E. SYSTÉMATISER L'EXPÉRIMENTATION ET L'ÉVALUATION SCIENTIFIQUE DES INTERVENTIONS

Dans son ouvrage sur la sociologie de l'obésité, Jean-Pierre Poulain rappelle l'importance de l'évaluation qui « permet bien sûr de vérifier que des objectifs ont été atteints et par là justifier l'utilisation des finances publiques. Mais elle peut également être très utile pour piloter les plans d'action, les réorienter, les infléchir. Plus globalement, elle rend possible l'amélioration de la qualité des programmes et, si l'on systématise son utilisation, peut constituer un levier de production et de capitalisation des connaissances dans le domaine de la promotion de la santé. »

L'expérimentation scientifique présente l'avantage de tester scientifiquement l'efficacité des interventions. Par conséquent, elle constitue un outil précieux pour la définition des politiques publiques de prévention.

L'exemple de l'activité physique permettra d'illustrer nos propos.

Alors que l'impact bénéfique de cette dernière fait l'objet d'un consensus 37 ( * ) , dans les faits, les politiques de prévention peinent à augmenter le taux d'activité physique des individus et notamment des enfants.

Plusieurs études scientifiques ont donc lancé des expérimentations afin d'en tester l'efficacité.

L'étude ICAPS (Intervention auprès des Collégiens centrée sur l'Activité Physique et le comportement Sédentaire) est une expérience de prévention primaire réalisée sous forme d'un essai d'intervention randomisée d'une durée de 4 ans (2002 à 2006).

Le but de cette expérimentation était de lutter contre la sédentarité à travers la promotion de l'activité physique sous toutes ses formes sans aggraver les disparités sociales ni stigmatiser. L'un des objectifs de l'étude était d'évaluer l'impact de ce type de prévention sur l'évolution pondérale et le risque vasculaire d'adolescents de 6 ème .

Cette intervention privilégiait plusieurs niveaux pour réduire les barrières à la pratique de l'activité physique : développement d'activités physiques ludiques à l'école (pendant les permanences, lors des récréations, dans le cadre des activités péri-scolaires), mais également pendant les loisirs et dans la vie quotidienne (trajet maison/école).

1048 élèves de 6 ème ont participé à l'étude. 92 % ont accepté d'être suivis pendant 4 ans. 89 % ont été revus au bout de 2 ans, 78 % au bout de 4 ans.

Les résultats de cette étude ont démontré qu'il était possible de faire bouger les adolescents sur le long terme puisqu'à la fin de l'étude 80 % des enfants pratiquaient une activité physique contre 40 % dans les collèges témoins.

En outre, le groupe pris en charge regardait 20 minutes de moins la télévision par jour que le groupe témoin et pratiquait 54 minutes d'activité physique structurée en plus.

Ces résultats étaient également valables pour les filles et les enfants de milieux défavorisés, deux catégories traditionnellement moins enclines à l'activité physique.

L'état de santé des adolescents ayant bénéficié de ce programme était également amélioré puisque le taux de prévalence du surpoids était moindre que dans le groupe témoin et le risque cardiovasculaire réduit.

La clé du succès de cette intervention réside dans le fait qu'elle ne s'est pas contentée d'invoquer la responsabilité individuelle mais a agi sur l'environnement physique des adolescents (en leur offrant concrètement la possibilité de pratiquer une activité physique) et sur la perception qu'avaient les enfants et les parents de l'exercice physique, trop souvent associé uniquement au sport. L'accent a été mis à la fois sur le plaisir et l'accessibilité des infrastructures.

L'encadré suivant dresse le bilan des interventions réalisées afin d'augmenter la consommation de fruits et légumes.

Il souligne la nécessité de procéder systématiquement à l'évaluation de toute intervention afin de s'assurer de son efficacité, de la redéfinir le cas échéant et surtout, si elle s'avère concluante, d'en assurer la diffusion. Comme le rappellent les auteurs de cette étude : « Il faut garder à l'esprit que concevoir une politique, c'est émettre des hypothèses sur les conséquences d'une action ; évaluer c'est soumettre les hypothèses à l'épreuve des faits. »

Bilan des interventions réalisées afin d'augmenter
la consommation de fruits et légumes

Parmi les différentes formes d'intervention nous pouvons distinguer celles qui portent sur l'individu, ses préférences, ses motivations et celles qui touchent l'environnement du consommateur. Dans la première catégorie, nous trouvons l'éducation nutritionnelle et le marketing informationnel ; dans la seconde catégorie, nous trouvons toute intervention favorisant l'accès aux produits et celles concernant les prix. Enfin, quelques expériences heureuses d'actions combinées jouant à la fois sur l'individu et son environnement, sont possibles.

- L'éducation nutritionnelle, très largement utilisée par les professionnels de santé publique, ne remplit pas complètement sa fonction car elle améliore les connaissances et les attitudes mais rarement les comportements . La durée de l'intervention et l'utilisation d'arguments positifs plutôt que moralisateurs n'améliorent pas leur efficacité. Cela est valable pour les adultes et les personnes âgées.

Un certain succès est possible chez les jeunes enfants (avant le collège) à condition d'impliquer le personnel scolaire et la famille.

- Tout l'arsenal du marketing informationnel (pyramides alimentaires, labels nutritionnels, publicité ciblée, promotion "5 a day", soit l'équivalent des campagnes françaises sur 5 fruits et légumes par jour) montre ses limites dans la perception de la faisabilité des recommandations. Les efforts sont couronnés d'un certain succès essentiellement pour le slogan "5 a day" (augmentation possible de la consommation entre 0,2 et 1 portion de fruits et légumes par personne et par jour) quand les informations sont culturellement ciblées et quand les angles d'attaque sont diversifiés .

Les populations les plus réceptives sont les femmes adultes ; les jeunes et les hommes sont peu sensibles aux arguments santé. Il est plus efficace de promouvoir une fréquence élevée de consommation plutôt que d'augmenter la taille des portions.

- Quant aux populations démunies, elles sont dans l'incapacité de mettre les recommandations en application compte tenu de leurs habitudes alimentaires, des contraintes de leur environnement et de leur niveau de revenus. L'information non accompagnée d'un environnement favorable, n'est pas jugée réaliste et a peu de chance d'être conscientisée. Enfin, il convient de mener des campagnes distinctes pour les légumes et pour les fruits.

- Il est difficile de conclure sur l'impact d'interventions sur l'environnement du consommateur compte tenu des difficultés méthodologiques soulevées et de l'insuffisance d'études disponibles. Toutefois, il semblerait que les interventions sur l'environnement soient plus efficaces que les interventions sur les individus . Le milieu scolaire est une voie à privilégier, surtout quand il est relayé par le milieu familial. C'est une question de choix politique. C'est aussi une question culturelle. D'où l'importance de l'apprentissage des jeunes enfants aux fruits et légumes très tôt dans la vie. Pour les populations démunies, les coupons d'achat ne sont pas aussi efficaces qu'escompté car les fruits et légumes ne rentrent pas dans le répertoire alimentaire de ces catégories de population.

- Nous connaissons la sensibilité du consommateur aux prix des fruits et légumes, mais l'évaluation d'interventions spécifiques sur l'impact de la modification des prix a rarement été faite au regard des difficultés méthodologiques. Les quelques expériences réalisées en milieu contrôlé montrent une réaction positive immédiate des convives, mais cela reste conjoncturel. L'effet est moins important lorsque la baisse de prix s'accompagne d'un message nutritionnel, qui peut être interprété comme un signal négatif sur le goût du produit.

- Pour finir, les interventions combinées semblent efficaces, surtout lorsqu'elles impliquent les personnes ciblées et si elles sont élargies au milieu social environnant. Les barrières organisationnelles et culturelles doivent être dépassées pour assurer un impact significatif. Ces formes d'interventions sont d'autant plus efficaces qu'elles sont locales. Les villes ou communautés urbaines sont considérées comme un niveau adapté à la réussite des programmes de prévention.

- Une réflexion sur les approches évaluatives, les méthodes d'évaluation et la mise au point de référentiels pour des interventions locales ou nationales, semble incontournable si l'on veut convaincre les financeurs et améliorer les initiatives. Il faut garder à l'esprit que concevoir une politique, c'est émettre des hypothèses sur les conséquences d'une action ; évaluer c'est soumettre les hypothèses à l'épreuve des faits.

Source : expertise collective de l'INRA sur la consommation des fruits et des légumes dans l'alimentation, enjeux et déterminants de la consommation, 2007.


* 37 Voir l'expertise collective de l'INSERM sur l'activité physique : contextes et effets sur la santé, 2008.

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