3. Le manque, voire l'absence, de concertation avec la profession de photographe
Le passage au passeport biométrique a, en outre, été marqué par un certain nombre de difficultés autour de la profession de photographe . Ces difficultés sont survenues aussi bien en amont, au cours de la phase de conception et de déploiement des stations d'enregistrement, qu'en aval, une fois les stations en état de fonctionnement dans les mairies.
Les stations d'enregistrement installées en mairie
Les stations d'enregistrement installées en mairie comprennent les composants suivants :
- les licences pour l'utilisation des logiciels conçus par Sagem Sécurité ;
- du matériel optique (dont une « douchette ») ;
- un appareil photo numérique et un pied ;
- deux colonnes d'éclairage ;
- un fond (« backdrop ») ;
- des lecteurs de cartes avec contact et de puces sans contact ;
- un PC ;
- une imprimante - scanner.
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Source : ANTS
Dotées du matériel nécessaire à une prise de photo en mairie, les stations d'enregistrement représentent de facto un élément de concurrence déloyale des photographes professionnels par l'Etat et les mairies elles mêmes. Or, le marché des photos d'identité constitue une part substantielle du chiffre d'affaires des photographes professionnels.
Selon les estimations de l'association pour la promotion de l'image (API), la perte pour les photographes professionnels et les 4.000 à 5.000 magasins photos en France représenterait près de 25 % à 30 % de leur chiffre d'affaires . Le dispositif impacterait également plus de 10.000 cabines de type Photomaton et, de façon corollaire, induirait une perte de recettes pour la SNCF et la RATP sous forme d'un manque à gagner sur les redevances d'emplacement versées par la société Photomaton pour l'implantation de ses cabines dans les gares 44 ( * ) .
La fragilisation de la profession de photographe pourrait dès lors, selon l'API, se traduire par une destruction d'emplois de l'ordre de 8.000 postes (1.500 au sein du groupe Kis-Photomaton et 6.500 chez les photographes indépendants).
Une telle situation serait d'autant plus dommageable que les photographes se sont conformés, au cours des dernières années, aux normes photographiques définies par l'OACI et requises pour les photos amenées à figurer sur le passeport biométrique (et auparavant sur le passeport électronique). Elle reviendrait à rendre caducs ces efforts et ces investissements .
Sur la base de cette analyse, votre assemblée a adopté contre l'avis du Gouvernement , en première lecture du projet de loi de finances rectificative pour 2008, un amendement co-signé par votre rapporteur général, Philippe Marini, et votre rapporteure spéciale visant à autoriser le demandeur à fournir lui-même les deux photos d'identité obligatoire pour la constitution de son dossier. En contrepartie, le montant du titre aurait été ramené à 81 euros pour un majeur, à 37 euros pour un mineur de quinze ans et plus, et à 12 euros pour un mineur de moins de quinze ans, soit une réduction du montant du titre de 8 euros.
Après examen par la commission mixte paritaire (CMP), votre assemblée a définitivement adopté un dispositif maintenant cette possibilité offerte au demandeur, moyennant toutefois une réduction de seulement 1 euro sur le montant du titre à acquitter. Par ailleurs, ce dispositif a précisé que le maire peut décider de ne pas procéder au recueil de l'image numérisée du visage du demandeur .
L'article 104 de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 : le maire peut débrancher l'appareil photographique incorporé à la station d'enregistrement L'article 104 de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 modifie l'article 953 du code général des impôts (CGI) dans le sens suivant : 1) si le demandeur fournit deux photographies d'identité, tel que prévu à l'article 6-1 du décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports, le montant du titre est de 88 euros pour un majeur ; 2) si le demandeur fournit deux photographies d'identité, tel que prévu à l'article 6-1 du décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 précité, le montant du titre pour un mineur de quinze ans et plus est fixé à 44 euros , et à 19 euros pour un enfant de moins de quinze ans ; 3) dans le cadre de sa mission de réception et de saisie des demandes de passeport, le maire peut décider de ne pas procéder au recueil de l'image numérisée du visage du demandeur. Dans ce cas, le demandeur doit fournir deux photographies d'identité de format 35 x 45 mm identiques, récentes et parfaitement ressemblantes, le représentant de face et tête nue, et conformes à un modèle-type fixé par arrêté du ministre de l'intérieur. |
Cette solution apportée par la loi de finances rectificative pour 2008 précitée ne représente toutefois qu'un pis aller, plaçant les maires dans une situation délicate , ne levant pas entièrement l'hypothèque sur le devenir du marché de la photo d'identité pour les photographes professionnels et laissant a priori l'usager dans l'incertitude quant à la possibilité, ou pas, de faire réaliser ses photos d'identité sur place en mairie s'il le souhaite.
En effet, depuis l'entrée en vigueur de l'article 104 précité et l'installation des stations dans les mairies d'accueil, la position des maires quant au débranchement de l'appareil photographique demeure variable d'une commune à l'autre.
Selon l'API, 739 mairies sur les 2.072 communes accueillant des stations 45 ( * ) ont pris la décision de débrancher l'appareil photographique, soit 35,7 %. La liste de ces mairies est annexée au présent rapport 46 ( * ) .
Votre rapporteure spéciale ne manquera pas de revenir sur cette question lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2010, et cela d'autant plus qu'en pratique les photos d'identité réalisées par des photographes professionnels font l'objet de nombreux rejets sans justification depuis l'entrée en fonctionnement des stations. Ces rejets, dus à des dysfonctionnements dans le système de lecture optique et informatique régissant la chaîne dématérialisée du dossier du demandeur d'un passeport biométrique, suscitent non seulement un allongement des délais de traitement des demandes, mais aussi l'embarras des agents en mairie comme des photographes professionnels, sans parler du mécontentement des usagers.
Votre rapporteure spéciale regrette ces aléas, qui nuisent à l'efficience des moyens mis en oeuvre pour la bonne réussite du projet du passeport biométrique et qui auraient très probablement pu être évités par une concertation avec la profession de photographe avant même la définition du cahier des charges des stations .
* 44 Ce manque à gagner est chiffré par l'API à 100 millions d'euros sur cinq ans.
* 45 Cf. infra Partie III-B.
* 46 Annexe 7.