B. LES SCÉNARII POSSIBLES

1. Le statu quo ou le démantèlement de la PAC : les scénarii de l'inacceptable
a) L'impossible statu quo

Le statu quo pourrait en apparence convenir à la France. On conviendra que, dans sa position actuelle de première bénéficiaire de la PAC, toute remise en cause des règles en vigueur desservirait ses intérêts.

Une position de refus de toute évolution de la PAC n'est cependant pas tenable par rapport à nos partenaires européens. Aucune majorité ne pourrait se dégager sur une PAC 2014-2020 qui ne ferait que prolonger l'existant. Comme l'avait fait remarquer le ministre Bruno Le Maire, lors des débats préparatoires de la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche au printemps 2010, en restant dans une position purement défensive sur l'avenir de la PAC, la France courrait le risque de se retrouver isolée dans les négociations, n'obtenant vraisemblablement au terme du processus ni le maintien de la PAC existante, ni une évolution qui lui soit favorable.

La légitimité du mode de distribution des DPU est en effet remise en question. Si le principe d'aides au revenu des agriculteurs peut faire l'objet d'un consensus en Europe, cela n'est possible qu'en questionnant la répartition de ces aides entre États membres, mais aussi, entre agriculteurs au sein d'un même État membre. De ce point de vue, le modèle historique choisi notamment par la France a vocation à disparaître au profit d'un modèle sinon unique, du moins régionalisé, où les agriculteurs toucheraient tous le même montant d'aide à l'hectare.

Concernant les outils de gestion de marché, ceux-ci ont déjà été fortement réduits par les réformes successives de la PAC. Il est, là aussi, peu probable qu'une majorité se dégage pour revenir en arrière. L'exemple des quotas laitiers est, de ce point de vue, éclairant.

Les quotas ont été mis en place en 1984 pour mettre fin à l'accumulation de stocks européens, résultant de l'existence d'un prix d'intervention ou prix garanti, qui incitait les producteurs de lait à produire toujours plus, en bénéficiant d'une garantie d'écoulement. Les quotas ont plus ou moins bien fonctionné pendant une quinzaine d'années. Ils ont permis de répartir les productions, mais ils ont aussi bridé le potentiel de production laitière de l'Europe en imposant des pénalités à tous les États qui dépassaient leur quota. Dans le cadre de l'accord de novembre 2008 sur le bilan de santé de la PAC, il a été décidé de supprimer les quotas laitiers à l'horizon 2015, avec une augmentation progressive des quotas jusqu'à cette date.

Davantage exposés aux marchés, les producteurs de lait ont été durement frappés par l'effondrement des cours du lait en 2008 et 2009. La remise en vigueur des quotas, réclamée par plusieurs organisations professionnelles européennes, en particulier l'European Milk Board (EMB) n'est pas apparue pertinente aux yeux du groupe d'experts de haut niveau sur le lait (GHN) mis en place par la Commission européenne fin 2009, et qui a rendu ses conclusions à la mi-2010.

En effet, la crise du secteur laitier apparaît comme la conséquence d'une faiblesse de l'organisation des producteurs de lait face à un aval plus concentré. D'ailleurs, les quotas n'ont pas été dépassés durant la crise. Aucune majorité ne semble pouvoir se dégager pour restaurer un contingentement de la production, qui n'existe plus guère que dans le seul secteur du sucre.

b) L'inacceptable démantèlement de la PAC

Si le statu quo n'est pas tenable, en sens inverse, le démantèlement de la PAC serait inacceptable. Envisagé par certains économistes, qui mettent en avant son coût et la nécessité pour l'Europe de dégager des moyens pour financer d'autres priorités, la PAC paraît moins menacée aujourd'hui qu'il y a un an.

Il s'agit cependant de veiller à ce que la réforme ne conduise pas à une perte de substance, qui peut intervenir de trois manières :

- Une perte de substance par la voie budgétaire : c'est le premier danger pour la PAC après 2013. Une réduction trop importante des crédits consacrés à la PAC menacerait directement la pérennité de l'activité de nombreux agriculteurs. La France ne peut accepter un tel scénario, alors que dans le même temps, l'agriculture de nos partenaires commerciaux extra-européens continue à être fortement subventionnée, notamment l'agriculture américaine.

La France, cela va de soi, demandera un budget agricole important. Pourquoi nier qu'elle y a un intérêt propre, puisque chacun le sait, mais c'est aussi l'intérêt de l'agriculture européenne et de l'Union européenne dans son ensemble. Une diminution du budget de la PAC, par diminution des aides et/ou par généralisation du cofinancement signifierait l'abandon de la PAC. Il y a trop d'enjeux, politiques, économiques, sociaux, pour que cette solution soit imaginable. La part de budget agricole dans l'ensemble du budget communautaire a déjà beaucoup baissé. Le maintien en volume serait une bonne solution de compromis. Même si les formules techniques seront âprement débattues : maintien du plafond ou des dépenses réelles en euros courants ou en euros constants, référence au niveau moyen de la programmation 2007-2013 ou au niveau atteint en 2013.

- Une perte de substance par la renationalisation : seule politique pleinement intégrée de l'Union européenne à l'heure actuelle, la PAC pourrait laisser de plus grandes marges de manoeuvre aux États membres, ouvrant la voie au cofinancement des aides, au choix des États. Le caractère de politique commune serait ainsi remis en question et des distorsions nouvelles de concurrence entre producteurs des différents pays pourraient apparaître. Il y a là un second risque de démantèlement de la PAC, par renationalisation rampante.

- Une perte de substance résultant d'un éloignement des objectifs de production agricole : la PAC doit rester une politique de soutien à la production agricole, dans le but de nourrir les 500 millions de consommateurs européens. Toute transformation de la PAC en politique environnementale pure, ou en politique des territoires ruraux, non orientée vers le soutien aux productions agricoles, constituerait une remise en cause de cette politique, et un abandon des objectifs des traités.

2. Une base de travail européenne pour les discussions futures
a) Des objectifs consensuels

Annoncée depuis plusieurs mois, une communication de la Commission européenne sur l'avenir de la PAC doit être présentée à la mi-novembre. Elle prépare la voie à une série de propositions d'actes législatifs européens (projets de règlements) modifiant les instruments juridiques existants de la PAC (49 ( * )) . Ces propositions, plus concrètes et précises, devraient être préparées pour la mi-2011.

Un accord devrait pouvoir intervenir entre Européens sur les objectifs de la future PAC. L'eurodéputé Michel Dantin a précisé qu'un consensus européen pouvait s'établir autour des trois objectifs de la PAC identifiés dans le rapport Lyon :

- d'abord, la PAC a vocation à promouvoir une production alimentaire durable , c'est-à-dire à assurer la sécurité alimentaire des européens, en soutenant le revenu des agriculteurs, en limitant la volatilité des revenus et donc des prix, en améliorant la compétitivité des exploitations, mais aussi en améliorant la position des agriculteurs dans la chaîne de valeur, afin que ceux-ci captent une plus grande part de la valeur ajoutée produite.

- ensuite, la PAC doit permettre une gestion soutenable des ressources naturelles , répondant ainsi aux nouveaux défis environnementaux, en rémunérant les agriculteurs pour les services environnementaux rendus, mais aussi en favorisant les initiatives contribuant au stockage du carbone ou encore à la préservation de la biodiversité, et en répondant au défi énergétique de demain.

- enfin, la PAC doit être conçue pour favoriser l'occupation de l'ensemble des territoires ruraux en Europe . Cet objectif est très important pour la France, qui compte de nombreuses zones de montagne, dans lesquelles il n'existe pas de vraie alternative à l'activité agricole, en particulier l'élevage. Sans soutiens communautaires orientés vers l'agriculture ou vers les activités qui y sont reliées, ces territoires n'ont d'autre avenir que la désertification.

b) La modernisation des outils de la PAC

Dotée d'objectifs clarifiés, la nouvelle PAC pourra s'appuyer sur des outils rénovés. La structuration en deux piliers de la PAC ne semble pas aujourd'hui remise en question. Toutefois, le contenu des piliers pourrait évoluer, jusqu'à en perdre toute lisibilité.

Plutôt que parler de piliers, la future PAC pourrait suivre une logique de blocs avec :

- Un bloc à vocation économique , comprenant :

d'une part, des paiements directs ayant une fonction d'aide au revenu. Cette aide pourrait comprendre une composante de base, commune à tous les agriculteurs dans tous les États membres, et une seconde composante sensé refléter les niveaux de vie dans chaque État, afin de répondre à la problématique de la différenciation des soutiens entre anciens et nouveaux États membres ;

et, d'autre part, des mesures de marché qui devraient permettre de maintenir les outils d'intervention et d'aide au stockage existants aujourd'hui.

- Un bloc à vocation territoriale et environnementale , avec :

des paiements directs finançant l'engagement des agriculteurs dans des actions agro-environnementales , qu'ils pourraient choisir, comme la mise en place de prairies permanentes (qui permettent de stocker le carbone), la rotation des cultures ou encore la mise en place de bandes enherbées le long des cours d'eau ;

des paiements directs compensant les handicaps naturels . Il faut noter que pour l'instant l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) est financée dans le cadre du deuxième pilier ;

des paiements résiduels couplés pour soutenir des productions fragiles ;

des dépenses explicitement orientées vers le développement rural. Elles auraient davantage un caractère de politique pluriannuelle et permettrait de prendre en charge les mesures structurelles destinées à atteindre les objectifs de la PAC. Parmi ces mesures, la modernisation des exploitations ou encore le soutien aux dispositifs assurantiels auraient toute leur place.

3. La déclaration franco-allemande : une PAC rénovée et simplifiée, à objectif économique
a) La position commune franco-allemande : plus qu'une déclaration de principe, une base de négociations

Le 14 septembre dernier, les gouvernements français et allemands ont rendus publique une position commune détaillant leurs attentes communes en matière de réforme de la PAC. La position commune franco-allemande est un outil diplomatique. Il s'agit de rallier un maximum d'États membres autour des propositions françaises et allemandes, pour peser sur la réforme de la PAC. A ce jour, une vingtaine d'États membres pourraient se rallier à la position française. L'Italie a ainsi annoncé soutenir cette initiative, le 14 octobre dernier, par la voix de son ministre des politiques agricoles, alimentaires et forestières, Giancarlo Galan. Quant à nos interlocuteurs aux Pays-Bas, ils l'approuvent très largement comme base de discussion solide.

La position commune réaffirme la nécessité d'une PAC forte après 2013, ce qui signifie une PAC dotée de moyens budgétaires importants. Elle ne va pas jusqu'à exclure une baisse du budget consacré à la PAC après 2013, mais elle indique clairement qu'une telle baisse ne pourrait qu'être limitée.

La position commune inscrit en outre la PAC dans le cadre de la stratégie « Europe 2020 ». Les activités agricoles ont toute leur place dans la promotion d'une croissance durable et la PAC devra prendre en compte cet objectif.

b) Le contenu de la position franco-allemande

Au-delà des principes-clé rappelés dans la position, celle-ci contient une série de propositions, qui pourraient constituer le socle de la future PAC :

- adapter les instruments de marché pour conforter la compétitivité de l'agriculture européenne. Cette adaptation consisterait à conserver les instruments de marché actuels (intervention, aide au stockage privé), comme filets de sécurité, mais en en améliorant l'efficacité, car ils interviennent aujourd'hui avec retard.

En outre, la PAC devrait améliorer la transparence sur les marchés agricoles et renforcer le pouvoir de négociation des producteurs. Elle devrait permettre l'établissement de relations commerciales équilibrées à travers des contrats-types. Enfin, la PAC devrait promouvoir des dispositifs d'assurance et des fonds mutualisés pour faire face aux risques sanitaires mais aussi économiques.

- trouver une nouvelle légitimité aux paiements directs : la position commune franco-allemande rejette l'idée d'un DPU unique dans toute l'Europe, réclamée notamment par la Pologne. Elle ne rejette pas en revanche l'idée d'un verdissement des aides. Enfin, si la position commune réclame une clarté des enveloppes financières, refusant les transferts entre piliers, elle défend l'idée d'une enveloppe de flexibilité, relativement limitée, qui permette de financer dans chaque État membre des besoins spécifiques ;

- réformer la politique de développement rural en la simplifiant et en l'orientant vers les nouveaux enjeux environnementaux : sur ce point la position franco-allemande est peu innovante. Il s'agit de donner le plus de marges de manoeuvre possibles aux États membres dans la définition de leurs priorités de politique de développement rural, et de promouvoir une meilleure articulation avec la politique régionale soutenue par les fonds structurels ;

- intégrer l'objectif alimentaire : la position commune n'est pas très précise sur ce point. Elle ne va pas jusqu'à promouvoir une politique de stockage de produits alimentaires à destination des plus démunis, qui constitue pourtant aux États-Unis à la fois une politique sociale massive et un puissant outil de soutien à l'agriculture nationale.


* (49) Il s'agira essentiellement de remplacer le règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil du 22 octobre 2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur (dit règlement OCM unique) et le règlement (CE) n° 73/2009 du 19 janvier 2009 établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct en faveur des agriculteurs dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs.

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