Audition de M. Daniel FLORET,
professeur de pédiatrie à l'université Claude-Bernard de Lyon,
président du Comité technique des vaccinations rattaché à la commission maladies transmissibles du Haut Conseil de la santé publique (HCSP)
(mercredi 31 mars 2010)

M. François Autain, président - Nous accueillons aujourd'hui M. Daniel Floret, professeur de pédiatrie à l'université Claude-Bernard de Lyon, président du Comité technique des vaccinations (CTV) rattaché à la commission maladies transmissibles du Haut Conseil de la santé publique (HCSP).

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Daniel Floret prête serment.

M. François Autain, président - Je vous demanderai également, puisque cette audition est publique, en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître si vous avez des liens d'intérêts avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseils intervenant sur ces produits.

M. Daniel Floret - Mes liens sont publics. Je suis président du Comité technique des vaccinations et tous les membres du Comité technique des vaccinations font une déclaration de leurs liens d'intérêts. Je n'ai actuellement aucun lien avec l'industrie pharmaceutique. Je ne perçois pas d'argent de l'industrie pharmaceutique, mais j'ai travaillé avec l'industrie pharmaceutique, je ne le cache pas.

M. François Autain, président - Il y a combien d'années ?

M. Daniel Floret - Je suis président du Comité technique des vaccinations depuis 2007. J'avais déjà arrêté avant, puisque j'étais membre du Conseil supérieur d'hygiène publique de France. J'étais par ailleurs expert à l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS). Depuis très longtemps, je ne percevais pas d'argent de l'industrie parce que j'estimais que depuis 2000, ma déontologie, étant à l'AFSSAPS, puis au Haut Conseil de la santé publique (HCSP), m'interdisait de percevoir de l'argent.

M. François Autain, président - Depuis dix ans, vous n'avez plus de liens d'intérêts.

M. Daniel Floret - Je n'ai pas de conflits d'intérêts, c'est-à-dire que je n'ai pas de lien qui me crée des situations de dépendance. Je ne perçois pas d'argent de l'industrie, je ne fais pas de conseils, je n'interviens absolument pas avec l'industrie.

M. François Autain, président - Vous savez qu'il y a une nuance entre lien d'intérêts et conflit d'intérêts.

M. Daniel Floret - Je vais le développer.

M. François Autain, président - Dans la déclaration que vous avez faite, déclaration qui remonte au 30 octobre 2009, vous faites état d'un certain nombre de liens. Vous reconnaissez avoir eu des liens, mais le conflit d'intérêts, c'est autre chose. Nous ne vous posons des questions que sur les liens uniquement.

M. Daniel Floret - C'est ce que j'ai déclaré. Comme vous pouvez le voir, ces liens, notamment tout ce qui est travaux scientifiques, se sont arrêtés.

M. François Autain, président - Comme nous sommes pressés, nous les avons là. Ils sont publics. Si on avait eu le temps, on aurait pu demander pourquoi ils sont venus si tard.

M. Daniel Floret - Ils ne sont pas venus très tard, monsieur le président. Ma déclaration d'intérêts a été faite lors de ma prise de fonctions au CTV, et même avant. J'ai été au Conseil supérieur d'hygiène publique de France, je faisais une déclaration d'intérêts. J'étais à l'AFSSAPS, je faisais une déclaration d'intérêts.

M. François Autain, président - Je parle des membres du Comité technique des vaccinations.

M. Daniel Floret - Les membres du Comité technique des vaccinations ont fait leur déclaration d'intérêts à leur prise de fonctions.

M. François Autain, président - Je ne comprends pas pourquoi cela n'a été rendu public qu'en novembre 2009, qu'il ait fallu attendre fin 2009.

M. Daniel Floret - Il faut poser la question à qui de droit.

M. François Autain, président - A qui ?

M. Daniel Floret - A l'administration. Au secrétariat général du Haut Conseil de la santé publique. Tous les membres du CTV ont fait une déclaration d'intérêts à leur prise de fonctions. Je suis tout à fait formel là-dessus.

M. François Autain, président - Cela correspond à ce qui nous a été dit précédemment. C'est l'administration qui, semble-t-il, n'a pas fait son travail. Vous avez la parole, monsieur le président.

M. Daniel Floret - L'expertise sur la vaccination contre la grippe A (H1N1)v a été effectuée par le Comité technique des vaccinations et par la commission spécialisée des maladies transmissibles du Haut Conseil de la santé publique.

Entre le 25 avril 2009 et le 31 janvier 2010, le CTV a émis douze avis en réponse à des saisines du directeur général de la santé. Ces saisines comportaient pour la plupart des questions multiples et complexes. Durant cette période, le CTV a tenu dix réunions plénières, la plupart exceptionnelles, c'est-à-dire non programmées auparavant. Ces réunions ont été suivies d'autant de réunions de la commission spécialisée des maladies transmissibles.

Devant l'évolutivité de la situation, la nécessité de répondre à des saisines en urgence et la disponibilité limitée des experts, le CTV a décidé de s'appuyer sur une structure qui existait auparavant : le Comité de lutte contre la grippe (CLCG), lequel assurait une veille sur la grippe, en regroupant de nombreux experts, dont six appartenaient au CTV et quatre appartenaient également à la commission spécialisée des maladies transmissibles. Les présidents de ces deux commissions, notamment, sont des membres de droit du Comité de lutte contre la grippe.

Ainsi il a été demandé au Comité de lutte contre la grippe de fonctionner comme un groupe de travail du CTV, dès lors qu'il examinait les problématiques des vaccins. De ce fait, les avis les plus importants ont été élaborés sur un système à trois niveaux avec une réflexion initiale au niveau du Comité de lutte contre la grippe : la discussion, la formalisation d'un projet d'avis par le CTV sur la base des travaux initiaux du Comité de lutte contre la grippe et la validation par la commission spécialisée de l'Assistance publique.

Je peux dire qu'à tous les niveaux, l'expertise a été collégiale et pluridisciplinaire. Cette expertise s'est appuyée à chaque étape sur les données épidémiologiques nationales et internationales, collectées par l'Institut de veille sanitaire (InVS) qui est membre de droit du CTV et qui est présent à chacune des étapes de l'expertise. L'AFSSAPS a également été présente en permanence à chacune des étapes, apportant des informations sur la progression des connaissances des vaccins pandémiques en développement, sur l'évolution de leur statut réglementaire au niveau européen, comme au niveau national.

Les structures ayant participé à l'expertise comportent des experts venant de tout bord, représentant toutes les spécialités intéressées au problème de la vaccination, avec notamment une balance recherche, qui a été concernée à travers des travaux de modélisations réalisés par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM).

Quelles ont été les recommandations du CTV ? Elles ont été de cibler les sujets les plus exposés et les plus à risques de développer une forme grave, ceci en fonction des données épidémiologiques qui nous arrivaient au compte-gouttes des autres pays, et ensuite au niveau national.

La recommandation de pouvoir proposer la vaccination à tous ceux qui la souhaiteraient relevait du principe d'égalité, d'ailleurs avancé également par les comités d'éthique. L'hypothèse d'une vaccination obligatoire a été écartée d'emblée. Compte tenu de la mise à disposition progressive des vaccins, le CTV a dû se prononcer sur des ordres de priorité. Il a par ailleurs déterminé les populations à qui il devrait proposer un vaccin sans adjuvant et adapter les schémas vaccinaux au fur et à mesure de la connaissance des résultats des essais cliniques.

Les avis du CTV ont été élaborés au sein de réunions longues, difficiles, animées, au cours desquelles chacun a pu s'exprimer. Ces réunions ont terminé l'élaboration de textes quasi consensuels, puisque sur les votes au niveau du CTV il n'y a jamais eu un seul avis contre. Il y a eu au maximum deux abstentions. Les avis de la commission spécialisée des maladies transmissibles ont été pratiquement tous votés à l'unanimité.

Depuis les alertes pandémiques au virus H5N1, le Comité de lutte contre la grippe a auditionné périodiquement les quatre firmes pharmaceutiques engagées dans le développement des vaccins pandémiques. Ces auditions ont été organisées de manière tout à fait officielle, à l'initiative du Comité de lutte contre la grippe, et ceci dans le but de connaître, de la manière la plus actualisée possible, le stade d'avancement du développement des vaccins, les études en cours, les études programmées et le calendrier de disponibilité des résultats.

En tant que président du CTV, j'ai participé à certaines de ces auditions. Lorsque j'ai posé ma candidature à l'élection pour la présidence du CTV, j'ai proposé un plan d'action. Le point numéro un de ce plan d'action était la mise à plat de la problématique des conflits d'intérêts. Mon premier chantier au niveau de la présidence du CTV a été l'élaboration d'une charte de déontologie, une charte des conflits d'intérêts et la rédaction d'une grille d'analyse des déclarations d'intérêts, grille qui a été élaborée en s'inspirant largement de celle en vigueur à l'AFSSAPS, que nous avons plutôt durcie.

L'esprit de cette grille est de dire, comme vous l'avez dit monsieur le président, qu'il y a des liens et qu'il y a des conflits d'intérêts. Les experts ne sont pas devenus experts par l'opération du Saint-Esprit. Ils le sont devenus en travaillant sur le vaccin. En tout cas, pour ma génération, je ne vois pas comment on pouvait se former, devenir expert en vaccinologie, sans rencontrer l'industrie.

M. François Autain, président - Comment font ceux qui, dans votre comité, n'ont pas de liens ?

M. Daniel Floret - Ceux qui n'ont pas de liens ne sont pas nombreux. C'est un sociologue.

M. François Autain, président - Il y a au moins un vaccinologue. J'ai oublié son nom, mais je crois qu'il travaille à la revue Prescrire.

M. Daniel Floret - Je pense que c'est par ce biais qu'il est devenu expert en vaccinologie. C'est d'ailleurs un des membres très utiles et très écoutés du CTV, d'autant qu'il n'a pas de liens avec l'industrie.

M. François Autain, président - Il peut être expert quand même ?

M. Daniel Floret - C'est un des exemples.

M. François Autain, président - On peut être expert sur un vaccin sans forcément avoir des liens avec une entreprise ?

M. Daniel Floret - Tout le monde ne peut pas travailler dans la revue Prescrire.

M. François Autain, président - Je ne parle pas seulement de la revue Prescrire. 45 % des experts travaillant avec l'AFSSAPS n'ont pas de liens d'intérêts et ils ne travaillent pas tous à Prescrire. Sur la totalité, cela représente quelque 350 à 400 experts qui, aujourd'hui, peuvent être experts sans avoir aucun lien avec les laboratoires. On est confondu. Comment font-ils ? Comment peut-on être expert aujourd'hui, surtout un expert compétent, reconnu, sans avoir de liens avec l'entreprise ?

M. Daniel Floret - Monsieur le président, c'est tout à fait mon analyse.

M. François Autain, président - Excusez-moi, j'ai mal compris. Je pensais qu'il était difficile d'être expert, si on n'avait pas travaillé dans un laboratoire et si on n'avait pas des liens avec un laboratoire. Vous pensez que c'est possible ?

M. Daniel Floret - Encore une fois, M. Jérôme Sclafer en est un exemple, mais la plupart des cliniciens sont devenus experts en vaccinologie à travers des essais cliniques, des travaux scientifiques, des études épidémiologiques qui ont été financés par l'industrie.

L'avoir été est une chose, l'être encore alors qu'on est en expertise en est une autre. Je suis d'accord avec cela. Le travail que nous avons fait au niveau du Comité technique des vaccinations pour régler cette problématique des conflits d'intérêts était justement de dire : nous tenons compte du fait que beaucoup ont travaillé antérieurement avec l'industrie. Dès lors qu'ils sont au CTV, ils ne doivent plus travailler avec l'industrie. C'est ma position et c'est celle que j'ai toujours défendue au niveau du CTV. C'est la position que je me suis imposée à moi-même.

Je pense que le fait d'avoir des liens ou d'avoir travaillé antérieurement avec l'industrie, ne constitue pas en soi un conflit d'intérêts. Un conflit d'intérêts est un lien qui crée une situation de dépendance. Ce n'est pas parce qu'on a fait une étude épidémiologique, il y a cinq ans, avec une firme pour laquelle on n'a pas touché d'argent, qu'on est dépendant vis-à-vis de cette firme.

M. François Autain, président - Ce n'est pas seulement un problème d'argent.

M. Daniel Floret - Je suis d'accord, ce n'est pas seulement un problème d'argent, mais c'est quand même aussi un problème d'argent.

Chaque membre du CTV est astreint à déclarer annuellement ses conflits d'intérêts. Je répète qu'à la mise en place du CTV, tous les membres ont rempli cette fiche qui, effectivement, n'a été mise que très tardivement sur le site. C'est le fait de l'administration, mais nous avons rempli nos fiches.

M. François Autain, président - Il va falloir faire quelque chose, poser des questions. Pourquoi a-t-elle attendu ?

M. Daniel Floret - En outre, chaque séance plénière du CTV débute par un appel à déclarer ses éventuels conflits d'intérêts sur des sujets qui vont être mis au vote. Les sujets qui déclarent ce qui est estimé, selon la grille d'analyse, être majeur, ne peuvent participer aux discussions et aux votes. Ces procédures ont été respectées au CTV et à la commission maladies transmissibles lors de l'élaboration des avis sur la grippe A (H1N1)v. Si vous avez eu le temps de lire ces avis, vous avez pu voir que depuis septembre 2009, tous les avis votés par le CTV et la commission spécialisée des maladies transmissibles mentionnaient le nom de l'expert qui n'avait pas pris part au vote pour cause de conflit d'intérêts.

M. François Autain, président - C'est exact, je le confirme.

M. Daniel Floret - Je ne prétends pas avoir résolu la problématique des conflits d'intérêts. C'est une problématique extrêmement complexe et qui dépasse très largement le monde médical.

M. François Autain, président - Espérons que cela ne nous dépasse pas. Nous allons essayer en tout cas.

M. Daniel Floret - Je persiste à dire que vouloir exclure tout lien entre l'expertise et l'industrie n'est pas réaliste et nuirait à la qualité même de l'expertise ; en revanche, certains problèmes devraient trouver une solution, notamment celui qui est un vrai souci pour nous, la participation aux congrès médicaux.

Nous avons l'obligation d'assurer une veille sur les vaccins. Or, assurer une veille sur les vaccins signifie aller dans les grands congrès où on présente les vaccins, le congrès de l'ICAC (International Congress of Acarology) aux Etats-Unis, le congrès de l'ASIP (Agence des systèmes d'information partagés de santé) en Europe, etc. Je n'ai pas d'autres moyens, sauf à payer de mes propres deniers, que d'aller à ces congrès si je ne suis pas invité par l'industrie. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle vous avez pu voir que, depuis un an et demi, je n'ai assisté à aucun congrès, tout simplement pour ne pas me mettre, en tant que président du CTV, en conflits d'intérêts. Je ne veux pas dire que ceci ait amélioré mes connaissances.

M. François Autain, président - Je disais sous forme de boutade que s'il n'y avait pas l'industrie pharmaceutique, il n'y aurait pas de congrès.

M. Daniel Floret - Absolument. Ce n'est pas qu'une boutade. C'est la réalité. Comment croyez-vous que les organisateurs financent les congrès ? C'est l'industrie. C'est une réalité. Pour ce qui nous concerne, nous demandons depuis très longtemps à ce que les frais de déplacement des experts se rendant aux congrès soient pris en charge autrement. Par exemple, mes homologues des Etats-Unis, de l'ASIP, lorsqu'ils vont au congrès de l'ICAC, sont en mission du CDC, et sont payés.

M. François Autain, président - Cela me paraît normal. Je suis étonné de ce que vous me dites, qu'on ne prenne pas en charge vos déplacements à un congrès.

M. Daniel Floret - C'est une réalité.

M. François Autain, président - Nous l'avons bien notée.

M. Daniel Floret - La problématique des conflits d'intérêts a été prise sérieusement en considération au niveau de la structure que j'ai l'honneur de présider. Vous avez cité M. Jérôme Sclafer qui est effectivement un « pur et dur ». Si vous lui demandez si les choses ont changé depuis quelques années, il vous dira que oui.

M. François Autain, président - Nous avons l'intention de l'auditionner.

M. Daniel Floret - Posez lui cette question. Nous avons été audités par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) ; l'IGAS a reconnu que le CTV avait oeuvré dans le sens d'une plus grande transparence.

Je terminerai en me faisant l'interprète de quelques experts qui se sont investis d'une façon massive, qui ont travaillé sans relâche durant les six mois de cette crise sanitaire, et, j'ajouterai, bénévolement, qui ont beaucoup donné, et qui sont assez mortifiés des suspicions qui ont été jetées sur leurs produits.

M. François Autain, président - Ce sont des suspicions qui n'auraient pas lieu si on jouait la transparence et si on jouait carte sur table.

M. Daniel Floret - Je pense que nous l'avons fait.

M. François Autain, président - Vous avez été victimes d'un dysfonctionnement administratif. Normalement, l'administration aurait dû faire connaître publiquement ces liens d'intérêts bien avant novembre 2009. On a même l'impression que, sans la presse, on attendrait encore que ces liens d'intérêts soient publiés. Quel intérêt l'administration avait-elle à faire traîner cette publication ? Je ne comprends pas.

A l'Organisation mondiale de la santé (OMS), on s'aperçoit qu'il y a encore beaucoup d'opacité. Pourquoi pas au sein de nos administrations ? C'est une question qu'on posera au directeur général de la santé. Nous aurons sans doute l'occasion de le réauditionner. Je suis très étonné par ce que vous me dites. Je crois que les chercheurs doivent s'en prendre beaucoup à leur administration pour cette carence qui a été à l'origine de ces articles de presse qui n'étaient pas malveillants à l'égard de ces chercheurs, dont je suis le premier à reconnaître le mérite, mais qui étaient certainement suspicieux par rapport à cette opacité, ces silences qui pouvaient être mal interprétés. Si on veut que toutes les choses soient claires, jouons la transparence ; là, il n'y aura pas de problème.

M. Daniel Floret - D'emblée, il était dit que ces déclarations d'intérêts seraient publiques. Cela a été dit dès le départ. Que s'est-il passé entre temps ?

M. François Autain, président - Nous essaierons d'éclaircir ce mystère.

M. Daniel Floret - Je pense que le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) a eu beaucoup de difficultés à mettre en place son site Internet.

M. François Autain, président - Si c'est Internet !

M. Daniel Floret - La déclaration n'est publique que sur le site du Haut Conseil. Je pense qu'ils ont beaucoup de difficultés. Ce peut être une explication du retard.

M. François Autain, président - C'est une explication technique. Les chercheurs seraient victimes de la technique.

M. Daniel Floret - Je pense que la technique est sûrement une des causes, mais ce n'est pas moi qui vais répondre à cela. Il a été dit d'emblée que ces déclarations seraient publiques.

M. François Autain, président - Elles le sont maintenant. Avez-vous terminé ?

M. Daniel Floret - Oui, j'ai terminé.

M. François Autain, président - Monsieur le rapporteur, vous avez la parole.

M. Alain Milon, rapporteur - Monsieur le professeur, je vais vous poser quelques questions. S'il y a des problèmes techniques dans la mise en place du site Internet, Internet a joué un rôle considérable également dans la pandémie et dans la perception de la pandémie de la part de la population. Peut-être pas toujours dans le bon sens.

M. Daniel Floret - C'est quelque chose que nous n'avions pas du tout envisagé.

M. François Autain, président - Vous l'avez sous-estimé.

M. Daniel Floret - Complètement.

M. Alain Milon, rapporteur - Il était difficile de faire autrement. J'ai deux questions sur l'expertise. L'intervention de très nombreuses instances d'expertise a-t-elle permis, dans un contexte d'urgence, d'optimiser les conditions de prise de décisions ? Les compétences de chacun de ces organismes et leur composition sont-elles de nature à apporter une information plurielle et collégiale au décideur politique ou entraînent-elles un brouillage dans l'information ?

Dans le cadre de son audition devant la commission d'enquête, le directeur général de la santé a indiqué que pourrait être envisagé un repositionnement du Comité de lutte contre la grippe, notamment son intégration au HCSP. Partagez-vous cette analyse ?

M. Daniel Floret - Le Comité de lutte contre la grippe aurait pu être un comité d'éthique permanent du HCSP. Pourquoi cela ne s'est-il pas fait ainsi ? Je ne sais pas. En tout cas, l'IGAS a dit la même chose. C'est effectivement notre analyse.

Le fait d'avoir une expertise plurielle était sûrement le meilleur garant de la protection contre les conflits d'intérêts et aussi d'une vision assez large. Il est normal que les spécialistes de la grippe assurent une veille. Chacun a ses missions. Dès lors que l'on parle de vaccination, c'est la mission du CTV. Il fallait forcément que ces deux structures travaillent, mais qu'elles travaillent ensemble. Ce que nous avons fait puisque, encore une fois, nous avons décidé que le Comité de lutte contre la grippe, bien que crime de lèse-majesté, n'étant pas rattaché au Haut Conseil de la santé publique, pourrait travailler comme groupe de travail. C'était une décision pragmatique. En disant : nous travaillons dans l'urgence, nous ne pouvions pas nous permettre de demander à des experts qui siègent au Comité de lutte contre la grippe de venir après donner leur avis au CTV.

C'est une décision pragmatique et je pense que c'était une bonne chose. Cela aurait été mieux si le Comité de lutte contre la grippe avait été dans le Haut Conseil de la santé publique. C'est clair.

Par ailleurs, une pandémie vient d'une maladie transmissible. Il est assez normal de restituer cela dans un contexte plus vaste qui est la problématique des maladies transmissibles. Je pense que cette expertise en trois niveaux était une bonne chose. Il est vrai que cela a compliqué les choses. L'avis du CTV ne devient valide que lorsqu'il a été validé par le Haut Conseil de la santé publique. Il a fallu chaque fois organiser, dans les suites d'une réunion exceptionnelle du CTV, une réunion exceptionnelle du Haut Conseil, de façon à le faire valider dans des délais courts. Nous avons mobilisé les membres de façon très importante. Vous avez vu qu'ils sont venus.

Je suis très admiratif. Au mois de septembre, nous étions dix-neuf sur vingt dans les réunions exceptionnelles du CTV. Il y a eu une grande mobilisation des experts. S'il n'y avait pas eu cette motivation, cela se serait moins bien passé. En tout cas, cela ne s'est pas mal passé. A mon avis, il faut sûrement prévoir une organisation de la gestion des pandémies au niveau de l'expertise et une articulation entre l'expertise et le ministère. Les experts donnent un avis à la ministre qu'elle suit ou ne suit pas.

Quand elle le suit, pas de souci. Quand elle ne le suit pas...

M. François Autain, président - Il n'y a pas de souci non plus.

M. Daniel Floret - Sauf que cela fait dissonance car nos avis sont publiés. Si nous publions un avis et que la ministre dit le contraire derrière, cela fait désordre.

M. Alain Milon, rapporteur - Quel bilan peut-on dresser aujourd'hui de la pandémie H1N1, de son évolution dans les différents pays, de sa gravité ? Dès le mois de juin, le Haut Conseil de la santé publique soulignait que la morbidité et la létalité de la grippe H1N1 étaient modérées et proches de celles de la grippe saisonnière. Peut-on affiner cette comparaison entre la grippe H1N1 et les grippes dites saisonnières, dont la sévérité est d'ailleurs très variable ?

M. Daniel Floret - Le virus de la grippe est un virus complètement imprévisible. Actuellement, la grippe H1N1 a fait moins de morts qu'une grippe saisonnière, pour une raison très simple qui est que cette grippe n'a quasiment pas touché les personnes âgées qui sont les victimes habituelles de la grippe.

M. François Autain, président - Nous n'en sommes pas mécontents !

M. Daniel Floret - Ceci était totalement imprévisible et ceci peut changer. Personne ne sait ce que ce sera à l'automne prochain.

M. François Autain, président - Vous êtes cohérent. Vous dites que le virus est imprévisible et vous ne faites pas de prévision. Ce qui n'est pas le cas de tous vos collègues.

M. Daniel Floret - Il est vrai que c'est complexe. Il faut se dire que nous avons été amenés à donner des avis sur une grippe dont on ne savait pas ce qu'elle serait et sur des vaccins qu'on n'avait pas. Franchement, nous n'avons pas été à l'aise. Quand on regarde ce qui s'est passé, ce n'était pas vraiment ce que nous attendions. Qu'est-ce qui nous aurait permis de faire autrement ? Je ne sais pas bien, franchement.

M. Alain Milon, rapporteur - Au 18 janvier 2010, le Haut Conseil de la santé publique disait qu'il y avait 5 740 000 personnes qui avaient été vaccinées contre la grippe H1N1, soit 9 % de la population. En même temps, au 31 janvier 2010, 5,5 millions de personnes avaient répondu à une campagne vaccinale contre la grippe saisonnière organisée comme tous les ans par l'assurance maladie en direction de certaines populations à risques.

La comparaison entre les deux chiffres ne doit-elle pas conclure à s'interroger sur l'efficacité du dispositif de vaccination pandémique qui a été mis en place ? Une efficacité dont nous avons déjà parlé avec vos prédécesseurs.

M. Daniel Floret - Très honnêtement, nous n'avons pas été impliqués dans les modalités d'organisation de la vaccination.

M. François Autain, président - Qu'en pensez-vous ?

M. Daniel Floret - Il est clair que les malades ont confiance en leur médecin.

M. François Autain, président - Ceci est rassurant.

M. Daniel Floret - C'est vrai, mais d'un autre côté il faut reconnaître qu'il y avait de sérieuses difficultés pour dire que cette vaccination pouvait être faite comme les vaccinations habituelles. Il y avait des vaccins présentés en flacons multidoses. Ceci était compliqué pour des médecins généralistes. Au début, on disait qu'on pouvait garder le produit douze heures, entre le moment où on ouvrait le flacon et le moment où on utilisait le produit. Ce qui voulait dire que le médecin qui vaccinait deux clients dans la journée avait gaspillé plusieurs doses de vaccin.

Etant donné que les vaccins sont arrivés de manière progressive, nous avons dû donner des ordres de priorité. Si on disait que la vaccination s'appliquait aux enfants de deux à cinq ans, cela voulait dire qu'on ne vaccinait pas les enfants de sept ans. Il était difficile à un médecin de dire cela.

Organiser les campagnes de vaccination est compliqué. Cela a été mal vécu. Les médecins généralistes ont réagi parce qu'ils se sont sentis exclus. Je pense qu'ils auraient été en difficulté si on leur avait demandé de vacciner. En Belgique, les médecins généralistes ont demandé à faire cette vaccination. Au bout d'un mois, ils ne pouvaient plus.

Il est vrai que cette campagne de vaccination ne s'est pas très bien passée, mais je ne suis pas sûr que, compte tenu de ces contraintes, cela aurait été très facile. Il aurait fallu qu'ils s'organisent. Des cabinets de groupe étaient prêts à le faire. Nous aurions pu prendre ceci en considération. Dire que le médecin généraliste, dans son cabinet, pouvait vacciner, c'est une question. De la manière dont a été présenté le vaccin et compte tenu des ordres de priorité, cela me paraissait compliqué.

M. Serge Lagauche - Vous avez dit que les décisions étaient prises quasiment à l'unanimité. Cela peut être un consensus dans les mots. Je veux dire par là : on discute entre nous et on va se mettre d'accord sur les termes qui sont acceptables par les uns et les autres. Sur le plan scientifique, ce n'est pas valable. Il y a des avis pour, des avis contre, différentes positions. Il me paraît essentiel que les positions données par les experts, qui peuvent être contradictoires, doivent être communiquées. Le débat est plus important que la conclusion, selon moi, en matière d'expertise. C'est le débat qui fait avancer la science.

Si les experts n'exposent pas les débats à la ministre, il y a une conclusion derrière laquelle tout le monde s'abrite. Vous faites souvent référence à l'IGAS. Pour avoir pratiqué l'IGAS, je peux vous dire que les termes sont toujours choisis. On ne se trompe pas. On a des écoutes et on sait ce que veut le ministère. On se trompe rarement dans les termes qu'on choisit ou dans les rapports qu'on élabore.

Quant au problème des écrits que l'on peut faire sur un produit ou vis-à-vis de tel ou tel virus, les médicaments que l'on retire à l'heure actuelle, tout ceci montre qu'une publicité a été faite de façon un peu abusive. Au-delà, les laboratoires savent choisir ou faire choisir les termes adéquats pour rendre acceptable un certain nombre de choses.

Vous connaissez bien le problème des visiteurs médicaux. Ils sont en réduction, c'est vrai. Vous connaissez le problème des associations qui ont existé dans tous les hôpitaux et qui servent à effectuer des déplacements dans les congrès, entre autres. Je ne suis pas certain qu'elles soient toutes parties.

Vous citez le système américain. Ce n'est pas pareil. Les universités touchent de l'argent privé. Elles sont financées en partie par l'argent privé. On peut donner ensuite des missions avec l'argent qu'on a eu de l'autre côté. Les universités américaines ne se trompent jamais non plus sur la façon dont elles travaillent et avec qui elles travaillent.

Je pense que vous avez raison. Le système d'expertise qui existe à l'heure actuelle n'est pas un bon système. Il faut qu'on trouve un système qui permette qu'à l'arrivée, le débat soit exposé par les experts. Ensuite, les politiques entourés de gens sûrs, c'est-à-dire qui sont au ministère, etc., qui ont une responsabilité politique, tranchent les débats et prennent les décisions.

On nous renvoie sur vous, mais en réalité vous êtes une des chaînes qui a essayé de s'y retrouver. Je pense que le travail que vous faites, vous le faites de bonne foi, vous le faites au mieux de l'intérêt public, je n'en doute pas, mais le système par lui-même ne fonctionne pas. Cela fait déjà fort longtemps qu'il ne fonctionne pas. Les réformes qui ont été faites doivent continuer dans ce domaine, en particulier dans celui des nouvelles pandémies, afin que nous ne nous retrouvions pas dans cette situation complètement absurde : 94 millions de doses pour lesquelles il faut renégocier une reprise par les laboratoires. Franchement, ils ont raison de nous faire payer la note. Au moins, cela nous fait réagir.

M. François Autain, président - Ce n'est pas une question, c'est une considération.

M. Daniel Floret - Vous êtes les représentants de la Nation, c'est à vous de proposer la modification du système. Je suis dans un système que j'ai essayé d'appliquer au mieux, mais dans des conditions difficiles, c'est vrai.

M. François Autain, président - J'ai essayé de trouver des fondements scientifiques à la commande des 94 millions de vaccins. J'ai lu attentivement vos avis, qui sont très intéressants. Je n'y ai pas trouvé d'explication qui satisfasse à l'achat de ces 94 millions de vaccins. Il est vrai que ces avis sont postérieurs à la décision de l'achat de ces vaccins. Je ne sais pas si vous avez servi à grand-chose pour la décision prise par la ministre, en émettant des avis postérieurement. Il n'empêche que, lors de son intervention, le directeur général de la santé s'est prévalu de ces avis pour expliquer ces commandes immodérées de vaccins, à partir du moment où il considérait que vous n'étiez pas opposés à une vaccination de masse.

Si j'ai bien compris, c'était à condition que cela puisse venir suffisamment précocement pour qu'on puisse faire barrière à l'épidémie. Il s'avère que dans les conditions où celle-ci est intervenue, ce n'était pas possible. Il restait le bénéfice individuel, la protection. Là encore, on peut s'interroger. Combien de personnes ont pu bénéficier de cette protection individuelle pour cette vague pandémique ? Si nous en avons une prochaine, ce sera différent.

On nous en a promis une en février, en mars, en avril. Il y en a qui savaient, qui ne savent plus, qui ont oublié. Peu importe. Toujours est-il que je n'ai pas retrouvé dans vos avis les fondements scientifiques dans les décisions prises par la ministre C'est à moitié étonnant, puisque les avis sont intervenus après, ce qui veut dire que les décisions sont fondées sur des raisons d'une autre nature, soit des raisons politiques, de principes de précaution, soit des préoccupations éthiques, d'opportunité. Cela ne m'apparaît pas. Peut-être avez-vous des éléments qui vous permettent de dire qu'il y a des raisons scientifiques qui fondent l'achat de ces 94 millions de doses ?

M. Daniel Floret - Ces 94 millions de doses relèvent d'un choix politique, c'est clair. Il est vrai que nous n'avons jamais dit et jamais pensé que ceci allait à l'encontre de notre avis. Il faut repartir en arrière et considérer tout le travail qui a été fait sur la grippe H5N1. Effectivement, des travaux ont été faits au moment où il s'agissait de H5N1. La terreur était de dire qu'on n'aurait pas de vaccin. Cette maladie entraînait une mortalité de 60 %.

M. François Autain, président - Elle n'est pas transmissible d'homme à homme.

M. Daniel Floret - Pour l'instant. On n'a pas eu du H5N1, mais les réflexions sur la vaccination pour protéger la population sont parties de là. Si vous prenez les avis antérieurs, si vous regardez notamment le rapport de juin, cela fait référence à des travaux antérieurs de modélisation, où les calculs avaient été faits. On parlait encore une fois de H5N1. Dire que l'objectif était d'avoir des vaccins pour protéger la population ne me choque pas.

A posteriori , il s'avérait que ce n'était pas du tout ce qui était prévu. Bien sûr que cette grippe a tué beaucoup moins qu'on ne le craignait, et heureusement, mais elle a tué aussi des personnes que l'on n'attendait pas du tout. Je me mets à la place d'un médecin qui aurait dit à son patient : « Vous n'avez pas de facteur de risque, vous êtes jeune, vous êtes en bonne santé, ce n'est pas un problème si vous faites la grippe. » Ce patient a pu faire la grippe, se retrouver en réanimation et en mourir. On a vu cela pour les antiviraux.

M. François Autain, président - Ce n'est pas le vaccin qui l'aurait tiré d'affaire.

M. Daniel Floret - S'il avait été vacciné avant, il n'aurait pas eu la grippe.

M. François Autain, président - La première vaccination date du 12 novembre.

M. Daniel Floret - Il y a eu des grippes bien après le 12 novembre.

M. François Autain, président - Il faut compter trois semaines pour avoir une protection biologique. C'est ce qui est écrit dans vos rapports. Le groupe rappelle que le degré d'efficacité clinique de la vaccination pandémique est incertain.

M. Daniel Floret - On ne le connaît toujours pas.

M. François Autain, président - Il faut peut-être relativiser tout cela.

M. Daniel Floret - On connaît la protection qui est conférée par le vaccin contre la grippe saisonnière.

M. François Autain, président - On m'a dit que cela n'avait rien à voir.

M. Daniel Floret - Sauf que ce virus s'est beaucoup plus comporté comme un saisonnier que comme un autre.

M. François Autain, président - C'est donc plutôt une grippe saisonnière.

M. Daniel Floret - Ceci n'était pas prévisible. Ce n'était pas une grippe saisonnière. Encore une fois, la grippe saisonnière touche et tue les personnes âgées.

M. François Autain, président - Nous sommes très heureux pour cette année qu'elle n'ait pas pensé à nous !

M. Daniel Floret - Cette grippe a entraîné des complications avec les fameux syndromes de détresse respiratoire aigus, etc., ce qui ne se voit pas avec la grippe saisonnière. On ne peut pas dire que c'est une grippe saisonnière, mais on ne peut pas dire non plus qu'aujourd'hui ce virus se soit comporté comme les virus pandémiques de la pandémie de 1918 ou les suivantes.

M. François Autain, président - Nous allons trouver un nouveau terme. Ce n'est ni une pandémie ni une grippe saisonnière.

M. Daniel Floret - Sauf si une vague intervient dans quelques mois.

M. François Autain, président - On attend la deuxième vague, mais elle ne vient pas.

M. Daniel Floret - Je n'ai pas dit qu'elle allait arriver, j'ai dit qu'elle pouvait arriver.

M. François Autain, président - Je crois savoir que, contrairement au tsunami, la seconde vague n'est pas forcément plus importante que la première. Dans un tsunami, la deuxième vague est toujours plus grave que la première. Alors que dans la grippe, ce n'est pas toujours le cas.

M. Daniel Floret - C'est la raison pour laquelle le virus de la grippe est un virus imprévisible.

M. François Autain, président - Donc, nous ne faisons pas de prévisions.

M. Daniel Floret - Il faut rester humble.

M. Alain Milon, rapporteur - Si le tsunami est imprévisible, la deuxième vague est prévisible.

M. François Autain, président - Sur la question des tsunamis, on est en train de faire beaucoup de progrès. Merci.

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