N° 168
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2008-2009
Annexe au procès-verbal de la séance du 14 janvier 2009 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires européennes (1) sur les conséquences institutionnelles de la non - entrée en vigueur du traité de Lisbonne ,
Par M. Hubert HAENEL,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Hubert Haenel , président ; MM. Denis Badré, Michel Billout, Jean Bizet, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Aymeri de Montesquiou, Roland Ries, Simon Sutour, vice-présidents ; Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Hermange, secrétaires ; MM. Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Pierre Bernard-Reymond, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Gérard César, Christian Cointat, Pierre-Yves Collombat, Philippe Darniche, Mme Annie David, MM. Robert del Picchia, Pierre Fauchon, Bernard Frimat, Yann Gaillard, Mme Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Jean-René Lecerf, Mmes Colette Mélot, Monique Papon, MM. Jean-Claude Peyronnet, Hugues Portelli, Yves Pozzo di Borgo, Josselin de Rohan, Mme Catherine Tasca et M. Richard Yung. |
L'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne était prévue pour le 1 er janvier 2009. Avec la perspective d'un second référendum en Irlande, il est permis d'espérer que, si tout va bien, l'entrée en vigueur aura eu lieu au 1 er janvier 2010. Mais ce report qui, il faut bien le dire, était inattendu soulève un certain nombre de difficultés d'ordre institutionnel. Tel est l'objet du présent rapport.
I. LE PROBLÈME IRLANDAIS
Mais je voudrais tout d'abord revenir un instant sur le problème irlandais, qui est la clé de tout.
J'ai toujours dit, pour ma part, qu'il ne fallait pas sous-estimer le problème irlandais. Qu'on le veuille ou non, les traités européens ne peuvent être révisés qu'à l'unanimité ; et pour changer cette règle, il faudrait un accord unanime. Par ailleurs, les hypothèses évoquées ici et là selon lesquelles on pourrait pousser un État vers la sortie sont tout simplement chimériques. Donc, on ne peut pas se passer de l'accord de l'Irlande.
Or, la situation est très différente de ce qui s'est passé il y a six ans, lorsque les Irlandais avaient voté « non » au traité de Nice. Car il y avait eu alors une très faible participation : 34 % seulement des électeurs s'étaient déplacés, et le « non » avait obtenu une majorité étroite ; on disposait donc d'un argument valable pour organiser un second référendum. Effectivement, lors de ce second référendum, la participation a fortement augmenté (49 % des électeurs ont voté) et le « oui » a été très clair (plus de 60 %). Pour le traité de Lisbonne, nous sommes devant une autre configuration : la participation a été relativement élevée (53 %) et le résultat a été clair (plus de 53 % de non). Dans ces conditions, on ne peut pas se contenter, comme on l'avait fait la fois précédente, de donner des assurances sur la bonne interprétation du traité et d'inciter les électeurs à prendre davantage au sérieux le nouveau référendum. On ne peut pas dire aux électeurs irlandais : vous allez revoter, parce que vous n'avez pas bien compris la question.
En même temps, il est complètement exclu de renégocier le traité de Lisbonne : le gouvernement britannique, qui a eu suffisamment de mal à le faire ratifier, s'y oppose formellement, et de toute manière, la plupart des autres États membres ne veulent plus entendre parler des questions institutionnelles qui ont occupé pratiquement sans discontinuer l'actualité européenne pendant quinze ans. La voie pour trouver une solution est donc étroite. Le compromis qui a été dégagé par le Conseil européen comporte, je le rappelle, trois aspects :
Premier aspect : le gouvernement irlandais « s'engage à rechercher la ratification du traité de Lisbonne d'ici à la fin du mandat de l'actuelle Commission », c'est-à-dire en clair à organiser un nouveau référendum avant le 1 er novembre 2009.
Deuxième aspect : ce référendum ne se fera pas uniquement sur la base du traité de Lisbonne. Le Conseil européen s'engage à apporter les « garanties juridiques nécessaires » pour répondre aux préoccupations irlandaises sur un certain nombre de points. Autrement dit, il s'engage à faire adopter, en cas d'approbation du traité de Lisbonne, un certain nombre de textes concernant l'Irlande.
Et pour que ces textes apportent effectivement des « garanties juridiques » , il faudra bien, me semble-t-il, qu'il s'agisse de protocoles ayant la même valeur que les traités . Comme il faut en même temps éviter de lancer un nouveau processus de ratification, la seule solution praticable semble que ces protocoles soient ratifiés en même temps que le futur traité d'adhésion de la Croatie , c'est-à-dire vraisemblablement en 2010. Sur quels domaines porteront les « garanties juridiques » accordées à l'Irlande :
- il y aura tout d'abord un texte garantissant qu'aucune « des dispositions du traité de Lisbonne ne modifie en quoi que ce soit, pour aucun État membre, l'étendue ou la mise en oeuvre des compétences de l'Union dans le domaine fiscal » ;
- il y aura ensuite un texte rappelant que « le traité de Lisbonne n'affecte pas la politique de sécurité et de défense des États membres, y compris la politique traditionnelle de neutralité de l'Irlande, ni les obligations de la plupart des autres États membres » ;
- enfin, il y aura un texte garantissant que « les dispositions de la Constitution irlandaise concernant le droit à la vie, l'éducation et la famille ne sont pas du tout affectées par l'attribution par le traité de Lisbonne d'un statut juridique à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et par les dispositions dudit traité relatives à la justice et aux affaires intérieures. »
Il faut noter que ces trois points ne sont pas les seuls que le gouvernement irlandais avait mentionnés comme étant des préoccupations importantes des électeurs irlandais. Deux autres points étaient mentionnés : d'une part, le progrès social, en particulier la protection des travailleurs, et d'autre part, l'attachement aux services publics. Sur ces points, les conclusions du Conseil européen laissent penser qu'il y aura simplement une déclaration interprétative du Conseil européen, confirmant « l'importance » que l'Union attache à ces thèmes.
J'en viens maintenant au troisième aspect du compromis, le plus connu. Le traité de Lisbonne prévoit, à partir de 2014, le passage à une Commission resserrée, où les États membres perdraient une fois sur trois leur pouvoir de proposer un commissaire. Il faut noter que, dans cette formule, les États membres restent strictement sur un pied d'égalité : ils perdront tour à tour, une fois sur trois, leur pouvoir de proposer un commissaire, sans qu'on fasse la moindre différence entre Malte et l'Allemagne. Toutefois, les rédacteurs du traité de Lisbonne étaient conscients que cette formule était loin d'être idéale, et ils avaient laissé la possibilité au Conseil européen de retenir à l'unanimité une autre formule.
Cette possibilité est à la base du troisième aspect du compromis : le Conseil européen s'engage par avance à utiliser cette faculté, en cas d'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, pour maintenir même après 2014 le principe d'un commissaire par État membre.
Je dois dire que ce compromis sur la composition de la Commission provoque un soulagement assez général. Personne ne croyait qu'une Commission où il y aurait deux Baltes et aucun Allemand, où un Maltais aurait voix au chapitre et non un Anglais, pourrait pleinement conserver son autorité, sa légitimité pour remplir ses missions. Lorsque nous avions débattu du sujet à la Convention, cette formule avait d'ailleurs été écartée. Nous avions prévu un commissaire par État membre pour que chacun puisse dire son mot, et c'était seulement le droit de vote qui aurait été attribué à certains commissaires, tour à tour, par rotation égalitaire. Cette formule n'était pas non plus très satisfaisante, et la Commission européenne, pour sa part, souhaitait purement et simplement le maintien d'un commissaire de plein exercice pour chaque État membre. Finalement, il me semble que de ce côté-là, le problème irlandais est l'occasion de rectifier un aspect peu réussi du traité de Lisbonne.
Je sais bien qu'on peut dire que demain, nous allons accueillir de nouveaux membres, qu'il n'y aura plus vingt-sept commissaires mais trente ou trente-cinq. Cependant, il y a bien des gouvernements qui ont autant de membres, voire plus, et qui fonctionnent : le tout est qu'il y ait à la tête du collège un véritable leadership. Or, depuis le traité de Nice, et plus encore avec le traité de Lisbonne, le président de la Commission a les moyens de remplir ce rôle.