Audition de Constance
HAZEN,
psychiatre au centre hospitalier Sainte-Anne
(mercredi 3
février 2010)
Puis la mission d'information a entendu Constance Hazen, psychiatre au centre hospitalier Sainte Anne .
Constance Hazen a indiqué qu'elle reçoit des patients à la fois au service d'urgence du centre hospitalier Sainte Anne et dans un centre médico-psychologique de l'ouest de Paris. Sa pratique clinique au sein de ces deux structures l'a conduite à établir les trois constats suivants :
- la souffrance au travail semble avoir quatre causes principales : la fixation d'objectifs quantitatifs et qualitatifs inatteignables, le manque ou l'absence de relations interpersonnelles, le contact quotidien avec un public agressif et l'exposition à un environnement sonore ou olfactif éprouvant ;
- de nos jours, le mal-être paraît plus psychique que physique, bien qu'il soit parfois délicat de distinguer entre les deux, le stress pouvant être à l'origine de pathologies cardiovasculaires ou même osseuses ;
- la prise en charge des salariés en souffrance est complexe car chaque cas appelle une réponse différente : pour certains, quelques semaines de coupure suivies d'une reprise en mi-temps thérapeutique constituent une solution adaptée alors que pour d'autres, le fait d'arrêter de travailler peut être contreproductif et accroître le mal-être, notamment parce que le salarié s'inquiète alors de son avenir professionnel. Dans tous les cas, il faut savoir respecter le rythme de vie du salarié et s'appuyer sur le médecin du travail pour faciliter le retour dans l'entreprise.
Gérard Dériot , rapporteur, a souhaité savoir comment les patients reçus par le docteur Hazen lui sont adressés.
Constance Hazen a répondu que beaucoup de patients accueillis en urgence à Sainte Anne sont envoyés par leur médecin généraliste, même si les deux tiers des patients du centre médico-psychologique viennent spontanément. Les salariés, sauf peut-être dans les grandes entreprises, ne semblent pas avoir une idée très précise du rôle de la médecine du travail ni de l'aide qu'elle peut leur apporter ; dans bien des cas, ils ne savent pas non plus où s'adresser pour être examinés par un médecin du travail.
Sylvie Desmarescaux s'est interrogée sur la persistance des préjugés entourant les consultations psychiatriques : sont-elles encore considérées comme uniquement réservées aux cas de graves pathologies mentales, voire de folie ?
Constance Hazen a regretté que la psychiatrie demeure effectivement associée, dans l'opinion publique, à la folie : lorsqu'une personne indique qu'elle est hospitalisée à Sainte Anne, son entourage en déduit automatiquement que son cas est alarmant. Ces idées préconçues accroissent le mal-être du patient qui doit non seulement faire face à ses propres difficultés mais également supporter le regard culpabilisant des autres. Malgré le succès de la récente campagne télévisuelle sur la dépression et la nécessité de la soigner, beaucoup de gens hésitent encore à franchir le pas de la consultation.
Muguette Dini a demandé si des études médicales, fondées sur le suivi d'une cohorte de patients, ont établi un lien entre l'évolution des conditions de travail et celle de la santé psychique.
Indiquant qu'une telle enquête n'a pas encore été menée en France, Constance Hazen a évoqué un travail de recherche conduit aux Etats-Unis sur une population de 100 000 infirmières mettant en évidence, sur une période de vingt ans, le lien entre l'augmentation du stress et la propension au suicide.
Jean-Pierre Godefroy , président, a souhaité savoir si, au cours de sa pratique, le docteur Hazen a pu identifier certaines professions plus exposées que d'autres à la souffrance au travail.
André Lardeux s'est demandé si le recours aux produits dopants permettant de faire face à une surcharge de travail est une pratique répandue.
Annie David s'est interrogée sur les effets potentiellement pervers d'une reprise du travail en mi-temps thérapeutique : le salarié déjà souffrant ne risque-t-il pas, en outre, d'être stigmatisé par ses collègues qui vont considérer qu'il n'est pas capable d'assumer un rythme normal de travail ?
Annie Jarraud-Vergnolle a souhaité connaître les modalités d'organisation des consultations relatives au mal-être au travail : dans quelle mesure la famille y est-elle associée ? Les patients sont-ils suivis après l'hospitalisation ? La prise en charge est-elle pluridisciplinaire ?
Constance Hazen a alors apporté les éléments de réponse suivants :
- certaines professions, dans des domaines d'activité très variés, présentent des taux de suicide au travail plus élevés que la moyenne : il s'agit par exemple des agriculteurs, des infirmiers ou encore des psychiatres... Par ailleurs, si les enseignants sont particulièrement soumis au stress, ils sont moins sujets au suicide, peut-être parce qu'ils bénéficient d'un meilleur accès aux soins et de périodes de repos prolongées qui leur permettent de récupérer ;
- le recours aux produits dopants se développe effectivement dans quelques métiers qui relèvent notamment des secteurs bancaire et financier où certains salariés doivent faire face à des exigences sans limite ;
- la reprise du travail à mi-temps pour les salariés qui ont été hospitalisés ne doit bien sûr pas être imposée : elle peut être cependant proposée, la personne gardant toujours la faculté de recommencer à travailler à plein temps ;
- la famille est de plus en plus étroitement associée à la prise en charge des salariés hospitalisés. Par ailleurs, à Sainte Anne comme dans les centres médico-psychologiques, les patients bénéficient d'un encadrement pluridisciplinaire, constitué à la fois d'assistantes sociales, d'infirmières et de médecins. Ceci étant, une fois sortis de l'hôpital, les patients sont insuffisamment suivis et il serait utile, en ce sens, de renforcer la coopération entre les établissements et la médecine du travail.