3. Perspectives : la nécessaire expérimentation régionale
Nul n'en doute, lorsque l'ouverture se fera, il y aura à la fois une demande de la part des régions et une offre sérieuse de la part d'opérateurs capables qui ont déjà une certaine expérience des dessertes régionales à l'étranger. Veolia est d'ores et déjà le deuxième opérateur en Allemagne ; au Royaume-Uni, des sociétés autocaristes ont opéré et réussi leur reconversion en transporteur ferroviaire et sont vite devenus des acteurs majeurs de ce secteur ; même les opérateurs historiques nationaux, RATP en France, Deutsche Bahn en Allemagne, Chemins de fer fédéraux - CFF - en Suisse, pourraient être tentés par des liaisons régionales en France.
En revanche, si nul ne sait quelle sera l'ampleur de cette ouverture, nul ne doit ignorer l'avalanche de difficultés juridiques, techniques, sociales, qu'elle entraînera.
Dans ces conditions et pour toutes ces raisons, il semble que les enseignements d'une expérimentation sont irremplaçables. L'expérimentation permet de faire émerger l'ensemble des questions pratiques que soulève la mise en concurrence du transport ferroviaire, et permet aussi de bénéficier d'un effet d'apprentissage, utile dans les perspectives d'une éventuelle mise en concurrence des trafics grande ligne
L'argumentation développée dans le rapport au Premier ministre peut être reprise.
« L'expérimentation au niveau local permet peut-être, à l'échelle la plus adaptée, de proposer des solutions et des mécanismes innovants qui seront autant d'atouts potentiels pour faire face à la concurrence ultérieure au niveau des grandes lignes. D'une façon plus générale, il convient de s'assurer que le « plus » apporté par l'effet réseau lié à l'intégration actuelle de l'ensemble des fonctions au sein de la SNCF ne serait pas perdu si une organisation différente devait un jour être retenue.
Une éventuelle expérimentation de mise en concurrence devrait bien sûr être très strictement encadrée. En effet, les obligations en termes de sécurité, de ponctualité et d'efficacité sont bien entendu strictement les mêmes selon qu'un service est assuré à titre habituel ou à titre expérimental.
Une expérimentation pose aussi des questions particulières liées au fait même qu'il ne s'agit que d'une organisation temporaire. En effet, il convient de garantir la réversibilité du dispositif en s'assurant que rien ne puisse empêcher un retour éventuel à une situation non-concurrentielle ou un passage à un autre système (...). Il convient aussi, au nom de la réversibilité, de veiller à ne pas mettre en concurrence la totalité d'un réseau régional mais plutôt des sous-ensembles cohérents de lignes constituant des blocs fonctionnels relativement autonomes au sein du réseau.
Pour toutes ces raisons, j'estime que toute expérimentation devrait procéder en deux temps, à l'instar de la régionalisation ferroviaire au milieu des années 1990. Le temps du débat législatif sur une éventuelle expérimentation devra être précédé d'un temps de concertation avec l'ensemble des parties prenantes.
• Première
étape :
la concertation à travers le
comité de pilotage.
Les régions volontaires devraient avoir la possibilité d'appliquer de façon expérimentale le règlement communautaire sur les obligations de services publics, avec mise en concurrence de plusieurs opérateurs pour le service ferroviaire.
Une concertation sous forme de « comité de préparation » rassemblant les parties prenantes au niveau national apparaît indispensable pour identifier les objectifs, les questions, et définir les conditions concrètes d'expérimentation d'une ouverture à la concurrence, à l'instar de ce qui a été réalisé pour l'expérimentation de la régionalisation. Cette procédure est le gage d'une expérimentation maîtrisée.
• Deuxième
étape :
le vote de la loi permettant le recours
à l'expérimentation.
Conformément aux dispositions de la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République qui consacre par deux fois le principe de l'expérimentation, un quatrième alinéa à l'article 72 consacré aux collectivités territoriales prévoit que « dans les conditions prévues par la loi organique, et sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti, les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent, lorsque selon le cas, la loi ou le règlement l'a prévu, déroger, à titre expérimental pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'exercice d'une compétence ».
Il revient dans ce cadre expérimental à la collectivité territoriale d'élaborer la norme en lieu et place des autorités normalement compétentes. Le quatrième alinéa de l'article 72 confie au législateur ou au pouvoir réglementaire, pour ce qui le concerne, le soin d'autoriser cette dérogation. Cette dérogation ne peut avoir qu'un objet et une durée limités.
Dans ce cadre, une loi, traduisant les résultats de cette concertation du « Comité de préparation », autorisera les régions volontaires à appliquer, de façon expérimentale, les dispositions du règlement OSP avec mise en concurrence préalable ; elle précisera, en tant que de besoin, les principes de reprise des matériels et installations affectées au service, et les principes du transfert ou de la mise à disposition, si nécessaire et si souhaité, des personnels de la SNCF à un nouvel opérateur.
Tels sont donc les défis qu'il conviendra de relever pour réussir l'acte II de leur réussite ferroviaire. Ces nouveaux efforts produiront d'autant plus d'effets qu'ils pourront s'inscrire dans un cadre national cohérent . »
La proposition la plus sage serait, tout d'abord, de procéder à une évaluation objective de la régionalisation dans le cadre actuel par la mise en place d'un groupe de travail, avant de se livrer à une expérimentation dans quelques régions-pilotes que seule une modification de la LOTI peut permettre.
Certaines régions ont une sorte de tradition dans ce domaine. Elles pourraient, cette fois encore, s'en prévaloir.