II. LE SCÉNARIO DE L'INACTION : LA PROBABILITÉ DU PIRE
Pour les prochaines décennies, la poursuite des tendances lourdes conduirait à une impasse dangereuse :
• Les conflits de répartition
continueraient à se résoudre au détriment des
rémunérations salariales
. Le travail
« paierait » d'autant moins que le vieillissement
démographique s'accompagnerait d'un prélèvement accru sur
les salaires. Les différents déterminants de la
répartition de la valeur ajoutée (niveau du chômage,
diversification des opportunités d'investissement du capital,
financiarisation de l'économie, mondialisation du marché du
travail, désinflation compétitive au coeur de l'Europe,
nécessités du désendettement, etc.) pèseraient sur
les salaires, les propriétaires du capital défendant plus
efficacement leur part d'un revenu national qui augmenterait de plus en plus
lentement. L'épargne pèserait sur la demande sans s'investir dans
des projets productifs.
La croissance potentielle baisserait, notamment sous l'effet du choc démographique. L'épargne de précaution pèserait sur la consommation sans s'investir pour autant sur le territoire économique national faute de perspectives de croissance. Elle serait allouée à des placements patrimoniaux, d'où la multiplication de bulles d'actifs, ou aux pays émergents à forte croissance.
Les besoins sociaux résultant du vieillissement démographique et des effets des restructurations économiques augmenteraient dans des proportions telles que les faibles marges de manoeuvre des budgets nationaux y seraient consacrées. L'Etat n'investirait plus et les effets attendus des biens publics (éducation, environnement, innovation...) sur la croissance ne seraient pas au rendez-vous ce qui accentuerait les contraintes pesant sur le pacte social dans l'entreprise.
• Il n'y aurait pas d'autre choix que de
flexibiliser davantage salaires et emplois et
le management
exercerait des tensions renforcées sur le travail
. Les
entreprises se rabattraient sur le levier de l'organisation du travail pour
soutenir tant bien que mal une productivité
« plombée » par un déficit cumulé
d'innovation. Avec un niveau de qualification stagnant et un dialogue social
toujours médiocre, les organisations « à flux
tendus » s'approfondiraient ainsi que la segmentation du
marché du travail avec un recours accru à des contrats courts
pouvant aller jusqu'à la disparition du contrat de travail dans la
mouvance de l'idée que chacun doit devenir un « entrepreneur
de lui-même ».
Le reflux attendu du chômage se heurterait au socle structurel d'une population restée trop longtemps éloignée de l'emploi et de la formation. Cela fragiliserait le régime d'assurance chômage confronté à la contrainte globale du désendettement public. La rigueur compromettrait aussi l'acclimatation de toute politique visant à améliorer vraiment l'employabilité, onéreuse en termes de formation et de logement.
Finalement, avec les contraintes multipliées d'organisations toujours plus finement calibrées en effectifs, les salariés endureraient une dégradation radicale du compromis sécurité/autonomie entraînant une prolifération de troubles psychosociaux, une désincitation au travail, un recours accru au travail clandestin et l'amplification d'une émigration économique.
• Dans ce cadre, le scénario tendanciel
verrait s'accroître le questionnement sur la légitimité
d'une
gouvernance dans l'entreprise qui apparaîtrait de plus en
plus comme l'expression d'un rapport de forces susceptible de nuire à
terme aux objectifs de productivité et de compétitivité
de l'entreprise et de l'économie nationale.
Le transfert de pouvoir à l'investisseur financier « dilué » se poursuivrait dans le cadre d'une mondialisation non coopérative secouée par des crises ponctuelles. La distance physique aux lieux de décisions et la poursuite d'objectifs principalement financiers mineraient le pacte social. Le dialogue social national demeurerait bipolaire et se révèlerait de plus en plus inadapté à la résolution de problèmes de dimension mondiale. Le gouvernement des entreprises ne trouverait plus de contrepoids que dans une opinion publique influençable et, peut-être, versatile.
• Enfin,
l'effritement du droit social
du travail s'amplifierait
. La dérégulation
refléterait les politiques d'Etats témoignant de
stratégies individuelles de « cavalier seul », le
moins-disant social devenant le point de référence d'un droit
international du travail qui peinerait à émerger. Les nouvelles
normativités, à commencer par la « soft
law », se développeraient de façon anarchique, sans
nulle certification et ne seraient l'expression que d'un marketing
généralisé dont les grandes lignes seraient
décidées, à leur profit, par les grandes entreprises
monopolistiques.