N° 329

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 mars 2011

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur les relations entre l' Union européenne et la Suisse ,

Par M. Roland RIES,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet , président ; MM. Denis Badré, Pierre Bernard-Reymond, Michel Billout, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Aymeri de Montesquiou, Roland Ries, Simon Sutour , vice-présidents ; Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Hermange , secrétaires ; MM. Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Gérard César, Christian Cointat, Mme Roselle Cros, M. Philippe Darniche, Mme Annie David, MM. Robert del Picchia, Bernard Frimat, Yann Gaillard, Charles Gautier, Jean-François Humbert, Mme Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Jean-René Lecerf, François Marc, Mmes Colette Mélot, Monique Papon, MM. Hugues Portelli, Yves Pozzo di Borgo, Josselin de Rohan, Mme Catherine Tasca, M. Richard Yung.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La Suisse est géographiquement au coeur de l'Europe, et institutionnellement à l'extérieur de l'Union européenne.

Par une politique extérieure habile ayant pour objet de défendre ses spécificités (neutralité) et sa souveraineté tout en évitant l'isolement, la Suisse a su développer une relation originale avec l'Union européenne, la voie bilatérale.

Cette dernière, constituée d'accords sectoriels dans des domaines d'intérêt commun, a permis un essor important des échanges économiques et l'intégration de la Suisse à l'espace Schengen.

Cependant, depuis 2008, l'Union européenne, à plusieurs reprises, a dénoncé la complexité juridique et les faiblesses de « ce modèle », et souhaite désormais donner un nouvel élan aux relations bilatérales.

Simultanément, en raison des doutes du peuple suisse sur l'opportunité d'une adhésion de la Suisse à l'Union européenne, la Confédération helvétique souhaite maintenir le statu quo.

Le Sénat est attaché au développement de la relation privilégiée entretenue avec la Suisse et au maintien de la « vocation » européenne de cette dernière. C'est pourquoi, à l'heure où l'Union européenne et la Suisse s'interrogent sur les perspectives de leur partenariat, votre commission a souhaité examiner la réalité de ces relations et en tirer des enseignements pour l'avenir.

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I. « LA VOIE BILATÉRALE », UNE MÉTHODE ORIGINALE ET PRAGMATIQUE DE RAPPROCHEMENT ENTRE L'UNION EUROPÉENNE ET LA SUISSE

A. APRÈS L'ÉCHEC DE L'ADHÉSION DE LA SUISSE À L'ESPACE ÉCONOMIQUE EUROPÉEN (EEE), L'UNION EUROPÉENNE ET LA SUISSE ONT CONFORTÉ LEURS RELATIONS PAR LA VOIE D'ACCORDS BILATÉRAUX SECTORIELS

1. La Suisse entre politique de neutralité et recherche de coopération européenne

La Confédération suisse est aujourd'hui géographiquement au coeur de l'Union européenne, entourée par l'Allemagne, la France, l'Italie, l'Autriche et le Liechtenstein (non membre de l'Union européenne), mais institutionnellement hors de celle-ci.

En effet, pays de taille modeste (41 285 km 2 ) régulièrement menacé par de puissants voisins au cours de son Histoire, la Suisse a développé un modèle politique original garantissant son indépendance, fondé sur :

- un État fédéral composé de 26 cantons souverains aux compétences étendues (voir encadré ci-dessous) ;


Les institutions politiques suisses

La Suisse est un État fédéral regroupant 26 cantons souverains . Chaque canton dispose de sa Constitution et participe à l'élaboration de la politique fédérale en :

- intervenant dans les révisions de la Constitution fédérale, qui nécessitent une votation obligatoire requérant la majorité populaire et la majorité des cantons ;

- envoyant deux députés au Conseil des États ;

- exerçant des droits étendus en matière d'éducation, de santé publique, d'aménagement du territoire, de maintien de l'ordre public, d'organisation judiciaire ou en matière fiscale (35 % des dépenses publiques sont assurées par eux).

La Constitution de 1848 a établi trois organes fédéraux principaux :

- l'Assemblée fédérale , parlement de la Confédération, est composée du Conseil national (200 membres élus dans les cantons pour quatre ans, leur répartition étant fonction de la population cantonale) et du Conseil des États (46 membres élus également pour quatre ans. Chaque canton élit un ou deux députés au Conseil des États) ;

- le Conseil fédéral est le pouvoir exécutif de la Confédération. Les 7 conseillers fédéraux sont élus pour quatre ans par l'Assemblée fédérale. C'est un collège d'égaux : le président de la Confédération, qui préside ses séances, est désigné en son sein et change chaque année (en 2010, la présidente de la Confédération était Mme Doris Leuthard. Cette année, elle a été remplacée par Mme Micheline Calmy-Rey).

En cas d'égalité de voix, le président départage le collège. Le Conseil ne peut être renversé par l'Assemblée mais il ne peut opposer de veto aux lois adoptées par cette dernière ;

- le Tribunal fédéral , constitué de 41 magistrats élus par l'Assemblée fédérale pour un mandat de six ans renouvelables, veille à l'unité de l'interprétation du droit fédéral par la justice cantonale.

- l'utilisation régulière de la démocratie semi-directe par la population suisse, pour modifier la Constitution de 1848, adopter les traités internationaux ou encore mettre en oeuvre des initiatives législatives ;

- une politique étrangère garantissant sa souveraineté politique et sa neutralité 1 ( * ) (ce qui lui a permis d'accueillir le siège de nombreuses organisations internationales comme l'ONU ou la Croix-Rouge, et de développer des missions de « bons offices »).

Toutefois, en raison de son poids économique et politique, et de sa proximité géographique, l'Union européenne est devenue un partenaire incontournable de la Suisse. Le potentiel de croissance et le niveau de vie de cette dernière sont désormais indissociables des relations qu'elle entretient avec l'Europe.

C'est pourquoi la Suisse a cherché à développer sa coopération avec ses voisins européens tout en restant vigilante sur la défense de sa souveraineté.

Dès 1960, la Suisse avait adhéré à l'Association européenne de libre-échange (AELE) , constituée à l'initiative du Royaume-Uni pour instaurer une zone de libre-échange entre les pays d'Europe non membres de la Communauté économique européenne (CEE) 2 ( * ) .

Dans ce cadre, en 1972, la Suisse a conclu un accord de libre-échange avec la Communauté économique européenne , qui constitue le fondement des relations économiques bilatérales. Cet accord prévoit en particulier l'échange de produits industriels en franchise de douane et la diminution des droits de douane sur les produits agricoles transformés.

Par un accord bilatéral de 1989, la liberté d'établissement, dans le domaine de l'assurance dommages, a été reconnue aux compagnies d'assurances, sous réserve de réciprocité.

2. L'échec de l'adhésion de la Suisse à l'EEE en 1992 et le développement pragmatique d'une politique d'accords bilatéraux sectoriels

Mais le 6 décembre 1992 , à la différence des autres membres de l'AELE, la Suisse a rejeté par référendum son adhésion à l'Espace économique européen (EEE) qui aurait permis une intégration complète de la Suisse au marché intérieur européen.


L'Espace économique européen (EEE)

Signé le 2 mai 1992 et entré en vigueur le 1 er janvier 1994, l'accord créant l'Espace économique européen lie les vingt-sept États membres de l'Union européenne et trois des quatre États membres de l'AELE (Islande, Liechtenstein, Norvège).

Cet accord a pour objet d'étendre le marché intérieur communautaire à ces trois pays en appliquant les quatre libertés (libre circulation des personnes, des marchandises, des services et des capitaux) et en développant des politiques horizontales complémentaires (politiques de concurrence, des transports, de protection des consommateurs ou d'environnement). La politique fiscale, l'agriculture et la pêche sont toutefois exclus de l'accord.

L'accord prévoit aussi l'instauration de politiques de coopération dans plusieurs domaines (recherche-développement ; éducation et jeunesse ; PME ; protection civile...).

Après le refus exprimé par le peuple suisse d'adhérer à l'EEE en 1992 , la Confédération helvétique, craignant l'isolement, a développé une politique tendant à éviter toute marginalisation résultant de ce choix par la conclusion d'accords bilatéraux sectoriels avec l'Union européenne (décision du Conseil fédéral du janvier 1993) : la voie bilatérale.

A la fin de l'année 1993, l'Union européenne s'est déclarée prête à entamer des négociations avec la Suisse dans sept secteurs en imposant que :

- les accords soient négociés, signés et mis en oeuvre conjointement (principe du parallélisme) ;

- les accords seraient appliqués ensemble ou pas du tout (principe dit de la guillotine).


* 1 Déclarée une première fois à l'issue de la bataille de Marignan (1515), la neutralité suisse a été définitivement reconnue au Congrès de Vienne le 20 mars 1815. Conformément aux principes posés par le traité de La Haye, elle implique que la Suisse ne participe à aucune guerre, qu'elle assure sa propre défense et que son territoire est inviolable, et qu'elle traite de façon identique des parties en guerre.

* 2 L'AELE regroupe aujourd'hui la Suisse, l'Islande, le Liechtenstein et la Norvège.

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