédagogique dont les acteurs locaux ont la pleine maîtrise et responsabilité , au lieu de devoir purement et simplement appliquer des directives hiérarchiques. Là réside une des clefs d'amélioration des performances globales de notre système éducatif.
Le développement d'une culture de l'évaluation des établissements au Portugal Depuis 2006, le Gouvernement portugais a entrepris d'acclimater une culture de l'évaluation dans le système éducatif en articulant l'autoévaluation des établissements - sans obligation mais sous incitation ministérielle - avec l'évaluation externe des établissements sous l'égide de l'inspection générale. De l'aveu du secrétaire d'État à l'éducation, rencontré par une délégation de votre mission, l'autoévaluation n'est pas encore assez développée. Elle est entièrement laissée à l'appréciation des établissements, sans que le ministère n'offre de programmes ou de suggestions particulières. Progressivement, néanmoins, de plus en plus d'établissements développent des instruments internes, notamment sous l'aiguillon de l'évaluation externe. Les inspections externes, inspirées des expériences anglaise, écossaise et irlandaise, donnent lieu à des rapports publiés sur Internet sur chaque établissement mais sans classement. Chaque année, un rapport annuel de synthèse est publié. Il n'a pas été constaté une augmentation des demandes de dérogation à la carte scolaire après la publication des rapports d'inspection des établissements. Les évaluations externes de l'établissement sont reliées à l'évaluation individuelle des enseignants au motif que la performance individuelle d'un enseignant doit être liée à la performance collective de l'équipe de l'établissement afin d'en renforcer la cohésion et la mobilisation. C'est pourquoi il est prévu que plus un établissement présente de bons résultats et plus grand sera le nombre d'enseignants qui pourront recevoir les mentions maximales prévues par le barème de notation, mentions qui se traduisent par des gains financiers substantiels pour les enseignants ainsi distingués. Le premier cycle complet d'évaluation de toutes les écoles portugaises s'achève au printemps 2011. Le second cycle est prévu pour la période 2011-2014 avec quelques modifications : il visera en particulier à mesurer sur une base commune la valeur ajoutée scolaire pour évaluer la capacité des écoles à améliorer les résultats des élèves en fonction du contexte social. |
2. Constituer des équipes stables et expérimentées sous l'autorité d'un conseil d'administration renouvelé
* 41 IGEN-IGAENR, Note sur la question de l'évaluation des établissements en France , n° 2009-79, p. 4.
* 42 OCDE, PISA 2009 Results - What makes a school successful ? Vol. IV, p. 42.
* 43 À titre d'exemple, on peut mentionner les évaluations menées dans l'académie de Lille au début des années 1990 et les initiatives plus récentes dans les académies de Strasbourg et de Versailles.
* 44 Audition du 1 er février 2011 de Mme Brigitte Doriath (IGEN) à partir de sa propre expérience d'IA-IPR dans l'académie de Créteil.
* 45 Audition du 11 janvier 2011.
* 46 IGEN-IGAENR, Note sur la question de l'évaluation des établissements en France , n° 2009-79, p. 8.