2. Toucher la bonne cible
La prévention peut améliorer à coût raisonnable la santé des populations, mais à condition de cibler les groupes vulnérables (appelés également groupes à risque).
Une politique de prévention efficace exige donc non seulement de savoir quels sont les groupes vulnérables, mais également de s'assurer que les messages qui leur sont adressés sont adaptés à leurs caractéristiques économiques, leurs représentations, leurs perceptions et leur environnement.
Or, les politiques de prévention primaire 27 ( * ) s'adressent généralement à la population générale.
Deux explications peuvent être avancées.
D'une part, c'est la solution de prévention la moins onéreuse pour les pouvoirs publics.
D'autre part, de nombreuses études insistent sur l'influence des normes sociales 28 ( * ) dans la détermination des comportements. La prévention primaire en direction de la population générale peut donc avoir comme objectif une modification progressive des normes sociales dans un sens favorable à un meilleur état de santé.
Les différents types de prévention La prévention primaire est l'ensemble des moyens mis en oeuvre pour empêcher l'apparition d'un trouble, d'une pathologie ou d'un symptôme. Elle repose sur l'information de la population, de groupes cibles ou d'individus (éducation sanitaire ou éducation pour la santé), mais peut également prendre la forme de réglementation de l'offre alimentaire ou de la publicité. La prévention secondaire vise la détection précoce des maladies, dans le but de les découvrir à un stade où elles peuvent être traitées. La prévention tertiaire tend à éviter les complications dans les maladies déjà présentes. Source : Organisation mondiale de la santé |
Néanmoins, une prévention uniquement centrée sur la population générale a peu de chances d'être efficace. Le terme même de population générale est trompeur car il donne l'impression que la population d'un Etat donné est relativement homogène alors qu'en réalité, elle se caractérise par d'importantes disparités socio-économiques et culturelles.
Plusieurs études ont montré que les messages de prévention destinés à la population générale atteignaient prioritairement les populations bénéficiant d'un niveau d'éducation et de revenus élevés.
3. Éviter les effets pervers
Les politiques de prévention qui portent essentiellement sur les modifications comportementales à travers des messages visant la population générale risquent d'instaurer trois effets pervers.
D'abord, elles ont tendance à aggraver les inégalités sociales dans la mesure où les messages de prévention touchent les catégories socioprofessionnelles dans lesquelles la prévalence de l'obésité est déjà la plus basse.
A cet égard, il convient de rappeler qu'en France, les écarts de prévalence de l'obésité en fonction du revenu et du niveau d'éducation ont fortement augmenté en 20 ans. En 2008 par exemple, 17 % des individus ayant au plus le brevet étaient obèses contre seulement 6 % des diplômés du supérieur. Cet écart a doublé depuis 1981.
Ensuite, les politiques de prévention axées uniquement sur les comportements risquent d' accroître la stigmatisation des obèses ... et des catégories sociales défavorisées .
Les campagnes de prévention mettent en évidence des comportements à risques. Elles peuvent s'avérer culpabilisantes dès lors que leurs messages peuvent être vécus comme un reproche : « si vous êtes obèses, c'est que vous n'avez pas fait ce qu'il fallait et donc c'est de votre faute ».
En outre, dans la mesure où les personnes obèses sont surreprésentées parmi les classes socioprofessionnelles les moins privilégiées, celles-ci peuvent se voir doublement stigmatisées : « non seulement elles sont pauvres, mais en plus elles sont obèses ! ».
Plusieurs interlocuteurs ont souligné combien les repères nutritionnels peuvent être culpabilisants pour les personnes incapables de s'y conformer pour des raisons financières.
Enfin, les politiques de prévention de l'obésité, dans le contexte actuel caractérisé par une exacerbation de l'idéal de minceur, peuvent contribuer au développement de troubles du comportement .
La coexistence dans le PNNS d'une part de mesures encourageant une alimentation équilibrée dans le but de maintenir ou d'améliorer l'état de santé de la population et, d'autre part, d'objectifs chiffrés sur la réduction de la prévalence de l'obésité, crée une certaine confusion et favorise une attitude anxiogène vis-à-vis de l'alimentation : ainsi, le slogan « manger moins gras, moins salé, moins sucré » tend à être interprété comme une interdiction du gras, du sel et du sucre tandis que le non respect des repères nutritionnels est associé à un risque de grossir.
Par conséquent, les politiques de prévention peuvent conduire à valider des pratiques d'amaigrissement sans justification sanitaire qui peuvent se révéler à terme impliquées dans le développement de troubles du comportement alimentaire, notamment chez les jeunes.
A cet égard, votre rapporteur souhaite citer un passage de l'avis du conseil national de l'alimentation de 2005 sur la prévention de l'obésité infantile :
« Rappelons que les principales raisons pour lesquelles des individus veulent perdre du poids sont, très loin devant les raisons de santé, avant tout d'ordre psychosocial : esthétiques, pour plaire et pour se plaire, de sex appeal, ou plus généralement de " se sentir mieux ".
Rappelons également que, en chiffres absolus, les enquêtes montrent qu'il y a au moins autant de sujets sans problème de poids (du point de vue médical) qui se préoccupent de leur corpulence et désirent maigrir que de sujets obèses.
Rappelons également que pour un grand nombre d'adolescentes en Occident " être au régime ", et cela quel que soit leur poids réel, fait partie du statut normal de la femme. Pour certaines, " suivre un régime restrictif " est souvent vécu, et ceci de plus en plus tôt, comme un signe positif de maturité. La restriction alimentaire fait désormais partie de la panoplie des pré-adolescentes, voire de celle des parents pour leurs très jeunes enfants. »
* 27 A l'exception notable du programme de prévention lancé par le gouvernement britannique en 2008 qui vise explicitement les groupes à risque.
* 28 Les normes sociales rassemblent des règles de conduite et des modèles de comportement prescrits par la société. Elles sont issues des coutumes, des traditions, des systèmes de valeurs progressivement élaborés au sein de cette société. La minceur est un exemple de valeur intégrée à la norme sociale en vigueur. Y résister peut conduire à la marginalisation.