B. UNE REDISTRIBUTIVITÉ MONÉTAIRE LIMITÉE ET PRINCIPALEMENT COMPENSATRICE
Plusieurs indices convergent donc pour établir que le système public de santé exerce des propriétés redistributives en améliorant le sort des ménages les plus modestes relativement à celui des bénéficiaires potentiels des plus favorisés.
Toutefois, des données moins globales conduisent à tempérer ce constat .
1. Incertitudes techniques
- Tout d'abord, le diagnostic de redistributivité du système repose sur des conventions nécessairement approximatives d'un point de vue technique . En particulier, la dépense par ménage dans chaque décile est estimée sur la base de la moyenne des dépenses constatées. Avec une telle méthode, on ne saisit pas les effets éventuels de concentration des dépenses à l'intérieur de chaque décile. La précision du diagnostic de redistributivité entre déciles de revenus en est nécessairement affectée.
Surtout, une partie importante de l'apparente « surconsommation » médicale des catégories à faibles revenus provient de leur recours à des soins hospitaliers. Or, la tarification des services hospitaliers n'est pas d'une telle précision et transparence qu'il soit certain que les imputations aux différentes catégories soient pertinentes. Pour le vérifier, il faudrait pouvoir disposer de profils de soins hospitaliers très détaillés et être sûr que les coûts relatifs à chaque type de soins soient correctement identifiés.
2. Des « restes à charge » anti-redistributifs qui réduisent l'égalisation de droits d'accès
* Par ailleurs, le constat de la redistributivité des dépenses publiques de santé reste cantonné au système public lui-même .
Celui-ci comporte des mécanismes redistributifs (moyennant des nuances qualitatives - v. infra ), mais ce diagnostic n'équivaut pas à un constat de redistributivité global du système de santé français.
Ce dernier constat est suspendu à l'étude de l'étendue du système public de santé. La redistributivité d'un système de prise en charge collective d'une consommation peut être très forte sans pour autant que ce système assure une péréquation globale, dès lors que la fraction de la consommation prise en charge est faible.
En ce qui concerne le système public de santé, on doit observer que, s'il couvre en France une part relativement élevée des dépenses, il laisse à la charge des ménages une fraction non négligeable de leurs dépenses .
DÉPENSES DE SANTÉ RESTANT À LA CHARGE DES MÉNAGES (EN % DU TOTAL) EN 2004
Royaume-Uni |
Japon |
France |
Allemagne |
Italie |
Canada |
États-Unis |
14 |
20 |
22 |
23 |
25 |
30 |
55 |
Source : OCDE ; dépenses non couvertes par les régimes publics obligatoires de Sécurité sociale
Cette fraction est beaucoup plus faible qu'aux États-Unis , où le système public de santé peut être jugé très fortement redistributif dans les limites de son intervention mais relève d'une appréciation radicalement contraire quand on examine son extension.
Toutefois, les 22 % des dépenses de santé restant à la charge des ménages 116 ( * ) conduisent à examiner les effets des limites posées à l'intervention du système public de santé sur les ménages appréhendés en fonction de leurs niveaux de revenu.
Sous cet angle, on observe que, si le « reste à charge » supporté par les ménages augmente en fonction de leur revenu , il représente une charge proportionnellement nettement plus lourde pour les revenus les plus faibles ( graphique ci-après ) 117 ( * ) .
LE RESTE À CHARGE DES MÉNAGES (INDICATEUR
EN NIVEAU) :
LES DÉPENSES DE SANTÉ DES MÉNAGES
DIMINUÉES DES PRESTATIONS REÇUES (APPROCHE « COMPTES DE
LA SANTÉ »)
Sources : « L'assurance-maladie contribue-t-elle à redistribuer les revenus ? », Laurent Caussat, Sylvie Le Minez et Denis Raynaud. DREES, « Les dossiers solidarité et santé », n° 1, janvier-mars 2005.
Elle est de 5,4 % du revenu pour les ménages du premier décile et décroît pour se monter à 0,8 % pour ceux du dernier décile.
La répartition du « reste à charge » des ménages apparaît nettement anti-redistributive .
Traduisant les limites de l'extension de l'assurance-maladie publique, elle conduit à nuancer le constat de ses propriétés redistributives , nuances qui ne doivent pas être vues comme attribuables aux dépenses publiques de santé mais bien au champ limité qui est le leur.
Les limites de la redistributivité du système de santé français en lien avec l'ampleur de la couverture publique, pourraient d'ailleurs être sensiblement plus importantes que ce que montrent les chiffres précédents.
Il est probable que la contrainte budgétaire qui pèse particulièrement sur les revenus les plus faibles conduit à renoncer à des dépenses de santé, ou à certaines catégories d'entre-elles . De fait, la consommation de soins par les ménages relativement défavorisés apparaît typée par rapport à celle des autres ménages. Ils recourent davantage à l'hôpital et moins aux consultations de spécialistes, qui sont moins remboursées. C'est d'ailleurs pour cela que les taux de remboursement dont ils bénéficient sont plus élevés.
Si on plaquait la structure de consommation médicale des ménages relevant du décile des revenus les plus élevés sur les ménages du premier décile - celui où les revenus sont les plus faibles -, le reste à charge de ces ménages s'élèverait à plus de 8 % de leur revenu (contre 5,4 % constatés), soit dix fois plus que ce qui reste à la charge des ménages les plus aisés .
* Ces dernières observations conduisent à évoquer une nuance qualitative aux propriétés redistributives du système public de santé.
Il a été suggéré plus haut que ce système, par sa seule existence, pouvait être considéré comme redistributif sous l'angle des conditions d'accès aux soins : en son absence, il est probable que la répartition de l'accès aux soins serait plus inégalement répartie, ce que d'ailleurs confirment les exemples étrangers où le système public d'assurance est moins développé.
Il reste que l'extension du système public est en France variable selon les filières de soins si bien que l'égalisation des conditions d'accès aux soins qu'il engendre globalement s'accompagne de performances moins favorables sous cet angle quand certaines catégories d'offres médicales sont envisagées .
* 116 Dont une partie est couverte, mais inégalement selon les ménages, par des assurances complémentaires.
* 117 Ces estimations ne tiennent pas compte de l'introduction des « franchises médicales » qui compte tenu de la distribution des dépenses de santé en fonction du revenu ont des impacts antiredistributifs incontestables.