Audition de Mme Catherine WEIL-OLIVIER,
professeur de pédiatrie
à l'université Paris VII,
membre du Comité de lutte
contre la grippe
(mercredi 26 mai 2010)
M. François Autain, président - Madame Catherine Weil-Olivier, vous êtes pédiatre, membre du Comité de lutte contre la grippe. C'est à ce titre que l'on vous auditionne. Nous sommes heureux de vous accueillir et vous remercions d'avoir répondu à notre convocation.
Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, Mme Catherine Weil-Olivier prête serment.
M. François Autain, président - Je vous demanderai également, puisque cette audition est publique, en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits. Nous vous écoutons.
Mme Catherine Weil-Olivier - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs, permettez-moi tout d'abord de vous remercier de donner la parole, dans le cadre de cette commission d'enquête du Sénat, à des personnes qui ont participé de près à la lutte contre la vague pandémique A (H1N1)v 2009, et de pousser ainsi leur réflexion maintenant à l'heure des bilans.
Nous avons vécu en temps réel cette crise sanitaire nationale et la mise en application de mesures préconisées. Je vous présenterai brièvement mon cursus. Si vous m'en laissez le temps, mais vous pourrez m'interrompre à un moment ou à un autre si vous le souhaitez, je vous présenterai trois grands aspects de la pandémie. Je ferai un très bref rappel des connaissances avec le recul actuel. Je vous livrerai quelques idées sur la stratégie et la tactique, en particulier le rôle que nous avons pu avoir au sein du Comité de lutte contre la grippe (CLCG) ou que nous n'avions pas à avoir.
Comme vous l'avez dit, je suis pédiatre généraliste à forte composante infectiologique. Je suis professeur de pédiatrie à la faculté de Bichat. Mon université est Paris VII. J'ai été chef de service à l'AP-HP du service de pédiatrie générale de l'hôpital Louis Mourier à Colombes dans les Hauts-de-Seine, de novembre 1995 à décembre 2005.
J'ai un intérêt ancien pour le vaccin en ayant d'abord été membre du groupe technique des anti-infectieux de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), de 1995 à 2006.
Puis j'ai été observateur et membre à part entière du Vaccine Working Party à l'Agence européenne du médicament (EMA), de fin 2006 à décembre 2009. J'ai été membre du Comité technique des vaccinations (CTV) de septembre 2002 à juin 2007. Je suis membre d'INFOVAC France depuis sa création, en janvier 2003. J'ai participé à deux groupes de travail à l'European Center for Diseases Prevention (ECDC) de Stockholm : en 2006, le groupe sur la vaccination des enfants contre la grippe et, en 2008, le groupe sur la minimisation optimale du calendrier vaccinal des enfants en Europe.
Je suis également membre observateur de l'EVAG (European Vaccination Scientific Consultation Group), qui est un groupe européen permanent sur la vaccination dépendant de l'ECDC. Enfin, j'ai été coordinatrice avec le groupe ALCIMED et deux « assesseurs » que j'avais choisis, le professeur François Denis et le professeur Pierre Van Damme, de l'étude de la politique vaccinale de la France demandée par l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé (OPEPS) dans le cadre du rapport du Sénateur Paul Blanc : « Vaccins : convaincre et innover pour mieux protéger ».
J'ai par ailleurs un intérêt ancien pour la grippe. Je pense, dès la fin des années quatre-vingt-dix, avoir certainement contribué à faire reconnaître la grippe de l'enfant dans notre pays. J'ai été membre de la cellule pandémique depuis la fin des années quatre-vingt-dix, cellule transformée en Comité de lutte contre la grippe (CLCG) depuis l'été 2008. Enfin, je suis membre du comité scientifique du GEIG qui est le Groupe d'étude et d'information sur la grippe.
A ce propos, je voudrais faire deux réflexions. Dans le cadre de ces activités, la collectivité médicale ou les autorités nous accordent le statut d'expert. Je dois dire que dans mon expérience, ce statut entraîne un certain nombre de devoirs : devoirs au sens de l'impartialité, de l'objectivité, de la rigueur, de la pondération et de l'écoute.
De même, certains m'ont attribué une représentation française à l'Europe. Cette formule leur appartient. Je me suis contentée d'essayer de montrer que la France, encore peu présente dans les instances européennes, doit être considérée comme un pays partenaire solide et qui va de l'avant.
Tout ceci m'amène à parler des liens d'intérêts. Comme vous l'avez vu, ils ont toujours été doubles : avec les autorités de santé par leurs agences, et avec l'industrie. Je crois fondamentalement à la nécessité d'un partenariat dans le domaine de la santé publique de notre pays.
Cela doit-il être considéré comme préjudiciable ? Personnellement, je ne le pense pas. Si tel était le cas, je ne l'aurais probablement pas fait. Un débat contradictoire est indispensable. La réflexion se construit en entendant toutes les parties, et je me suis déjà exprimée à ce sujet dans l'audition sur le rôle de l'expertise organisée par M. Gérard Bapt, député, président du groupe d'études « Santé et environnement ».
Dans mon domaine qui est la réflexion médico-scientifique, celle-ci est rigoureusement indépendante de toute autre considération ou décision commerciale ou politique. J'ai toujours considéré qu'il n'y avait pas collusion. De plus, la réflexion est toujours plurielle et collective.
Je n'ai à ce jour - j'en viens à la question que vous me posiez - aucun contrat de consultance avec l'industrie pharmaceutique, aucun intérêt financier de quelque nature que ce soit avec une quelconque des industries du vaccin. En revanche, je travaille avec ceux qui me le proposent, c'est-à-dire avec tous, et je les remercie de la confiance qu'ils m'accordent. Vous connaissez la clause de confidentialité : elle s'applique en permanence au statut de l'expert.
Dans certaines périodes, j'ajouterai que j'ai eu à refuser ce que l'on nomme des « Advisory boards » ou des conférences pour l'un ou l'autre des laboratoires quand je me sentais impliquée dans l'analyse d'un de leurs produits. En quoi a consisté mon travail d'expert ?
M. François Autain, président - Excusez-moi, vous parliez de vos liens d'intérêts ?
Mme Catherine Weil-Olivier - Oui.
M. François Autain, président - Parce que cela ne correspond pas tout à fait à la déclaration publique d'intérêts que vous avez faite en tant que membre du Comité de lutte contre la grippe. Vous déclarez - mais peut-être est-ce obsolète - un grand nombre de liens d'intérêts avec Roche, Sanofi Pasteur, etc.
Mme Catherine Weil-Olivier - J'en viens à ce point en vous exposant en quoi consiste mon travail.
M. François Autain, président - Vous êtes toujours sur les liens d'intérêts ?
Mme Catherine Weil-Olivier - Oui.
M. François Autain, président - Je croyais que vous en aviez terminé sur ce point. Poursuivez, je vous en prie.
Mme Catherine Weil-Olivier - Il s'agit de faire le point sur une maladie, une situation épidémiologique dont la prévention vaccinale existe, sous la forme de conférences ou de présentation face à une audience médicale, rarement dans le cadre d'un symposium, beaucoup plus souvent dans le cadre de congrès et de formation médicale continue. C'est l'occasion de discuter avec les médecins-vaccinateurs de terrain et c'est indispensable.
Par ailleurs, l'enseignement de la vaccinologie est extrêmement défaillant dans notre pays et ceci dès les études à la faculté. C'est regrettable et probablement dommageable. Les bonnes volontés, dont je suis, cherchent à faire reconnaître ce domaine, à éduquer et à inciter les jeunes à se passionner pour ce secteur en gardant leur sens critique.
J'ai également eu l'occasion de participer à des réunions nationales ou européennes. Je dois dire qu'écouter et partager des idées avec des collègues de haut niveau et connaître la position de nos voisins me paraissaient un préliminaire indispensable à la réflexion qui se menait en France.
En ce qui concerne les honoraires, en tant que travailleur indépendant depuis janvier 1999, avec les devoirs et les charges qui en relèvent, j'accepte des contrats ponctuels qui couvrent le temps de préparation, la présentation elle-même et, éventuellement, un texte résumé de ces contributions : ces contrats entrent dans le cadre de la loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d'ordre social (DMOS), et les honoraires reçus varient entre 500 et 1 200 euros, exceptionnellement 1 500 euros, selon le temps consacré à la mise au point.
Est-ce que je me sens redevable de l'industrie ? Ma réponse est clairement non, en partant des bases très simples suivantes : j'ai été élevée à travailler, mais aussi dans l'idée que tout travail mérite salaire. Enfin, tout travail réglé me dégage ainsi que la personne ou le groupe qui m'ont sollicitée de tout lien de dépendance.
J'ajouterai deux points : tout essai d'influencer une position serait mal venu de part et d'autre. Je donne un avis, ensuite on l'utilise ou on ne l'utilise pas, mais je n'accepterai pas non plus qu'on me force à dire des choses que je n'ai pas envie de dire. J'ai gardé également beaucoup d'activités gratuites, essentiellement dans le cadre de la vaccination avec la semaine de vaccination, d'enseignement universitaire ou interuniversitaire, certaines actions de formation médicale continue pour des collègues. J'en ai fini, monsieur, sur cette partie.
M. François Autain, président - Travailler pour l'industrie devrait être considéré comme un privilège et un honneur. Quelqu'un qui travaille pour l'industrie n'a aucune raison de le cacher.
Mme Catherine Weil-Olivier - Non.
M. François Autain, président - Quand on vous demande vos liens d'intérêts, vous les donnez sans problème. La loi vous y oblige aussi. Le simple respect de la loi nous oblige, quand on est expert, dans un souci de transparence, à donner ces liens d'intérêts quand ils existent. Quand le législateur a voté ce texte, son souci n'était pas de stigmatiser les chercheurs qui travaillent avec les laboratoires, bien au contraire. Pour préserver le caractère des décisions qui sont prises, il était important que ceux qui sont chargés de les appliquer sachent dans quelles conditions ces décisions ou ces avis avaient été donnés. Il n'est pas inutile de connaître quand un avis est porté sur un médicament, que ceux qui l'ont porté, n'ont aucun intérêt avec l'entreprise qui fabrique ce médicament.
Je ne conteste pas du tout votre souci de faire la part des choses. Il peut arriver, involontairement ou inconsciemment, qu'on ait des difficultés à être à la fois juge et partie et qu'on mélange un peu les genres. C'est pour cette raison que le législateur a prévu que les experts soient soumis à la contrainte de publier leurs liens d'intérêts. Vous l'avez fait lorsque vous étiez à l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS). Vous l'avez fait une fois. Vous auriez dû le faire tous les ans, mais ce n'est pas grave. On peut oublier. C'est une contrainte. Chaque fois que vous intervenez à la radio ou lorsque vous écrivez un article, vous devez, comme la loi le prévoit, lister vos liens d'intérêts, ou dire si vous avez des liens d'intérêts ou pas. Cette contrainte n'a absolument aucune conséquence sur la probité des experts qui s'expriment.
Je sais que vous aviez été particulièrement touchée avec un de vos collègues. Je crois que c'est au Congrès de la médecine générale, le MEDEC. Vous vous étiez exprimée pour vous insurger contre ce qui apparaissait pour vous comme une remise en cause de votre statut, une immixtion injustifiée. J'ai lu cela.
Mme Catherine Weil-Olivier - Je n'ai pas le souvenir d'être intervenue sur ce point précis au MEDEC cette année. J'ai accepté de superviser une table ronde où j'avais sollicité, entre autres, M. Daniel Floret.
M. François Autain, président - C'est une dépêche de l'Agence de presse médicale (APM), dans laquelle on relatait des déclarations que l'un de vos collègues et vous-même aviez faites à la suite d'articles excessifs parus dans la presse. Vous aviez manifesté votre irritation parce que vous pensiez que cela portait atteinte à votre probité, ce qui n'est absolument pas le cas.
Mme Catherine Weil-Olivier - Ce n'est pas le fait de faire une déclaration d'intérêts qui m'ennuie, c'est la façon dont elle est utilisée ensuite par certains médias.
M. François Autain, président - C'est un autre problème.
Mme Catherine Weil-Olivier - Je déclare ma liste d'intérêts quand on me la demande et je trouve cela parfaitement légitime.
M. François Autain, président - D'accord, mais si on ne vous la demande pas, vous ne la donnez pas.
Mme Catherine Weil-Olivier - Elle m'a été demandée en 2006 à l'Agence du médicament. Elle ne m'a pas été redemandée avant septembre 2009. Si elle m'avait été demandée, j'y aurais répondu.
M. François Autain, président - Il est bien dit dans le texte que ce doit être spontané.
Mme Catherine Weil-Olivier - Je l'admets.
M. François Autain, président - Tous les ans, l'expert doit renouveler sa déclaration de liens d'intérêts.
M. Alain Milon, rapporteur - Je voudrais rajouter que la commission considère que le fait d'avoir des liens d'intérêts n'entraîne pas obligatoirement des conflits d'intérêts.
Mme Catherine Weil-Olivier - Merci, monsieur.
M. Alain Milon, rapporteur - Jusqu'à présent, parmi les personnes que nous avons auditionnées, ni M. François Autain, ni moi-même, n'avons mis en cause leur intégrité, leur honnêteté ou leur probité.
Mme Catherine Weil-Olivier - Merci encore.
M. François Autain, président - Cela étant dit, vous pouvez commencer votre intervention liminaire.
Mme Catherine Weil-Olivier - La deuxième partie de mon exposé portera sur cette vague pandémique A (H1N1)v 2009. J'aborderai tout d'abord les connaissances. Je dirais, en pré-requis, qu'en mai 2010, elles sont chiffrables et elles sont devenues rationnelles, c'est-à-dire qu'elles ont perdu toute composante émotionnelle. Je crois que cela est très important.
Sur la vague elle-même, le phénomène a commencé en septembre, à un moment où il y a eu une co-circulation virale avec d'autres virus respiratoires. Ensuite, nous avons assisté à une amplification relativement rapide dès la semaine 38 et un pic vers les semaines 47 et 48, c'est-à-dire fin novembre. On trouvait beaucoup d'infections respiratoires aiguës et le virus prédominant était ce virus et le taux de prélèvements positifs au virus A (H1N1)v atteignait 40 % à 60 %. La période la plus intense de circulation a couvert les semaines 46 à 1 de l'année 2010, soit huit semaines. Le déclin s'est amorcé en janvier 2010.
Cette vague était presque exclusivement liée au virus A (H1N1)v, sans circulation du virus H1N1 saisonnier, moins de 1 % de virus H3N2 et un peu de virus B en fin de vague.
Il n'y a pas eu d'épidémie saisonnière concomitante, ce qui a été probablement une des surprises. Quant à l'épidémie de virus respiratoire syncytial, le VRS, elle a été retardée chez l'enfant. Elle survient habituellement comme une « horloge » à la semaine 42, dans la moitié Nord de la France. Elle est survenue avec au moins une semaine de retard.
Deuxième élément : elle a été beaucoup plus modérée et s'est terminée de façon un peu plus lente.
Les remarques sur cette vague pandémique A (H1N1)v sont les suivantes : elle est survenue de manière extrêmement précoce par rapport à la très grande majorité des épidémies saisonnières de grippe démarrant rarement en octobre.
Par ailleurs, la période ascendante de la vague a certainement été une source collective d'inquiétude car personne ne pouvait dire quand allait s'arrêter cette montée. Cette inquiétude était facilitée par les incertitudes des connaissances au moment où on les recevait et le caractère extrêmement rapide et évolutif des informations, qu'elles soient françaises, européennes, internationales. Il fallait se tenir au courant pratiquement de jour en jour.
Je pose la question : trop d'information tue-t-elle l'information ? Il a été extrêmement difficile d'avoir une information simple, recevable par la population, compréhensible par tous les corps décisionnels, parce que cette information variait dans le temps et de façon très rapide. Il y a eu ensuite un paradoxe entre l'intensité dite moyenne de cette vague et sa sévérité clinique dite relative. Le taux de reproduction, c'est-à-dire le nombre de sujets infectés à partir d'un sujet, a été situé entre 1,2 et 2. Il se situe à l'heure actuelle plutôt autour de 1,4. Il est vraisemblable qu'il faudrait affiner ces résultats par tranche d'âge, les enfants ayant vraisemblablement un taux de reproduction plus fort. On peut dire globalement, avec ce taux de reproduction, que l'intensité de cette vague est très analogue à ce qu'on a décrit pour les grippes saisonnières.
Néanmoins, je voudrais insister sur le fait que seuls les cas identifiés ont été recensés. Si, au début, on a essayé de repérer tous les cas de tous les patients qui étaient en ville, pour les conduire à l'hôpital, ensuite seules les formes graves hospitalisées ont bénéficié d'un dépistage. Tous ces cas qui pouvaient paraître modérés ou bénins en ville n'ont pas été diagnostiqués et n'ont donc pas été confirmés.
On peut donc conclure qu'il y a une sous-estimation du nombre de malades ayant peu de symptômes et une absence de prise en compte des sujets infectés non malades. On dit à l'heure actuelle que le nombre de personnes ayant contracté la grippe par infection ou par maladie, qu'elle soit bénigne ou sévère, est probablement quatre à cinq fois - certains disent trois fois - plus important.
L'importance de la sévérité clinique a quant à elle fait débat. Je considère qu'avoir plus de 1 300 formes graves, avec un patient sur cinq qui n'a aucun facteur de risque, est quelque chose qui doit alarmer. Les enfants étaient concernés, surtout les plus jeunes, ainsi que des adultes jeunes et à un âge inhabituel. Parmi ces formes graves, il y avait un sur-risque d'hospitalisation en réanimation pour les femmes enceintes et pour les sujets asthmatiques.
Trois cent trente cas peuvent paraître extrêmement faibles, mais cela représente un patient sur cinq qui avait une forme grave. Parmi les décès, un patient sur cinq n'avait aucun facteur de risque et un patient sur six était un enfant. Ceci est totalement inhabituel dans ce qu'on observe pour une grippe saisonnière. De plus, l'âge médian des décès était de l'ordre de 54 ans, alors que dans une grippe saisonnière ce sont vraiment les personnes les plus âgées qui sont touchées.
Enfin, je voudrais rappeler qu'aux Etats-Unis le nombre de décès pédiatriques a été au moins trois fois, voire quatre fois, supérieur à celui des deux années précédentes. Je crois que la notion de sévérité a existé réellement, mais qu'elle a été diluée ; je vais y revenir.
J'ai quelques commentaires à faire si vous le permettez : je ne suis pas sûre qu'il soit anodin pour un système de santé d'avoir eu autant de consultations ambulatoires et de passages aux urgences hospitalières notamment pédiatriques. Au fond, cette grippe, chiffres en main, a une forte composante respiratoire et elle apparaît comme plus sévère qu'une grippe saisonnière habituelle.
Certains réanimateurs, de confiance, ont dit d'ailleurs qu'ils n'avaient pas vu un phénomène avec une telle sévérité nécessitant le recours à des mesures réanimatoires extrêmement lourdes depuis très longtemps.
En face de cela, la perception du public a été totalement mitigée. Il y a eu un décalage entre les formes très sévères en réanimation, qui sont une réalité, et la perception du public d'une grippe anodine, voire d'une « grippette » pour certains médecins sur laquelle, je crois, il faut essayer de travailler. Je ne donnerai pas de noms, ce qui m'intéresse, c'est l'impact que cela a pu avoir sur une population qui a pu se sentir, de ce fait, en complet décalage avec un certain nombre de décisions qui avaient été prises et une certaine réalité qui avait été constatée, mais dont on n'a pas fait réellement état.
M. Alain Milon, rapporteur - Pardonnez-moi de vous interrompre. Il y a en effet un urologue député qui a parlé de cela. Le fait de ne pas avoir appuyé la campagne de vaccination sur les médecins n'a-t-il pas joué un rôle dans la confiance que la population n'a pas donné à la vaccination ?
Mme Catherine Weil-Olivier - C'est une de mes conclusions. Je pense qu'il fallait adosser un système aussi lourd que celui qui a été mis en place et qui avait été extrêmement travaillé, le plan pandémique et ses applications, au système en fonctionnement qui était celui des médecins libéraux ou des médecins hospitaliers. C'est une de mes conclusions très fortes. Je suis complètement d'accord.
M. François Autain, président - Sur ce point, il y a un consensus.
Mme Catherine Weil-Olivier - Vous avez une connaissance du sujet qui est probablement supérieure à celle de ceux qui ont travaillé quelques années dans le domaine. Vous avez une position clé.
M. François Autain, président -Vous pouvez poursuivre, madame.
Mme Catherine Weil-Olivier - Ce décalage entre des formes sévères en réanimation et la perception du public de cette grippe a été un des maillons faibles de notre communication et de notre système. Dans une société individualiste, il aurait dû être aisé de justifier l'adoption des mesures préconisées, notamment au regard de la fréquence des décès chez des sujets enfants et adultes qui ne demandaient rien à personne. Ceci a été pour moi un argument fort pour inciter mes enfants et mes petits-enfants à se faire vacciner. Avec un facteur de risque d'un sur cinq de faire une forme grave si on attrape la grippe, alors qu'on se porte bien par ailleurs, est un argument suffisant pour se faire vacciner.
Je vous rappellerai aussi ce qu'ont dit les Suédois pour motiver leur population : quand vous allez en vélo, vous mettez votre casque. Ici, c'est la même chose, vous vous protégez du risque. Je dirais que dans notre vie de tous les jours, nous sommes habitués à mettre la ceinture de sécurité, nous avons pris l'habitude de mettre les bébés dans des sièges adaptés pour les voitures. Je voudrais bien savoir quel est le risque exact encouru par un enfant qui n'a pas sa ceinture ou qui n'est pas dans son siège par rapport au risque - un sur cinq -, en cas de grippe, de faire une forme grave et d'en mourir. Je crois que nous n'avons pas utilisé les arguments percutants. C'est la non-percutance d'une communication. Il faut oser dire les choses. Je crois que nous aurions été plus performants.
M. François Autain, président - Vous avez terminé ?
Mme Catherine Weil-Olivier - Je suis prête à m'interrompre à tout moment.
M. François Autain, président - J'écoute avec beaucoup d'attention.
Mme Catherine Weil-Olivier - Le virus lui-même a été sujet à controverses. J'ai lu beaucoup sur ce qui a été dit dans le cadre des entretiens des deux commissions d'enquête au Sénat et à l'Assemblée nationale. Je ne suis pas virologue mais je côtoie ceux qui sont les plus compétents en France. J'écoute beaucoup et je pense avoir beaucoup appris. Je résumerai en disant que c'est la recombinaison de différents morceaux de gènes qui était nouvelle. C'est probablement en raison de cette recombinaison de fragments de gènes et du fait qu'il y avait aussi certains gènes déjà connus de la population qui avait pu susciter une immunité, qu'on s'est retrouvé à nouveau dans un autre paradoxe : d'un côté, ceux qui disaient que c'était un virus nouveau, de l'autre, ceux qui faisaient valoir que 30 % des gens de 60 ans et plus bénéficiaient d'une forme d'immunité.
On s'est trouvé devant un double discours, une sorte de double contrainte, dont il a été extrêmement difficile de sortir et qui fait encore polémique. Il n'en reste pas moins - je voudrais juste attirer l'attention sur ce point - que si l'on reprend les données de l'Institut de veille sanitaire (InVS), la létalité, c'est-à-dire le nombre de décès par rapport aux cas identifiés, est particulièrement élevée aux deux âges « extrêmes » de la vie, les sujets de 60 ans et plus et les enfants de moins d'un an. Ce qui veut dire qu'un sujet de 60 ans avait une chance sur trois d'avoir des anticorps, mais que parmi la fraction qui n'avait pas d'anticorps, certains faisaient une grippe, et quand ils la faisaient, cette grippe était sévère et ils risquaient d'en mourir.
En conclusion de cette première partie, quelques leçons peuvent être tirées. Il y a eu des points extrêmement positifs qui sont une rapidité d'informations comme jamais nous n'en avions connue. Il suffisait d'aller sur Internet, sur les différents grands sites : on avait des données tout à fait remarquables et qui avaient été vérifiées, recueillies en temps réel en plus, ce qui était très important. On avait une évaluation de la situation de semaine en semaine. Mais, en réalité, on a eu les défauts de nos avantages : nous avions « le nez dans le guidon » en recherchant toutes ces données en temps réel, nous avons réalisé un travail acharné pour être à jour sur les connaissances qui arrivaient et nous n'avons eu aucun répit pour prendre du recul, lequel est possible seulement maintenant.
A partir de l'ensemble de ces données, tout le monde se pose quelques questions : que peut-on voir se dessiner pour l'avenir ? Je serai très prudente avant d'affirmer qu'il n'y aura pas de deuxième vague, que si elle survenait, sa gravité serait la même et que le nombre de cas serait similaire ou inférieur. Je ne le sais pas.
M. François Autain, président - Un expert m'a dit que si, à la fin du mois d'avril, il n'y a pas de deuxième vague, il n'y en aurait pas. Vous pensez qu'une deuxième vague peut survenir à tout moment ?
Mme Catherine Weil-Olivier - Vous nous avez amenés à réfléchir et c'est bien. Je trouve que c'est une excellente méthode. C'est vraiment un point très positif d'avoir organisé ces rencontres. Je connais un petit peu la grippe, je connais son allure capricieuse et imprévisible. C'est un virus déroutant. Je crois que la question n'est pas d'affirmer ou d'infirmer, je crois qu'il faut se poser la question de savoir comment limiter la marge d'incertitude.
M. François Autain, président - Vous n'excluez donc pas une deuxième vague en août.
Mme Catherine Weil-Olivier - Je n'exclus rien. Je n'exclus pas une deuxième vague, je ne peux pas dire quand elle arrivera. Je pense simplement qu'il faut réfléchir aux façons d'éviter de limiter nos connaissances. Je pense que ce point est très important.
Il faut garder un oeil sur ce qui va se passer très rapidement pendant l'hiver austral. Même si la transposition des données ne peut être que partielle, pour de nombreuses raisons, il faut garder une fraction de doute. Il n'y a pas d'esprit scientifique qui se tienne si on n'a pas un élément de doute, en sachant remettre en cause ce qu'on a dit.
J'insisterai sur un élément qui me semble avoir été défaillant dans cette période : c'est la souplesse. Il me semble qu'il faut garder une souplesse pour faire face à une évolution inattendue et imprévisible.
M. François Autain, président - Vous avez raison. Nous avons parlé de la souplesse aux directeurs de laboratoires, mais eux ne la connaissent pas. C'est la commande ferme ou pas.
M. Alain Milon, rapporteur - On voulait surtout parler d'adaptabilité des plans de lutte contre la pandémie.
Mme Catherine Weil-Olivier - C'est un point dont je voulais parler dans ma partie consacrée à la stratégie. J'ai quelques pistes de réflexion sur ce premier volet. Je pense qu'il faut préparer la population à la notion d'incertitude et de manque. La communication qui a été faite est toujours positive, mais elle a laissé de côté tout le doute et l'incertitude. Je pense qu'il faut travailler sur ces deux points. J'ajouterai l'inquiétude de la population, parce qu'elle a existé, mais elle a été laissée de côté. Il faut éduquer la population. Je pense que notre population est suffisamment mature pour recevoir non seulement une éducation mais aussi une information de qualité. Cela me paraît indispensable. Je vous vois sourire, monsieur le rapporteur.
M. Alain Milon, rapporteur - Je souris parce que mon voisin me parle d'éducation thérapeutique. Comme j'ai était le rapporteur du projet de loi portant réforme de l'hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires, nous avons beaucoup parlé de l'éducation thérapeutique, il y a un an.
Mme Catherine Weil-Olivier - Il me semble qu'il est très important d'être à l'écoute des doutes et des incertitudes parce qu'ils sont relayés par la parole publique et par les médias. Je pense qu'il faut en tenir compte. Je sais que vous avez pris en compte le point de vue d'un sociologue. Il y a eu des articles extrêmement intéressants. Je crois que la participation de l'esprit public est quelque chose d'indispensable.
M. François Autain, président - Il n'y avait que deux parties dans votre exposé.
Mme Catherine Weil-Olivier - Non, je peux continuer ?
M. François Autain, président - Vous avez une troisième partie, je vous en prie. Je vous laisse la parole.
Mme Catherine Weil-Olivier - J'ai quatre parties. J'ai la stratégie et les moyens.
La stratégie s'est exprimée au travers du plan pandémique. Le premier plan a été établi dans les années 1990. Il a même été établi avant le plan de l'OMS. Il était purement médical. Il a été révisé lors du « SRAS » - syndrome respiratoire aigu sévère , et de la grippe A (H5N1) dans les années 2003-2005. Sa conception a changé. Elle a changé de façon radicale : l'aspect médical a été envisagé sous forme de fiches techniques modulables dans le temps. Cela a introduit un élément de souplesse dans le plan, dont il était aisé de faire des modifications. Nous les avons faites régulièrement jusqu'à maintenant. Le corps du plan est devenu interministériel, correspondant aux besoins d'une crise sanitaire nationale.
Le Comité de lutte contre la grippe est resté en charge des aspects médicaux du plan. Il a travaillé au fil des années sur les différentes versions, mais il avait pour rôle unique de donner des avis techniques médicaux et scientifiques en expertise collective, à l'exclusion de tout aspect économique, logistique et de communication. Nos missions étaient extrêmement claires, et ce que nous ne devions pas faire l'était aussi.
Les aspects médicaux ont fait l'objet de saisine de la direction générale de la santé (DGS) entre mai et décembre 2009, qui devaient permettre une adaptation en temps réel des nécessités qui apparaissaient. C'est un élément de souplesse sur la composante médicale. Ni les décisions ni l'application des avis n'étaient du ressort du Comité de lutte contre la grippe.
M. François Autain, président - C'était du ressort de qui ?
Mme Catherine Weil-Olivier - Des échelles intermédiaires. Pour les vaccins, je le redirai, c'étaient le CTV, le Haut Conseil de la santé publique, la DGS, puis le ministère de la santé. Votre question est tout à fait pertinente, et je me suis interrogée moi-même. Je ne sais pas en réalité qui a décidé. On nous demandait un avis technique. Nous l'avons rendu. Nous avons travaillé tout l'été de façon acharnée avec plus de quarante réunions. Nos avis, ensuite, remontaient d'étape en étape, et la décision était prise sans que je puisse vous dire qui la prenait.
M. François Autain, président - C'était le comité interministériel.
Mme Catherine Weil-Olivier - Pour certaines décisions.
M. François Autain, président - Il y a le ministre quand même. Il prend des décisions.
Mme Catherine Weil-Olivier - Le ministre de la santé a certainement pris des décisions dans le registre médical.
M. François Autain, président - Vous émettez des avis qui sont suivis ou pas.
Mme Catherine Weil-Olivier - Je trouve cela totalement démocratique.
M. Alain Milon, rapporteur - Une question qui n'a peut-être pas de rapport direct avec la commission. Puisque vous avez parlé de l'évolution des différentes maladies possibles, considérez-vous que le H5N1 peut être considéré comme l'auteur d'une pandémie humaine ?
Mme Catherine Weil-Olivier - Le H5N1 est essentiellement une maladie zootique qui a fait des millions et des millions de morts chez les volatiles. C'est un virus qui a circulé pratiquement une dizaine d'années. Il est transmissible de l'animal à l'homme, mais la transmission d'homme à homme a été extrêmement faible.
M. François Autain, président - Mais elle a existé.
Mme Catherine Weil-Olivier - Oui, il a été décrit dans la littérature quelques cas de contamination intrafamiliale. La difficulté à transmettre le H5N1 vient du fait que les récepteurs qui l'accueillent sur les muqueuses respiratoires sont essentiellement dans le poumon profond, alors que dans une grippe saisonnière, les virus ont des récepteurs qui se situent sur la muqueuse respiratoire supérieure. Chaque fois qu'on parle, qu'on tousse, qu'on éternue, on projette le virus à l'extérieur, qui est transmis très facilement. Quand on a une maladie pulmonaire profonde, il faut avoir une charge virale très forte et un capital de toux extrêmement important pour pouvoir extraire son virus des voies profondes et le projeter vers l'extérieur. C'est une des raisons pour lesquelles on a considéré que la transmission était faible d'homme à homme pour le H5N1, en l'état actuel du virus.
M. François Autain, président - Tout peut arriver. On est bien conscient qu'on n'a pas tout vu.
Mme Catherine Weil-Olivier - La stratégie relevait du plan. Le Comité de lutte contre la grippe traitait des aspects médicaux du plan. Cette stratégie a oscillé entre deux tendances. La première tendance, probablement assez utopique, était une volonté de tout mettre en oeuvre pour freiner le plus possible et le plus vite la montée en puissance de la pandémie, c'est-à-dire le pic ascensionnel. On pouvait craindre qu'il y ait, d'une part, une diffusion large, d'autre part, que la pandémie soit sévère. On s'est aperçu que cette perspective perdait de son réalisme. On en est revenu à une prise en charge beaucoup plus individuelle, qui était de définir des groupes de population particulièrement vulnérables. Soit ils avaient des facteurs de risques, soit ils appartenaient à certaines tranches d'âge.
C'est dans cette oscillation entre une première stratégie généreuse et utopique et cette deuxième stratégie réaliste focalisée sur les groupes à risques que se sont trouvées prises l'ensemble des décisions, me semble-t-il.
M. François Autain, président - Je n'ai pas le sentiment, en lisant les comptes rendus de votre comité, que vous avez balancé entre ces deux positions. Je pense plutôt que, d'emblée, vous avez choisi la vaccination de masse.
Mme Catherine Weil-Olivier - Non.
M. François Autain, président - Je lis le compte rendu de mai-juin en réponse à la saisine du directeur de la santé du 8 juin qui vous demandait : « une recommandation de vaccination avec le vaccin dirigé contre le virus émergent pour les sujets compris entre six mois et soixante-cinq ans et ne faisant pas l'objet d'une contre-indication à la vaccination antigrippale ». Vous répondez : « Les recommandations du groupe étaient d'avoir du vaccin pour tout le monde . »
Vous ne dites pas qu'il suffisait de l'avoir et, ensuite, on était dispensé de l'administrer. Vous n'avez pas précisé s'il s'agissait de l'injecter ou simplement de le commander. Dans la première version, vous avez raison, puisqu'il a été commandé, mais si vous souhaitiez qu'il soit administré, vous n'avez pas atteint l'objectif que vous vous étiez fixé. Vous écrivez : « (...) et à défaut de vacciner certaines tranches de la population en fonction de l'efficacité estimée par la modélisation de cette stratégie sur l'évolution de la pandémie (...) ». On vient de nous dire que c'était comparable aux prévisions de Nostradamus. Je n'invente pas le terme, je l'ai entendu tout à l'heure. Là, vous ne parlez pas de groupes à risques, me semble-t-il.
Mme Catherine Weil-Olivier - Je suis d'accord avec vous. Dès les mois de mai et juin, il nous a été demandé de réfléchir avec l'InVS sur une modélisation possible du calcul théorique des quantités utiles selon les tranches de population à vacciner. Vous voyez que la phrase est compliquée.
M. François Autain, président - Je pense que la DGS avait besoin de votre avis pour acheter les vaccins, puisqu'il se trouve que la lettre d'intention qui a été adressée à GSK pour la commande des 50 millions de doses est datée du 15 mai. La DGS voulait avoir un avis, elle vous l'a demandé. Une fois qu'elle a eu l'avis, elle a pris la décision d'acheter 50 millions de doses. Elle vous a suivi en l'occurrence. Je crois savoir que vous êtes favorable à la vaccination de masse.
Mme Catherine Weil-Olivier - Je ne suis pas défavorable à une vaccination de masse, encore faut-il savoir l'organiser.
M. François Autain, président - Vous n'êtes pas défavorable, ce qui veut dire que vous n'êtes pas favorable non plus ?
Mme Catherine Weil-Olivier - Je n'y suis pas défavorable mais j'ajoute : encore faut-il savoir l'organiser. L'un ne va pas sans l'autre.
M. François Autain, président - Justement, j'allais vous demander sur quels fondements scientifiques avez-vous établi cette nécessité de vaccination de masse ? Un de vos collègues que nous avons auditionné, M. Antoine Flahault pour ne pas le nommer, dit que la vaccination de masse est l'aventure. Peut-être avez-vous le goût de l'aventure, mais enfin il serait intéressant de nous expliquer pourquoi, pour vous, la vaccination de masse n'est pas du tout une aventure, puisqu'elle est fondée sur des données scientifiques. Je suis prêt à les entendre. Cela nous aiderait beaucoup.
Mme Catherine Weil-Olivier - Je vais vous redire qu'il nous a été demandé un exercice de modélisation en mai-juin du calcul théorique...
M. François Autain, président - Je parle du mois de mai.
Mme Catherine Weil-Olivier - J'en suis là.
M. François Autain, président - Vous dites : « Les recommandations du groupe étaient d'avoir du vaccin pour toute la population . » C'est écrit. Il y a peut-être eu une trahison de ce que vous pensiez.
Mme Catherine Weil-Olivier - Il a été réutilisé un terme qui, malheureusement, est un peu galvaudé, qui est la notion d'éthique. Nous étions tous d'accord pour considérer que tout individu qui le souhaitait dans la population méritait d'être vacciné. A ce titre, il fallait pouvoir mettre à disposition suffisamment de doses pour répondre à cette demande.
Dans ce calcul de modélisation, il a été établi et fait des hypothèses. La modélisation conduit à faire des hypothèses. Cela ne dit pas qu'on détient une vérité.
M. François Autain, président - Ces modélisations sont de plus en plus critiquées, non seulement pour la grippe mais pour le réchauffement climatique.
Mme Catherine Weil-Olivier - Je ne suis pas modélisatrice, je suis clinicienne. J'essaie d'écouter des personnes qui me paraissent suffisamment sensées dans le domaine de la modélisation. Il est difficile, quand on n'a pas été formé à la modélisation de se prononcer. Je dois dire que c'est un des problèmes que l'on rencontre de plus en plus en santé publique : la question de la modélisation. Jusqu'où peut-on la faire aller ? Quel modèle prend-on ? Quelles hypothèses retient-on dès le départ ? Si on se trompe de modèle, le modèle donne des résultats inexacts.
M. Alain Milon, rapporteur - D'où la nécessité, encore une fois, de se pencher et d'écouter le terrain au fur et à mesure qu'on avance dans le cadre des modélisations et de l'adaptabilité de chaque plan qu'on peut mettre en place.
M. François Autain, président - Si j'ai bien compris, cette recommandation repose beaucoup plus sur des raisons éthiques que sur des raisons sanitaires ou scientifiques.
Mme Catherine Weil-Olivier - Celle-ci, oui.
M. François Autain, président - Je voulais savoir. Là, l'échec est total.
Mme Catherine Weil-Olivier - De façon objective, quand on a vu arriver la pandémie au mois de septembre et que les AMM des vaccins commençaient à peiner à être accordées, fin septembre, on savait déjà qu'on serait pris de vitesse.
M. François Autain, président - Ils étaient déjà achetés.
Mme Catherine Weil-Olivier - C'est tout le problème de l'anticipation d'une décision face à un phénomène dont on ne connaît pas l'ampleur. Je reconnais que pour les politiques, dont je ne suis pas non plus, c'était très difficile. Je crois vraiment qu'on ne peut pas mettre cela à leur charge, parce qu'il fallait prendre certaines décisions. A l'époque où les décisions devaient être prises, c'est-à-dire juste avant l'été, on ne savait pas du tout si cette pandémie arriverait chez nous, ni quand, ni quelle serait son ampleur, ni quelle serait sa sévérité. Quand elle est arrivée, les décisions avaient déjà été prises. Le problème est l'adaptation des décisions aux réalités du moment.
M. Alain Milon, rapporteur - C'est aussi une des questions qu'on peut se poser dans la mesure où on a vu le vaccin arriver pratiquement après le début de l'épidémie. N'aurait-il pas été utile, à ce moment-là, de réorienter les vaccinations vers les populations à risques, face à ce virus ?
Mme Catherine Weil-Olivier - Cela a été fait. En juillet et août, nous avons, sur saisine, défini des groupes à risques. J'ai des souvenirs très précis de l'été 2009 : en juillet et en août, nous avons passé beaucoup de temps à définir les groupes à risques. Nous avons d'abord identifié toutes les catégories qui nous paraissaient raisonnables. Nous en avions seize. On nous a demandé de les regrouper. Nous avons fini avec cinq catégories. La priorité des priorités concernait les professionnels de santé. Ensuite, nous avons mis les femmes enceintes, les nourrissons les plus jeunes, pour les nourrissons qui ne pouvaient pas être protégés, l'entourage, les groupes à risques.
Il m'a semblé que cette partie-là était relativement simple à suivre. Elle était très structurée.
M. François Autain, président - On a auditionné, comme vous l'avez fait remarquer tout à l'heure, un sociologue. Il nous a dit que si le problème était de vacciner tous ceux qui voulaient se faire vacciner, il n'était pas nécessaire de commander autant de vaccins, puisqu'il avait la certitude d'un pourcentage relativement faible, qui n'a rien à voir avec le pourcentage adopté par le Gouvernement, près de 75 %, sinon plus, de la population. Lui avait des chiffres bien inférieurs. Il n'était pas nécessaire de commander autant de vaccins s'il s'agissait de satisfaire à des exigences éthiques puisqu'on savait, peut-être pas à cette époque, mais dès les mois de juin-juillet, que les Français ne souhaitaient pas se faire vacciner en majorité.
Mme Catherine Weil-Olivier - J'ai été très intéressée par les travaux de M. Michel Setbon et de M. Jean-Paul Moatti.
M. François Autain, président - C'est cela, je fais allusion aux travaux de M. Michel Setbon.
Mme Catherine Weil-Olivier - M. Jean-Paul Moatti a également publié un article très récent qui va dans le même sens, même s'il ne donne pas tout à fait les mêmes chiffres. Personnellement, je suis très intéressée par ces résultats, mais ils arrivent maintenant et a posteriori. Au mois de juin, quand le travail de M. Michel Setbon a été fait, nous n'avons pas été mis au courant. On ne nous en a pas parlé. Je n'en ai pas vu les données.
M. François Autain, président - C'est vrai.
Mme Catherine Weil-Olivier - Je le regrette. Je voudrais ajouter l'idée que faire les constats maintenant, c'est déjà extrêmement bien, mais il faut probablement réfléchir à ce que ces constats puissent être aussi faits en temps réel. En même temps qu'il arrive des informations épidémiologiques sur la nature du virus, sur l'allure clinique, sur les volumes des formes sévères, sur les cas en réanimation, je trouverais tout à fait légitime que les instances qui doivent donner des avis ou prendre des décisions soient totalement au courant de cela. Nous n'étions pas, dans notre groupe, au courant de ce qui se passait dans la population et du risque de refus de la vaccination.
M. François Autain, président - Comme vous le disiez tout à l'heure, « la tête dans le guidon ».
Mme Catherine Weil-Olivier - Nous avions la tête dans le guidon, mais on nous aurait apporté cette information, elle aurait été utile.
M. François Autain, président - C'est un manque de coordination.
Mme Catherine Weil-Olivier - Je pense que beaucoup de personnes s'expriment maintenant qui auraient pu s'exprimer en temps réel, mais je dois dire aussi que, du côté des personnes qu'on appelle experts, elles fonctionnent - j'en suis - sur le mode de la réserve. Au fond, nous sommes tenus à un droit de réserve. Je fais partie d'un comité. Je ne veux pas m'exprimer au nom de ce comité, sauf si on m'en donne le mandat.
M. François Autain, président - Ils se sont exprimés. Tous les membres de ce groupe ne considèrent pas leurs fonctions comme vous les considérez.
Nous vous avons interrompue, mais nous ne voulons pas vous empêcher de dire ce que vous voulez dire.
Mme Catherine Weil-Olivier - Sur cette partie-là, avec cette stratégie qui a changé d'objectif, les messages de communication ont été très complexes. Ils ont pu paraître contradictoires, ce qui a certainement gêné dans ce contexte paradoxal opposant, d'une part, le public qui jugeait cette grippe relativement anodine, et d'autre part, l'allure de la vague pandémique qui avait des vrais caractères de sévérité authentiques et authentifiés. Je crois vraiment qu'il va falloir réfléchir aussi à la nature des messages, à leur contenu et à leur présentation. Je serais plutôt favorable pour « annoncer la couleur » plus tôt, en temps réel et avec réalisme, ce qui ne veut pas dire inquiéter. Les Néerlandais avec qui j'ai eu l'occasion d'en parler m'ont dit qu'ils avaient changé leur stratégie de communication en cours de route. Ils s'étaient rendu compte que partant d'une communication positive, lénifiante, il fallait mettre les gens devant la réalité. A partir de ce moment-là, ils ont réussi à vacciner.
Je signale au passage que les Néerlandais - 17 millions d'habitants - avaient acheté 34 millions de doses. Ensuite, ils sont aussi revenus vers une vaccination des groupes à risques, mais ils l'ont nettement mieux réussi que nous.
J'ai beaucoup de considération pour la médecine qui peut se faire en Europe centrale ou en Europe de l'Est, mais je crois néanmoins que les composantes des systèmes de santé ne sont pas comparables.
M. François Autain, président - Ce n'est pas comparable. Je ne pense pas qu'il y ait plus de létalité.
Mme Catherine Weil-Olivier - Oui, on peut poser la question comme cela. On pourrait aussi considérer que définir la létalité comme la mortalité suppose un système de surveillance et un système virologique efficace, puisqu'il faut vérifier que le décès est bien rattaché à la grippe. Je ne peux pas vous donner d'éléments sur le réseau de surveillance en Pologne.
M. François Autain, président - Si on se revoit la semaine prochaine, je pourrais vous donner des informations puisque nous y allons demain.
Mme Catherine Weil-Olivier - Mon dernier volet concernait les moyens et la logistique, ce que j'ai appelé la tactique. Je ne parlerai pas du lavage des mains, bien que je considère que ce soit une mesure importante. Je signalerai d'ailleurs que l'INPES, l'Institut national pour l'éducation à la santé, a fait des films qui ont été largement diffusés dans les aéroports et les gares, qui étaient des messages d'excellente qualité. Il y a eu une véritable action que j'ai trouvée très positive, qui était anticipée et qui devrait être gardée.
M. François Autain, président - Nous sommes d'accord.
Mme Catherine Weil-Olivier - Le Comité de lutte contre la grippe a eu à se prononcer sur trois moyens reconnus, comme pouvant intervenir dans la réduction de la masse infectieuse : les mesures barrières, les antiviraux et les vaccins. Entre fin avril et décembre 2009, cela vous a déjà été dit, nous avons eu quarante réunions téléphoniques et de visu avec l'établissement de comptes rendus. S'il le fallait, le dimanche. Notre règlement intérieur prévoit que les avis ne sont pas rendus publics, comme ceux du CTV. Cela fait partie des interrogations. Cela ne me dérangerait pas du tout que nos comptes rendus soient publics. Je trouverais cela très bien ; cela montrerait le travail réalisé, les éléments de réflexion, la façon dont les idées avancent et comment on retient une décision. J'y suis très favorable car je pense que cela contribuerait à la transparence.
M. François Autain, président - Les avis du Comité technique des vaccinations à travers les avis du HCSP sont rendus publics, une partie en tout cas.
Mme Catherine Weil-Olivier - Je rappellerai qu'aux Etats-Unis, l'instance équivalente du CTV qui est l'ACIP, American Committee for Immunization Practice, donne des avis qui sont publics.
M. François Autain, président - En Angleterre aussi. Il n'y a pas de raison qu'on ne le fasse pas en France. Je suis d'accord.
Mme Catherine Weil-Olivier - Je trouve que ce serait un progrès. Pour les masques, le CLCG a été interrogé pour savoir si les masques chirurgicaux étaient moins efficaces que les FFP2, si la durée de protection était la même ou différente, s'il y avait une indication préférentielle pour tel ou tel adulte. Il a été abordé le cas des enfants qui finalement n'avaient pas de masque adapté à leur visage. On savait pertinemment qu'ils ne garderaient pas le masque toute la journée. En revanche, nous n'avons pas été consultés sur le volume acheté, le stockage, la distribution ni le coût. On sait que des quantités de masques importantes ont été achetées.
M. François Autain, président - Oui, 1,7 milliard de masques ! Plus que de vaccins.
Mme Catherine Weil-Olivier - Je n'en ai pas vu dans la rue.
M. François Autain, président - Nous non plus.
Mme Catherine Weil-Olivier - Concernant les antiviraux, les fonctions du groupe étaient de suivre la résistance. Nous avons des virologues, ils ont des centres de référence. Ils suivaient cela au plus près. Elément rassurant : 2 % des souches ont été résistantes. Quelques observations éparses chez des immunodéprimés ont été rapportées, mais extrêmement peu de cas groupés. Un cas très récemment vient de paraître chez un enfant qui a fait une forme très sévère. Le contaminateur était probablement son frère qui lui a fait une forme anodine et le virus était résistant.
Je voudrais insister sur l'idée que les INA - inhibiteur de neuraminidase - s'inscrivent dans la prise en charge globale du patient. Je rappellerai que nous avons beaucoup insisté sur la prise en charge ambulatoire du patient pour essayer d'interrompre ce circuit très lourd mis en place initialement dans lequel un malade appelait le SAMU, était véhiculé vers l'hôpital, comme s'il était pestiféré, était isolé et considéré comme tel.
La décision qui a finalement été entérinée de passer en ambulatoire a été décalée de quelques semaines. Dans ces courroies de transmission multiples, je pense qu'il y a un phénomène qui rend parfois obsolète nos avis. Il faudrait un temps plus court entre le moment où l'avis est rendu et où la décision opérationnelle est prise.
M. Alain Milon, rapporteur, Si je peux vous interrompre, dans tout ce que vous dites, on voit bien qu'on a appliqué un plan qui avait été élaboré pour faire face à une probable ou une supposée pandémie H5N1. La question que je me pose depuis le départ est la suivante : la définition donnée par l'OMS de la pandémie doit-elle être générale ? Doit-on plutôt réfléchir à la mise en place de différents plans en fonction de la gravité de la pandémie ou d'un seul plan ?
Les avis que vous donnez mettent un temps fou pour remonter jusqu'au ministre.
Mme Catherine Weil-Olivier - Ce n'est pas l'avis qui met du temps, mais la décision sur l'avis qui a été donné. La décision a parfois mis entre deux et quatre semaines. Je vois trois exemples : le passage à une prise en charge en médecine ambulatoire, l'élargissement des prescriptions d'antiviraux - on a beaucoup de données dans la littérature à l'heure actuelle qui disent que donner des antiviraux vite diminue les formes graves et la mortalité, notamment chez les femmes enceintes -, et le passage à une injection unique au lieu de deux doses.
A chaque fois, la décision a été décalée, de deux semaines dans un cas, de quatre semaines dans l'autre, voire six semaines dans le troisième. Je pense que cette lenteur d'application a été un des soucis majeurs de notre stratégie.
J'entends bien votre question. Elle est absolument pertinente. Je ne suis pas sûre que ce soit à moi de la résoudre car, comme je vous l'ai dit, le plan était interministériel et a été établi à ce niveau. C'est à ce niveau qu'il faut discuter de l'assouplissement ou de la pondération.
M. Alain Milon, rapporteur - Pour revenir sur les antiviraux et sur le Tamiflu, si vous avez des études, nous souhaiterions les avoir car nous n'avons par réussi à les obtenir jusqu'à présent. En Angleterre, où nous sommes allés il y a quelques jours, il avait été mis en place un système téléphonique avec au bout du fil des gens qui, avec un questionnaire précis, autorisaient ou non le malade à aller chercher directement du Tamiflu chez le pharmacien pour se soigner directement. Cette solution vous semble-t-elle être réalisable au niveau français ?
Mme Catherine Weil-Olivier - Je vais faire une analogie avec certaines politiques de vaccination. Les Finlandais utilisent les centres de santé et des infirmières qualifiées qui font la vaccination. Vous savez bien que la France est restée dans un système très différent, dans lequel le médecin est responsable de son acte de vaccination. Il engage sa responsabilité en le faisant. Néanmoins, il y a quelques cas d'espèce, notamment pour la grippe : une deuxième ou énième vaccination peut être faite par une infirmière. Il a été autorisé qu'une sage-femme fasse une vaccination en période néonatale pour favoriser des couvertures vaccinales déficientes. Nous allons lentement vers une libéralisation de l'acte de vaccination. Les Pays-Bas ont les centres appelés « well-baby clinics », dans lesquels la vaccination est faite. Il doit y avoir quelques médecins dans ces centres, mais la vaccination est assurée aussi par des infirmières.
L'analogie que je fais pour la vaccination est de se passer pratiquement du médecin pour faire un diagnostic. Le patient téléphone et quelqu'un qui n'est pas médecin reçoit son appel, coche et délivre le médicament. Je pense que dans une situation vraiment de crise sanitaire, où on aurait besoin de répartir toutes les ressources, cela peut être utilisé. Je le vois difficilement appliqué dans une période où la vague pandémique n'avait pas de caractère menaçant aigu en termes de volume, en particulier. Je pense que ce serait plus difficile dans notre pays.
En ce qui concerne les INA, on en a très peu utilisé pour les très jeunes enfants. Vous savez qu'il y a eu une autorisation de mise sur le marché exceptionnelle pour l'utilisation chez les enfants de moins d'un an, en période pandémique, en curatif. Je n'ai pas vu de données. En revanche, la littérature scientifique fait état d'une réduction des formes graves et des décès chez les femmes enceintes. Je peux vous citer l'exemple de l'Argentine par comparaison avec le Chili.
Pendant l'été 2009, le Chili a utilisé les antiviraux. Une mortalité extrêmement faible a été enregistrée dans ce pays. L'Argentine n'a pas utilisé d'emblée les antiviraux. On a un avant et un après. A partir du moment où ils ont utilisé les antiviraux, ils ont vu leur mortalité chuter. C'était vraiment très remarquable. La chance a été de notre côté. Le virus était extrêmement peu résistant.
Les décisions sur les antiviraux ont été prises à la suite d'une réflexion sur le rapport bénéfice/risque d'une telle mesure. Le bénéfice attendu était de limiter ou d'éviter les formes graves ; le risque étant double : celui de ne pas donner le médicament en cas de maladie sérieuse et le risque inhérent au médicament (tolérance et résistance).
M. François Autain, président - Avez-vous des liens d'intérêts avec Roche ?
Mme Catherine Weil-Olivier - J'ai participé à une conférence téléphonique sur le bon usage des antiviraux. Je devrais participer à un groupe sur la pharmacocinétique du tout-petit. Avec un peu d'humour, je vous dirais que j'ai des intérêts familiaux parce que j'ai donné des antiviraux à mes petits-enfants quand ils avaient un syndrome grippal. Cela a été remarquablement efficace.
M. François Autain, président - Je ne parle pas de ce genre de liens d'intérêts.
Mme Catherine Weil-Olivier - Je n'ai rien à ajouter sur les antiviraux. Je dirais simplement qu'à ma grande surprise, lorsque j'ai analysé les documents de l'AFSSAPS, j'ai vu que 1,12 million de traitements d'oseltamivir Tamiflu et 400 000 traitements d'oseltamivir PG avaient été distribués, soit sept fois plus qu'en période de grippe saisonnière. Il est dit qu'en période de grippe saisonnière, 200 000 boîtes environ sont distribuées.
Je me suis moins interrogée sur les événements indésirables parce qu'apparemment ils sont décrits comme tout à fait classiques dans le rapport de pharmacovigilance réalisé par l'AFSSAPS. Je me suis interrogée sur deux choses. Premièrement, je ne m'attendais pas à ce qu'autant de patients aient pris du Tamiflu, - cela a peut-être été un élément de frein à la diffusion du virus A (H1N1)v et à la survenue de formes graves, ce qui n'est pas absolument exclu -, deuxièmement, sur le fait que des stocks notables avaient été constitués.
M. François Autain, président - Ils n'en ont pas pris suffisamment pour épuiser les stocks.
Mme Catherine Weil-Olivier - Je ne sais pas si vous avez d'autres questions sur les antiviraux.
Je peux vous parler des vaccins si vous le voulez. Nous avons fait un long travail préparatoire avec les vaccins H5N1. Nous avions eu des réunions avec les laboratoires pour connaître le degré d'avancement de leurs recherches. Je rappellerai aussi que le Comité de lutte contre la grippe, pour les réflexions sur les vaccins, a été considéré comme un groupe de travail du CTV. Toutes nos réunions ont été faites en présence d'au moins un représentant du CTV et d'au moins un représentant du Haut Conseil de la santé publique.
M. François Autain, président - Oui, parce qu'il y a des membres de droit.
Mme Catherine Weil-Olivier - Ils étaient là et ils ont été au courant de nos réflexions et de nos discussions. Il y a eu des auditions de laboratoires à plusieurs reprises. Je n'ai pas assisté à toutes parce que je n'étais pas dans le sous-groupe qui s'occupait des vaccins.
Le Comité de lutte contre la grippe n'a pas eu à se positionner sur les choix de l'agence européenne des médicaments (EMA) de fonder ses décisions sur les dossiers « mock-up » ou prototypes, ni sur les critères retenus pour l'AMM, les études cliniques préliminaires, la préparation en multidoses ou en monodoses, la décision de rester à deux doses - ce qui a été la recommandation à partir de fin novembre. Il n'a pas non plus été consulté sur le volume de doses à acheter et leur répartition entre les industriels, et la négociation des prix.
Une fois de plus, nos avis ont été purement techniques. En revanche, nous avons été informés des conditions de la campagne : son organisation sous l'autorité du ministère de l'intérieur, la gestion départementale par les préfets, le mode de fonctionnement des centres de vaccination et le travail accompli par la Sécurité sociale pour adresser les bons de vaccination.
En mai-juin, on nous a demandé de réfléchir à une modélisation possible du calcul théorique des quantités utiles de vaccins selon les tranches de populations à vacciner. Vous reconnaîtrez que c'était un pari particulièrement difficile. Nous avons fait un certain nombre d'hypothèses. En juillet et août, nous avons défini des groupes à risques. Les données relatives à l'hémisphère Sud commençaient à arriver. Les informations actuelles nous laissent entendre que les groupes à risques, tels qu'ils avaient été définis, étaient finalement raisonnables. Ils ont été validés par les données épidémiologiques françaises ou internationales.
A la fin septembre, les premières AMM sont accordées. Toute l'organisation et la logistique de la campagne, le rôle des médecins libéraux et la communication autour de celle-ci sont restées indépendantes du Comité de lutte contre la grippe. Je signalerai une fois de plus la qualité de la pharmacovigilance appliquée pour les vaccins : toute personne dans le public qui sentait avoir vécu quelque chose dans le recours de la vaccination pouvait trouver un numéro de téléphone à l'AFSSAPS et rapporter l'événement.
Je vais aller assez vite sur un certain nombre de commentaires en tant que membre, mais aussi en tant qu'utilisatrice.
M. François Autain, président - Oui, car nous approchons du terme.
Mme Catherine Weil-Olivier - Vu de mon petit point de vue, le fonctionnement des agences de sécurité sanitaire, s'est avéré opérationnel, ce qui était extrêmement positif.
Le Comité de lutte contre la grippe, a certainement été utile. Il s'est donné en tout cas les moyens de l'être en travaillant de façon acharnée et sans relâche pendant l'été. Il ne représente cependant qu'une partie modeste d'un vaste ensemble. Nous avons bénéficié, grâce aux médias, d'une certaine « visibilité ». Il est probable que beaucoup d'autres structures décisionnelles mériteraient sans doute une place équivalente. Le public n'a pas eu connaissance de ces rouages multiples et complexes. La vision est celle d'un système très complet, très structuré, très lourd, dont c'était une première mise en route et qui a pu donner l'impression d'une machine peu maniable et qui a été difficile à freiner.
M. François Autain, président - De l'extérieur, on n'a pas le sentiment que le Gouvernement a manifesté beaucoup de volonté à freiner cette machine.
Mme Catherine Weil-Olivier - Il m'est très difficile de vous répondre car je n'ai pas de lien avec le Gouvernement.
M. François Autain, président - C'est difficile à freiner, mais a-t-on essayé de freiner ? C'est la question que je me pose.
Mme Catherine Weil-Olivier - La question est ouverte. Elle est intéressante. Ce qui me paraît très utile c'est d'essayer d'évaluer le bénéfice apporté par les mesures prises. Pour cela, il faudra comparer ce qui est comparable. On l'a évoqué pour les pays de l'Est par rapport à l'Europe de l'Ouest. Il faut attendre les données de nos voisins, en essayant de récupérer le maximum d'informations et en évitant toute analyse polémique.
En conclusion, je crois qu'une prévention est rarement reconnue à sa juste valeur puisque la faible apparition du phénomène infectieux contre lequel les moyens ont été engagés fait apparaître ceux-ci comme disproportionnés. Personnellement, je n'exclus pas que le lavage des mains, l'usage même limité des antiviraux, mais probablement à bon escient par des médecins qui ont du bon sens, et l'usage même partiel de la vaccination, plus la masse des patients qui ont été infectés mais non malades, aient contribué à circonscrire cette vague infectieuse.
M. François Autain, président - Pour la vaccination, il faut que vous m'expliquiez. On l'a commencée le 25 novembre.
Mme Catherine Weil-Olivier - Non, on l'a commencé pour les professionnels de santé fin octobre.
M. François Autain, président - Je les mets de côté. Je parle de la population. On a commencé à la mi-novembre.
Mme Catherine Weil-Olivier - Elle a été proposée à la fin de la première quinzaine de novembre. J'ai un facteur de risques, j'ai été vaccinée le 15 novembre. Je n'ai pas tardé.
M. François Autain, président - Le professeur Bruno Lina que nous avons auditionné était très sceptique sur la protection individuelle qu'avait pu apporter cette vaccination face à la grippe A (H1N1)v, compte tenu du fait qu'elle était intervenue tardivement. Il était très réservé.
Mme Catherine Weil-Olivier - On peut se poser la question. Il ne me paraît pas déraisonnable d'envisager que, même débutée dans le courant du mois de novembre de façon un peu plus active, en particulier au moment où la grippe était ascendante, elle ait pu avoir un bénéfice. Cela a été un des facteurs. Ce n'est certainement pas un facteur prédominant.
M. François Autain, président - Quelqu'un vacciné le 15 novembre sera immunisé six semaines après. Cela fait fin décembre. Ce qui est tard.
Mme Catherine Weil-Olivier - Ce qui se passe dans la « vraie vie » n'est pas ce qui est observé dans un protocole randomisé, contrôlé, réalisé en double aveugle. On est toujours obligé de pondérer toutes les considérations théoriques qu'on peut avoir, les modélisations, les grands principes. Il faut les adapter en permanence à la vie de tous les jours.
Concernant les commentaires d'usagers du système de vaccination, je vous les ai dites : j'ai eu la chance d'avoir un centre de vaccination qui était bien organisé, qui fonctionnait. Il y a eu du monde. Je suis venue deux jours de suite, mais j'ai réussi à faire vacciner tous mes petits-enfants. Ils avaient reçu leurs bons. Je reconnais que je ne suis pas représentative, parce que je connaissais le contenu de la seringue, sa qualité et son efficacité. J'étais plutôt favorable. J'étais rassurée. Je n'ai pas eu d'éléments d'inquiétudes.
M. François Autain, président - Il y a eu plus de petits enfants non vaccinés que vaccinés. On peut le dire.
Mme Catherine Weil-Olivier - En tant que citoyenne, j'ai été frappée par l'agressivité des informations contre les vaccins qui dépassait tout bon sens, le désordre des communications, le flou et le flottement publics. Ceci doit aussi être une de nos leçons.
Je terminerai par quelques réflexions qui sont les suivantes : faire évoluer la communication, écouter la population, adosser le système de gestion des crises sanitaires aux structures déjà existantes, aux professionnels de santé déjà en place, anticiper et se préparer à de nouveaux phénomènes analogues ou différents à annoncer et à expliquer dans le calme.
M. François Autain, président - Je vous remercie, madame, de cette intervention. Nous allons pouvoir terminer cette audition, puisque j'ai pu vous poser toutes les questions que j'avais à vous poser. Je vous remercie infiniment de vous être livrée à cet exercice avec beaucoup de patience et de pédagogie.