B. LES PRÉOCCUPATIONS SPÉCIFIQUES DE LA DÉLÉGATION
1. L'absence de statistiques sur la répartition hommes/femmes en garde à vue : la signification d'une grave méconnaissance
Lors de son audition par la délégation, M. Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté a déploré l'absence de statistiques sexuées recueillies dans les lieux de privation de liberté autres que la prison, notamment les centres de rétention ou certains hôpitaux psychiatriques. Il a estimé, sur la base des registres de garde à vue qu'il a consultés, que les femmes représentaient approximativement 10 % du total des 578 000 personnes placées en garde à vue en 2008 . Il s'est demandé si ce défaut général de quantification ne trahissait pas le peu d'attention portée par les autorités administratives à la différence de sexe.
S'agissant des couples, il a tout d'abord rappelé que les règles pénales imposaient, en matière de garde à vue et de détention, une ségrégation stricte entre les genres .
2. Des locaux souvent dégradés : la visite du dépôt du Palais de justice de Paris
a) Un constat unanime
De nombreuses initiatives parlementaires ont attiré l'attention du Gouvernement sur les conditions dans lesquelles sont détenues au dépôt du palais de justice de Paris les personnes sortant de garde à vue et attendant d'être présentées à un juge.
Dans une question récente 28 ( * ) M. André Vallini rappelle au Gouvernement que les personnes placées au dépôt sont présumées innocentes. « Affaiblies psychologiquement et moralement, les conditions d'attente insupportables, les conditions d'hygiène et d'intimité qui bafouent la dignité humaine ne permettent pas aux personnes détenues de se préparer à leur défense. Il lui demande donc d'engager d'urgence les travaux de rénovation du dépôt du palais de justice de Paris afin de mettre un terme à cette situation indigne d'un pays civilisé, la France, que l'on présente souvent comme la Patrie des droits de l'Homme. ».
Par une réponse en date du 11 août 2009, le Gouvernement a indiqué que le dépôt du Palais de justice de Paris allait faire très prochainement l'objet de travaux qui vont être complétés par de nouvelles mesures : « La chancellerie a décidé d'affecter en urgence 1 million d'euros, en s'appuyant sur les crédits du plan de relance, décidé par le Gouvernement. (...) Les travaux doivent débuter dès juillet 2009, pour une durée de sept mois maximum. »
b) Une hygiène relativement mieux préservée dans les espaces réservés aux femmes
Dans ce contexte jugé unanimement inacceptable, la délégation a concentré son attention sur les conditions spécifiques d'accueil des femmes et a pu observer que l'hygiène y était mieux sauvegardée que dans les espaces réservés aux hommes, comme en témoigne le compte rendu de la visite au dépôt et à la souricière du Palais de Justice de Paris effectué le 11 juin 2009 que l'on trouvera en annexe.
À cette occasion, la délégation a également pu constater que les femmes en garde à vue ou déférées étaient, conformément au droit en vigueur, fouillées par des personnels féminins. Il a été précisé aux parlementaires que les personnes déférées pouvaient faire l'objet de plusieurs fouilles successives, et, en pratique, à chaque changement d'autorité entre la police et la gendarmerie. Interrogés sur la répétition de ces fouilles, les responsables ont signalé qu'il existait aujourd'hui des systèmes permettant de procéder à des fouilles sans palpation, tout en relevant que ceux-ci ne sont actuellement pas autorisés dans les aéroports français. Ces « scanners » corporels seraient toutefois plus respectueux de l'intimité des personnes que la façon dont sont actuellement pratiquées les fouilles à corps.
Au nom des droits de la défense, la délégation estime fondamental de garantir aux personnes placées en garde à vue des conditions d'hygiène convenables pour qu'ils puissent comparaître dignement devant un juge, un procureur et un officier de police judiciaire.
3. Concilier les exigences de sécurité et dignité de la personne humaine
a) « L'excès de zèle » dans les fouilles corporelles pratiquées sur les femmes.
Au titre des atteintes à l'intimité et à la pudeur, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a évoqué, devant la délégation sénatoriale, « l'habitude très générale » qui consiste à priver les femmes en garde à vue de leur soutien-gorge .
Tout en admettant la nécessité de respecter les impératifs de sécurité, il a, sur ce point précis, constaté que ni la direction générale de la gendarmerie, ni la direction générale de la police n'avaient pu lui fournir des données permettant d'établir la moindre corrélation entre le port de ce type de sous-vêtement et l'existence de tentatives d'auto-agressions. Il a alors déploré que l'administration puisse ainsi ignorer la dignité des personnes sans s'appuyer, par ailleurs, sur un quelconque fondement réglementaire, ni sur l'existence d'un risque avéré. M. Jean-Marie Delarue s'est demandé si les femmes ainsi humiliées, et qui passent parfois directement de la garde à vue à la comparution immédiate, ne seraient pas en mesure d'invoquer, avec succès, devant la Cour européenne des droits de l'Homme, une atteinte à la règle du procès équitable . Il a, en conséquence, fermement préconisé de renoncer à cette pratique indigne. Il a invité l'administration à mieux discerner les vrais risques et à mettre en balance la dignité de la personne et les exigences, certes légitimes, de sécurité, considérant que celle-là devait être respectée tant que ceux-ci n'étaient pas démontrés.
b) Une urgence : appliquer les recommandations du Contrôleur général des lieux de privation de liberté
Compte tenu de cette situation, la délégation ne peut qu'exhorter les pouvoirs publics à appliquer les recommandations formulées par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté et, en particulier, à mettre un terme aux pratiques de retrait du soutien-gorge et de la paire de lunettes de vue qui portent atteinte à la dignité de la personne sans pouvoir être justifiées par un impératif de sécurité démontré.
Ces recommandations qui figurent dans le rapport annuel du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (cf. supra) se fondent sur des visites de terrain dans des locaux de garde à vue, comme en témoigne, par exemple, la publication ci-dessous.
La délégation estime ainsi nécessaire de faire preuve d'une juste appréciation du degré de dangerosité des objets susceptibles d'être considérés comme dangereux, et à ce titre confisqués aux personnes placées en garde à vue.
Les soutien-gorge et les lunettes ne sauraient, sauf en de très rares exceptions, être considérés comme de nature à présenter un péril pour la sécurité de la personne interpellée, ou celle d'autrui.
JOURNAL OFFICIEL DE LA REPUBLIQUE FRANCAISE n° 126 du 3 juin 2009 Contrôleur général des lieux de privation de liberté Recommandations du 11 mai 2009 relatives au commissariat central de police de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) Le commissariat central de police de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) a été visité par quatre contrôleurs du contrôle général des lieux de privation de liberté le 16 octobre 2008. Les observations factuelles recueillies au cours du contrôle ont été communiquées le 24 octobre 2008 au commissaire divisionnaire, chef de district. Elles ont donné lieu à une réponse en date du 8 décembre 2008. Le rapport complet de la visite a été communiqué pour observations, le 22 décembre 2008, à la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, qui a fait connaître sa réponse le 1er avril 2009. À la suite de cette procédure, et conformément à la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a décidé de rendre publiques les recommandations suivantes : 1. Les conditions d'hygiène sont indignes pour les personnes placées en garde à vue et celles placées en dégrisement : les toilettes « à la turque » débordent dans les chambres de sûreté, une odeur nauséabonde saisit toute personne pénétrant dans une cellule même inoccupée, les murs sont recouverts d'inscriptions et de matières diverses. L'entretien courant est totalement défaillant. De ce fait, il s'ensuit aussi des conditions de travail que les personnels ne devraient pas avoir à supporter. Des travaux doivent être entrepris sur-le-champ. Faute d'amélioration immédiate, les cellules de garde à vue et de dégrisement ne sauraient être utilisées. 2. Il revient à l'administration de contrôler les conditions d'exécution de la prestation de nettoyage assurée par une société privée, voire de faire évoluer les termes du marché par application du principe de mutabilité. 3. La pratique du retrait du soutien-gorge et de la paire de lunettes de vue doit être abandonnée : elle constitue une atteinte à la dignité de la personne que n'a pu justifier aucun impératif démontré de sécurité. 4. Toute personne doit pouvoir comparaître dignement devant un juge, un procureur et un officier de police judiciaire ; cette exigence rejoint celle des droits de la défense. La situation actuelle ne l'autorise pas : a) Aucune installation ne permet au garde à vue de faire sa toilette le matin ; b) Le rasage et le brossage des dents sont impossibles et le commissariat ne dispose d'aucun kit d'hygiène ; c) Les conditions de couchage ne sont pas réunies pour accueillir les personnes y passant la nuit en vue des auditions à venir : le matelas et la couverture sont attachés à la cellule et ne sont pas renouvelés avec l'arrivée d'une nouvelle personne gardée à vue ; il n'y a pas de matelas dans les chambres de sûreté. 5. La traçabilité du déroulement des garde à vue doit être assurée sur le registre prévu à l'article 65 du code de procédure pénale, et ce en temps réel et de manière complète. |
* 28 publiée au JOAN le 9 juin 2009, p. 5525