B. L'INVOCATION DES RÈGLES DE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

Lorsque la maternité pour autrui a été pratiquée dans un pays où elle est légale, les couples français tentent de se prévaloir des règles de droit international privé pour lui permettre de produire des effets en droit interne.

1. L'inefficacité des sanctions pénales lorsque la maternité pour autrui est pratiquée à l'étranger conformément aux lois du pays

Le recours à une mère de substitution dans les pays où cette pratique est légale permet tout d'abord aux couples français d'échapper au risque de sanctions pénales.

En effet, la loi pénale française est applicable :

- aux infractions commises sur le territoire de la République, une infraction étant réputée commise sur ce territoire dès lors qu'un de ses faits constitutifs y a eu lieu 77 ( * ) ;

- à tout crime commis par un Français hors du territoire de la République 78 ( * ) ;

- aux délits commis par des Français hors du territoire de la République si les faits sont punis par la législation du pays où ils ont été commis 79 ( * ) ;

- à tout crime, ainsi qu'à tout délit puni d'emprisonnement, commis par un Français ou par un étranger hors du territoire de la République lorsque la victime est de nationalité française au moment de l'infraction 80 ( * ) .

Compte tenu de ces règles, les couples ayant eu recours à une mère de substitution dans un pays où cette pratique est légale ne peuvent être poursuivis à leur retour en France , pour délits de supposition d'enfant, de provocation à l'abandon d'enfant ou d'entremise en vue d'une gestation pour autrui, que si l'un des faits constitutifs de cette infraction a eu lieu sur le territoire de la République .

Il peut en être ainsi quand l'enfant est né en France ou quand il a été introduit secrètement sur le territoire national. Ont ainsi été condamnés à trois ans d'emprisonnement avec sursis, sur le fondement de l'article 227-13 du code pénal, deux époux qui avaient introduit clandestinement en France un nouveau-né originaire du Brésil et l'avaient faussement déclaré à l'état civil après avoir simulé un accouchement en 1993 81 ( * ) .

A l'inverse, si tous les faits se sont produits à l'étranger, aucune poursuite ne peut aboutir . Dans l'affaire jugée par la cour d'appel de Paris le 25 octobre 2007, évoquée en introduction, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Créteil avait ainsi délivré à l'encontre de Dominique et Sylvie Mennesson un réquisitoire introductif visant les articles 227-12 et 227-13 du code pénal. Comme toutes les démarches du couple avaient été entreprises sur le sol américain, depuis la prise de contact avec la mère de substitution jusqu'à la demande de transcription des actes de naissance des jumelles sur les registres de l'état civil consulaires, une ordonnance de non-lieu fut rendue le 30 septembre 2004.

2. Le principe de la validité en France des actes de l'état civil étrangers

Le recours à une mère de substitution dans les pays où cette pratique est légale permet aussi aux couples français de disposer d'actes de naissance étrangers. Or, en vertu des principes de confiance et de réciprocité sur lesquels se fondent les relations internationales, les actes de l'état civil étrangers régulièrement établis font foi en France en l'absence de transcription sur les registres de l'état civil français , à l'exception des actes de mariage concernant des Français 82 ( * ) .

L'article 47 du code civil, modifié en dernier lieu par la loi n° 2006-1376 du 14 novembre 2006 relative au contrôle de la validité des mariages, dispose ainsi que : « Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité . »

Pour produire leurs effets de plein droit en France, les actes de l'état civil étrangers, qu'ils concernent des Français ou des étrangers, doivent non seulement avoir été établis conformément à la loi locale , mais également avoir été traduits et authentifiés . En revanche, ils ne peuvent être mentionnés en marge d'un acte français qu'avec l'autorisation du procureur de la République territorialement compétent.

La preuve du respect de la loi locale incombe à la personne qui produit une copie ou un extrait de l'acte étranger. Elle est le plus souvent établie par un certificat de coutume, attestation délivrée par toute personne paraissant posséder une connaissance juridique suffisante.

Pour éviter des frais de traduction qui peuvent être lourds, la France est liée à de nombreux pays européens par une convention prévoyant l'utilisation d'extraits plurilingues.

Quant à l'authentification d'un acte étranger, elle suppose en principe sa légalisation par le consul français territorialement compétent ou le consul du pays concerné en France : celui-ci vérifie que le document émane bien d'une autorité qualifiée et que la signature qui y figure est bien la sienne ; en revanche, il ne contrôle pas la véracité des faits énoncés dans l'extrait ou la copie.

La convention de La Haye du 5 octobre 1961 a instauré entre les Etats qui l'ont ratifiée un régime simplifié d'authentification, appelé l'apostille. Celle-ci est délivrée par une autorité du pays où le document a été établi, plus proche de l'usager que les autorités françaises. Par ailleurs, de nombreuses conventions entre la France et différents pays étrangers dont les services de l'état civil ont été jugés suffisamment fiables ont prévu la dispense de toute légalisation et même de toute apostille.

Pour autant, l'acte de l'état civil étranger n'a pas une valeur absolue : il ne fait foi que jusqu'à preuve contraire. Ce principe, d'abord dégagé par la jurisprudence, a été consacré dans le code civil par la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité.

Le développement de la fraude documentaire a en outre conduit le législateur à prévoir, par la loi n° 2006-1376 du 14 novembre 2006 relative au contrôle de la validité des mariages, qu'en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger, l'autorité administrative française saisie d'une demande d'établissement ou de délivrance d'un acte ou d'un titre doit procéder ou faire procéder aux vérifications utiles auprès de l'autorité étrangère compétente et en informer l'intéressé dans un délai de deux mois. Son silence gardé pendant huit mois vaut décision de rejet et le requérant doit alors saisir le juge administratif.

Les couples peuvent ainsi produire, selon les cas, une copie ou un extrait d'acte de naissance étranger dans leurs relations avec les administrations et les entreprises. Le plus souvent, les agents des administrations concernées accèdent à leur demande sans difficulté : confrontés à des actes provenant le plus souvent de pays occidentaux où l'état civil est jugé fiable, ils ne nourrissent pas le moindre soupçon de maternité pour autrui.

Toutefois, en cas de doute, le parquet du tribunal de grande instance de Nantes peut être saisi aux fins de vérification et la filiation des enfants peut être contestée selon la procédure suivante : le parquet devrait tout d'abord faire transcrire les actes de l'état civil étrangers sur les registres de l'état civil consulaires pour ensuite en demander l'annulation, non pas sur le fondement de leur irrégularité ou de l'inexactitude des faits qui y sont relatés 83 ( * ) mais sur celui de la fraude aux règles d'ordre public édictées par la loi française.

3. La question de la légalité de la transcription sur les registres de l'état civil de décisions étrangères contraires à l'ordre public international français

La transcription d'un acte étranger concernant un Français sur les registres de l'état civil consulaires n'est pas obligatoire . Elle présente cependant l'intérêt d'éviter à l'intéressé de devoir s'adresser aux autorités ayant établi l'acte pour en obtenir un extrait ou une copie, de supporter des démarches plus ou moins longues et difficiles et de s'exposer éventuellement à des frais de traduction.

L'acte étranger se trouve « transformé » en acte français et il devient possible d'en obtenir une copie ou un extrait, ainsi que la délivrance ou la mise à jour d'un livret de famille, auprès du consulat français ou du service central d'état civil, installé à Nantes.

La transcription peut être réalisée d'office , sur les instructions du procureur de la République, lorsque l'ordre public est intéressé, ou à la demande de la personne concernée , sans qu'aucune condition de délai lui soit opposable ; l'accord du ministère public est alors requis.

Comme l'a souligné lors de son audition Françoise Moneger, conseiller à la première chambre civile de la Cour de cassation, quand un acte de l'état civil étranger est dressé en exécution d'un jugement étranger, il en est indissociable et les magistrats doivent vérifier que les conditions de la régularité internationale de ce jugement sont remplies : compétence du juge, absence de contrariété du jugement avec l'ordre public international français et absence de fraude.

Les règles du droit international privé en matière de filiation

Si la filiation est en principe régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant 84 ( * ) , c'est-à-dire celle de la femme qui a porté l'enfant en cas de maternité pour autrui, la loi étrangère peut être écartée parce qu'elle est contraire à l'ordre public du juge saisi ou parce qu'il y a eu fraude dans la mise en oeuvre de la règle de conflit.

L' exception d'ordre public est par nature contingente, comme en témoigne l'évolution de la jurisprudence et de la législation relatives au divorce par consentement mutuel.

Ce n'est pas seulement le contenu de la loi étrangère qui conduit à l'écarter, ce sont aussi les conséquences de son application à une espèce donnée. Interviennent ainsi aujourd'hui, dans la mise en oeuvre de l'ordre public, le statut personnel des parties, le lieu de leur résidence, en d'autres termes la proximité de la situation avec le lieu du for, c'est-à-dire de saisine de la juridiction. Cette notion d'ordre public de proximité est récente ; elle a conduit la première chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 10 mai 2006, à considérer que, lorsqu'une mère de nationalité algérienne réside avec l'enfant en Algérie, la loi algérienne qui ne permet pas d'exercer contre le prétendu père une action en recherche de paternité naturelle n'est pas contraire à l'ordre public français, même si le défendeur est français.

Enfin, l'ordre public opposé à une loi étrangère n'a pas la même intensité selon qu'il s'agit de faire acquérir un droit en France selon la loi étrangère concernée ou simplement de reconnaître un droit acquis à l'étranger selon cette même loi. Son effet peut être atténué. Dans un arrêt Rivière, rendu le 17 avril 1953 à propos d'un divorce par consentement mutuel prononcé à l'étranger, la Cour de cassation a ainsi affirmé que « la réaction à l'encontre d'une disposition contraire à l'ordre public n'est pas la même suivant qu'elle met obstacle à l'acquisition d'un droit en France ou suivant qu'il s'agit de laisser se produire en France les effets d'un droit acquis, sans fraude, à l'étranger et en conformité de la loi ayant compétence en vertu du droit international privé français ». A titre d'exemple, alors qu'un mariage polygamique ne peut pas être célébré en France même s'il est conforme aux statuts personnels des époux, ce mariage célébré à l'étranger pourrait être reconnu en France et y produire des effets 85 ( * ) .

La fraude à la loi consiste à changer l'élément de rattachement de la règle de conflit pour faire varier la loi applicable. Il y a fraude lorsque le changement a été motivé par la volonté d'échapper aux dispositions de la loi compétente.

La théorie de la fraude à la loi a été fondée, en jurisprudence, par l'arrêt « Princesse de Bauffremont » rendu par la Cour de cassation le 18 mars 1878 : la princesse de Bauffremont, devenue française par son mariage, avait demandé et obtenu la nationalité allemande pour faire convertir la séparation de corps obtenue devant une juridiction française en divorce et se remarier avec un autre prince, roumain cette fois. La Cour a jugé que « la demanderesse avait sollicité et obtenu cette nationalité nouvelle non pas pour exercer les droits et accomplir les devoirs qui en découlent mais dans le seul but d'échapper aux prohibitions de la loi française ». La sanction de la fraude est l'inopposabilité.

Source : Droit international privé - Françoise Moneger - 4ème édition - Litec .

Lors de son audition, Pierre Lecat, vice-procureur chargé du service de l'état civil au parquet du tribunal de grande instance de Nantes, a indiqué que les affaires de maternité pour autrui représentaient une part minime de l'activité du parquet du tribunal de grande instance de Nantes , autorité de tutelle du service central d'état civil et des officiers de l'état civil consulaires. Depuis 2000, seuls quinze dossiers ont été recensés, la plupart transmis par les consulats de France à San Francisco et Los Angeles.

L'explication en est double : d'abord, la transcription n'est pas obligatoire et les couples concernés hésitent sans doute à la solliciter par peur des contrôles ; ensuite, les officiers de l'état civil consulaires et le parquet du tribunal de grande instance de Nantes ne disposent pas toujours des éléments leur permettant de soupçonner une maternité de substitution puis d'en établir la preuve.

Les voyages effectués par la mère française constituent un premier indice : généralement, les compagnies aériennes refusent d'admettre à bord de leurs avions des femmes dont la grossesse est très avancée ; dès lors, un déplacement réalisé entre la France et les Etats-Unis quelques jours avant la date de l'accouchement laisse supposer une gestation pour autrui, à plus forte raison s'il a été précédé d'un autre voyage neuf mois auparavant.

S'il nourrit un soupçon, l'officier de l'état civil consulaire demande aux parents français de produire un certificat d'accouchement et, à défaut, que la femme se soumette à un examen médical. En cas de refus, il les informe de sa décision de surseoir à la transcription des actes de naissance étrangers dans l'attente des instructions du parquet du tribunal de grande instance de Nantes. Parfois, par naïveté, les parents intentionnels révèlent d'eux même au consulat l'existence d'une convention de mère porteuse.

De l'aveu de Pierre Lecat, ces entretiens sont généralement extrêmement tendus : les parents intentionnels sont sur le point de rentrer en France et paniquent à l'idée que la transcription leur soit refusée.

Lorsque les couples français vivent depuis longtemps à l'étranger, la transcription peut également être refusée, mais l'officier de l'état civil a peu de chances de découvrir l'existence d'une convention de maternité pour autrui.

Lorsqu'il est saisi d'une affaire de gestation pour autrui par les officiers de l'état civil consulaires, le parquet du tribunal de grande instance de Nantes confirme le sursis à transcription de l'acte de l'état civil étranger, le temps d'examiner les éléments du dossier qui lui ont été transmis et dans l'attente d'éventuelles instructions ministérielles. Si des contacts informels entre collègues ont toujours lieu, la chancellerie n'a jamais adressé aucune instruction écrite au tribunal de grande instance de Nantes pour lui indiquer la conduite à tenir.

Le parquet du tribunal de grande instance a ainsi été conduit à élaborer sa propre « jurisprudence », s'il est possible d'employer ce terme compte tenu du faible nombre des dossiers traités, avec pour principal critère la vérité de l'accouchement.

Sur les quinze affaires dont il a été saisi, sept concernaient des hommes célibataires, dont la paternité était établie. Dans la mesure où les actes de naissance des enfants désignaient la femme ayant porté l'enfant en qualité de mère, le parquet n'avait pas de raison de s'opposer à leur transcription sur les registres de l'état civil français.

Huit affaires concernaient des couples de sexe différent. La mention de la maternité de la mère intentionnelle sur les registres de l'état civil français étant impossible car contraire à l'ordre public, il leur fut proposé de faire désigner la mère porteuse étrangère en qualité de mère. En cas d'acceptation, la transcription a été réalisée et aucune action judiciaire n'a été engagée. En cas de refus, la transcription a été réalisée, avec mention de la mère intentionnelle en qualité de mère, mais aux seules fins de permettre au parquet territorialement compétent d'engager une action en contestation d'état.

A la différence des cours d'appel, la Cour de cassation n'a encore jamais eu à statuer sur une affaire dans laquelle la maternité pour autrui s'était déroulée à l'étranger .

Dans un arrêt du 15 juin 1990, la cour d'appel de Paris a validé une adoption intervenue en France après une maternité pour autrui pratiquée aux Etats-Unis. Le ministère public n'a pas formé de pourvoi en cassation contre cet arrêt, alors qu'il en avait formé un contre un arrêt rendu à la même époque dans une affaire intéressant une gestation pour autrui qui s'était déroulée en France.

Dans une affaire jugée le 1 er février 2001 par le tribunal de grande instance de Nantes puis le 4 juillet 2002 par la cour d'appel de Rennes, le ministère public a obtenu l'annulation de la transcription des actes de naissance américains de jumelles nées en Californie et celle de la reconnaissance de maternité effectuée en France par la mère intentionnelle en raison de la prohibition d'ordre public de la gestation et de la procréation pour autrui. Le pourvoi en cassation formé par le couple a été déclaré irrecevable parce que le jugement de la cour d'appel leur avait été signifié quatre ans après avoir été rendu. Or, en application de l'article 528-1 du code de procédure civile : « Si le jugement n'a pas été notifié dans le délai de deux ans de son prononcé, la partie qui a comparu n'est plus recevable à exercer un recours à titre principal après l'expiration dudit délai . »

Enfin, dans une affaire jugée le 13 décembre 2005 par le tribunal de grande instance de Créteil puis le 25 octobre 2007 par la cour d'appel de Paris, le ministère public a été débouté de sa demande d'annulation de la transcription sur les registres du service central d'état civil des actes de naissance de jumelles dressés aux Etats-Unis après une gestation pour autrui pratiquée en Californie pour le compte de Dominique et Sylvie Mennesson. Un pourvoi a été formé. La Cour de cassation devrait statuer avant la fin de l'année 2008.

Dans cette affaire, qui a eu un grand retentissement médiatique, la cour d'appel de Paris a constaté que le ministère public s'était borné à solliciter l'annulation de la transcription des actes de naissance des jumelles en excipant de leur contrariété à l'ordre public mais n'avait contesté ni l'opposabilité en France du jugement américain, ni la foi à accorder, au sens de l'article 47 du code civil, aux actes dressés en Californie dans les formes usités dans cet Etat.

Elle a considéré, d'une part, qu'il était donc irrecevable, au regard de l'ordre public international, à solliciter l'annulation des actes transcrits sur les registres du service central d'état civil de Nantes, d'autre part, que « la non transcription des actes de naissance aurait des conséquences contraires à l'intérêt supérieur des enfants qui, au regard du droit français, se verraient priver d'actes d'état civil indiquant leur lien de filiation, y compris à l'égard de leur père biologique ».

Si la Cour de cassation suivait la cour d'appel de Paris, la prohibition des conventions de gestation ou de procréation pour autrui pourrait être contournée en se rendant à l'étranger et ne concernerait donc plus que les couples respectueux de la loi française ou peu fortunés .

Frédérique Bozzi, conseiller à la cour d'appel de Paris, a toutefois fait valoir lors de son audition que la portée de l'arrêt de la cour d'appel de Paris était sans doute limitée en raison des nombreuses erreurs stratégiques commises par le ministère public :

- seul le parquet du tribunal de grande instance de Nantes et non celui du tribunal de grande instance de Créteil avait compétence pour demander l'annulation des actes dressés sur les registres du service central d'état civil 86 ( * ) ;

- dans la mesure où la licéité du contrat de gestation pour autrui était contestée, il eût mieux valu faire valoir l'inopposabilité à l'ordre juridique français du jugement californien plutôt que d'invoquer les préconisations de l'instruction générale relative à l'état civil, simple circulaire inopposable aux juges du fond ;

- la conformité des actes de naissance américains à la réalité aurait pu être contestée, en application de l'article 47 du code civil, ce qui n'a pas été le cas ;

- le choix de solliciter l'annulation des actes de naissance des jumelles, au risque de les priver de tout acte de naissance français et de toute filiation alors que leur filiation paternelle était établie, plutôt que d'engager une action d'état en contestation de leur filiation maternelle exclusivement n'était guère pertinent. Sans doute la cour n'a-t-elle pas voulu priver des enfants français de tout acte de l'état civil français, d'où le recours à la convention de New York sur les droits de l'enfant et à la notion, mal définie, de l'intérêt supérieur de l'enfant.

Frédérique Bozzi a relevé à cet égard que le tribunal de grande instance de Paris, dans un arrêt rendu le 9 octobre 2007 et non publié, avait accédé à la demande du ministère public tendant à obtenir non pas l'annulation de l'acte de naissance d'un enfant né en application d'une convention de maternité pour autrui aux Etats-Unis mais sa rectification par ablation des mentions relatives à la filiation maternelle.

Le tribunal de grande instance a ainsi considéré que :

- le parquet pouvait agir pour la défense de l'ordre public, sur le fondement de l'article 336 du code civil issu de l'ordonnance du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation ;

- la prohibition édictée par l'article 16-7 du code civil était d'ordre public ;

- la convention de maternité pour autrui était contraire au principe de l'indisponibilité de l'état des personnes et constituait un détournement de la procédure de l'adoption ;

- l'intérêt de l'enfant, en particulier son droit d'avoir une famille tel qu'il résulte des articles 8 et 12 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, impliquait qu'il fût particulièrement veillé à sa protection et, notamment, que fût observée une totale transparence sur les conditions de sa venue au monde, l'établissement de sa filiation ne devant pas procéder de la transgression de principes fondamentaux.

Contrairement à la cour d'appel de Paris, le tribunal de grande instance a ainsi adopté une position très légaliste ainsi qu'une approche différente de ce qui constitue l'intérêt de l'enfant, au regard des conditions de sa procréation.

Alors que les règles édictées par la loi française sont expressément d'ordre public et que les couples français se rendent à l'évidence à l'étranger pour les contourner, les hésitations de la jurisprudence constituent une source d'insécurité juridique regrettable.

Le groupe de travail considère qu' il appartient au seul législateur, et non aux juges, de lever la prohibition de la maternité pour autrui .

* 77 Article 113-2 du code pénal.

* 78 Article 113-6 du code pénal.

* 79 Article 113-6 du code pénal.

* 80 Article 113-7 du code pénal.

* 81 Chambre criminelle de la Cour de cassation, 12 janvier 2000 (rejet des pourvois formés contre un arrêt de la cour d'appel de Paris du 19 mars 1999).

* 82 Aux termes de l'article 171-5 du code civil, inséré par la loi n° 2006-1376 du 14 novembre 2006 relative au contrôle de la validité des mariages : « Pour être opposable aux tiers en France, l'acte de mariage d'un Français célébré par une autorité étrangère doit être transcrit sur les registres de l'état civil français. En l'absence de transcription, le mariage d'un Français, valablement célébré par une autorité étrangère, produit ses effets civils en France à l'égard des époux et des enfants. »

* 83 A titre d'exemple, l'acte de naissance américain d'un enfant né d'une gestation pour autrui désigne la mère d'intention en qualité de mère légale sans affirmer qu'elle a accouché de l'enfant. En conséquence, ses mentions ne sont pas contraires à la réalité.

* 84 Article 311-4 du code civil.

* 85 La France a signé avec certains Etats autorisant la polygamie, des conventions internationales réglementant des questions relatives à la sécurité sociale, ce qui a permis de reconnaître certains effets aux mariages polygamiques sur le territoire français.

* 86 Article 1048 du code de procédure civile. A l'inverse, le parquet du tribunal de grande instance de Nantes est incompétent pour engager une action d'état, sauf si l'une au moins des personnes concernées réside dans le ressort du tribunal.

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