2. Le choix de la CNIL plutôt que d'une commission ad hoc
Une autre solution consisterait à confier les attributions actuelles des préfets et des commissions départementales à une autorité administrative indépendante spécialisée, dont la commission nationale de la vidéosurveillance serait le précurseur.
Si cette solution présente des avantages communs avec la première évoquée (homogénéité des décisions en particulier), elle présente plusieurs inconvénients.
Tout d'abord, à la suite des travaux de notre collègue Patrice Gélard sur les autorités administratives indépendantes (AAI) 38 ( * ) , votre commission des lois est opposée à en créer de nouvelles, très spécialisées, dans des secteurs connexes à des AAI déjà en place. Or, en l'espèce, force est de reconnaître que la CNIL a toujours conservé la vidéosurveillance dans son champ de vision. Au surplus, l'attribution de cette compétence supplémentaire à la CNIL coûterait certainement moins cher.
Surtout, il semble important à vos co-rapporteurs au moment où les technologies de l'information et de traçage se développent à une vitesse exponentielle de conserver une vue d'ensemble sur tous ces enjeux.
En effet, prise isolément, chaque technologie de l'information présente des risques au regard des libertés individuelles et du respect de la vie privée, mais ces risques restent généralement tolérables et maîtrisables. En revanche, l'addition de chacune de ces technologies et des données personnelles ainsi emmagasinées -cartes de crédit, géolocalisation, téléphone, vidéosurveillance, documents d'identité biométrique, réseaux sociaux...- peut mettre en cause directement l'intégrité de notre vie privée et de nos libertés individuelles.
M. Alex Türk, président de la CNIL, a notamment alerté vos co-rapporteurs sur la situation dans les aéroports où la multiplication des mécanismes de contrôle 39 ( * ) aboutit à une mise à nue, au sens propre comme figuré, des voyageurs.
C'est la raison pour laquelle la CNIL est l'autorité la mieux préparée pour assurer cette mission compte tenu de sa taille, de son ancienneté, de sa notoriété et de son indépendance reconnue.
3. Pour un vrai contrôle
Le contrôle s'exerce à deux moments : a priori et a posteriori.
Le contrôle a posteriori appartient aujourd'hui aux commissions départementales de vidéosurveillance. Le préfet en connaît également, en particulier depuis que la loi du 23 janvier 2006 dispose que l'autorisation est délivrée pour une durée de cinq ans. Cela signifie qu'à partir de 2011, les préfets auront à faire le point sur les systèmes déjà autorisés.
Toutefois, les témoignages des différentes personnes entendues montrent que ces mécanismes de contrôle a posteriori fonctionnent mal. Les principaux défauts sont la non permanence des commissions départementales et leur manque d'expertise technique.
L'attribution de cette mission à la CNIL 40 ( * ) permettrait au contraire de professionnaliser le contrôle. En effet, la technicité de la matière requiert des contrôleurs professionnels qui soient crédibles face aux responsables des systèmes et aux industriels. La CNIL dispose naturellement de cette expérience et de la taille critique.
En outre, la notoriété de la CNIL et sa visibilité inciteraient un plus grand nombre de personnes à signaler des dysfonctionnements, des utilisations abusives, voire des systèmes installés sans autorisation en toute illégalité.
Toutefois, le premier contrôle intervient au moment de la délivrance de l'autorisation. Il s'agit en particulier de s'assurer du respect des finalités prévues par la loi, de la nécessité du système et de la proportionnalité du dispositif choisi.
La procédure en vigueur pour la vidéosurveillance des espaces publics attribue cette compétence au préfet.
Le choix du préfet n'était pas contestable en 1995, lorsque l'intérêt de la vidéosurveillance n'était pas bien identifié et l'Etat n'était pas un partisan du développement de la vidéosurveillance. Le préfet apparaissait alors comme un tiers neutre chargé d'appliquer une législation restrictive et conçue pour permettre la vidéosurveillance, mais sans la faciliter.
Cet équilibre n'existe plus aujourd'hui. Le cadre légal est resté quasi-identique, mais l'Etat est devenu un promoteur de la vidéosurveillance.
Le plan national de développement de la vidéosurveillance aboutit à une co-production en matière de sécurité, associant les collectivités, des partenaires privés et les services de police et de gendarmerie. Ces derniers grâce au raccordement d'images figurent parmi les principaux bénéficiaires des systèmes de vidéosurveillance.
Dans certains cas, le préfet autorisera des systèmes de vidéosurveillance après avoir participé à leur élaboration dans le cadre des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, voire à leur financement. Le préfet se trouve malgré lui en position de juge et partie.
Toutefois, ces observations ne doivent pas être mal interprétées. Elles n'ont pas pour objet de faire le procès des préfets qui appliquent la loi. Les données disponibles montrent d'ailleurs qu'une proportion significative des demandes d'installation de système de vidéosurveillance fait l'objet d'un refus.
En 2007, 790 refus ont été opposés à des demandes d'autorisation (+ 155 % par rapport au 309 refus enregistrés en 2006) pour 9.762 autorisations délivrées.
Les motifs de refus sont :
- un dossier incomplet (39 %) ;
- un système hors du champ de la loi (32 %) ;
- l'absence de risque particulier d'agression, de vol ou de terrorisme (9 %) ;
- une atteinte disproportionnée aux libertés individuelles (7 %) ;
- une finalité non conforme à la réglementation (3 %) ;
- la visualisation de la voie publique par une autorité non compétente (2 %) ;
- une information insuffisante du public (2 %) ;
- autre (6 %).
Le ministère de l'intérieur observe que l'augmentation, par rapport à 2006, du nombre de dossiers d'autorisation refusés, porte essentiellement sur des dossiers jugés incomplets (39 % des motifs de refus au lieu de 25 % en 2006) ou concernant des systèmes hors du champ de la loi (32 % des motifs de refus au lieu de 20 % en 2006). Inversement, l'absence de risque d'agression, de vol ou d'acte de terrorisme ne représente que 9 % des motifs soit deux fois moins qu'en 2006. De même, les dossiers refusés pour atteinte disproportionnée aux libertés individuelles représentent 7 % des refus en 2007 au lieu de 15 % en 2006.
Ces variations sont délicates interprétées : soit les demandes ont changé de nature, soit les préfectures procèdent à un examen plus formel des dossiers.
* 38 Rapport n° 404 (2005-2006) « Les autorités administratives indépendantes : évaluation d'un objet juridique non identifié » au nom de l'Office parlementaire d'évaluation de la législation.
* 39 On citera les passeports biométriques, les données PNR, le « body scanning », l'insertion de puces RFID sur les billets, la vidéosurveillance...
* 40 Du fait des interstices de la législation et de la compétence de la CNIL.