III. LES FACTEURS D'ÉMANCIPATION PAR RAPPORT AU SCÉNARIO DU PIRE
Le rapport s'est attaché à identifier les marges d'émancipation par rapport au scénario quasi-tendanciel, qui est le scénario du pire. Une revalorisation du travail - pécuniaire, qualitative, normative et symbolique - dans le pacte social passe par la réinscription des stratégies d'entreprises dans le temps long, ainsi qu'une évaluation multicritères de leurs performances qui ne se décrète pas aisément.
Dans un contexte où les Etats sont de moins en moins capables de piloter la sphère économique et sociale, les marges sont étroites et la reconquête d'un espace de liberté suppose de prendre acte de ce que le bon niveau d'action ne peut plus être réduit au niveau national . Les obstacles majeurs à surmonter sont celui des excès de concurrence entre espaces économiques, le court-termisme d'un capital mis à même de se réallouer à tout moment ainsi que de faibles perspectives de croissance attribuables à des politiques économiques non coordonnées . Un nouvel équilibre macroéconomique conciliant incitations au travail, dynamisme de la demande et renforcement de la qualité de l'offre s'impose.
Symétriquement la complexification des structures et l'accélération des changements requièrent des méthodes d'action plus décentralisées , passant par le recours à une information mieux partagée et à des instruments de négociation adaptées.
• Tout en respectant les mécanismes de
marché dans toute la mesure où ils sont compatibles avec une
amélioration de la croissance potentielle
, l'Etat s'attacherait
à conduire toutes les politiques nécessaires à la
production des biens publics
- improduits par le
marché - nécessaires à l'optimisation de la
croissance potentielle. Des politiques macroéconomiques et structurelles
orientées vers la croissance s'imposeraient. L'objectif de
promouvoir un modèle de travail digne et
rémunérateur
et de corriger
les
inégalités excessives dans la distribution des revenus
primaires
serait reconnu comme prioritaire.
• Les salariés recouvreraient une
véritable
autonomie
dans le travail. Une
orientation plus sociale et humaine du management et de l'organisation
du travail
tendrait à juguler une certaine forme de
mal-être au travail sur la base d'
une implication
systématique des salariés
- et non un simulacre de
consultation -
dans toute « conduite du
changement »
, de formations à la gestion insistant
sur la considération et le soutien des collaborateurs, et d'
un
intéressement du « top management » à la
« performance sociale » et non plus seulement
financière
.
Cette dernière démarche serait favorisée par une responsabilisation financière ou fiscale des entreprises pour leurs externalités sociales négatives , notamment en termes de chômage ou de maladie. Un procédé de labellisation pourrait informer les clients de la conformité des conditions de production à certains standards sociaux, dans le cadre de la responsabilité sociale de l'entreprise (RSE). Les consommateurs pourraient mieux pondérer le rapport qualité-prix des biens et services par la réputation sociale y compris locale des entreprises.
La sécurisation des salariés constituerait l'autre volet d'une restauration de la qualité de l'emploi et du travail : les salariés seraient placés en situation d' assumer financièrement et professionnellement les mobilités requises dans une économie ouverte, adaptable et compétitive.
A côté de l'assurance chômage et d'un accès au logement facilité, l' employabilité des personnes deviendrait l'axe majeur d'une « flexisécurité » de pointe, d'ores et déjà qualifiée, au Danemark, de « mobication », soit un condensé de mobilité et d'éducation. Dans ce cadre, les pouvoirs publics parviendraient -non sans mal- à rendre « pilotable » le système de formation français. En synergie, les entreprises seraient conduites à une gestion plus responsable des emplois et des formations de leurs salariés en pratiquant une véritable gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC).
• S'agissant du gouvernement des
entreprises
et du dialogue social, un premier type d'inflexion
pourrait être recherché dans la poursuite de la
consolidation du rôle des partenaires sociaux
impulsée par la loi du 20 août 2008,
via
une réforme favorisant leur financement ou l'apparition
d'un syndicalisme de services plus proche des préoccupations
concrètes des salariés, sans omettre la question du dialogue
social dans les petites et moyennes entreprises ni celle de la
représentativité des organismes patronaux.
Par ailleurs, une gouvernance plus partenariale s'instaurerait. Elle comprendrait une réflexion sur la codétermination, et une protection renforcée de l'actionnariat de long terme. Des modes alternatifs de gouvernance s'inspirant de ceux des entreprises familiales ou coopératives redeviendraient attractifs, la question se posant toutefois de leur compatibilité avec les exigences de la compétition économique.
La codétermination , appliquée en Allemagne dans les entreprises de plus de 500 salariés, est fragile dans la mesure où elle doit être mise en oeuvre sans nuire à la compétitivité des entreprises et à l'attractivité du territoire. Une telle participation pourrait néanmoins avoir un intérêt pour faire émerger un consensus qui ne sera de toute façon possible que si le contexte du dialogue social est par ailleurs apaisé. A noter que le succès de cette idée repose, là aussi, sur une modification du mode d'évaluation de la performance des entreprises.
•
En cohérence,
le droit social du travail
se dirigerait vers une
architecture rénovée
où, sans vouloir
définir à lui seul l'intérêt général,
l'Etat ne renoncerait pas à intervenir. La négociation sociale se
développerait de façon plus équilibrée à la
faveur d'un respect généralisé du dialogue social mais
aussi d'un renforcement des légitimités syndicales, notamment par
la mise à niveau de l'expertise, tandis qu'émergeraient les
conditions d'édiction de normes internationales disciplinant le
« dumping social ». Par ailleurs, les nouvelles
normativités sociales feraient l'objet de certification et le
« consumérisme social » gagnerait en
maturité.