B. FAIRE DES ÉTABLISSEMENTS LE CoeUR DU « MOTEUR SCOLAIRE »
1. Miser sur « l'effet établissement »
a) Développer le travail collectif et l'esprit d'équipe dans les établissements
Si l'échelon national est garant de la cohérence et de l'équité globale, et si le niveau académique assume une fonction de pilotage stratégique, l'établissement demeure le lieu essentiel de l'action, le point précis d'articulation des actes pédagogiques sur la structure administrative, là où s'opèrent les apprentissages et se joue véritablement la réussite des élèves. L'établissement est la cellule de base du système éducatif. Une précision s'impose immédiatement pour éviter toute confusion. Sauf mention contraire, la notion d'établissement sera prise ici au sens fonctionnel, c'est-à-dire que l'on comprend dans ce terme toutes les organisations pédagogico-administratives de base, quels que soient leur structure interne et leur statut juridique. On inclura donc temporairement sous ce vocable générique d'établissement à la fois les écoles primaires, les collèges et les lycées qui possèdent en propre le statut d'établissement public local d'enseignement (EPLE), et que les réseaux d'établissement résultant d'une intégration verticale ou horizontale. Il s'agit en effet ici de dégager le rôle et les modalités de contrôle et d'évaluation des cellules pédagogiques de base. On tiendra compte ensuite des différences actuelles de structure et de statut pour suggérer des réformes organisationnelles susceptibles de permettre aux différents types d'établissement d'assumer au mieux leur rôle, notamment dans le premier degré. En d'autres termes, il convient d'abord de penser l'autonomie pédagogique de l'établissement comme projet humain résultant d'une dynamique collective, avant de se préoccuper du statut juridique et de l'organisation administrative .
En prenant appui sur le principe de la liberté pédagogique individuelle des enseignants, garantie par le code de l'éducation, il est parfois soutenu que c'est la classe et non l'établissement qui constitue la brique fondamentale du système éducatif. Votre rapporteur y voit une illusion, née à la fois d'une conception trop tranchée du partage entre les responsabilités administratives et pédagogiques, et d'un individualisme diffus qui touche le corps enseignant comme le reste de notre société. Il serait déraisonnable de compter uniquement sur la juxtaposition de séquences de face à face entre l'enseignant et ses élèves pour répondre à la difficulté scolaire et aux défis relevés par les enquêtes nationales et internationales. Comme l'a relevé un proviseur rencontré par votre mission en Bretagne, « on ne peut pas imaginer que l'enseignement de demain soit cloisonné car la vie des élèves ne l'est pas. »
Un large consensus se dessine à l'inverse sur quelques principes : le parcours de l'élève doit être pris en compte dans sa globalité, en gommant les ruptures et en lissant les transitions ; la qualité du climat scolaire contribue à la qualité de l'apprentissage ; il faut miser sur des équipes pédagogiques réfléchissant collectivement et adaptant constamment leurs pratiques, plutôt que sur des individus isolés, laissés à eux-mêmes, après une formation les ayant insuffisamment préparés à l'exercice de leur métier. Tout cela plaide pour que la réflexion se concentre sur l'établissement, au sens générique, où personnels de direction, administratifs et enseignants s'investissent collectivement.
L'établissement est bien la cellule fondamentale mais complexe où doit émerger un « collectif pédagogique » mobilisé autour d'objectifs partagés, issus d'une réflexion commune sur les besoins spécifiques des élèves. Cette définition ne relève pas d'un irénisme utopique, puisque la mission a pu visiter des écoles, collèges et lycées, en des lieux divers de notre territoire, y correspondant et dont les résultats plaident pour l'extension de leur modèle. Au niveau international, l'analyse des résultats de PISA 2009 montre une relation claire entre le degré d'autonomie curriculaire (choix des cours offerts et de leurs contenus, choix des manuels, choix des modalités d'évaluation) des établissements et les performances globales du système éducatif. 32 ( * ) L'effet établissement existe bel et bien et l'on peut tenir pour acquis « qu'à contexte et caractéristiques identiques, certains établissements font la différence, notamment en ce qui concerne la progression des acquis des élèves les plus défavorisés. » 33 ( * )
Promouvoir l'action collective dans les établissements non seulement ne remet pas en cause la liberté pédagogique des enseignants, mais constitue même une condition nécessaire de son exercice réfléchi et fécond. Comme Mme Josette Théophile, directrice générale des ressources humaines des ministères de l'Éducation nationale et de l'enseignement supérieur, la mission pense qu'il faut rompre avec une conception de la liberté pédagogique « réduite à l'isolement du professeur dans sa classe, l'inspection étant la seule autorisée à y pénétrer. » 34 ( * ) Pour cela, il convient d'accroître la collégialité du travail des enseignants au sein d'un établissement , ce qui vaut aussi bien au sein d'une même discipline que dans un cadre interdisciplinaire, voire entièrement généraliste dans le primaire. Cela se révèle particulièrement crucial pour faciliter l'arrivée en poste des stagiaires, mais l'échange de bonnes pratiques et le dialogue entre pairs demeurent pertinents tout au long de la carrière. Les chercheurs auditionnés ont confirmé ces analyses. Ainsi, M. Romuald Normand, maître de conférences à l'École normale supérieure de Lyon, précise que « la liberté pédagogique ne doit pas servir à éviter de rendre compte de son action dans la classe vis-à-vis de ses collègues. Un changement de professionnalité semble indispensable dans la jeune génération d'enseignants. » 35 ( * )
Regrettant le manque de régulation collégiale entre enseignants, Mme Agnès Van Zanten, directrice de recherche à l'Institut d'études politiques de Paris, propose de créer dans les collèges et les lycées « des collectifs d'enseignants, qui seront davantage en mesure de dialoguer tant avec les parents qu'avec les chefs d'établissement, que chaque individu pris séparément. » 36 ( * ) Le canton de Genève pourrait servir de source d'inspiration à cet égard. En effet, dans chaque établissement, les enseignants y sont organisés par groupes disciplinaires avec un responsable élu parmi ses pairs servant de référent pour ses collègues et pour le directeur de l'établissement. Au niveau cantonal, les représentants élus désignent ensuite un président du groupe disciplinaire qui sert d'interlocuteur à l'administration centrale. L'organisation de groupes disciplinaires répond également à un objectif de régulation par les pairs des pratiques pédagogiques, doublée par des entretiens d'évaluation individuels menés par le directeur.
De l'expression de la liberté individuelle des enseignants, qui doit être préservée, il faudrait donc passer au sein des établissements à « l'autonomie collective » 37 ( * ) . Les personnels de direction ont un rôle éminent à jouer dans cette transformation culturelle et sont parfaitement légitimes pour assumer un rôle de pilotage pédagogique. C'est particulièrement vrai dans le secondaire, où le chef d'établissement dispose d'instruments comme le conseil pédagogique dont il nomme les membres ou comme la part de dotation globalisée dont les réformes du lycée lui laisse la répartition. Dans le premier degré, les conditions d'une véritable autonomie collective des équipes éducatives dans les écoles ne sont pas encore réunies, étant donné l'absence de personnalité juridique, les faiblesses du statut de directeur d'école et la double compétence des communes et des inspecteurs d'académie. C'est pourquoi la mission proposera des pistes spécifiques pour les écoles afin de les faire entrer dans le même processus d'autonomisation et de responsabilisation qui se déploie encore timidement dans le second degré.
L'autonomie pédagogique des établissements ne concerne, dans notre pays, ni le choix des programmes et des disciplines à enseigner, ni les modalités d'évaluation des acquis des élèves, qui restent fixés au niveau national. Cependant, votre rapporteur se félicite que la mise en place du socle commun et du livret de compétences, d'une part, les modalités de la réforme du baccalauréat professionnel, puis du lycée général et technologique, d'autre part, tendent à accorder plus de souplesse et de liberté aux équipes locales. Il n'est pour autant pas proposé de suivre des exemples comme celui des Pays-Bas où les réseaux fixent très librement les cursus des élèves, ce modèle étant trop éloigné du nôtre pour présenter une voie d'évolution crédible. L'autonomie pédagogique des établissements se manifeste donc plutôt dans la différenciation des actions pédagogiques en fonction des besoins des élèves et concerne en particulier le traitement de la difficulté scolaire, ainsi que la préparation des choix d'orientation.
Pour la concrétiser et utiliser les marges de manoeuvre prévues par la réglementation, qui existent mais ne sont pas suffisamment exploitées, il est essentiel que chaque établissement analyse finement son public d'élèves et ses spécificités et se fixe sur cette base un nombre restreint d'objectifs clairs et partagés orientant la politique globale collective pour les années à venir. À cet égard, le projet d'établissement dans les collèges et les lycées sous sa forme actuelle ne paraît pas constituer l'instrument de pilotage idoine. Même sans considérer l'absence d'évaluation finale pourtant cruciale, le constat des inspections générales est extrêmement sévère : « [ Le projet d'établissement] est trop souvent encore un document volumineux, qui vise à l'exhaustivité, fixant des objectifs peu ou mal hiérarchisés, se présentant comme un catalogue d'actions sans réelle cohérence. Le volet pédagogique pourtant essentiel est marginalisé. Exercice obligé, c'est parfois le projet du seul chef d'établissement qui s'efforce de répondre à une injonction de sa hiérarchie en produisant un document purement formel, destiné à obtenir quelques moyens supplémentaires. » 38 ( * ) Si l'autonomie pédagogique doit se formaliser dans un document, il est important que celui-ci se concentre sur quelques priorités, identifie précisément les leviers d'action et définisse des cibles à moyen terme.
Dans la mesure où les rectorats élaborent une stratégie académique et gardent la main sur la répartition des moyens, l'autonomie pédagogique de l'établissement ne peut se déployer que dans un cadre contractuel. Plus que sur le projet d'établissement, dont on peut constater la faible efficacité pour orienter les actions locales et infléchir les performances des élèves, c'est sur l'élaboration et le suivi de contrats d'objectifs entre les recteurs et les établissements que doivent porter les efforts. Ainsi, la démarche suivie dans l'académie d'Aix-Marseille est particulièrement séduisante puisqu'elle mise sur une déclinaison poussée et structurée de la logique de performance initiée par la LOLF. Chaque établissement du second degré définit avec le rectorat un projet annuel de performances de l'établissement (PAPEt), cohérent avec le projet annuel de performance académique (PAPA) et donnant lieu à un rapport d'évaluation annuel. Sur place, la mission a pu apprécier les fruits de cette démarche dans le cas particulier du Lycée Victor Hugo de Marseille qui, en accord avec les autorités académiques, s'est concentré avec succès sur l'élargissement de son bassin de recrutement dans les collèges avoisinants et l'amélioration globale de son attractivité pour les élèves et les parents, ce qui tend à accroître la mixité sociale et à favoriser les apprentissages.
Cependant, la démarche de contractualisation est parfois freinée par la rigidité caractéristique du financement des établissements. Le contrat d'objectifs engage certes l'ensemble de l'équipe pédagogique mais, en contrepartie, l'appui académique ne doit pas se cantonner à des promesses d'appui méthodologique. 39 ( * ) Comme le remarque la Cour des comptes, « la contractualisation [...] exige des marges de manoeuvre budgétaires : or, la répartition des moyens via la dotation globale horaire est si rigide que les marges de manoeuvre sont d'environ 5 à 10 %. En même temps le système français a, quant aux résultats des élèves, l'écart-type le plus élevé de l'OCDE. Il y a là une contradiction interne ! » 40 ( * ) Votre rapporteur recommande d'identifier dans les dotations des établissements une part variable réservée à la mise en oeuvre des actions concourant à la réalisation du contrat d'objectifs signé avec le recteur. On privilégierait ainsi à la fois l'émergence d'un « collectif pédagogique » tendu vers les mêmes buts et une allocation plus souple des moyens financiers dans un contexte général de restriction budgétaire.
* 32 OCDE, PISA 2009 Results - What makes a school successful ? Vol. IV, p. 41.
* 33 IGEN-IGAENR, Note sur la question de l'évaluation des établissements en France , N° 2009-79, p. 9.
* 34 Audition du 18 janvier 2011.
* 35 Audition du 18 janvier 2011.
* 36 Audition du 1 er février 2011.
* 37 Expression employée par Mme Agnès Van Zanten au cours de son audition.
* 38 IGEN-IGAENR, Les contrats d'objectifs conclus entre les établissements scolaires et les autorités académiques , Rapport n° 2009-068, juillet 2009, p. 10.
* 39 Ibid. p. 80.
* 40 Audition du 11 janvier 2011.