Jeudi 10 juin 2010 M. François Baroin, Ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État

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Présidence de M. Bruno Retailleau, président

M. Bruno Retailleau, président. - Monsieur le ministre, nous sommes très heureux de vous entendre sur les conséquences de la tempête Xynthia, qui a provoqué des pertes irremplaçables de vies humaines. Les dégâts matériels imputables à cette tempête sont très supérieurs à ce que les premières estimations suggéraient. Des dispositions existent, au niveau des assurances, et pour les biens non assurables, mais des interrogations demeurent sur les conséquences budgétaires.

M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État. - Toute la région concernée a subi un drame humain. J'ai une pensée pour les élus et pour les familles qui ont perdu des proches.

La moindre des choses est que le Gouvernement soit à la disposition du Parlement sur ce sujet, comme sur tous les autres.

Nous avons très rapidement proposé l'acquisition amiable des habitations dans les zones de solidarité de Vendée et de Charente-Maritime, sans recourir à la procédure d'expropriation. L'État ne peut tout faire, mais il aide les victimes à se relever.

Un arrêté du 1er mars 2010 a constaté l'état de catastrophe naturelle consécutive aux intempéries du 27 février, qui ont frappé la Charente-Maritime, la Vendée, les Deux-Sèvres et la Vienne. Dès la fin mars, France Domaine a entamé l'évaluation des habitations situées dans les zones concernées. Ce travail considérable, conduit sept jours sur sept, a nécessité des renforts. Le but est de faire en sorte que les personnes acceptant la proposition se réinstallent ailleurs rapidement dans des conditions économiques satisfaisantes. C'est pourquoi nous appliquons la méthode du fonds de prévention des risques naturels majeurs, dit « fonds Barnier », en évaluant les maisons par comparaison avec des biens semblables situés hors des zones à risques. Toujours formulées après une visite sur place, les offres sont valables trois mois.

L'acte authentique et le paiement doivent intervenir dans les trois mois suivant l'accord des propriétaires, car la qualité et la rapidité de notre réponse sont constitutives d'une mission de service public dans une situation humainement dramatique. Certains ont perdu tout leur patrimoine. L'accélération des procédures a été rendue possible grâce à un contrat-type dérogatoire établi en accord avec le Conseil supérieur du notariat. Ainsi, les notaires signeront sans disposer des certificats habituels, puisque les habitations sont vouées à la destruction. Je précise que les biens acquis par l'État seront intégralement payés dès la signature de l'acte authentique.

Les visites effectuées sur place en Charente-Maritime sont quasiment achevées depuis le 8 juin. Les avis domaniaux seront tous connus avant la fin du mois, mais 162 propositions ont déjà été transmises aux propriétaires, dont 56 les ont acceptées. Aucun n'a formulé de refus.

Il y a davantage de maisons à évaluer en Vendée, si bien que les visites sur place et les évaluations devraient être achevées début juillet, sauf quelques rendez-vous reportés à la demande des propriétaires. Dans ce département, parmi les 252 propositions transmises, 71 ont été acceptés ; une a été refusée.

Globalement, le taux d'acceptation avoisine donc 30 % à ce jour. Il faut laisser aux intéressés le temps de la réflexion.

Les acquisitions seront payées par le fonds Barnier, après déduction des indemnités à la charge des assureurs au titre des catastrophes naturelles. La situation financière du fonds Barnier est actuellement suffisante, mais il pourrait être abondé en cas de besoin.

M. Bruno Retailleau, président. - Les zones de solidarité, que je préfère dénommer « zone d'acquisition amiable », ont été au centre des débats ces derniers mois. Sans revenir sur leur cartographie, j'observe que la juste indemnisation et la rapidité sont indispensables aux sinistrés pour tourner la page.

Je suis vendéen. Les choses vont vite. France Domaine fait un bon travail et ses évaluations paraissent très correctes. Vous dites qu'elles seront toutes achevées fin juin. Comme une seule proposition a été refusée, le taux d'acceptation constaté est très supérieur à 30 %. Pouvez-vous confirmer que l'évaluation est achevée en Charente-Maritime ?

M. François Baroin, ministre. - Absolument.

M. Bruno Retailleau, président. - Pouvez-vous indiquer le niveau moyen des évaluations formulées ou acceptées ?

M. François Baroin, ministre. - Il me semble plus pertinent d'indiquer l'enveloppe globale que le fonds Barnier devrait utiliser : 400 millions d'euros. Il y a trop d'écart entre les valeurs des habitations pour qu'un chiffre moyen soit significatif.

M. Bruno Retailleau, président. - Suffit-il de diviser cette somme par le nombre d'habitations ? Le patron de France Domaine a évoqué un montant de 800 millions d'euros, alors que M. Borloo avait mentionné une fourchette allant de 300 à 400 millions d'euros. Vous avez repris ce dernier montant, mais le médiateur des assurances a parlé de 600 millions d'euros.

Compte tenu des biens professionnels, votre chiffrage n'est-il pas sous-estimé ?

M. François Baroin, ministre. - Il s'agit d'une enveloppe sincère, mais limitée aux habitations. La filière agricole notamment n'est pas incluse. Tout confondu, le montant sera bien sûr plus élevé.

M. Bruno Retailleau, président. - Les petites entreprises ont le fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (FISAC). Le fonds national de garantie des calamités agricoles intervient pour les exploitations agricoles, mais la situation peut être complexe, par exemple lorsque la valeur d'un fonds de commerce s'ajoute à celle des murs, habituellement plus coûteux que pour des logements.

M. François Baroin, ministre. - En effet.

M. Bruno Retailleau, président. - Quand nous avons auditionné Mme Jouanno, nous avons appris que le fonds Barnier serait mis à contribution pour le plan digues. Or, ses ressources annuelles avoisinent 155 millions d'euros, dont la moitié sert à couvrir des engagements récurrents. Il faudra donc quelques années pour financer les acquisitions amiables. Dans ces conditions, comment soutenir le plan digues ?

Vous avez fait allusion à une dotation budgétaire complémentaire. Comment voyez-vous l'avenir du fonds Barnier ?

M. François Baroin, ministre. - Les engagements du Président de la République seront respectés. Il est trop tôt pour évaluer le coût du plan digues, mais l'État assumera ses responsabilités.

La tempête Xynthia est à tous égards une catastrophe extraordinaire et il n'y a pas heureusement pas un événement de cette ampleur chaque année. Reste que le fonds Barnier ne pourrait évidemment pas supporter deux ou trois événements de cette nature par an.

M. Bruno Retailleau, président. - Revenons aux habitations. Les assurances verseront une somme correspondant à ce qu'aurait coûté la remise en état de la maison. L'écart avec l'évaluation effectuée par France Domaine est couvert par le fonds Barnier. Les 400 millions que vous avez évoqués représentent-ils le coût total des acquisitions ou la seule part du fonds ?

M. François Baroin, ministre. - L'intervention du système assuranciel s'ajoute à cette somme.

M. Bruno Retailleau, président. - Connaissez-vous le montant acquitté par les assurances ?

M. François Baroin, ministre. - Non.

M. Bruno Retailleau, président. - Le groupement des entreprises mutuelles d'assurances (GEMA) a évoqué 20 000 euros par maison.

M. François Baroin, ministre. - Je n'ai pas de chiffrage.

M. Bruno Retailleau, président. - Les assurances relèvent de Bercy, mais pas de votre département ministériel.

M. François Baroin, ministre. - En effet.

M. Bruno Retailleau, président. - Dans l'estuaire de la Garonne, les critères du fonds Barnier s'appliqueraient à une dizaine de maisons, même si bien plus ont subi des inondations. Peut-on imaginer qu'après le Grenelle II qui a introduit le risque de submersion marine, ces habitations modestes soient acquises grâce au fonds Barnier ?

M. François Baroin, ministre. - Ma position est ouverte sur ce point : le Grenelle 2 a effectivement introduit le risque de submersion marine dans le périmètre du fonds.

M. Bruno Retailleau, président. - Cela n'aurait guère d'incidence budgétaire majeure. Nous avons suggéré au préfet d'agir en ce sens.

Mercredi, le Sénat va débattre des conséquences de la tempête Xynthia. Pourriez-vous nous transmettre les chiffres actualisés des acquisitions amiables à cette date ?

M. François Baroin, ministre. - Bien entendu.

M. Bruno Retailleau, président. - Le Parlement vous souhaite beaucoup de courage pour gérer nos finances publiques. À Bruxelles, nous avons rencontré le commissaire en charge du fonds de solidarité de l'Union européenne, créé à l'initiative de M. Barnier lors des inondations du Danube en Europe centrale. En évoquant les travaux destinés à consolider les digues ou à rétablir des routes communales, nous avons senti des résistances. Y a-t-il du nouveau ?

M. François Baroin, ministre. - Nous avons demandé le 7 mai que ce fonds verse 474 millions pour couvrir la remise en fonction des infrastructures, le nettoyage des lieux et les opérations de secours. La Commission doit se prononcer dans un délai que je qualifierai de « rapide ». Elle présentera ensuite au Conseil, puis au Parlement européen les propositions correspondantes. Après avoir obtenu les autorisations nécessaires, elle pourra décider d'octroyer une subvention. Le processus est donc assez long, mais l'essentiel est d'avoir l'autorisation d'engagement.

M. Bruno Retailleau, président. - Le dossier n'est donc pas repoussé. Pensez-vous que la Commission européenne réagisse aussi vite que le fonds Barnier ? Il est vrai que vous n'avez pas autorité sur elle...

M. François Baroin, ministre. - Cette demande fait partie de nos priorités essentielles.

M. Bruno Retailleau, président. - Nous examinerons chaque type d'aide avec le ministre sectoriel compétent, mais je voudrais évoquer aujourd'hui un sujet spécifique aux collectivités territoriales. De façon générale, leurs biens ne sont pas assurables. À l'exception de la Rochelle, les communes touchées sont toutes de petite taille. Des communes à faible potentiel fiscal ont subi donc des dommages considérables. Que fera l'État ?

D'autre part, la cartographie des zones à risques supprime une base fiscale substantielle pour des communes qui percevaient peu de taxe professionnelle. En effet, la taxe d'habitation et la taxe sur le foncier bâti représentent souvent un tiers du potentiel fiscal. Peut-on imaginer un mécanisme de lissage et de compensation fiscale analogue à celui appliqué pour les communes en cas de faillite d'entreprises ? Les contribuables communaux subiraient une double peine, si le sinistre était relayé par une hausse des impôts locaux.

M. François Baroin, ministre. - Certains ne comprennent pas pourquoi les communes n'assurent pas leur patrimoine, comme l'Etat. En réalité, les cotisations seraient énormes, ce qui imposerait un alourdissement fiscal insupportable. Ne pas être assuré n'est pas en l'espèce le signe d'une mauvaise gestion.

M. Bruno Retailleau, président. - Certes.

M. François Baroin, ministre. - Les élus ont parfois été injustement montrés du doigt.

Au fonds d'indemnisation des calamités naturelles, 25 millions d'euros viennent s'ajouter en loi de finances rectificative. Pour le reste, je suis ouvert à la discussion, sans être intellectuellement heurté à l'idée de contribuer par un cofinancement à la prise en charge de certaines conséquences patrimoniales.

Quant à votre deuxième question, il n'y a aucun précédent. Rien n'a été inventé à ce jour pour remédier à la disparition d'une zone entière de base fiscale. Il faudra y travailler d'ici la loi de finances. Sans prendre d'engagement, je suis disponible pour imaginer une façon d'éviter la « double peine » aux habitants concernés.

M. Bruno Retailleau, président. - J'imagine que la place Beauvau sera votre interlocuteur.

M. François Baroin, ministre. - Plus précisément, la direction générale des collectivités locales (DGCL). Mais la direction générale des finances publiques (DGFIP) interviendra également.

Même la tempête de 1999 n'avait pas eu de conséquences comparables.

M. Bruno Retailleau, président. - Dans le cas présent, la cartographie est très concentrée sur de petites communes, qui subissent une destruction sèche et instantanée de leur base fiscale. Il y a déjà eu des manifestations !

Nous interrogerons Mme Lagarde sur l'intervention des assurances.

Connaissez-vous au moins approximativement le coût de la tempête Xynthia pour le budget de l'État ?

M. François Baroin, ministre. - Non. Les évaluations sont en cours.

M. Bruno Retailleau, président. - Notre rapport final doit être publié début juillet. Le chiffrage sera-t-il disponible ce moment ?

M. François Baroin, ministre. - C'est trop tôt. Notre objectif est de présenter une évaluation sincère et précise à l'appui de la loi de finances. Sur un sujet aussi sensible, je préfère ne pas mentionner de chiffres incertains.

M. Bruno Retailleau, président. - Le régime juridique de la catastrophe naturelle a déjà fait l'objet de critiques lors de la sécheresse de 2003. Globalement satisfaisant, il combine une intervention assurancielle responsabilisante avec une forte composante de solidarité. Sans mettre en cause ces grands principes, certains souhaitent de nouvelles modalités.

M. François Baroin, ministre. - Les assureurs sont des investisseurs institutionnels contribuant à la pérennité de notre modèle social. L'évolution environnementale de la planète est une préoccupation aussi pour ceux dont le métier consiste à garantir des risques. Voyez ce qui se passe aux États-Unis : la responsabilité de British Petroleum (BP) est incontestable, mais l'assurance et la réassurance devront débourser des sommes considérables.

L'État ne peut seul mettre en cause le dispositif des catastrophes naturelles. En tout état de cause, celui-ci ne peut s'appliquer à tous les événements.

M. Bruno Retailleau, président. - Le Doubs a subi la grêle hier, surtout à Montbéliard ; Nice a connu des intempéries en mai.

M. François Baroin, ministre. - Une application trop large alourdirait les cotisations à l'excès.

M. Bruno Retailleau, président. - Les mouvements climatiques violents semblent se répéter à un rythme accéléré.

Les Pays-Bas sont à la pointe de la lutte contre la montée des eaux. J'espère que notre plan digues s'inspira de son exemple. En deux siècles, le niveau de la mer a monté de 40 centimètres. Les spécialistes du changement climatique s'attendent à une hausse comprise entre 50 centimètres et 1 mètre. D'après les Néerlandais, la fréquence d'une catastrophe centennale peut quadrupler lorsque le niveau de la mer s'élève de 25 centimètres. Et l'on atteint un rythme décennal avec une élévation de 50 centimètres! Ce calcul scientifique semble corroboré par l'observation empirique associant la tempête de 1999, les tempêtes Klaus et Xynthia.

Certes, un événement comme le dernier en date ne se répétera pas chaque année, mais l'occurrence du risque semble plus fréquente. Les dispositifs budgétaires en vigueur sont-ils compatibles avec les effets du changement climatique ?

Où l'État peut-il trouver de l'argent ? Pensez-vous faire appel à la Caisse de réassurance, un mécanisme prudentiel financé par l'État ?

M. François Baroin, ministre. - La réponse est clairement : non. Nous ne pouvons mettre le doigt dans un engrenage que nous ne maîtriserions pas.

Nos sociétés n'échapperont pas aux conséquences environnementales des activités industrielles. Je pense plus particulièrement aux plans d'occupation des sols, aux plans locaux d'urbanisme et aux contraintes spécifiques de construction dans certaines zones, notamment littorales. Cela concerne la métropole comme l'Outre-mer. Le risque sismique a des conséquences analogues. Inévitablement, les finances de l'État et celles des collectivités locales seront mises à contribution. Passer d'un risque centennal à un risque décennal donne le vertige.

M. Bruno Retailleau, président. - Le Président de la République a annoncé que l'État financerait 50 % du plan digues. C'est une opération de longue haleine. Coeur de métier pour l'État, la sécurité des gens ne se limite pas à l'intervention de la police.

Le budget mobilisé sera-t-il à la hauteur de l'annonce faite par le Président de la République ?

M. François Baroin, ministre. - Bien sûr ! Tenir ses engagements est un devoir. Le Président de la République incarne la Nation. Il a pris sa décision à un moment extraordinairement douloureux pour tous.

Nous sommes associés à la réflexion et nous allons le plus loin possible en matière d'expertise, comme pour la partie budgétaire.

M. Bruno Retailleau, président. - Au-delà des masses que Mme Jouanno a indiquées, sans prendre d'engagement ?

M. François Baroin, ministre. - C'est la différence avec aujourd'hui !

M. Bruno Retailleau, président. - Certainement... Aux Pays-Bas, les agences de l'eau sont compétentes pour l'assainissement, l'approvisionnement en eau potable et la protection contre la submersion, enjeu majeur d'un pays dont les deux tiers sont situés sous le niveau de la mer.

À la suite des inondations de 1953, qui avaient fait des milliers de victimes, les Pays-Bas ont conçu le « plan delta », doté d'un financement pérenne. Juste après la tempête de 1999, nous avons négocié avec l'État un plan subventionné à 50 %. Cinq ans après, l'État a divisé sa subvention par deux. J'ignore pourquoi nous sommes incapables de fournir un effort soutenu, mais il me semble nécessaire d'inventer un mécanisme pérenne. Vos services y travaillent-ils ?

M. François Baroin, ministre. - Nos aînés avaient bien disposé les digues, mais sans anticiper la concomitance des facteurs qui les ont détruites.

Verser les subventions budgétaires année après année n'a rien d'une solution de facilité pour l'État, mais il lui appartient d'assumer la solidarité. L'important est que les digues soient efficaces, ce qui suppose un entretien régulier.

M. Bruno Retailleau, président. - Je souhaite que le plan digues comporte un volet budgétaire robuste, mis à l'abri des vicissitudes politiques.

M. François Baroin, ministre. - J'ai entendu le message.

M. Bruno Retailleau, président. - Les ouvrages néerlandais sont conçus pour résister même à des événements dont l'occurrence est de un pour 10 000! Sans reprendre ce dispositif, puisque nous n'avons barré aucun delta, nous devons sortir du triptyque associant ouvrage faible, conséquence forte et mémoire courte. Le « court-termisme » qui caractérise la vie moderne nous empêche d'agir dans la durée, avec persévérance. Il est donc fondamental d'imaginer des solutions pérennes.

Pour conclure, je rappelle notre intérêt pour des chiffres actualisés au sujet de France Domaine. Il en va de même pour le cumul des interventions des assurances avec celles du fonds Barnier. Monsieur le ministre, je vous remercie.

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