C. LES CARACTÉRISTIQUES D'UNE PRÉVENTION PRIMAIRE EFFICACE

1. Une prévention primaire démédicalisée
a) Une prévention qui distingue la gestion du poids et l'amélioration de l'état général de santé de la population à travers l'alimentation

Outre sa vocation biologique, l'acte alimentaire a une forte charge culturelle, sociale et affective. Le PNNS s'est efforcé de respecter ces différentes dimensions de l'acte alimentaire.

Pourtant, de nombreux cliniciens (nutritionnistes, psychologues) constatent le développement d'une attitude anxiogène vis-à-vis de l'alimentation.

Par ailleurs, bien que le PNNS n'impose aucun interdit, la classification des aliments par la population reste très manichéenne avec d'un côté les bons aliments (qui ne font pas grossir) et de l'autre les mauvais.

Cette distinction est réductrice dans la mesure où l'intérêt d'un aliment n'est pas uniquement déterminé par son intensité énergétique. Ainsi, les noix, les fruits secs, l'huile d'olive ou encore l'avocat contiennent des nutriments importants pour l'organisme. A l'inverse, même s'il ne contient pas de calorie, un soda sans sucre ne présente aucun intérêt nutritionnel.

Il serait erroné de rendre le PNNS seul responsable de cette confusion entre l'amélioration de l'état général de la santé par l'alimentation et la gestion du poids. L'exacerbation de l'idéal de minceur par médias interposés, la multiplication des publications sur les régimes « minceur » dans la presse féminine, l'explosion des gammes de produits permettant de perdre du poids contribuent à réduire le rôle de l'alimentation à la gestion du poids.

Néanmoins, le mélange dans le PNNS de repères nutritionnels avec des objectifs de réduction de la prévalence de l'obésité entretient la confusion.

b) Une prévention basée sur des messages positifs et de nouvelles normes sociales

En outre, la prévention réalisée par les campagnes de prévention du PNNS dans sa forme actuelle est universelle : elle vise la population générale et fournit à tous les individus des informations pour améliorer leur état de santé par l'alimentation et l'activité physique.

Pourtant, à tort ou à raison, le PNNS est vécu par une partie de la population comme une série d'interdits (pas de gras, pas de sucre, pas de sel). Comme ils ne sont pas respectés, les messages qui les véhiculent sont considérés comme culpabilisants, ce qui peut favoriser le développement de troubles alimentaires (notamment parmi les femmes appartenant aux catégories sociales plus élevées, particulièrement sensibles aux messages de santé et à la pression sociale) ou, au contraire, entraîner le rejet en bloc desdits messages à travers une réaction de défense et de déni.

Les recherches en psychologie comportementale insistent sur les risques d'effets pervers de messages trop culpabilisants, dogmatiques, stigmatisants ou anxiogènes, tout en constatant qu'un message trop consensuel et sans implication personnelle doit être évité car il est incapable de susciter une motivation.

Le vocabulaire utilisé doit donc être choisi avec précaution. Plusieurs interlocuteurs ont proposé des messages positifs, insistant sur la socialisation de l'alimentation, le rythme des repas, le respect des sensations de satiété ou encore la taille des portions.

Comment rendre les politiques de prévention plus efficaces ?
Les apports des sciences comportementales

En mars 2010, le Centre d'analyse stratégique a publié un rapport intitulé « Nouvelles approches de la prévention en santé publique» auquel des experts français et internationaux en sciences comportementales ont contribué. Ce rapport propose de nouvelles directions dans la lutte contre l'obésité en envisageant, pour la première fois en France, le recours aux dernières avancées en neurosciences du consommateur afin d'enrichir les mesures en vigueur dans le cadre de la lutte contre l'obésité.

Des travaux de neurosciences ont montré que certaines personnes obèses ne mangeraient pas uniquement par besoin énergétique. Un dysfonctionnement de récepteurs dopaminergiques dans une partie du cerveau appelée le striatum participant au ressenti du plaisir, les inciterait à manger plus afin d'éprouver la même « quantité » de plaisir qu'une personne non obèse. A l'hypothèse métabolique de l'obésité vient donc s'ajouter une composante hédonique, que l'on se doit d'intégrer aux stratégies de prévention.

De son côté, l'industrie agro-alimentaire communique avant tout sur le plaisir de manger. Pour ce faire, depuis une dizaine d'années, elle utilise les sciences cognitives et du cerveau afin de mieux comprendre le comportement du consommateur et espérer ainsi améliorer ses stratégies de communication. Pour l'instant, ces disciplines ne sont pas sollicitées par la prévention en santé publique où les campagnes d'information sur l'obésité mettent essentiellement l'accent sur l'argument sanitaire plus que sur le caractère hédonique d'une alimentation et d'une vie saines. Afin de lutter plus efficacement contre le fléau de l'obésité, il nous apparaît donc fondamental d'engager, en plus des actions sur l'environnement, un effort de communication, afin que manger équilibré ou « light », ne soit plus associé à l'idée d'une perte de goût mais à une notion de plaisir gustatif.

Si les propriétés sensorielles d'un aliment, comme le goût, l'odeur ou encore la texture, participent au plaisir de l'ingestion, des facteurs contextuels cognitifs peuvent également jouer un rôle important. Des résultats récents d'imagerie cérébrale illustrent au niveau neurophysiologique pourquoi le choix de mots positifs peut s'avérer particulièrement efficaces dans le cadre de la prévention contre l'obésité.

En effet, lors de l'ingestion de nourriture, l'activité dans les aires cérébrales contribuant au plaisir de manger est plus élevée si une prise alimentaire identique est accompagnée d'une mention positive («saveur délicieuse», au lieu de « bouillon de légumes »). Une autre expérience montre comment la présentation avantageuse d'un aliment (belles assiettes, couleurs vives, ...) dans une publicité, modifie l'activité d'un réseau cérébral contribuant à la préparation de l'action motrice (donc du geste pour saisir l'aliment) et à la sensation de plaisir lors de sa consommation. Ces deux résultats sont souvent perçus comme une évidence. Mais cette évidence n'est pas toujours mise en pratique alors que l'apport de telles données est double pour la prévention en santé publique. Elles peuvent servir à imposer une présentation publicitaire «neutre » à la fois au niveau pictural et textuel pour les aliments les plus caloriques. Ces résultats suggèrent également que parler en termes appétissants des fruits et légumes serait plus susceptible d'améliorer la propension des consommateurs à en manger, plutôt que de leur dire que la ration recommandée est de cinq par jour.

Enfin, dans ce rapport, des résultats inédits de l'Institut Mediamento -utilisant la technique de la poursuite oculaire (ou eye-tracking) qui permet d'enregistrer la trajectoire du regard- montrent que les bandeaux sanitaires apposés sous les images des spots télévisuels pour les aliments gras, sucrés et salés ne sont quasiment jamais lus par les téléspectateurs. Les bandeaux sanitaires seraient en grande partie inadaptés, car non variés et sobres, face aux effets d'habituation et de surstimulation sensorielle générés par les publicités éclatantes et dynamiques pour attirer l'attention et susciter l'envie. En outre, leur taille limitée à la portion congrue imposée aux industriels par la loi rend leur lecture difficile. Une relative inefficacité d'autant plus préjudiciable que l'apposition de ces messages évite aux industries agroalimentaires de s'acquitter d'une taxe reversée à l'INPES.

L'efficacité des messages de prévention, à l'instar des messages publicitaires, ne doit donc pas se cantonner à de l'information visuelle difficilement lisible mais doit jouer sur le contraste et la surprise, tout en faisant aussi appel à l'animation et au son. Ainsi, non seulement les stimulations seront variées mais elles pourront également toucher un public le plus large possible, dont les enfants qui ne savent pas lire.

Enfin, il conviendrait de conduire une évaluation des campagnes de prévention contre l'obésité qui ne se baserait pas uniquement sur des méthodes déclaratives (enquêtes, sondages, opinions...), mais sur ces techniques.

À ces conditions, il paraît possible de développer des stratégies plus efficaces de prévention de l'obésité.

Source : Vincent Chriqui, Directeur Général du Centre d'analyse stratégique

La France a un rapport de plaisir avec l'alimentation, contrairement aux Etats-Unis où le rapport est plus fonctionnel et concerne plutôt la nutrition.

Or, plusieurs études sociologiques ont montré que le modèle français en matière de comportement alimentaire a longtemps été protecteur et que le développement de l'obésité serait en partie lié à son érosion au profit d'un modèle plus individualiste et moins structuré.

Il convient donc de réhabiliter les notions de plaisir et de convivialité associées historiquement à l'alimentation, d'insister sur la diversité de la cuisine française, de mettre en valeur les traditions gastronomiques régionales ou héritées des vagues successives de migration et de promouvoir les savoir-faire culinaires en les adaptant aux exigences et aux contraintes de la vie moderne.

En outre, il est indispensable de lutter contre une croyance fausse mais profondément ancrée chez de nombreux individus selon laquelle les aliments favorables à la santé seraient peu palatables. Dans la mesure où les critères gustatifs sont déterminants dans le comportement alimentaire, il est urgent de mettre en avant le caractère hédonique de ce type d'aliments plutôt que de se focaliser exclusivement sur leurs qualités nutritionnelles.

A cet égard, votre rapporteur souhaite citer l'expertise collective de l'INRA sur les fruits et légumes dans l'alimentation : « Cela pourrait d'ailleurs être l'une des causes de l'impact insuffisant des campagnes d'information nutritionnelle, qui cherchent essentiellement à valoriser la valeur instrumentale de la consommation (manger des fruits et légumes correspondant alors à un bénéfice extrinsèque, obtenir une meilleure santé ou se maintenir en bonne santé), alors que la valeur hédonique est de nature intrinsèque (éprouver une gratification, créer un sentiment ou une émotion qui dérivent directement de l'expérience de consommation). Comme nous l'avons vu dans la partie précédente, de nombreux travaux ont mis en valeur l'aspect primordial de la recherche de gratification sensorielle dans la consommation alimentaire. »

L'accent doit également être mis sur la facilité à respecter les recommandations nutritionnelles. L'exemple du slogan « cinq fruits et légumes par jour » permettra d'illustrer nos propos.

Cette préconisation fait l'objet d'un consensus international et se retrouve dans tous les programmes de prévention. Pourtant, des études telles que celle menée sur l'alimentation des adolescents ont montré que cette préconisation soulève de nombreuses interrogations auprès des jeunes et de leurs parents.

Par conséquent, les campagnes de prévention doivent s'accompagner de conseils pratiques afin de faciliter l'appropriation des messages. En ce qui concerne les 5 fruits et légumes par jour, on peut imaginer le message suivant : « Manger 5 fruits et légumes par jour, c'est facile et c'est bon ! Une crudité et un fruit au déjeuner, un légume avec le plat principal et une compote le soir, enfin un fruit pour le petit creux de l'après-midi: le tour est joué ! »

Exemples d'interrogations concernant la recommandation
« 5 fruits et légumes par jour »

« Y a tout dans fruits et légumes ... dans les légumes, y a pas la même chose, tu manges 5 pommes c'est pas comme si tu mangeais 5 poireaux, je ne sais pas des fruits sucrés ça existe, la banane c'est calorique, c'est sucré, si j'en prends 5 par jour ...ou alors un avocat, c'est hyper gras » (Louis, 16 ans). Beaucoup disent à ce propos : « je ne sais pas comment ils font, pour moi c'est impossible ». Parce que c'est cher ou parce que « il n'y a que 3 repas, donc tu prends un légume à chaque repas, donc ça en fait que trois » (Catherine, 50 ans, mère de 4 enfants)

Source : Etude ANR AlimAdos : comportements alimentaires et différences culturelles à l'adolescence

Ces messages positifs ont vocation à modifier progressivement les normes sociales au profit de comportements alimentaires et d'aliments favorables à la santé.

Qu'est-ce qu'une norme sociale ?

Les normes sociales sont des règles non écrites qui influencent le comportement des individus vivant dans une communauté donnée. Elles émanent d'un groupe social ou de la société et fonctionnent par l'intériorisation de certaines valeurs.

Les normes sociales ne relèvent pas de la nature ou d'une morale universelle, mais de la culture et d'un construit social. Elles sont donc variables selon les cultures, mais également dans le temps.

La cohorte de Framingham (5 124 personnes étudiées ainsi que les personnes les entourant) illustre la théorie des réseaux sociaux selon laquelle les individus ressemblent aux personnes avec lesquelles ils ont des liens sociaux.

L'analyse de l'évolution dans le temps des phénotypes des sujets recrutés dans cette cohorte a démontré que lorsque leurs frères et soeurs, mais surtout leurs amis grossissaient, ces derniers avaient tendance à prendre également du poids.

Ce résultat signifie que les comportements sont transmissibles en raison de la perception d'une même norme sociale. Dans le cas étudié, la surcharge pondérale est devenue plus acceptable .

c) Une prévention qui évite la cacophonie nutritionnelle

« Trop d'informations tuent l'information ». Ce principe illustre parfaitement la situation à laquelle est confronté le consommateur au quotidien.

Cette cacophonie nutritionnelle est d'abord liée à l'absence d'harmonisation dans la présentation des informations nutritionnelles qui, selon les aliments ou selon les marques, figurent en pourcentage des repères nutritionnels journaliers, en apport pour 100 ml ou 100 g, en apport pour le poids réel du produit ou encore en apport selon la quantité supposée absorbée lors de la consommation du produit.

Par ailleurs, les informations nutritionnelles figurant sur l'emballage sont nombreuses. D'après le règlement européen, sur l'étiquetage cité précédemment, devront figurer obligatoirement sur le devant de l'emballage la valeur énergétique du produit, la quantité de lipides, d'acides gras saturés, de glucides (avec une référence spécifique aux sucres) et de sel.

En outre, le règlement précité prévoit que les industriels pourront ajouter les quantités d'un ou de plusieurs des éléments suivants :

a) acides gras trans,

b) acides gras mono-insaturés,

c) acides gras polyinsaturés,

d) polyols,

e) amidon,

f) fibres alimentaires,

g) protéines,

h) tous les sels minéraux ou vitamines !

A ces informations « obligatoires » s'ajoutent toutes les allégations nutritionnelles et de santé qui ont tendance à proliférer. Selon les informations obtenues par votre rapporteur, il existe 3 000 allégations nutritionnelles en France et 44 000 en Europe.

Enfin, le consommateur est submergé d'informations nutritionnelles souvent peu cohérentes en provenance des médias, d'Internet, du PNNS, de son cercle familial, de ses amis, de son médecin, qui s'ajoutent, se contredisent et conduisent à une grande confusion.

d) Une prévention qui se concentre sur l'éducation alimentaire

Il est donc urgent de donner aux individus les compétences pour comprendre et juger les informations qu'ils reçoivent. Sinon, les mesures de prévention visant à orienter les choix des individus à travers une meilleure information resteront inutiles.

L'éducation alimentaire doit cibler en priorité les enfants puisque c'est à cette période de la vie que se mettent en place les goûts et les apprentissages alimentaires. En outre, de nombreuses études ont montré l'influence non négligeable des enfants sur les comportements alimentaires de la famille.

Néanmoins, les autres membres de la famille doivent également être sensibilisés, notamment la mère qui reste encore la principale responsable de l'achat des denrées et de la préparation des repas.

En outre, toute politique d'éducation nutritionnelle doit absolument prendre en compte les dimensions socio-culturelles de l'alimentation. L'acte alimentaire ne se réduit pas à la consommation d'un nombre donné de glucides, de lipides et de protéines, mais est basé sur le plaisir, la socialité et la santé.

Le débat sur les bons et les mauvais aliments

La plupart des scientifiques récusent la dichotomie entre « bons » et « mauvais » aliments. D'abord, aucun aliment ne peut, à lui seul, couvrir les besoins nutritionnels de l'espèce humaine. En outre, l'impact de la consommation d'un aliment donné sur la qualité nutritionnelle de l'alimentation dépend de la quantité absorbée et de la fréquence de consommation de ce dernier. Enfin, plusieurs cliniciens mettent en garde contre cette classification qui pourrait conduire à diaboliser certains aliments et ainsi généraliser l'anxiété et la culpabilité alimentaire.

Pourtant, s'il n'existe pas de mauvais aliment, force est de constater que certains sont meilleurs que d'autres. Ainsi, lors de son audition, Paule Latino-Martel a insisté sur le fait qu'aucun aliment spécifique n'était la cause unique de l'obésité, même si une responsabilité particulière pouvait être attribuée aux aliments :

-  qui ont une forte densité énergétique,

-  qui sont servis sous forme de grandes portions,

-  qui sont consommés fréquemment.

Cette ambiguïté sur le rôle de certains aliments dans le développement de l'obésité rend les messages de prévention particulièrement difficiles à élaborer. L'un des buts de l'éducation alimentaire doit être de dépasser cette apparente contradiction afin de limiter les risques de diabolisation de l'alimentation tout en encourageant les choix les plus favorables pour la santé.

Il convient néanmoins dès maintenant de rappeler les limites de l'éducation alimentaire. En effet, même s'il existe peu d'études en France sur l'impact de l'information nutritionnelle sur le choix du consommateur, il semblerait que cette dernière soit un déterminant mineur compte tenu de l'influence massive d'un ensemble de facteurs économiques, industriels, politiques et individuels.

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