INTRODUCTION - PRODUCTIVITÉ : NOUVELLES APPROCHES, NOUVELLES TENSIONS
Après les « Trente glorieuses », à partir des années 70, le système économique s'est décloisonné et a été dérégulé.
De nouveaux acteurs ont émergé dans un contexte d'intégration dans une économie-monde où, malgré de persistantes singularités (dans le niveau et le rythme de développement notamment), les convergences s'imposent de plus en plus au prix d'un constant processus de restructurations qui touche le travail et les salariés.
Les vecteurs de ce processus d'intégration sont multiples, mais la mobilité du capital en représente l'un des plus puissants, en dépit des risques qui subsistent, notamment sur le front des monnaies.
Plus globalement, l'expansion de la sphère financière dans les économies contemporaines représente une tendance forte qui fait accéder cette sphère au rang des « structures » autonomes, ce qui est, au moins partiellement, contradictoire avec sa fonction traditionnelle plus limitée de contribution au financement de l'activité économique.
En bref, le système économique est de plus en plus englobant et l'influence du facteur rare, le capital, s'y est renforcée, notamment grâce à sa mobilité qui permet d'élargir les choix d'allocation de l'épargne .
La globalisation n'est pas un phénomène seulement géographique. Elle est, sans doute beaucoup plus fondamentalement, la réduction de la quasi-totalité des acteurs économiques au rôle « d'agents » d'un mécanisme économique qui ne trouve plus guère d'instances le surplombant. C'est en ce sens qu'elle engendre une crise de l'Etat et, plus largement, de toutes les supervisions et de toutes les régulations.
La question se pose de savoir si le système économique mondialisé peut se passer de tels acteurs alors même que les tensions exercées par la combinaison des dynamiques économiques et des intérêts financiers se renforcent.
Il n'est pas contestable que les crises économiques et financières se sont multipliées à partir des années 90 et leur cadence s'est accélérée autant que leur ampleur s'est élargie.
C'est, dans ces conditions, à bon droit que la capacité de prévenir les crises peut être mise en doute. Jusqu'à présent, y compris dans l'actuelle crise globale, la plus aiguë de toutes, la capacité de réparation a subsisté. Mais les réparations entreprises paraissent de moins en moins complètes - laissant derrière elles des coûts peu réversibles - et de plus en plus coûteuses.
Au demeurant, après le rôle d'assureur en dernier ressort joué par les Etats au cours des derniers événements, au prix d'une dégradation sans précédent de leurs finances publiques qui demandera des années d'ajustement, il faut s'interroger sur leur capacité à renouveler, du moins à moyen terme, une expérience si déstabilisante mais aussi sur la permanence du rôle émollient assigné à eux dans les économies où l'endettement privé n'a pas assuré le bouclage économique 1 ( * ) .
Les excès de la dette sont probablement derrière nous pour un temps assez long. La croissance économique devrait en être affectée si rien ne change, d'autant qu'une période transitoire impose une sorte de purge et ses inévitables à-coups dans un monde où l'incoordination reste la règle.
Mais évoquer les excès de la dette ne suffit pas. Tout excès de dette correspond nécessairement à un excès d'épargne 2 ( * ) .
Cette symétrie renvoie globalement au constat des déséquilibres internationaux ou régionaux.
Sans doute, une partie de ces déséquilibres peut-elle être attribuée à des dynamiques de rattrapage économique qui concernent la sphère réelle. Que les pays émergents réclament de l'épargne pour financer leur développement n'a rien que d'ordinaire. Il serait sans doute plus satisfaisant que cette épargne vienne des pays développés ou, plus précisément, que l'épargne qui en est issue ne s'ajoute pas à une épargne domestique déjà abondante.
Il est plus désolant que des pays développés paraissent ne plus savoir à quoi peut leur servir leur développement. Les voir oublier les principes d'une répartition équitable de leurs richesses quand, pourtant, ils s'inscrivent pleinement dans une logique d'augmentation de celles-ci (comme l'accent mis sur la performance et la productivité en témoigne symboliquement) et observer à quel point ils paraissent manquer de foi dans l'avenir (comment expliquer autrement la panne d'investissement qu'ils semblent subir ?) est troublant.
La situation de l'Europe est à cet égard particulièrement inquiétante. Les « demi-succès » de la Stratégie de Lisbonne sont un symbole éloquent d'une forme de renoncement à croire en soi. En outre, l'hypothèse d'une Europe du déclin démographique qui viendrait déprimer cette confiance n'est pas la moindre des hypothèses à considérer. Elle a sa logique : la mutation d'une Europe de la croissance en une Europe de l'épargne et de la rente. Cependant, l'Europe du rattrapage économique d'après la Seconde Guerre mondiale (fut-elle vraiment autre chose ?) n'a pas les atouts d'un rentier équitable, faute d'être arrivée au stade de l'Europe du leadership. Elle ne peut garantir à chacun que son patrimoine sera suffisant pour qu'il soit un rentier heureux. En outre, ceux qui pourraient estimer pouvoir en être auraient tort d'imaginer que leurs actifs ne seront pas contestés par les populations qui les rentabilisent, c'est-à-dire par les populations du monde émergent et par ceux qui, dans les pays développés, subissent jusqu'à présent les restructurations économiques.
L'Europe de la rente, privée ou des fonds souverains, n'est pas un choix viable à long terme et, à court terme, il expose les populations de l'Europe à la frustration et à la stagnation .
Le pacte social qui se dessine dans les entreprises de France et d'Europe porte la marque de ces non-choix.
La globalisation, dans toutes ses dimensions, semble le modeler de plus en plus. Or, les évolutions du pacte social qui se joue dans les entreprises paraissent ne pas tenir leurs promesses :
- le management par la performance ne s'accompagne pas d'une accélération de la productivité ;
- la restauration des profits (voire l'accroissement de leur part dans les richesses produites) ne « dynamise » pas l'investissement productif ;
- l'autonomie accordée aux salariés semble se traduire par une soumission toujours plus forte aux contraintes des flux tendus et ne pas aboutir à une participation accrue, d'ailleurs inégalement souhaitée, aux instances de gouvernement des entreprises ;
- l'adaptation du droit paraît rimer moins avec un renforcement de son efficacité qu'à un effacement de son rôle protecteur déjà mis à mal par l'extension de zones de non- (ou de peu de) droit ;
- le surgissement d'un droit de la globalisation et de la financiarisation peine à advenir...
Dans ces conditions, alors qu'il est de plus en plus dessiné pour satisfaire les exigences d'un modèle économique en crise, le pacte social dans l'entreprise se retrouve lui-même en crise et se fait vecteur de cette crise.
Ainsi, rouage d'une mécanique très englobante, le pacte social dans l'entreprise ne trouve pas plus que d'autres de ces rouages (plutôt moins d'ailleurs si l'on songe à l'importance relative des efforts entrepris pour refonder la « finance » comparativement à l'absence de l'ordre du jour des questions relatives à l'équilibre des relations sociales et économiques dans l'entreprise) d'autorité surplombante, apte à le gouverner.
Il est urgent de renverser ces logiques et de réaffirmer qu'un pacte social du travail - source de toute richesse - fondé sur une plus grande reconnaissance de sa valeur est non seulement conciliable avec l'objectif d'améliorer les performances économiques mais encore une condition essentielle du succès de cette entreprise.
* 1 Hormis pour les pays qui ont été tirés par l'extérieur, l'équilibre des systèmes économiques nationaux a de plus en plus été assuré par la dette, qu'elle soit privée ou publique. En dépit, d'une équivalence apparente, le choix entre endettement privé et endettement public ne peut pour autant être considéré comme secondaire. Une étude approfondie de ses termes et de ses conséquences présenterait un intérêt majeur.
* 2 Au rôle près de la création monétaire.