Audition de M. John F. RYAN, chef de l'unité « Menaces pour la
santé »
au sein de la Direction générale de
la santé
et des consommateurs de la Commission
européenne
MM. Antoon GIJSENS et Nabil SAFRANY,
administrateurs
à la DG santé et consommateurs,
et de Mme Estelle
POIDEVIN,
représentant en France les services politiques
de la
Commission européenne
(mercredi 12 mai 2010)
M. François Autain, président - La séance est ouverte.
Mes chers collègues, nous accueillons M. John F. Ryan, chef de l'unité « Menaces pour la santé » au sein de la Direction générale de la santé et des consommateurs de la Commission européenne, accompagné de MM. Antoon Gijsens et Nabil Safrany, administrateurs à la DG santé et consommateurs, et de Mme Estelle Poidevin, représentant en France les services politiques de la Commission européenne.
Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, MM. John F. Ryan, Antoon Gijsens, Nabil Safrany et Mme Estelle Poidevin prêtent serment.
M. François Autain, président - Je vous remercie.
Je vous propose de nous faire part, dans un exposé liminaire, de votre jugement sur la gestion de la pandémie H1N1. M. le rapporteur vous posera ensuite des questions ainsi que les commissaires ici présents.
Vous avez la parole.
M. John F. Ryan - Je m'exprime ici au nom de la Commission européenne, qui m'a chargé de vous expliquer le rôle de la Commission et les interventions que nous avons effectuées pendant la pandémie H1N1.
C'est un grand plaisir d'être devant vous afin de répondre à vos questions.
Depuis 1999, la Communauté européenne a mis en place une législation qui a institué une surveillance des maladies transmissibles afin de coordonner les mesures à prendre en cas de maladie contagieuse.
Toutefois, le traité de l'Union ne prévoit pas d'harmonisation des législations nationales concernant la santé publique - sauf dans quelques cas exceptionnels.
La responsabilité de la gestion des crises sanitaires incombe donc principalement aux Etats membres, même si ceux-ci sont soumis à un devoir d'information mutuelle et de coordination de leurs actions par la législation communautaire.
J'aimerais faire trois autres remarques en parallèle.
Tout d'abord, un lien juridique a été établi dans la législation communautaire de 1999 entre les notifications faites au sein du système communautaire et celles faites par les Etats membres auprès de l'OMS en application du Règlement sanitaire international (RSI).
Deuxième remarque : le Conseil de l'Union européenne a constaté un manque de coordination en matière de crises sanitaires ; c'est pourquoi, même si nous n'avions pas la compétence juridique pour créer une législation en la matière, le Conseil a mis en place un comité de sécurité sanitaire destiné à assurer un échange d'informations et un bon niveau de préparation sanitaire. Ce comité repose sur une base informelle mais efficace : il permet aux Etats membres de communiquer en cas de crises sanitaires.
En troisième lieu, deux agences communautaires peuvent nous appuyer en cas de difficultés dans le domaine de la santé publique.
La première est une agence située à Stockholm, l'Agence des maladies transmissibles, créée en 2005, qui dispose des moyens d'analyse et de surveillance nécessaires quant à la gestion des risques dans ce domaine.
La seconde est l'Agence européenne des médicaments (EMA), située à Londres, qui est chargée de l'évaluation en commun des médicaments avant leur mise sur le marché communautaire.
La décision de mise sur le marché est prise par la Commission en application de la législation communautaire en la matière.
Après ces remarques liminaires, j'aimerais vous présenter les grandes étapes de la gestion de la pandémie au niveau communautaire.
En premier lieu, l'apparition du nouveau virus nous a été signalée par les Etats-Unis et le Mexique dans le cadre des contacts bilatéraux que nous avons avec eux de façon régulière. L'information a été ensuite rapidement confirmée par l'OMS.
La Commission a immédiatement pris l'initiative de convoquer des réunions entre les Etats membres afin d'examiner la situation sanitaire et d'étudier les mesures à conseiller aux Etats membres pour contrôler l'infection. Ces réunions regroupaient le comité de sécurité sanitaire et le comité réglementaire destiné à contrôler les maladies transmissibles, créé sur la base de la législation communautaire de 1999, ainsi que le Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies et l'EMA.
La première décision que nous avons prise a été de définir le virus au plan communautaire dès les premiers jours afin de permettre aux Etats membres de compter les cas de la même façon et sur la même base. Il s'agit d'une décision juridique applicable à tous les Etats membres.
Nous avons également impliqué les agences de Stockholm et de Londres, afin d'avoir un aperçu de l'ensemble du problème. Nous avons en outre étroitement associé l'OMS à nos discussions.
Ces réunions, qui se sont tenues par vidéoconférence, ont été convoquées quotidiennement afin d'apprécier l'évolution de la transmission de l'infection du H1N1 et d'examiner les mesures que nous pouvions suggérer aux Etats membres pour freiner celle-ci. Les comptes rendus de toutes ces réunions ont été publiés sur le site Internet de la Commission.
Nous avons toujours tenu, avec l'accord des Etats membres, à assurer la transparence des discussions.
Dans les premières phases de transmission du virus, les Etats membres ont surtout examiné les mesures à prendre vis-à-vis des voyageurs en provenance des zones infectées, les conseils à leur donner ainsi qu'aux personnes en partance vers ces zones.
Beaucoup de personnes avaient réservé des vacances au Mexique ou aux Etats-Unis : il fallait dispenser, dans les vingt-sept Etats membres, des conseils cohérents.
Nous voulions également donner des conseils au grand public quant aux mesures à prendre. Il n'y avait pas de vaccin à l'époque et on ne connaissait pas le danger potentiel de l'infection. Tout ce que l'on pouvait conseiller était de respecter certaines mesures d'hygiène - lavage des mains, port de masques en cas d'infection et utilisation éventuelle d'antiviraux.
Dans un second temps, nous avons adopté le même système de surveillance au plan communautaire pour permettre une surveillance rapide et efficace et la Commission a proposé pour cela une définition juridiquement contraignante de l'infection.
Le comité de sécurité sanitaire a également adopté trois déclarations publiques portant sur la stratégie vaccinale, c'est-à-dire les populations prioritaires à vacciner, la fermeture des écoles et le cas des personnes tombant malades à l'étranger.
A cette époque, beaucoup de ressortissants du Nord de l'Europe étaient dans l'hémisphère Sud, qui était infecté. On ne savait pas s'il fallait les renvoyer vers leur pays d'origine ou les traiter sur place et dans quelles conditions.
Ces trois décisions ont été prises assez rapidement par le comité de sécurité sanitaire.
Concernant le vaccin, la Commission avait adopté, en 2005, un plan de préparation à la lutte contre une pandémie proposant aux Etats membres la constitution de réserves de médicaments pouvant servir à prévenir ou à ralentir l'infection par un agent pandémique.
Certains Etats membres ont procédé à des commandes anticipées de vaccins pour prévenir le risque pandémique ; d'autres n'ont pas suivi cette approche qui n'était pas obligatoire
M. François Autain, président - Disposez-vous de la liste de ces pays ?
M. John F. Ryan - Oui.
M. François Autain, président - Pouvez-vous nous la communiquer ?
M. John F. Ryan - Certainement.
A l'apparition du virus H1N1, deux cas de figure se présentaient. Certain Etats membres disposaient d'importants stocks de vaccins et d'antiviraux et de commandes fermes ; d'autres ne disposaient que de stocks d'antiviraux, en quantité variable et n'avaient pas fait de commandes anticipées de vaccins.
La Commission a proposé alors d'aider les Etats qui n'avaient pas de stocks d'antiviraux et de vaccins à procéder à des appels d'offres nationaux en élaborant des cahiers des charges communs. C'est ce qui nous semblait le plus rapide pour pallier la pénurie de stocks face au très grand nombre de commandes auxquelles la production industrielle avait du mal à répondre.
Avec la Suède, qui assurait la présidence, ainsi que certains autres Etats, nous avons donc repris les appels d'offres nationaux et essayé de créer une base commune pour accélérer le processus.
Par ailleurs, en Bulgarie, à la suite d'une rupture de stocks d'antiviraux, nous avons créé un système d'aide mutuelle entre les Etats membres. La Commission a joué un rôle de médiateur entre les pays qui avaient trop de stocks et ceux qui n'en avaient pas assez, et a coordonné l'aide apportée à la Bulgarie
M. François Autain, président - Dans quelle catégorie placez-vous la France ?
M. John F. Ryan - La France avait suffisamment de stocks et pouvait aider éventuellement les pays qui n'en avaient pas.
M. François Autain, président - L'a-t-elle fait ?
M. John F. Ryan - Je ne sais pas. Je sais que le Royaume-Uni a fourni un stock important à la Bulgarie. C'est le seul pays qui, à l'époque, ait proposé de le faire.
M. François Autain, président - Mais pas la France ?
M. John F. Ryan - Il ne me semble pas - mais il faut que je vérifie.
Il s'agissait d'une demande urgente de la Bulgarie, où les pharmacies des hôpitaux ne disposaient pas de stocks. Nous avons essayé de les aider.
Troisièmement, la décision prise par la Commission, sur la base des essais cliniques, de diminuer le nombre de doses de vaccin de deux à une a complètement changé la donne et les pays membres qui avaient prévu d'administrer deux doses à la population disposaient du double des quantités nécessaires.
Nous avons donc essayé, à ce stade, de voir si l'on ne pouvait pas organiser un transfert volontaire entre les pays qui avaient trop de stocks et ceux qui n'en avaient pas assez, assurant là notre rôle de médiateur et de coordinateur.
A la suite de la crise assez dramatique survenue en Ukraine, la Commission s'est également mobilisée pour acheminer des stocks d'antiviraux et de vaccins vers ce pays ; nous y avons en outre envoyé des experts médicaux.
Il convient de signaler qu'en parallèle à cet effort de coordination au niveau du comité de sécurité sanitaire, le Conseil des ministres de la santé de l'Union européenne s'est réuni à quatre reprises pour discuter de la crise ; la Commission, pour alimenter les débats, a adopté, en septembre, une communication, ainsi que cinq documents de travail qui examinaient en détail les différents aspects de la gestion du problème. On peut vous donner copie de ces documents si vous ne les avez pas reçus.
Ils traitent des questions de vaccination, de prévention et de communication avec le public ; tous ces aspects ont ensuite été examinés par les ministres.
Pour améliorer la qualité de la coordination internationale, la Commission a aussi convoqué une réunion du G7, plus le Mexique, constituant l'« Initiative globale de sécurité sanitaire ».
M. François Autain, président - A quelle date ?
M. John F. Ryan - En décembre, je crois.
Les pays membres de ce groupe ont tout au début joué un rôle assez important car c'est précisément là qu'a commencé l'infection.
Enfin, j'aimerais attirer votre attention sur une démarche d'évaluation en cours au sein des institutions communautaires sur la gestion de la pandémie.
La future présidence belge, qui débute dans la seconde partie de l'année, organise avec la Commission, les 1 er et 2 juillet, une conférence visant à examiner ces questions.
Elle sera suivie immédiatement après par un Conseil des ministres informel, les 5 et 6 juillet, sur la gestion de la crise et l'évaluation de la situation. Certains documents sont déjà disponibles et on peut vous les communiquer.
M. François Autain, président - Cela nous intéresserait. Il s'agit donc d'une comparaison de la gestion de la pandémie entre les pays de l'Union européenne ?
M. John F. Ryan - C'est cela.
La Commission a demandé à une agence extérieure d'analyser l'action communautaire. Cette évaluation est menée avec l'appui des Etats membres.
M. François Autain, président - Cette enquête comporte-t-elle des informations sur les résultats comparatifs ? En Pologne, où l'on n'a pas vacciné, y a-t-il, par exemple, eu plus de morts qu'en Suède où on a beaucoup vacciné ?
M. John F. Ryan - La Pologne va fournir certains éléments et la Suède va en apporter d'autres. Il y aura donc certainement une comparaison. Il existe déjà un rapport disponible sur les quatre premiers mois de la crise. Pour ce qui est de la stratégie vaccinale, l'enquête est en cours ; elle sera terminée pour le mois de juin.
L'idée est d'avoir les deux volets pour la discussion en juillet et de les mettre sur la table afin que les ministres décident ce qu'il convient de faire la prochaine fois.
Il est notamment question, avant la fin de 2010, de revoir le plan pandémie conçu en 2005 à la lumière de cette expérience. Il faudrait également, en liaison avec l'OMS, réfléchir à la définition de la pandémie, qui devrait être la même au niveau de la Communauté européenne et au niveau de l'OMS. La déclaration de pandémie a en effet des incidences au niveau de la Communauté, par exemple dans le domaine de la législation pharmaceutique car il faut une déclaration de pandémie pour permettre l'application des procédures spécifiques d'autorisation des vaccins pandémiques. Il est donc indispensable d'avoir en ce domaine une approche commune et d'éviter tout problème de cohérence.
M. Alain Milon, rapporteur - Cette redéfinition devrait-elle faire référence à la notion de gravité de la pandémie ?
M. John F. Ryan - Il faudrait en effet pouvoir prendre en considération cette notion, car il peut y avoir les infections géographiquement très répandues mais qui ne sont pas graves : on peut donc avoir un phénomène de dissémination importante d'une maladie sans pour autant pouvoir parler de pandémie. La pandémie est un mot que l'on pourrait qualifier de « nucléaire » : quand on déclare une pandémie cela déclenche un certain nombre de choses, cela provoque, pour ainsi dire, toute une série de « réactions en chaîne ». La déclaration de pandémie a des conséquences en matière d'application de la législation pharmaceutique communautaire, mais elle en a aussi, au niveau des Etats membres, par exemple, en entraînant la constitution de cellules de crise. C'est un moment clé des processus décisionnels : une identité de vues entre l'OMS et la Communauté est essentielle.
M. François Autain, président - On peut imaginer une définition qui n'aurait pas permis à l'OMS de déclarer la grippe H1N1 comme une pandémie, puisqu'il s'est avéré qu'elle n'était pas plus grave qu'une grippe saisonnière.
M. John F. Ryan - A l'époque, on ne le savait pas !
M. François Autain, président - Mais on l'a su assez vite ! Le 11 juin, même les déclarations de Mme Margaret Chan ne cadraient pas avec la gravité qu'implique la déclaration d'une pandémie dans notre esprit. On a oublié que le règlement avait été changé quelques semaines avant, gommant complètement la dimension relative à la gravité ou à la sévérité du virus !
M. John F. Ryan - C'est une interprétation que réfute l'OMS, qui nie avoir changé les règles.
M. François Autain, président - En effet, mais elle est actuellement évoquée.
M. John F. Ryan - En effet.
Le plan communautaire contre la pandémie doit impérativement tirer les leçons de ces événements, comme on l'a fait pour le SRAS à l'époque, sans jeter la pierre aux uns ni aux autres.
Il est de notre devoir de réaliser une évaluation sérieuse avec les Etats membres mais aussi avec l'OMS qui est également en train de procéder à une évaluation qui sera présentée en janvier prochain à Genève.
M. François Autain, président - Nous aurons rendu notre rapport : il sera trop tard pour nous !
M. John F. Ryan - Nous devons également réviser notre législation communautaire en matière de santé publique, qui est apparue assez faible. En effet, les Etats membres auraient fort bien pu refuser de nous donner des informations.
On aurait donc pu avoir vingt-sept approches différentes du contrôle de la transmission de l'infection, ce qui aurait pu constituer un grand danger pour le marché intérieur - libre circulation, transfert des marchandises, des personnes, des services. Tout cela repose sur une étroite collaboration.
Je suis à présent disposé à répondre à toutes vos questions.
M. François Autain, président - La parole est au rapporteur.
M. Alain Milon, rapporteur - La procédure des « mock-up vaccines » a-t-elle permis d'obtenir tous les résultats escomptés en termes de raccourcissement des délais d'autorisation des vaccins pandémiques ? Comment s'explique la plus grande célérité de la procédure américaine d'autorisation des vaccins pandémiques ? L'Union européenne pourrait-elle s'inspirer en ce domaine de l'exemple américain ?
M. John F. Ryan - Si on analyse le fonctionnement de notre législation en matière pharmaceutique, il semble que la procédure des « maquettes » a très bien fonctionné, en ce sens que nous avons pu développer les vaccins, les évaluer et les approuver dans un temps record, quatre mois après la mise à disposition de la souche pandémique.
Il faut dire que la FDA américaine conçoit les vaccins pandémiques d'une autre façon que la nôtre. Leur système est différent mais, du point de vue de la législation communautaire, la mise sur le marché communautaire a été très rapide.
M. François Autain, président - Beaucoup moins qu'aux Etats-Unis en ce qui concerne certains vaccins, pour lesquels on compte deux mois de différence !
M. John F. Ryan - Cela aurait pu être l'inverse. Notre système impliquant vingt-sept pays différents, les choses sont un peu plus compliquées. Si le système de la FDA impliquait également le Canada, le Mexique et l'Amérique du Sud, il aurait peut-être pris plus de temps !
Le système communautaire est bien rodé et a bien fonctionné. Quatre mois, ce n'est rien par rapport aux délais nécessaires à l'approbation d'un médicament dans des conditions normales. Pour moi, cela a bien fonctionné.
M. François Autain, président - Les laboratoires que nous avons auditionnés nous ont répondu qu'en France, ce retard, chiffré à deux mois, était uniquement dû à notre réglementation.
Pourquoi ne pas essayer de nous rapprocher de la réglementation américaine dans ce domaine qui semble avoir donné satisfaction ? Existe-t-il des raisons objectives qui nous empêchent de nous rapprocher de cette législation ?
M. John F. Ryan - Le problème provient du fait que les vaccins américains ne contenaient pas d'adjuvants. C'est sujet à débat.
M. François Autain, président - Je trouve cela plutôt bien !
M. John F. Ryan - Cela dépend : il y a aussi la question de l'efficacité du vaccin.
Ceci est sous la responsabilité de l'Agence du médicament et de mes collègues chargés de l'approbation du médicament.
M. François Autain, président - Nous leur avons aussi posé ces questions.
M. Alain Milon, rapporteur - La procédure européenne, comme la procédure américaine, est centralisée, quel que soit le nombre d'Etats. L'excuse du nombre ne semble donc pas être suffisante pour expliquer les différences de délai.
M. John F. Ryan - Je ne sais si les Etats américains ont le même niveau de représentation au sein de l'Agence qu'en Europe...
M. François Autain, président - Je ne crois pas, en effet !
M. John F. Ryan - C'est peut-être plus compliqué - mais je ne suis pas expert en la matière.
M. François Autain, président - Les experts de la FDA ne sont pas, bien entendu, recrutés en fonction de leur lieu d'habitation ou de leur provenance.
M. Alain Milon, rapporteur - Était-il vraiment impossible que la validation par l'EMA du schéma de vaccination à une seule injection intervienne avant la fin novembre 2009 ? Certains Etats membres ont-ils anticipé cette position ?
M. John F. Ryan - Certains Etats membres nous ont poussés à prendre la décision le plus rapidement possible. Notre système d'évaluation fonctionne sur la base d'une agence indépendante : la Commission a voulu attendre l'avis officiel de l'Agence de Londres avent de changer le schéma vaccinal.
Aurait-elle pu agir plus rapidement ? Les agents du ministère de la santé, en France, ont félicité la Commission pour la rapidité de ces décisions.
M. François Autain, président - Certains Etats membres ont-ils anticipé la décision ?
M. John F. Ryan - Pas à ma connaissance.
M. Alain Milon, rapporteur - L'EMA nous a indiqué qu'elle avait communiqué à la Commission, en mai 2009, un document mettant à la disposition des Etats membres toutes les données réglementaires et scientifiques sur les différentes possibilités de se procurer des vaccins pandémiques, soit à partir de la procédure européenne des dossiers « mock-up », soit, au niveau national, à partir de vaccins saisonniers. Pouvez-vous nous communiquer ce document ?
Pouvez-vous nous donner des précisions sur les différents choix nationaux entre les « options » ainsi proposées ?
M. John F. Ryan - Je n'ai pas connaissance de ce document. S'il émane de l'Agence, il vaut mieux le lui demander. Je crois qu'elle ne fera aucun problème pour vous le donner.
En second lieu, les politiques de vaccination varient d'un pays à l'autre et tout d'abord en fonction des moyens budgétaires. C'est le fondement du problème.
Certains Etat membres ont mis suffisamment d'argent de côté pour la préparation à la pandémie : ils ont fait des commandes à l'avance, constitué des stocks d'antiviraux et de masques, mis en place des systèmes de préparation. D'autres ne l'ont pas fait. C'est souvent un choix budgétaire.
Certains pays baltes sont en train de fermer des hôpitaux parce qu'ils n'ont pas suffisamment d'argent pour les maternités par exemple.
M. François Autain, président - Nous en fermons aussi !
M. John F. Ryan - Si vous aviez le choix entre maintenir ou laisser ouverts des hôpitaux et investir dans une pandémie qui risque d'arriver, le choix serait vite fait. Cela explique, selon moi, une large part de la différence d'approche.
M. François Autain, président - Pensez-vous que si la Pologne a renoncé à la vaccination, c'est uniquement pour des raisons budgétaires ? Cela ne nous est pas présenté comme cela ! Il ne m'a pas semblé entendre la ministre de la santé polonaise invoquer des raisons budgétaires pour expliquer cette stratégie. Bien au contraire, ce sont des raisons liées au principe de précaution - elle a beaucoup critiqué le vaccin - et aussi, d'après ce que j'ai cru comprendre, pour des raisons tenant à la menace elle-même.
M. John F. Ryan - Cela se peut. Je ne veux pas commenter le cas de la Pologne mais tous les Etats membres étaient sur la même longueur d'ondes. Une approche commune a été adoptée au mois d'août au sein du comité de sécurité sanitaire concernant les populations à vacciner.
Par ailleurs, chaque Etat membre a certainement considéré les aspects budgétaires liés à l'achat des vaccins.
Enfin, il est possible qu'un Etat membre ait eu une autre appréciation de la gravité de la situation, mais il me semble bizarre que cette appréciation soit limitée à un seul Etat membre alors que les vingt-six autres ont décidé la vaccination.
M. François Autain, président - La Hongrie n'a pas utilisé le même procédé de vaccination. On m'a dit qu'il s'agissait d'un vaccin de type saisonnier.
M. John F. Ryan - Je ne crois pas. Nous pouvons vous fournir les éléments en notre possession...
M. François Autain, président - C'est donc une fausse information !
M. John F. Ryan - Je ne dis pas cela ! Selon mon information, il s'agit d'un produit appelé Omninvest, qui est un vaccin avec adjuvant, approuvé seulement pour l'utilisation en Hongrie.
Beaucoup de Polonais sont allés en Hongrie pour l'acheter parce qu'il n'était pas disponible en Pologne.
La Roumanie, quant à elle, avait une production nationale propre ; elle a donc fabriqué ses propres vaccins.
A ma connaissance, aucun Etat membre n'a utilisé le vaccin saisonnier qui n'aurait pas fourni de protection.
M. François Autain, président - Je me suis mal fait comprendre : il s'agissait d'un vaccin fabriqué sur le type saisonnier. Ce n'était pas le vaccin saisonnier classique.
M. John F. Ryan - C'est possible.
M. François Autain, président - Comme aux Etats-Unis, en quelque sorte...
M. John F. Ryan - Dans certains cas, l'Allemagne a choisi d'importer des vaccins de l'Australie. On a donc plusieurs cas d'espèce. Même si la Communauté a approuvé un certain nombre de vaccins, certains pays ont produit ou fabriqué leur propre vaccin.
Pour l'Ukraine, il y a eu une concurrence entre les fabricants communautaires et les fabricants russes. L'Ukraine étant partagée en deux, la partie Ouest est fournie par les fabricants communautaires et la partie Est par les Russes.
M. Alain Milon, rapporteur - La Commission dispose-t-elle de données comparatives sur les politiques vaccinales mises en oeuvre par les différents Etats membres (populations visées, importance des commandes de vaccins, dispositif de vaccination) et sur leurs résultats en termes de proportion de la population couverte par la vaccination ?
M. John F. Ryan - Oui. Nous avons des tableaux que l'on peut vous fournir. Il faut que je demande d'abord aux Etats membres la permission de le faire, certaines informations étant considérées comme pouvant toucher à la sécurité nationale.
Ces informations ayant déjà été fournies au Parlement européen, je ne vois pas ce qui pourrait s'y opposer...
M. François Autain, président - Vous pouvez donc nous les communiquer puisque vous les avez communiquées au Parlement européen !
M. John F. Ryan - J'ai demandé la permission avant de le faire. C'est une formalité.
Certains Etats membres ont décidé de vacciner tout le monde ; d'autres ont décidé de vacciner les groupes cibles, d'autres encore les politiciens, les fonctionnaires, les personnels de santé, etc.
Il y a différentes gradations dans les politiques vaccinales ; cela dépendait aussi de la situation des commandes.
Si on avait commandé pour tout le monde, on pouvait être plus large avec l'approche.
M. Alain Milon, rapporteur - Avez-vous des éléments sur l'utilisation des vaccins initialement commandés, le nombre de commandes passées par les Etats et le fait que certains Etats soient revenus sur leurs commandes initiales ?
M. John F. Ryan - On a les pourcentages de personnes vaccinées dans les Etats membres.
M. Alain Milon, rapporteur - Il pourrait être intéressant que vous nous les communiquiez.
Par ailleurs, Mme Roselyne Bachelot-Narquin a regretté devant notre commission d'enquête qu'il n'y ait pas eu de stratégie coordonnée des Etats de l'Union européenne en ce qui concerne la négociation des achats de vaccins. La Commission européenne partage-t-elle ce sentiment ? Y a-t-il eu cependant des échanges entre les Etats membres sur ces négociations ?
M. François Autain, président - J'ai lu dans un journal professionnel qu'il avait été commandé au total, au niveau mondial, un milliard de doses de vaccins et que seulement 200 millions de doses avaient été utilisés. Ces chiffres sont-ils crédibles ou non ?
M. John F. Ryan - J'ai eu connaissance de la même estimation.
M. François Autain, président - Appelle-t-on cela de la précaution ou du gaspillage ?
M. John F. Ryan - Non. Il faut rappeler qu'il était d'abord prévu d'utiliser deux doses.
M. François Autain, président - Cela fait 400 millions : il reste encore 600 ! Cela fait beaucoup ! Peu importe...
M. John F. Ryan - Je ne dis pas qu'une approche communautaire aurait résolu le problème !
Pour en revenir à ce qu'a dit madame la ministre, la Commission a déjà dans le passé, à deux reprises, essayé de pousser la barque de la coordination communautaire en matière d'approche commune.
Pour ce qui concerne le Tamiflu, nous avions proposé, en 2006, aux ministres de la santé la création d'un stock commun d'antiviraux pour pouvoir éventuellement faire face aux besoins qui auraient pu se manifester quelque part dans un territoire communautaire.
Ceci a été à chaque fois refusé par les ministres de la santé, la moitié étant pour et l'autre moitié contre. Cette décision exigeant un consensus, on n'a pas pu avancer et le commissaire de l'époque, M. Kyprianou, avait renoncé.
Pour ce qui est de la vaccination contre le HPV - vaccin coûteux - il nous avait semblé important, s'agissant de la santé des femmes et de leur protection contre le cancer, de faire un effort de coordination communautaire.
Les Etats membres ont également insisté sur leur souveraineté et ont souhaité conserver leur pouvoir de décision nationale.
Grâce à la pandémie H1N1, nous avons fait progresser l'idée d'appels d'offres communs et celle d'un « stock communautaire virtuel » pour permettre aux pays ayant trop de stocks de les partager avec d'autres. Cela a fonctionné avec la Bulgarie, l'Ukraine et d'autres Etats membres, certains ayant acheté aux autres. Ces expériences seront à creuser et le Conseil des ministres nous a précisément demandé l'année dernière d'examiner les possibilités de création de tels systèmes.
M. Alain Milon, rapporteur - Est-il logique, au regard du droit communautaire, que les Etats membres aient accepté d'assumer la responsabilité des dommages éventuels consécutifs à l'utilisation de vaccins ayant bénéficié d'une AMM ?
M. John F. Ryan - Le droit communautaire prévoit que la responsabilité incombe au fabricant.
Il ne peut donc s'agir que des exceptions prévues dans le cadre des contrats passés individuellement avec les fournisseurs et les pays membres commanditaires. Mais je ne connais pas ces contrats, qui étaient couverts pas des clauses de confidentialité.
De telles clauses pourraient avoir une certaine logique si les prix avaient baissé en conséquence.
Il se peut qu'il y ait eu un changement de prix en conséquence mais je n'ai pas copie des contrats ni connaissance des négociations.
M. Alain Milon, rapporteur - La morbidité et la mortalité liées à la grippe H1N1 ont-elles substantiellement varié dans les Etats membres en fonction des différentes politiques antipandémiques nationales ?
M. John F. Ryan - Pas énormément...
M. François Autain, président - C'est l'impression que l'on a !
M. John F. Ryan - Mais il est trop tôt pour le dire car certaines études sont en cours pour étudier les déclarations de décès.
Aux Etats-Unis, certaines études qui ont été publiées, et dont je puis vous donner les références, font état du fait que la mortalité prématurée due à la pandémie pourrait être quatre fois supérieure à celle estimée actuellement.
Ceci est dû aux différences entre l'indication figurant sur les déclarations de décès et les véritables raisons qui peuvent être liées à la pandémie.
Le problème vient du fait que lorsque les responsables déclarent la cause du décès, il ne s'agit pas toujours de la grippe pandémique H1N1 ; les statistiques sont donc faussées et il faut engager des études, en cours actuellement, pour identifier les implications communautaires du H1N1.
M. François Autain, président - Pourrez-vous nous fournir ces chiffres ?
M. John F. Ryan - Certainement !
M. Alain Milon, rapporteur - Peut-on faire un parallèle avec la grippe saisonnière ?
M. John F. Ryan - Oui, on peut dire que cette pandémie était moins nocive mais elle a aussi affecté une population différente, composée de jeunes et des femmes enceintes.
M. Alain Milon, rapporteur - Je me suis mal exprimé : on n'a nulle part d'études sur les morts provoquées par la grippe saisonnière. Certains estiment que l'on vaccine contre la grippe saisonnière sans en connaître véritablement le résultat, ni sans savoir si cela sert à quelque chose. Pourrait-on faire de telles études ?
M. John F. Ryan - Il existe des chiffres sur la grippe saisonnière mais on en revient au même problème : les statistiques - sauf si l'on fait une analyse sanguine - ne sont pas des plus fiables.
M. Alain Milon, rapporteur - Serait-il concevable d'harmoniser, au niveau européen, de « bonnes pratiques » en matière d'organisation de l'expertise sanitaire, de prévention et de gestion des conflits d'intérêts ?
M. John F. Ryan - S'agissant de la gestion des conflits d'intérêts, les agences communautaires et la Commission ont déjà des règles en vigueur.
Quelqu'un qui est engagé par un comité scientifique ou qui fournit des conseils à une agence pour élaborer une analyse de risques est obligé de déclarer ses liens d'intérêts ; ces déclarations sont publiées. La transparence est notre plus grande alliée en la matière. C'est souvent grâce à la publication des CV ou des déclarations d'intérêts sur Internet que l'on met à jour certains liens d'intérêts
J'en ai fait moi-même l'expérience : alors que j'étais sur le point de nommer une personne dans un comité scientifique, une ONG m'a informé que celle-ci travaillait pour l'industrie du tabac quinze ans auparavant - ce qu'elle n'avait pas déclaré !
Vous avez posé la question de savoir si nous menons une coordination sur les préventions. Oui, nous réalisons bien une coordination sur les préventions au sein des différentes agences. Ainsi, l'Agence de Stockholm sur les maladies transmissibles a fourni au long de la pandémie des avis scientifiques sur les meilleures pratiques visant à protéger les personnes.
M. Marc Laménie - J'aurais une question sur les statistiques, même si M. John Ryan a évoqué les difficultés pour obtenir des données précises.
A-t-on une idée du nombre de décès liés à la pandémie ? Je reconnais que les données précises directes ou indirectes doivent être très difficiles à obtenir.
M. John F. Ryan - Les chiffres que l'on a reçus de notre agence commune avec l'OMS s'élevaient à 15 500 au niveau mondial ; au niveau communautaire, on en déplorait 3 000, soit un total de 18 200 mais les statistiques sont à traiter avec beaucoup de prudence : on peut déclarer des décès pour d'autres raisons que la grippe H1N1.
C'est encore plus important en ce qui concerne les taux d'infection. Au début, on testait tout le monde et chaque personne était suivie individuellement. On traquait vraiment l'infection.
Après un certain temps, le nombre s'est révélé trop important, on n'a pu contrôler chaque cas. Les chiffres sont donc vraiment approximatifs, surtout en matière d'infection.
Mme Christiane Kammermann - A-t-on pu tirer un enseignement des décès constatés - à l'aide d'autopsies, par exemple - de façon à faire davantage de recherches et de contrôles de ce qui s'est passé durant la maladie et au moment du décès ?
M. John F. Ryan - Je ne dirais pas que l'on a appris énormément de choses grâce aux décès mais on a certainement tiré une expérience du traitement des patients lors de la maladie. Les hôpitaux de certains Etats membres étaient submergés. Au Portugal et en Grèce, les unités de soins intensifs étaient submergées par des cas de H1N1 et l'on devait évacuer les autres patients.
Les pays qui avaient une certaine réserve de lits, comme la France ou l'Allemagne, étaient mieux lotis que d'autres. Les petits Etats membres étaient en grande difficulté face aux personnes qu'ils devaient placer sous assistance respiratoire.
On a ainsi appris qu'il fallait aider les hôpitaux à acquérir des équipements supplémentaires, à dispenser des formations et à avoir du personnel en plus pour absorber ces situations.
Mme Christiane Kammermann - Les hôpitaux ne sont jamais submergés par la grippe saisonnière.
M. John F. Ryan - Non, mais il ne faut pas mettre les gens sous assistance respiratoire dans ces cas là.
Les femmes enceintes infectés par le H1N1 ou les jeunes avaient souvent besoin d'une respiration artificielle et le nombre d'équipements disponibles dans ces hôpitaux était limité. C'était une question de capacité.
Mme Christiane Kammermann - Si une pandémie survenait maintenant, serait-on mieux équipé ? En aurait-on tiré un enseignement ?
M. John F. Ryan - Non, pas encore. On voulait précisément réaliser cette évaluation de la gestion de la crise, que l'on a commencée en temps réel. La Commission a signé le contrat pour l'évaluation en même temps que le début de la crise, au mois d'avril dernier.
On attend maintenant d'avoir les deux rapports que j'ai mentionnés pour présenter aux ministres, en juillet, les leçons que l'on en a tirées, les changements nécessaires sur le plan communautaire et ceux concernant l'OMS.
Mme Christiane Kammermann - C'est très important car cela reviendra !
M. John F. Ryan - Certainement. Le plus important est qu'il me semble que l'on a perdu quelque peu l'appui du public dans tout cela !
M. François Autain, président - C'est le moins que l'on puisse dire !
M. John F. Ryan - Vous ne m'avez pas posé de questions sur la communication mais il me semble qu'il est fondamental que l'on puisse communiquer avec le public en matière de risques. Si quelque chose arrivait demain et que la Communauté européenne conseillait de se faire vacciner, les citoyens ne le feraient pas, du fait de ce qui est arrivé.
C'est le drame auquel nous sommes confrontés actuellement. Il s'agit de définir une stratégie de communication réaliste en adéquation avec les données scientifiques. Il faut que la communication puisse évoluer avec le temps. Si l'on voit que la situation n'est pas aussi dramatique que prévu, il faut moduler les messages !
M. François Autain, président - Vous avez raison mais on a le sentiment que le message n'a pas été modulé et que l'on n'a pas tenu compte de l'évolution du risque au fur à mesure que le temps s'écoulait.
C'est en effet fort dommageable pour la suite : la parole publique a perdu de sa crédibilité. La prochaine fois, on aura peut-être du mal à être suivi par l'opinion - quoique, si l'on s'aperçoit sur le terrain que le risque est élevé, je pense que l'opinion comprendra très vite qu'il y a lieu de se faire vacciner.
Plus personne ne demandant à intervenir, il me reste à vous remercier infiniment, monsieur Ryan, pour la contribution que vous avez apportée à notre réflexion.