b) ... malgré le contexte d'un choc de demande

Dans le contexte actuel, il se pourrait que l'effet contracyclique d'une relance directe de la demande par la consommation soit le plus radical , car les anticipations des entreprises, devenues particulièrement sombres 59 ( * ) , seraient rapidement confortées, alors que l'investissement public implique un certain détour (mise en place et concrétisation des projets puis redistribution ultérieure aux ménages des revenus correspondant à la dépense publique d'investissement) pour aboutir à un renforcement substantiel de la demande des ménages.

Par ailleurs, le contenu moyen en importation de l'investissement est sensiblement plus élevé que celui de la consommation , les biens d'équipement faisant traditionnellement l'objet de volumes d'importation soutenus. Nous avons noté que, pour les produits industriels, la part des produits importés excède généralement le tiers 60 ( * ) tandis qu'une étude de l'INSEE avait évalué à 36 % le contenu en importations de la demande des entreprises en 2001 ( supra ).

Puis on relèvera que la demande commande l'investissement privé selon le principe de l'accélérateur (encadré supra ). Selon ce mécanisme, qui s'inverse lorsque la demande anticipée diminue - ce qui est aujourd'hui le cas -, on peut craindre un effondrement de l'investissement à cause de perspectives de demande dégradées. En revanche, l'effet sur la demande intérieure de mesures destinées à soutenir directement l'investissement privé (notamment l'accélération de l'amortissement des investissements) apparaît hypothétique dans le contexte actuel d'une diminution du taux d'utilisation des capacités de production.

Bien entendu, faute de permettre aux entreprises de réviser leurs anticipations dans le cadre d'un soutien énergique d'une demande dont le repli est très marqué, les niveaux des revenus distribués et de l'emploi sont particulièrement menacés .

LA CHUTE DE LA CONSOMMATION AUX ETATS-UNIS

Sources : Société générale, Datastream

Sous un autre angle, rappelons que la relance française s'effectue au même moment que celles de ses principaux partenaires économiques, situation infiniment moins menaçante pour l'équilibre extérieur de la France que ne le serait une relance unilatérale. La « déperdition » de la relance nationale au profit des pays fabriquant des produits importés en France doit être relativisée, avec la perspective d'une compensation via nos exportations.

De fait, si la demande française de consommation et d'investissement adressée au monde recevait le soutien d'une politique de relance nationale, la demande mondiale de consommation et d'investissement adressée à la France devrait aussi recevoir le soutien des politiques de relance menées chez nos principaux partenaires commerciaux. Si ces partenaires mettent généralement l'accent sur l'investissement public et le soutien aux entreprises, ils ne négligent pas la consommation, que l'on songe :

- à la baisse de la TVA au Royaume-Uni (11,5 milliards d'euros) ;

- au « second » plan allemand de 50 milliards, dont près de la moitié pourrait être dévolu aux politiques de l'emploi et aux ménages.

Quant au plan de sauvetage américain, il devrait consacrer une proportion conséquente de ses 825 milliards d'euros à des réductions d'impôt consenties aux particuliers...

Ajoutons enfin que la France demeure un des pays les moins ouverts d'Europe :

TAUX D'OUVERTURE DES PRINCIPAUX PAYS D'EUROPE (2007)

Exportations / PIB

Importations / PIB

Taux d'ouverture

France

26,6 %

28,5 %

27,6 %

Allemagne

47,0 %

39,9 %

43,5 %

Italie

29,1 %

29,5 %

29,3 %

Espagne

26,5 %

33,3 %

29,9 %

Royaume-Uni

26,3 %

29,7 %

28,0 %

Source : Sénat, OFCE, Eurostat

Parce que la plupart des plans de relance mis en place dans les principales économies du monde ne sont pas suffisamment dosés en vue d'une relance rapide de la demande, une « seconde vague » de plans de relance apparaît, aujourd'hui, raisonnablement prévisible .

Au total, le dosage entre soutien à l'investissement et à la consommation pourrait utilement évoluer dans un sens plus favorable à cette dernière, en particulier dans le cadre d'un plan ultérieur de soutien à la demande élaboré au terme d'une véritable coordination européenne des plans de relance, susceptible de garantir que la demande adressée à la France ne progresse pas moins vite que la demande de la France au Reste du monde.

En l'absence de coordination, le multiplicateur résultant d'une relance par la consommation ciblée sur la moitié des ménages aux revenus les plus modestes, en tablant sur une propension moyenne à épargner de 10 % 61 ( * ) , pourrait s'établir à environ 0,9, sur la base d'un multiplicateur sans fuite unitaire. Mais dans l'hypothèse d'une coordination, le multiplicateur devrait être doublé ( supra ), ce qui le porte à environ 1,8. Dans cette hypothèse, pour obtenir un effet contra récessif de l'ordre de 3 points de PIB en Europe 62 ( * ) , un effort représentant 1,7 point de PIB, concentré en direction des ménages, pourrait constituer la base d'une discussion en vue de parvenir à une coordination véritable, sous réserve d'inflexions nationales liées aux écarts entre les propensions à épargner des ménages constatés au sein des différents Etats membres.

Pour sa part, l'économiste Philippe Aghion estime qu'« il aurait fallu faire une vraie relance de la demande et de la consommation, faire des chèques plus généreux aux ménages, comme aux Etats-Unis et en Espagne ». Il précise que la crise serait « d'abord une crise de la demande, y compris pour les entreprises françaises, c'est une situation typiquement keynésienne, il fallait donc apporter des réponses qui soutiennent directement la demande ».

Le « Think Tank » européen Bruegel milite plus précisément pour une baisse généralisée de la TVA au niveau européen dès le 1 er janvier 2009 63 ( * ) .

D'après l'économiste Jean-Philippe Cotis 64 ( * ) , « l'économie mondiale se trouve dans une situation "keynésienne" où consommation et investissement risquent de pâtir d'une confiance spontanément faible des ménages et des investisseurs. Dans un tel environnement, l'Etat a un rôle à jouer à travers le financement de projets publics de bonne qualité. Les effets d'un tel programme ne sont cependant pas instantanés. Il faut alors le compléter par des mesures fiscales de courte durée et, si nécessaire, par des dispositifs budgétaires et fiscaux visant à soutenir le pouvoir d'achat des ménages à revenu modeste ».

Il est certain que dans une stratégie de relance énergique à effet immédiat, l'investissement, dont les répercutions économiques ne peuvent être sensibles avant un semestre, n'est susceptible d'intervenir qu'en relais et en soutien d'une relance initiale de la consommation .

Naturellement, dans la perspective d'une relance française s'adressant aussi à la demande des ménages, les préoccupations sociales ne sauraient être ignorées.

Une récente enquête du CREDOC 65 ( * ) montre que la crise touche essentiellement les ménages les plus pauvres .

LA CRISE FRAPPE ESSENTIELLEMENT LES MÉNAGES LES PLUS PAUVRES, CONTRAINTS DE RESTREINDRE LEURS ACHATS ALIMENTAIRES
ET LEURS DÉPENSES DE SANTÉ, OU ENCORE DE S'ENDETTER

La crise frappe essentiellement les ménages pauvres, dont plus de la moitié n'ont que 250 euros par mois pour vivre une fois payées les dépenses fixes, révèle la première enquête globale sur les effets de la crise sur les Français, réalisée à la demande de Martin Hirsch.

Ce « baromètre social » du CREDOC compare, à travers quelque 80 questions, les conséquences de la crise sur les ménages moyens et ceux qui vivent sous le seuil de pauvreté (880 euros par mois pour une personne seule).

« Tous les Français disent ressentir les effets de la crise, mais celle-ci touche essentiellement les plus faibles », déclaré à l'AFP Matthieu Angotti, co-auteur de l'enquête, citant plusieurs « facteurs de fragilité » : avoir de faibles revenus, avoir moins de trente ans, des enfants, être au chômage ou locataire.

La situation de loin la plus critique est celle des familles monoparentales.

Plus de la moitié (56%) des ménages pauvres interrogés, représentatifs de 8 millions de ménages vivant sous le seuil de pauvreté, déclarent avoir moins de 250 euros par mois, une fois les dépenses fixes payées (logement, crédits, téléphone ...). Près de 15% de ces ménages sont même en négatif, et s'endettent un peu plus chaque mois. 16% déclarent être en surendettement, contre 7% de la population générale. 70% des ménages pauvres disent s'en sortir difficilement, contre 32% de l'ensemble de la population.

Dans ce contexte, si 40% des ménages en général ont puisé dans leur épargne plus que d'habitude les trois derniers mois, 28% des ménages pauvres ont été à découvert plus que d'habitude, contre 17% pour l'ensemble.

En matière de consommation, là encore, les ménages pauvres se distinguent.

"Tout le monde dit se restreindre, mais il faut faire la part entre l'anticipation, le « sentiment » de restriction, et les privations sur l'essentiel", souligne Matthieu Angotti.

52% des ménages pauvres ont annulé ou retardé les trois derniers mois une dépense importante contre 40% globalement, 51% se sont imposés plus de restrictions que d'habitude (39% de la population générale).

Globalement, les Français ont restreint les vacances et les loisirs, l'habillement, l'électroménager. Les plus pauvres se restreignent aussi sur les dépenses alimentaires (66%), diminuant la consommation de viande et de poisson, de fruits et légumes ou sautant des repas.

Les changements touchent aussi à la santé, domaine où les ménages pauvres se restreignent « significativement plus » que les autres. 31% ont renoncé à des soins dentaires (contre 15% des ménages en général) et 22% à des soins optiques. 59% des ménages pauvres dépenseront moins à Noël que l'an passé (contre 48% de la moyenne des ménages).

La crise conduit tout le monde à comparer davantage les prix, mais les ménages pauvres privilégient plus que les autres les magasins discount et se refusent tout achat « coup de tête ».

Ce « baromètre social », qui sera renouvelé tous les trois mois, confirme l'analyse des associations d'aide aux démunis, qui avaient récemment alerté sur l'aggravation de la précarité, antérieure à la crise financière, mais s'accentuant à cause d'elle.

Pour cette enquête, le CREDOC a interrogé 1.000 ménages moyens et 450 vivant sous le seuil de pauvreté.

Source : AFP

Nous savons que les ménages à faibles revenus ont la propension à consommer la plus forte et la propension à consommer des biens importés la plus faible.

Ainsi, le nécessaire traitement social de la crise converge avec la recherche d'une plus grande efficacité économique pour privilégier une injection de pouvoir d'achat en direction des plus démunis.

Selon quelles modalités ? Une baisse de la TVA (comme au Royaume-Uni) ne paraîtrait pas suffisamment ciblée, tandis que les baisses d'impôt direct seraient, d'une manière générale, contre-indiquées car, l'impôt sur le revenu s'adressant en France à la moitié des ménages les plus aisés, elles donneraient lieu à la formation d'une abondante épargne de précaution 66 ( * ) .

Une politique ciblée pourrait tendre à maintenir le pouvoir d'achat de ménages fragilisés par la crise en renforçant les droits à indemnités des demandeurs d'emploi. Ajoutons qu'une telle mesure, parce qu'elle n'engendrerait que des revenus de substitution, favoriserait d'autant moins les importations que c'est la propension moyenne à consommer des biens importés qui serait en jeu, et non la propension marginale .

* *

*

La France sait stimuler sa demande intérieure plus énergiquement que ses principaux partenaires commerciaux.

Parfois de façon excessive, comme au début des années quatre-vingt, ou de manière à creuser progressivement son déficit extérieur, comme ces dix dernières années.

A l'heure où la demande de nos principaux partenaires commerciaux doit connaître un ressaut significatif, il serait dommage que notre politique économique se manifeste par une prudence devenue inutile.

Veillons à ne pas ignorer la contrainte extérieure, mais veillons encore à ne pas la surestimer . Surtout dans une crise mondiale où plus personne ne devrait songer à faire cavalier seul en privilégiant l'offre, dans l'espoir de satisfaire la demande de ses voisins.

* 59 D'après l'Enquête mensuelle de conjoncture dans l'industrie de décembre 2008, les perspectives générales, qui représentent l'opinion des industriels sur l'activité de l'industrie dans son ensemble, continuent de se dégrader et restent en dessous de leur minimum historique.

* 60 Cf. graphe n°1a « Taux de pénétration des importations » de la note de l'OFCE annexée.

* 61 Ce taux correspond au taux d'épargne moyen constatés pour les cinq premiers déciles de revenus mais il peut être modulé par décile.

* 62 Selon la Commission européenne, le PIB devrait chuter brutalement de 1,8 % pour l'UE et de 1,9 % pour la zone euro en 2009 (communiqué du 19 janvier 2009).

* 63 Opinions recueillies dans Le Monde du 15 décembre.

* 64 Directeur générale de l'INSEE. Entretien au Monde du 14 janvier 2009.

* 65 Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie ; enquête rendue publique le 23 décembre 2008.

* 66 Pour limiter les fuites par l'épargne, Keynes préférait l'investissement public aux baisses d'impôts, avec un multiplicateur fiscal (c/s) inférieur au multiplicateur d'investissement (1/s), c étant la propension marginale à consommer et s la propension marginale à épargner.

Page mise à jour le

Partager cette page