II. LES MESURES D'URGENCE ANNONCÉES PAR LE GOUVERNEMENT : QUELLE CONCRÉTISATION ? QUELLE EFFICACITÉ ?
Votre mission a souhaité examiner, en priorité, les mesures d'urgence arrêtées par le Gouvernement, évaluer leur contenu et leur efficacité, formuler des recommandations immédiates concernant ces mesures.
Elle, soumet, en conséquence, au Sénat ses analyses sur la question sensible et controversée de la cartographie des zones à risques , la relance des plans de prévention des risques naturels et l'enjeu crucial de l'indemnisation.
A. CLARIFIER LA CARTOGRAPHIE DES ZONES À RISQUES ET RELEVER LE DÉFI DE L'INDEMNISATION
L'annonce de la cartographie des zones à risque mortel, dites « zones noires », a suscité une vive émotion dont la mission a pu prendre la mesure lors de son déplacement en Charente-Maritime et en Vendée.
A la lumière des informations recueillies sur place et des auditions qu'elle a conduites sur ce sujet, votre mission juge nécessaire une clarification de cette procédure tant en ce qui concerne ses enjeux que les modalités de sa mise en oeuvre.
1. Le processus de mise en place des « zones noires »
Peu de temps après le passage de la tempête, la conviction que des « zones de danger mortel » -c'est-à-dire de zones où les éléments menacent la vie humaine à tel point qu'aucun mécanisme de protection efficace ne peut y être instauré- devaient être sanctuarisées et que toute habitation devait y être interdite, s'est imposée. Cette conviction s'est traduite dans la mise en place d'une cartographie des « zones noires » , ou « zones de solidarité ».
La décision de mettre en place un tel zonage transparaît dès le discours du Président de la République du 16 mars 2010, et elle est matérialisée le 18 mars 2010, dans une circulaire demandant aux préfets de Vendée et de Charente-Maritime de procéder, en lien étroit avec les cabinets ministériels et avec l'aide d'experts nationaux, à la délimitation des « zones d'extrême danger ».
Les critères et le calendrier de
définition des « zones noires »
Aux termes de la circulaire du 18 mars 2010, sont considérées comme des « zones noires » les zones qui remplissent au moins deux des critères suivants : - la hauteur d'eau constatée sur le terrain lors de la tempête est supérieure à un mètre ; - la zone en cause se situe à moins de 110 mètres d'une digue , afin de tenir compte de l'effet de vague en cas de rupture de la digue ; - les phénomènes hydrauliques caractérisant la vague induisent une forte vitesse de montée des eaux ; - les habitations sont très endommagées et ne peuvent que difficilement être reconstruites avec un refuge ; - la zone forme un ensemble cohérent et homogène , et ne crée pas de mitage urbain . En effet, le maintien de propriétés éparses les fragiliserait, justement à cause de leur isolement, et rendrait leur évacuation plus difficile en cas de sinistre. Après l'envoi d'un premier zonage au Ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer le 21 mars -soit trois jours après la publication de la circulaire-, des expertises complémentaires ont été menées pour les cas les plus complexes ; un dialogue itératif s'est ainsi noué entre les préfectures et les services centraux, qui a permis d'affiner progressivement les frontières des « zones noires », jusqu'à l'élaboration d'une cartographie définitive communiquée aux élus locaux le 7 avril , et aux citoyens le 8. Entendus par votre mission, les experts nationaux ont estimé qu'environ 10 % du zonage avait été modifié entre le 21 mars et le 7 avril - ce qui implique que 90 % de la cartographie ont été définitivement fixés en l'espace de quelques jours . En outre, au cours de ce processus, il a été décidé de doubler les « zones noires » par des « zones jaunes », qui sont des zones où le risque de submersion est réel, mais où des prescriptions imposant aux habitants d'effectuer des aménagements spécifiques dans leur propriété peuvent suffire à préserver la vie humaine (étage, zone « refuge »...). |
Mis en place rapidement pour éviter de maintenir les sinistrés dans une situation d'incertitude qui aurait été inacceptable, ce zonage a mobilisé les experts nationaux pendant plus de 5 000 heures, permettant d'établir 150 relevés sur le terrain pour définir les « zones d'extrême danger » en Charente-Maritime. Il s'est appuyé non seulement sur ces données, qui ont permis de mieux prendre la mesure du phénomène de submersion marine provoqué par la tempête Xynthia, mais aussi sur les éléments et les analyses qui avaient été élaborés par les services des préfectures lors de leurs travaux antérieurs sur les projets de PPR.
Néanmoins, vu la brièveté des délais impartis aux équipes en charge du zonage, de nombreuses données n'ont pu être appréhendées que de manière théorique et indirecte : comme l'ont admis les experts nationaux lors de leur audition par la mission, la cartographie des « zones de solidarité » a été largement conçue « à dires d'experts » (c'est-à-dire en se fondant sur l'avis technique rendu par les experts, sans vérification empirique et sans concertation avec la population).
Cette situation a été mal vécue par les sinistrés , qui auraient souhaité être associés à l'élaboration du zonage et qui ont déploré le caractère unilatéral de l'action de l'État.
L'incompréhension s'est renforcée quand la cartographie a été rendue publique et qu'il est apparu que des propriétés qui n'avaient pas -ou peu- été inondées avaient été incluses dans ces périmètres de solidarité tandis que d'autres, qui avaient subi de fortes inondations, s'en trouvaient exclues.
Malgré ces imperfections, votre mission a constaté que la délimitation des « zones noires » avait, sur le terrain, une « acceptabilité relative » : selon les chiffres recueillis lors du déplacement en Charente-Maritime et en Vendée, le nombre d'habitations faisant l'objet d'une demande de réexamen est largement minoritaire à Charron (30 maisons sur 150), à l'Aiguillon-sur-Mer (20 sur 240) et dans toutes les autres communes où la mission s'est rendue -à l'exception notable de la commune de La Faute-sur-Mer.