3. L'envoi de messages contradictoires de la part de l'Ukraine
Les dirigeants ukrainiens affichent clairement leur foi européenne. Pour autant, il n'est pas illégitime de se demander s'ils ont toujours bien conscience des devoirs et obligations qu'implique l'intégration européenne. Leur façon de négocier à Bruxelles, qui consiste à susciter publiquement des attentes avant même d'avoir abouti à un accord sur ce qui est acceptable, ne laisse pas non plus de s'interroger sur leur niveau de compréhension du fonctionnement et des mécanismes de décision communautaires.
D'une manière générale, l'intégration européenne requiert de profondes évolutions législatives et des réformes de grande ampleur. Cela est d'autant plus vrai pour l'Ukraine.
Or, certains dirigeants ukrainiens n'ont pas toujours tenu un langage de vérité sur l'Europe à leurs concitoyens. Leurs discours n'ont pas toujours été réalistes . Ainsi le Président Iouchtchenko faisait-il souvent accroire l'idée selon laquelle l'adhésion du pays à l'Union européenne serait rapide. Ce manque de réalisme des ambitions ukrainiennes était particulièrement perceptible lors des négociations précédant le sommet Union européenne/Ukraine, en septembre 2008, à Paris.
Si l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne constitue un objectif des dirigeants du pays, elle n'est pas une perspective de court terme en raison des indispensables réformes politiques et économiques qui doivent être réalisées. Or, la volonté politique pour engager de telles réformes a souvent fait défaut. La poursuite d'objectifs intérieurs de court terme est souvent privilégiée à la conduite des réformes qu'impose la satisfaction des standards européens auxquels l'Ukraine prétend néanmoins.
Par exemple, la récente loi votée par la Rada, contre la volonté du gouvernement Tymochenko, pour augmenter les salaires et les minima sociaux dans le contexte des élections présidentielles a eu pour effet d'aggraver la situation budgétaire du pays. L'adoption de cette loi a contribué à décider le FMI à suspendre le versement de la 4 e tranche de son assistance financière à l'Ukraine, soit 3,8 milliards de dollars.
La question de la réforme du secteur gazier constitue une autre illustration des contradictions ukrainiennes vis-à-vis de l'Europe.
En décembre 2009, la Communauté de l'énergie, qui rassemble les États membres de l'Union européenne et plusieurs États européens non membres, a approuvé l'adhésion de l'Ukraine, sous conditions. En effet, cette adhésion ne deviendra effective qu'après que la Commission européenne aura vérifié l'adoption par l'Ukraine d'une législation conforme à la réglementation communautaire sur le gaz. Cette adhésion devrait lui permettre de reprendre l'acquis communautaire dans le domaine énergétique d'ici 2012. Il s'agit là d'une réforme fondamentale pour l'Ukraine, dont l'économie reste l'une des plus fortes consommatrices d'énergie du monde et où la notion d'efficacité énergétique est quasiment inexistante. Pourtant, les autorités ukrainiennes, en dépit des demandes répétées du FMI et de l'Union européenne, ne se sont pas encore résolues à augmenter le tarif intérieur du gaz, vendu à un prix trop bas par Naftogaz, de telle sorte que les factures de gaz ukrainiennes sont payées par le FMI, ni à améliorer la transparence du fonctionnement du secteur gazier. La « vérité des prix » du gaz obligerait l'Ukraine à moderniser son économie.
Au-delà de ces contradictions, certaines déclarations de M. Viktor Ianoukovytch, avant ou pendant la campagne des élections présidentielles, ont pu légitimement susciter des inquiétudes parmi les responsables européens, car elles ont paru conforter son image « pro-russe » au détriment des engagements européens de l'Ukraine .
Il a ainsi évoqué la possibilité pour l'Ukraine de reconnaître « l'indépendance » de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud, ces deux régions séparatistes géorgiennes sous le contrôle de facto de Moscou depuis la guerre, en août 2008, entre la Russie et la Géorgie, au mépris du droit international.
Il s'est également exprimé en faveur de la participation de l'Ukraine au projet d'union douanière formée par la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan, dont les règles de fonctionnement ne seraient pas compatibles avec celles de la zone de libre-échange pour la mise en place de laquelle des négociations sont en cours avec l'Union européenne dans le cadre de l'accord d'association entre celle-ci et l'Ukraine. En outre, les trois premiers pays cités ne sont pas membres de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), contrairement à l'Ukraine, qui l'a rejointe en février 2008. L'adhésion de l'Ukraine à l'OMC traduit son attachement à l'économie de marché et au libre-échange. Elle a pris l'engagement d'en respecter les principes. L'Ukraine devra donc clairement exprimer ses choix. L'entourage du Président Ianoukovytch a fait savoir, quelques jours avant son déplacement à Bruxelles, le 1 er mars dernier, que l'Ukraine n'entrerait pas dans cette union douanière afin de ne pas nuire à ses engagements européens. Le président lui-même, répondant à une question sur ce sujet d'une parlementaire, notre collègue Gisèle Gautier, a indiqué, devant l'APCE, le 27 avril dernier, que « former une union douanière avec la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan est impossible à l'heure actuelle, car les principes économiques et le statut de l'OMC ne nous permettraient pas d'adhérer à une telle union douanière ».
Enfin, M. Viktor Ianoukovytch a confirmé vouloir proposer à la compagnie russe Gazprom et à diverses sociétés européennes du secteur de l'énergie, très liées à Gazprom, de prendre des parts dans la gestion des gazoducs ukrainiens. Or, la création d'un consortium où les Russes auraient des parts du réseau ukrainien de transit de gaz leur permettrait de reprendre le contrôle de ce transit vers l'Europe. Rappelons que 80 % des exportations russes de gaz et 40 % des exportations russes de pétrole vers l'Europe transitent par le territoire ukrainien.
Pour autant, il est peu probable qu'un candidat « pro-russe » devienne nécessairement un président « pro-russe ». L'Ukraine a ses intérêts propres à faire valoir, le cas échéant concurrents de ceux de la Russie, et l'aventurisme lui serait préjudiciable à maints égards.