B. LES OBJECTIFS DE LA LOI DU 13 AOÛT 2004 : AMÉLIORER LA LISIBILITÉ ET L'EFFICACITÉ DES INTERVENTIONS PUBLIQUES EN FAVEUR DES ENSEIGNEMENTS ARTISTIQUES
A la veille de l'acte II de la décentralisation, le paysage de l'enseignement artistique en France est contrasté : d'un côté, le réseau public d'enseignement initial est sans doute l'un des plus développés au monde ; mais de l'autre, vingt ans après les premières lois de décentralisation, le système reste porteur d'insatisfactions et notamment d'un manque de lisibilité.
Aussi, au moment de la genèse du projet de loi, un certain nombre de réflexions préalables - globalement convergentes - permettent de nourrir et d'inspirer la nouvelle étape dans l'organisation territoriale des enseignements artistiques.
1. Une réponse à des préoccupations anciennes
a) Une exigence de clarification des responsabilités et des financements
L'exigence de clarification de l'organisation territoriale et des modalités de financement de l'enseignement artistique a été réaffirmée, ces vingt dernières années, par plusieurs rapports, dont notamment :
- le rapport sur « la décentralisation culturelle » , remis au ministre de la culture et de la communication en 1990 par M. René Rizzardo , ancien directeur de l'Observatoire des politiques culturelles ; ce rapport préconisait un financement à trois niveaux - inspiré du schéma prévalant en matière d'établissements et d'équipements scolaires -, dans lequel les communes auraient la responsabilité du 1 er cycle, les départements celle du 2 e cycle et enfin les régions celle du 3 e cycle ;
- plus qu'un rapport, le plan de décentralisation, des enseignements artistiques élaboré en 1996 par Mme Anne Chiffert, directrice de la musique et de la danse du ministère de M. Philippe Douste-Blazy, qui aurait dû être adopté dans le cadre d'un projet de loi de programme ; ce plan confiait notamment aux régions la compétence en matière d'enseignement préprofessionnel ; toutefois, à défaut des financements nécessaires, ce plan a été abandonné au moment de l'alternance gouvernementale ;
- enfin, les travaux de la mission commune d'information du Sénat chargée de dresser le bilan de la décentralisation dont notre collègue Michel Mercier était le rapporteur 3 ( * ) ; présenté en juin 2000, ce rapport avait relevé le manque de clarté de la répartition des compétences en matière d'enseignement artistique, caractéristique, ce faisant, du « paysage confus » prévalant en matière d'interventions culturelles : « la culture est un domaine qui a fait l'objet de transferts de compétence limités, circonscrits aux bibliothèques et aux archives. Pour le reste, l'enchevêtrement des compétences partagées entre l'État et les collectivités locales, agencé par une multitude de contrats, a engendré une complexité flagrante » ; la mission sénatoriale préconisait ainsi de mieux identifier les prérogatives de chacun des intervenants, en plaçant les établissements « sous l'entière responsabilité des collectivités locales - majoritairement des communes - qui sont à l'origine de leur création, dans le cadre d'un schéma départemental d'enseignement artistique » et en faisant des régions le « chef de file pour l'enseignement de haut niveau à vocation professionnelle » ; elle suggérait, en outre, d'accompagner ce transfert de responsabilités d'un « financement approprié » , « associant l'État, le département et peut-être la région, pour contribuer à aider les communes les moins riches à faire face aux besoins. »
L'ensemble de ces réflexions ont trouvé une première concrétisation dans un cadre expérimental, avant d'influencer la rédaction du projet de loi constituant l'« acte II » de la décentralisation.
b) De la réflexion à l'expérimentation : la mise en place d'un protocole de décentralisation en région Nord-Pas-de-Calais
A la suite de la remise du rapport de la « Commission Mauroy » 4 ( * ) au Premier Ministre en octobre 2000, le Gouvernement a demandé à l'ensemble des ministères d'entreprendre dès 2001 des expérimentations devant préfigurer une nouvelle étape de la décentralisation.
Dans le domaine de la culture, les protocoles de décentralisation ont mis en oeuvre, dans le domaine du patrimoine et des enseignements artistiques, et pour une durée de trois ans, une « démarche contractuelle, progressive et prospective », répondant à trois objectifs :
- clarifier et redéfinir les responsabilités de chacune des collectivités ainsi que celles qui relèvent de l'État au titre de l'intérêt national ; cela passe notamment par la désignation d'une collectivité « chef de file » ;
- développer et améliorer le service public de la culture ;
- dégager les dispositions susceptibles d'inspirer les prochaines étapes de la décentralisation.
Sur les douze protocoles de décentralisation culturelle signés entre 2001 et 2002 (avec huit régions et quatre départements), un seul, conclu entre l'État et la Région Nord-Pas-de-Calais le 29 novembre 2001, a concerné le domaine des enseignements artistiques , dans ses deux volets :
- enseignement de la musique, de la danse et du théâtre ,
- et arts plastiques .
Ce protocole a fait l'objet d'un accompagnement financier : pour les trois années de sa mise en oeuvre, l'État et la Région ont chacun consacré 15 millions de francs de crédits supplémentaires , soit un total de 10 millions de francs par an.
Pour chacun des deux volets, un protocole d'application a fixé les objectifs ou axes de travail, tels que retracés dans l'encadré ci-après.
LES PRINCIPAUX OBJECTIFS DU PROTOCOLE DE DÉCENTRALISATION
- L'état des lieux : un tissu dense de structures d'enseignement artistique (450 écoles accueillant plus de 40 000 élèves, dont 2 CNR et 8 ENR accueillant près de 8 000 élèves et plus de 400 enseignants, pour un budget global de 108 millions de francs ; en parallèle, 9 écoles agréées, 200 écoles municipales et intercommunales et 400 écoles associatives). - Les évolutions identifiées comme nécessaires : l'élargissement des champs disciplinaires pour faciliter l'accès de nouveaux publics ; la mise en place d'une politique de qualification et de stabilisation des personnels afin de remédier à la précarité de l'emploi ; le développement de l'intercommunalité pour structurer le réseau des établissements ; la création de structures d'enseignement supérieur et de formation professionnelle. - Les objectifs et modalités de mise en oeuvre : en vue de structurer, améliorer et développer le service public de l'enseignement et de clarifier les responsabilités : * Mise en oeuvre d'actions partenariales associant la région, les départements et l'État * Responsabilité assumée de façon conjointe par l'État et la région sur l'enseignement à vocation professionnelle et l'enseignement supérieur * Incitation de l'État pour que les départements développent et structurent le réseau des établissements au niveau de leur territoire * Identification à terme de collectivités « chef de file » pour l'impulsion et la coordination de l'action publique : la région pour l'enseignement à vocation professionnelle, les départements pour la structuration de l'enseignement initial, l'État pour la formation des enseignants.
- Clarifier les missions et les responsabilités fonctionnelles : la région est identifiée comme « chef de file » pour atteindre l'objectif de fédérer et rationaliser l'offre multisites, par la mise en place de moyens à même de la structurer et de la conforter. - Développer et améliorer le service public de la culture : mise en place d'une instance de réflexion régionale capable, d'une part, d'initier et mettre en oeuvre des projets élaborés par les établissements (ateliers de recherche-création, croisement de disciplines...), et, d'autre part, de développer des passerelles avec le monde de la recherche et l'Université. - Dégager les dispositifs susceptibles d'inscrire ces cursus dans une perspective de développement durable : développement, notamment, des informations sur le devenir des diplômés, en termes de débouchés et de production-création. |
Lors de son déplacement à Lille, votre rapporteur a pu échanger, avec les responsables de la DRAC et du Conseil régional, sur les enseignements tirés de cette expérimentation, venue en préfiguration de la loi du 13 août 2004 dans cette région qui connaît une forte tradition de pratiques artistiques.
Il en ressort les principales observations suivantes :
- l'impulsion forte de la Région et de la DRAC, aux niveaux financier comme humain, ont été fondamentales ; la Région avait une antériorité sur le sujet puisqu'elle finançait déjà les 2 CNR (environ 4 millions de francs, soit 10 % de leur budget) ;
- la réalisation d'un état des lieux et l'organisation de réunions sur le terrain ont permis aux élus de s'approprier le sujet et d'en mesurer les enjeux ; cela a également permis de prendre la mesure de l'insuffisante qualification des enseignants et de l'extrême densité et diversité du réseau d'écoles ;
- les deux volets du protocole se sont rapidement autonomisés , leurs logique et problématique étant différentes ;
- dans le domaine de la structuration des enseignements artistiques, les priorités sont allées à la formation des enseignants en poste et à la mise en réseau des établissements, en s'appuyant sur l'échelon intercommunal : à cette fin, le soutien aux établissements s'est porté sur des « sites pilotes » (dont 5 situés dans le département du Pas-de-Calais), désignés par un appel à projet fondé sur 9 critères, le premier étant l'organisation en intercommunalité ; ces sites ont désigné une « école ressource » comme tête de réseau et ont recruté un coordonnateur ; des conseils de site se sont mis en place, comme pôles d'animation du territoire ;
- sur l'enseignement à vocation professionnelle, le protocole a permis de mettre en place des diplômes de fin de cycle communs au niveau régional ;
- l'échelon départemental n'a pas été impliqué dans le protocole, d'autant que les conseils généraux n'avaient guère d'antériorité sur le sujet.
Avant que cette expérimentation arrive à son terme et qu'une évaluation complète en soit faite, le projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales a repris, avec cependant quelques nuances, les grands principes du volet de ce protocole relatif aux enseignements artistiques.
L'ambition du texte est louable, car les objectifs sont, de la même façon, la clarification des responsabilités des collectivités publiques et l'amélioration du service public d'enseignement spécialisé.
* 3 « Pour une République territoriale : l'unité dans la diversité », rapport d'information de M. Michel Mercier, fait au nom de la mission commune d'information chargée de dresser le bilan de la décentralisation et de proposer les améliorations de nature à faciliter l'exercice des compétences locales, Sénat, n° 447 (1999-2000).
* 4 « Refonder l'action publique locale », rapport de la commission pour l'avenir de la décentralisation, présidée par M. Pierre Mauroy, remis au Premier Ministre, M. Lionel Jospin, 17 octobre 2000.