B. LES DROITS DE LA DÉFENSE : L'ENJEU DE LA GARDE À VUE

L'équilibre de notre procédure pénale passe par la garantie des droits de la défense de la personne mise en cause dont il convient de rappeler que, jusqu'à sa condamnation, elle est présumée innocente .

La distorsion actuelle entre les droits reconnus à la défense dans le cadre de l'enquête et ceux, plus complets et mieux garantis, accordés dans le cadre de l'information, constitue l'une des principales anomalies du système actuel.

La mise en place d'un cadre unique d'enquête ne marquera de réels progrès que si la personne mise en cause bénéficie le plus en amont possible des garanties d'une procédure contradictoire. L'avant-projet de réforme semble aller dans ce sens puisque la reconnaissance de la qualité de partie pénale (subordonnée selon l'article 312-4 à l'existence d'indices graves ou concordants rendant plausible la participation de la personne à l'infraction) aurait pour effet d'ouvrir droit au bénéfice d'une procédure contradictoire avec accès au dossier et assistance d'un avocat. L'attribution de cette qualité serait obligatoire soit en matière criminelle soit lorsqu'une mesure coercitive est envisagée. Dans les autres cas, cette reconnaissance serait facultative.

La réforme devrait se traduire ainsi par un renforcement des droits dans un plus grand nombre de dossiers que celui aujourd'hui couvert par l'instruction.

De réelles incertitudes pèsent cependant sur le point de départ que constitue la garde à vue pour nombre d'affaires pénales. Les perspectives proposées sur ce chapitre par la réforme, si elles représentent une avancée par rapport au droit en vigueur, ne sont pas complètement satisfaisantes. Ainsi vos rapporteurs ont-ils porté une attention particulière à cette phase policière de la procédure.

1. L'amélioration des garanties envisagée par le Gouvernement
a) Aujourd'hui : une mesure de contrainte assortie de certains droits

Toute personne « à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction » peut être placée, « pour les nécessités de l'enquête » en garde à vue par un officier de police judiciaire (art. 63 et 77 du code de procédure pénale). Cette mesure est possible pour tout crime ou délit puni d'une peine d'emprisonnement en cas de flagrance, et pour toute infraction dans le cadre de l'enquête préliminaire.

La durée de la garde à vue est de 24 heures au maximum. Cependant, ce délai peut être renouvelé pour une même durée, sur autorisation écrite du procureur de la République.

Le code de procédure pénale a prévu des prolongations supplémentaires dans deux hypothèses :

- pour les infractions de criminalité organisée , la garde à vue peut être prolongée de deux fois vingt-quatre heures (art. 706-73) ;

- en cas de risque sérieux de l'imminence d'une action terroriste (ou lorsque les nécessités de la coopération internationale le requièrent impérativement), la garde à vue peut être encore prolongée de deux fois 24 heures supplémentaires (art. 706-88).

La garde à vue peut ainsi être portée jusqu'à six jours.

D'après la direction générale de la police nationale, 82 % des gardes à vue durent moins de 24 heures 33 ( * ) .

Prolongations possibles du délai initial de garde à vue de 24 heures 1

Prolongations successives de 24 heures

Textes

Cas

Durée totale
de la garde à vue

Prolongation selon les règles ordinaires

63, al. 2 ; 77, al. 2 ; 154, al. 2

48 heures

(2 jours)

Première prolongation supplémentaire

706-88, al. 1er

Infractions de criminalité organisée prévues par l'article 706-73

72 heures

(3 jours)

Deuxième prolongation supplémentaire

96 heures

(4 jours)

Troisième prolongation supplémentaire

706-88, al. 7

Infractions terroristes prévues par le 11° de l'article 706-73

120 heures

(5 jours)

Quatrième prolongation supplémentaire

144 heures

(6 jours)

1 Source : F. Desportes et L. Lazerges-Cousquer -

Traité de procédure pénale, Economica

Les garanties actuellement apportées à la personne placée en garde à vue sont principalement de trois ordres :

Le contrôle du procureur de la République

Le procureur de la République, ou s'il s'agit d'une commission rogatoire, le juge d'instruction, doit être informé dès le début d'une garde à vue (art. 63 et 77). Ainsi que l'a indiqué le Conseil constitutionnel, « la garde à vue mettant en cause la liberté individuelle dont, en vertu de l'article 66 de la Constitution, l'autorité judiciaire assure le respect, il importe que les décisions prises en la matière par les officiers de police judiciaire soient portées aussi rapidement que possible à la connaissance du procureur de la République [ou du juge d'instruction] afin que celui-ci soit à même d'en assurer le respect » 34 ( * ) .

Les droits de la personne gardée à vue

En premier lieu, la personne est immédiatement informée , dans une langue qu'elle comprend, de la nature de l'infraction sur laquelle porte l'enquête , des droits dont elle dispose ainsi que des dispositions relatives à la durée de la garde à vue (art. 63-1).

La personne gardée à vue dispose également du droit de faire prévenir par téléphone un proche ou son employeur (art. 63-2 du code de procédure pénale). Elle peut en outre, à sa demande, être examinée par un médecin (art. 63-3).

Par ailleurs, la personne peut demander à s'entretenir avec un avocat , qu'il choisit ou qui est désigné d'office par le bâtonnier dès le début de la garde à vue puis, le cas échéant, dès le début de la prolongation 35 ( * ) . Cependant, pour la personne soupçonnée d'avoir commis une infraction de criminalité organisée, ce droit est reporté au début de chacune des deux prolongations supplémentaires -soit à l'issue de la 48 ème heure puis de la 72 ème heure -et, en matière de terrorisme, à l'issue de la 72 ème heure. Lorsqu'en matière de terrorisme, les circonstances permettent une garde à vue de 6 jours, l'entretien avec l'avocat est différé à la 96 ème heure et à la 120 ème heure. Selon les informations communiquées par la direction générale de la police nationale, deux tiers des personnes gardées à vue demandent à s'entretenir avec un avocat.

La loi du 15 juin 2000 relative à la présomption d'innocence et aux droits des victimes prévoyait que le gardé à vue devait être informé de son droit à garder le silence . Aux termes de la loi du 4 mars 2002, l'intéressé était informé du choix dont il disposait de répondre ou se taire. La loi du 18 mars 2003 relative à la sécurité intérieure a totalement supprimé ce droit.

En vertu de l'article 64 du code de procédure pénale, le procès verbal d'interrogatoire de la garde à vue doit obligatoirement porter mention notamment de la durée de l'interrogatoire et des motifs de la garde à vue.

Par ailleurs, la loi du 5 mars 2007 a prévu l'enregistrement des auditions en garde à vue en matière criminelle 36 ( * ) .

b) L'avant-projet de réforme

L'avant-projet de réforme de la procédure pénale comportait trois séries d'évolutions qui, à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, des décisions du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010 et de la Cour de cassation du 19 octobre 2010 sont apparues très en-deçà de la réforme nécessaire.

En premier lieu, il fixait explicitement des critères à la mise en oeuvre de la garde à vue dont le caractère exceptionnel était consacré 37 ( * ) , le recours à la garde à vue n'étant possible que pour les crimes et délits punis d'une peine d'emprisonnement .

En deuxième lieu, le projet renforçait les droits à l'assistance d'un avocat (article 327-17). Ainsi, dès le début de la garde à vue, l'avocat pouvait recevoir une copie des procès-verbaux des auditions de son client déjà réalisés. En outre, à compter de la 24 ème heure, l'avocat pouvait être présent lors des auditions et poser des questions. Par ailleurs, le texte prévoyait expressément qu'en matière criminelle et correctionnelle aucune condamnation ne pourrait être prononcée sur le seul fondement des déclarations faites par un gardé à vue qui n'aurait pas bénéficié de l'assistance d'un avocat .

Enfin, l'avant-projet instituait une « audition libre » permettant de retenir une personne, sous réserve de son accord, pour une durée maximale de quatre heures dans les locaux de la police et de la gendarmerie. S'il le demandait, l'intéressé pouvait demander à être entendu sous le régime de la garde à vue afin de bénéficier des droits qui y sont associés.

Ces avancées, indéniables, n'apparaissaient toutefois pas à la mesure des exigences de la Cour européenne des droits de l'Homme.

La Cour a en effet reconnu le droit du prévenu à l'assistance d'un avocat dès la privation de liberté 38 ( * ) . Elle a également reconnu à l'avocat la possibilité d'exercer « les éléments fondamentaux de la défense » c'est-à-dire « toute la vaste gamme d'interventions qui sont propres au conseil » -discussion de l'affaire, organisation de la défense, recherche des preuves favorables au prévenu, préparation des interrogatoires, contrôle des conditions de détention 39 ( * ) . Plus récemment, dans une décision condamnant la France 40 ( * ) , la Cour a rappelé que « le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de garder le silence sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au coeur de la notion du procès équitable ».

Pour sa part, le Conseil constitutionnel, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité sur la garde à vue 41 ( * ) , a considéré dans sa décision du 30 juillet 2010, que les circonstances de droit et de fait justifiaient un réexamen de la constitutionnalité des articles relatifs au régime de droit commun de la garde à vue 42 ( * ) . En effet, il a observé que la proportion des procédures soumises à une instruction préparatoire représentaient désormais moins de 3 % des affaires et que dans le cadre du traitement « en temps réel » des infractions, une personne était le plus souvent jugée sur la base des seuls éléments de preuve rassemblés avant l'expiration de sa garde à vue. Le Conseil constitutionnel a également relevé que les exigences légales relatives à l'attribution de la qualité d'officier de police judiciaire aux fonctionnaires de la police nationale et aux militaires de la gendarmerie nationale s'étaient réduites, de sorte que, entre 1993 et 2009, le nombre d'officiers de police judiciaire était passé de 25.000 à 53.000. Il a considéré que ces évolutions avaient contribué à banaliser le recours à la garde à vue.

Tout en rappelant que la garde à vue « demeure une mesure de contrainte nécessaire à certaines opérations de police judiciaire », le Conseil constitutionnel a estimé que la rédaction actuelle de l'article 63-4 ne permettait pas à la personne interrogée, « alors qu'elle est retenue contre sa volonté, de bénéficier de l'assistance effective d'un avocat ; qu'une telle restriction aux droits de la défense est imposée de façon générale, sans considération des circonstances particulières susceptibles de la justifier, pour rassembler ou conserver les preuves ou assurer la protection des personnes ». Il a ajouté que la personne gardée à vue « ne reçoit pas la notification de son droit de garder le silence ».

Dans ces conditions, le Conseil constitutionnel a jugé que la « conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties ne peut plus être regardée comme équilibrée ». Il déclare en conséquence contraire à la Constitution les articles 62, 63, 63-1, 63-4, alinéas 1 er à 6, et 77 du code de procédure pénale en reportant au 1 er juillet 2011 la date d'abrogation de ces dispositions.

En revanche, le Conseil constitutionnel n'a pas remis en cause la constitutionnalité des dispositions dérogatoires relatives à la garde à vue en matière de criminalité et de délinquance organisée, de terrorisme et de trafic de stupéfiants.

c) L'exigence d'une réforme ambitieuse

Le Gouvernement a tiré les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel en présentant au Parlement en octobre 2010 un projet de la loi procédant à une réforme plus importante du régime de la garde à vue que celle figurant dans l'avant-projet de réforme du code de procédure pénale.

Les principales modifications portent sur l'assistance de l'avocat . En premier lieu, la personne gardée à vue serait informée de son droit de garder le silence . En outre, elle pourrait demander que l'avocat assiste aux auditions durant toute la garde à vue. Néanmoins, le procureur de la République pourrait, sur demande de l'officier de police judiciaire et pour les nécessités de l'enquête (préservation des preuves ou protection des personnes) différer la présence de l'avocat pour une durée maximale de 12 heures . Enfin, l'avocat aurait accès au dossier .

Ces dispositions répondent a posteriori à plusieurs des objections formulées par les interlocuteurs de votre groupe de travail dont les propos se sont fondés sur le contenu, nettement plus en retrait, de l'avant-projet de réforme du code de procédure pénale.

Cependant, elles ne modifient pas les dispositions dérogatoires applicables à la criminalité organisée et au terrorisme et n'apparaissent pas conformes à ce titre à la position prise par la chambre criminelle de la Cour de cassation dans trois arrêts du 19 octobre 2010 43 ( * ) : la restriction au droit, pour une personne gardée à vue, d'être assistée dès le début de la mesure par un avocat, en application de l'article 706-88 du code de procédure pénale instituant un régime spécial à certaines infractions, doit répondre à l'exigence d'une raison impérieuse, laquelle ne peut découler de la seule nature de l'infraction . A l'instar du Conseil constitutionnel, la Cour de cassation a différé l'application de ces principes au plus tard le 1 er juillet 2011. Par ailleurs, le projet de loi ne lève pas toutes les interrogations suscitées par le dispositif de la garde à vue.

2. Les voies d'un équilibre satisfaisant

Vos rapporteurs se sont attachés à analyser les conditions d'un régime de garde à vue équilibré. Ces conditions impliquent que le contrôle de la mesure soit exercé par un juge indépendant. Elles supposent aussi le respect de la dignité des personnes ainsi que la préservation de l'efficacité de l'enquête. Il importe également de conjurer le risque d'un système de défense « à deux vitesses ». Enfin, une attention particulière doit être accordée aux dispositifs dérogatoires ainsi qu'à l'introduction dans notre droit du système de l'audition libre.

a) L'exigence d'un juge indépendant

Le projet de loi laisse le contrôle de la garde à vue au procureur de la République. Une telle situation ne paraît pas conforme à la jurisprudence de la CEDH comme en témoignent les arrêts Medvedyev , du 29 mars 2010 et Moulin c. France du 23 novembre 2011. En effet, selon l'interprétation donnée par la Cour de l'article 5 paragraphe 3 de la convention 44 ( * ) , le contrôle juridictionnel des arrestations et détentions doit être assuré par un magistrat bénéficiant d'une indépendance tant vis-à-vis du pouvoir exécutif que des parties. Ni le statut du procureur de la République, ni sa nature de partie poursuivante ne sont conformes à ces deux critères.

En tout état de cause, selon le groupe de travail, le contrôle de la garde à vue devrait revenir à terme au juge de l'enquête et des libertés et, dans l'attente de la création de ce magistrat, au juge des libertés et de la détention .

b) Respecter les droits des personnes sans « judiciariser » la procédure

Selon vos rapporteurs, la recherche d'un dispositif juridique équilibré en matière de garde à vue impose, indépendamment même des exigences de la jurisprudence de la CEDH, un renforcement des droits de la personne mise en cause.

La reconnaissance de ces droits passe d'abord par le respect de la dignité des personnes.

La majorité des personnalités interrogées par le groupe de travail se sont montrées opposées à la pratique des fouilles à corps. Vos rapporteurs ont observé avec intérêt que cette position était partagée par les représentants de la police et de la gendarmerie ainsi que par plusieurs syndicats de police, à la condition que des règles claires soient fixées en la matière et que, dans la mesure du possible, des moyens techniques alternatifs de contrôle soient mis en place.

Vos rapporteurs constatent avec satisfaction que le projet de loi sur la garde à vue proscrit les fouilles à corps intégrales sauf lorsqu'elles sont indispensables pour les nécessités de l'enquête (article 9).

Ils relèvent cependant que le dispositif proposé est moins protecteur que celui retenu par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 (article 57) pour la fouille des détenus selon un système gradué (nature et fréquence des fouilles strictement adaptées aux nécessités liées à la sécurité des personnes et à la personnalité des intéressés ; possibilité de fouilles intégrales à la seule condition que les fouilles par palpation ou l'utilisation des moyens de détection électronique soient insuffisantes ; proscription des « investigations corporelles internes, sauf impératif spécialement motivé » 45 ( * ) ) . Ils souhaitent que les fouilles à corps pour des personnes présumées innocentes répondent a fortiori aux mêmes conditions que celles retenues par la loi pénitentiaire pour les personnes détenues.

Enfin, le groupe de travail entend se faire l'écho des constats dressés par les services de police eux-mêmes sur l'état des locaux de garde à vue qui, malgré de réels progrès, sont encore loin de répondre à des conditions respectueuses de la dignité de la personne.

Vos rapporteurs ont par ailleurs jugé nécessaire de rétablir l'information sur le droit de garder le silence -garantie qui existe par exemple dans le code de procédure pénale allemand sans qu'elle semble peser sur l'efficacité de l'enquête- et de prévoir l'assistance de l'avocat au cours de la garde à vue au-delà de l'entretien préalable avec le gardé à vue, tel qu'il est actuellement prévu. Ils se réjouissent que le projet de loi relatif à la garde à vue leur donne satisfaction sur ce point (article 2).

Le droit à l'assistance d'un avocat soulève cependant trois questions.

En premier lieu, ouvre-t-il la voie à une « judiciarisation » de la garde à vue, comme l'ont craint MM. Jean-Olivier Viout, procureur général près la cour d'appel de Lyon, et Jean-Pierre Dinthilhac, ancien procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris ?

Une telle évolution entraînerait une confusion certaine entre la phase policière et la phase judiciaire de l'enquête  Une attention particulière doit être accordée à cet égard aux conditions auxquelles l'avocat peut accéder au dossier et remplir son rôle au cours des auditions. Plusieurs intervenants ont estimé que l'assistance de l'avocat n'impliquait pas l'accès au dossier. Comme l'observait notre collègue M. Robert Badinter lors du débat sur la question orale présentée par M. Jacques Mézard sur les droits des personnes placées en garde à vue au Sénat le 10 février 2010, « l'obligation de communiquer la totalité du dossier ne vaut qu'au stade de la mise en examen, quand des charges suffisantes, et non une raison plausible de soupçonner qu'il ait commis une infraction, ont été réunies contre celui qui n'était jusque là qu'un gardé à vue. Il s'agit alors d'un degré de gravité tout à fait différent et l'avocat, qui devient dans ce cas le défendeur à l'action publique, doit évidemment avoir accès à toutes les pièces du dossier en vertu du principe du contradictoire ». Selon vos rapporteurs, l'accès au dossier devrait être limité aux éléments provenant de la personne mise en cause -en l'espèce, comme le prévoit le projet de loi relatif à la garde à vue, les procès-verbaux d'audition de la personne- sans pouvoir concerner les autres aspects de la procédure .

Si la privation de liberté justifie l'assistance de l'avocat au cours de la garde à vue, le rôle imparti à la défense dans ce cadre ne se confond pas avec celui qui lui revient dans le cabinet d'instruction. Il devrait laisser les officiers de police judiciaire conduire leurs interrogatoires sans y prendre part. Le projet de loi relatif à la garde à vue (article 7) permet d'ailleurs à un avocat d' « assister aux auditions de la personne gardée à vue » et, à l'issue de chaque audition, de présenter des observations écrites. Le général David Galtier, sous-directeur de la police judiciaire à la direction de la gendarmerie nationale, a souligné l'intérêt de préserver la cohérence des nouvelles techniques d'audition qui laissent à l'officier de police judiciaire davantage de temps pour dialoguer avec l'intéressé (actuellement, 70 % du temps de garde à vue est consacré aux questions, 30 % aux réponses ; les techniques plus récentes développées notamment en Belgique permettraient d'inverser cette proportion).

Par ailleurs, les représentants de la police et de la gendarmerie nationale ont, de concert, attiré l'attention sur la lourdeur des actes de procédure . Le droit à l'assistance d'un avocat devrait sans doute conduire à rechercher les moyens d'alléger le formalisme de certaines procédures sans qu'il soit porté atteinte aux garanties apportées à la personne.

La deuxième interrogation soulevée par la reconnaissance du droit à l'assistance de l'avocat porte sur le risque d'une justice inégale selon les moyens de l'intéressé. Elle imposera une forte mobilisation des barreaux que les organisations professionnelles des avocats sont, selon les propos tenus par leurs représentants à vos rapporteurs, prêts à assumer. Elle requiert également un effort de la collectivité à travers une revalorisation de l'aide juridictionnelle. Mme Michèle Alliot-Marie, alors garde des sceaux, a indiqué devant l'assemblée extraordinaire du Conseil national des barreaux, le 15 octobre 2010, que le montant de l'aide juridictionnelle prévu pour la garde à vue serait porté de 15 millions d'euros aujourd'hui à 80 millions à l'issue de la mise en oeuvre de la réforme. Par ailleurs, le plafond de ressources pourrait être relevé. La concrétisation de ces engagements conditionne, aux yeux de vos rapporteurs, le succès de la réforme de la garde à vue.

Enfin, il importe de s'interroger sur le cadre dans lequel les avocats seraient conduits à intervenir auprès des personnes impliquées dans des affaires liées à la grande criminalité et au terrorisme. Si, depuis les décisions précitées de la Cour de cassation, le report de l'assistance de l'avocat ne saurait être admis, les enjeux soulevés par ce type de dossiers et les exigences de l'enquête pourraient justifier que les avocats soient choisis par la personne gardée à vue sur une liste agréée par le barreau , voire, comme tel est le cas en Espagne, désignés d'office par le bâtonnier 46 ( * ) .

c) Les interrogations soulevées par l'audition libre

Des différentes dispositions envisagées par le Gouvernement dans le cadre du projet de réforme de la procédure pénale, l'audition libre est l'une de celles qui soulèvent le plus grand nombre de critiques.

Sans doute ce dispositif répond-il au souci légitime de limiter le nombre de gardes à vue en instituant un mécanisme par lequel la personne consent expressément à être entendue par les services de police et de gendarmerie. Comme le relève l'étude d'impact annexée au projet de loi relatif à la garde à vue : « la garde à vue n'est donc plus la modalité procédurale privilégiée pour entendre un suspect. Elle ne constitue qu'une mesure de contrainte applicable au suspect si l'officier de police judiciaire ou le procureur de la République estime que les conditions spécifiques de son application sont réunies ».

Cependant, la rédaction du projet de loi n'a pas levé toutes les ambiguïtés de l'avant-projet de réforme ; en effet, l'audition libre et la garde à vue concerneraient l'une et l'autre « la personne à l'encontre de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction ». Ce critère correspond, comme le rappelle le groupe de travail composé de professeurs de droit à l'initiative du garde des sceaux, à « une accusation en matière pénale » au sens de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme. Or, l'audition libre ne comporterait, en l'état, aucune des garanties prévues pour la garde à vue. Sans doute ne devrait-elle pas présenter le même caractère de contrainte. Mais qu'en sera-t-il réellement pour les personnes appréhendées même si elles ont accepté expressément de suivre l'officier ou l'agent de police judiciaire ? En outre, si le consentement de la personne doit être recueilli à chaque reprise d'audition, le projet de loi ne précise pas si, dans l'intervalle, la personne est libre de ses mouvements ou non.

Vos rapporteurs se demandent s'il ne serait pas préférable de réserver l'audition libre, comme le suggérait Mme Soraya Amrani-Mekki au nom de la commission nationale consultative des droits de l'homme, aux convocations en excluant en revanche cette possibilité à l'issue d'une interpellation. Une exception serait possible pour les hypothèses dans lesquelles la garde à vue n'est pas possible mais l'assistance d'un avocat devrait alors être garantie.


* 33 Le temps d'audition ne représente généralement qu'une fraction minoritaire de la totalité de la durée de la garde à vue soit, par exemple, dans une affaire impliquant 18 suspects, citée par M. Jean Mafart, directeur adjoint au cabinet du directeur général de la police nationale, 12,5 heures sur 96 heures.

* 34 Conseil constitutionnel, n° 93-326 DC, 11 août 1993.

* 35 Cette disposition est issue de la loi du 9 mars 2004. La loi du 4 janvier 1993 avait autorisé la présence de l'avocat pour un entretien de 30 minutes.

* 36 La loi du 15 juin 2000 avait déjà prévu un tel enregistrement pour l'audition des mineurs placés en garde à vue.

* 37 Ainsi, selon des dispositions proches de celles retenues pour la détention provisoire, la garde à vue ne serait possible que s'il est indispensable, d'une part, de garantir le maintien de la personne à la disposition des enquêteurs ou la présence ultérieure devant le procureur de la République et, d'autre part, d'empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels, ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leurs familles ou ne se concerte avec d'autres personnes susceptibles d'être ses co-auteurs ou complices (article 327-3 de l'avant-projet du code de procédure pénale réformé).

* 38 CEDH, 27 novembre 2008, n° 36391/02, Salduz c/Turquie.

* 39 CEDH, 13 octobre 2009, n° 7977/03, Dayanan c/Turquie.

* 40 CEDH, 14 octobre 2010, Brusco c. France.

* 41 Décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010.

* 42 Articles 62, 63, 63-1, 64-4, alinéas 1 er à 6, et 77 du code de procédure pénale.

* 43 Arrêts n° 5699, 5700 et 5701 du 19 octobre 2010

* 44 « Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience. »

* 45 L'article 9 du projet de loi relatif à la garde à vue se borne à reprendre, sur ce point, le droit en vigueur : « Lorsqu'il est indispensable, pour les nécessités de l'enquête, de procéder à des investigations corporelles internes sur une personne gardée à vue, celles-ci ne peuvent être réalisées que par un médecin requis à cet effet ».

* 46 Article 527 du code de procédure pénale espagnol : lorsque la personne est soumise à l'interdiction de communiquer, ce qui est le cas en matière de terrorisme, son avocat sera désigné d'office par le « collège des avocats ».

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