N° 414
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2007-2008
Annexe au procès-verbal de la séance du 25 juin 2008 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur les administrations chargées de l' immigration économique ,
Par M. André FERRAND,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis , président ; MM. Claude Belot, Marc Massion, Denis Badré, Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Yann Gaillard, Jean-Pierre Masseret, Joël Bourdin , vice-présidents ; M. Philippe Adnot, Mme Fabienne Keller, MM. Michel Moreigne, François Trucy , secrétaires ; M. Philippe Marini, rapporteur général ; MM. Bernard Angels, Bertrand Auban, Mme Marie-France Beaufils, M. Roger Besse, Mme Nicole Bricq, MM. Auguste Cazalet, Michel Charasse, Yvon Collin, Philippe Dallier, Serge Dassault, Jean-Pierre Demerliat, Éric Doligé, André Ferrand, Jean-Claude Frécon, Yves Fréville, Christian Gaudin, Paul Girod, Adrien Gouteyron, Charles Guené, Claude Haut, Jean-Jacques Jégou, Alain Lambert, Gérard Longuet, Roland du Luart, François Marc, Michel Mercier, Gérard Miquel, Henri de Raincourt, Michel Sergent, Henri Torre, Bernard Vera. |
AVANT-PROPOS
Au cours de l'examen des crédits pour 2008 du premier budget de la mission « Immigration, asile et intégration », votre rapporteur spécial avait souhaité la mise en place d'une administration de l'immigration économique cohérente et efficace . Il s'était étonné de ne trouver dans le projet annuel de performances présenté au Parlement aucun objectif formalisé correspondant à un axe fort souhaité par le Président de la République : porter la part de l'immigration économique jusqu'à 50 % des flux totaux d'immigration.
Cet objectif a été exprimé dans la lettre de mission à M. Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire en date du 9 juillet 2007.
Il constitue un défi majeur pour un nouveau ministère : l'immigration économique n'a pas en effet « son » administration, pas davantage de budget, et pas encore d'indicateurs de performance . Et pourtant, il convient d'aboutir rapidement à des résultats. La France souffre d'un retard important par rapport à des pays qui sont par essence des pays d'immigration comme l'Australie, le Canada ou les États-Unis, mais aussi par rapport à l'Espagne ou au Royaume-Uni. Ces pays ont mis en place depuis plusieurs années une politique particulièrement aboutie d'attraction des talents et des compétences . Au Caire, comme dans de nombreux autres pays, le centre culturel français offre ainsi des formations linguistiques aux cadres égyptiens, médecins, ingénieurs, candidats au départ : grâce à notre dispositif de coopération, l'apprentissage de la langue française leur offre des points supplémentaires pour émigrer au Canada. De la même façon, un processus équivalent doit être généralisé dans notre réseau et orienté vers l'immigration économique française.
L'objectif formulé par le Président de la République peut se décliner en trois politiques complémentaires :
- attirer en France des talents , des « accélérateurs de croissance » ;
- répondre aux besoins des secteurs économiques « sous tension » , faisant face à une pénurie de main d'oeuvre, même si de nombreuses fédérations professionnelles soulignent que, de ce point de vue, l'immigration n'est pas une solution de premier rang, mais une solution de complément à une politique devant d'abord favoriser le retour à l'emploi des publics qui en sont les plus éloignés ;
- favoriser l'intégration professionnelle des arrivants étrangers, au titre, par exemple, du regroupement familial .
Un an après la mise en place d'un nouvel organigramme gouvernemental et la lettre de mission du Président de la République, votre rapporteur spécial a souhaité faire un premier bilan, non pas tant des dispositions prises en matière d'immigration professionnelle, mais du fonctionnement des administrations, services déconcentrés et agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations (ANAEM), chargés de leur mise en oeuvre. Il ne peut évidemment s'agir que d'un rapport d'étape : l'administration centrale du ministère de l'immigration a été créée au 1 er janvier 2008. La révision générale des politiques publiques (RGPP) suscite le chantier d'un nouvel établissement public chargé de l'immigration et de l'intégration, notamment professionnelles , issu, pour l'essentiel, de l'agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations (ANAEM).
Des outils prometteurs sont mis en place par l'administration centrale, et au sein de l'ANAEM, dont le pilotage du contrat d'accueil et d'intégration apparaît convaincant (sous réserve d'évolutions en faveur de l'intégration professionnelle des ressortissants étrangers). Mais les services déconcentrés restent trop souvent marqués par l'attentisme . Ils apparaissent mobilisés de façon inégale. Ils rencontrent, par ailleurs, dans leur action un certain nombre de freins. Dans le domaine de l'immigration professionnelle, une transformation profonde s'impose pour passer d'une administration de guichet à une administration de l'emploi, au contact des milieux économiques. Pour obtenir des résultats , l'administration de l'immigration économique ne sera pas seulement celle qui réceptionne des dossiers, et les traite dans des délais par ailleurs variables, mais une agence, qui communique vers l'extérieur, vers les entreprises comme vers les travailleurs potentiels.
Le « frémissement » constaté en 2007 et en début d'année 2008 par M. Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'identité nationale, de l'intégration et du développement solidaire lors de sa conférence de presse du 19 janvier 2008, à propos de la délivrance de titres de séjour pour motif professionnel, témoigne de ce que « les choses commencent à changer ». Les ressortissants étrangers sont sensibles au nouveau discours du gouvernement .
Mais, compte tenu du retard pris par la carte « compétences et talents », des délais incontournables de négociation et de ratification des accords concertés de gestion des flux migratoires, de la nécessité de procéder à de profondes restructurations administratives, on peut estimer que les premiers résultats probants en matière d'immigration professionnelle ne pourront être obtenus qu'à partir de 2010 .
Cet horizon peut paraître lointain sur un plan politique, mais il est proche compte tenu des lourdeurs administratives. Celles-ci témoignent de la difficulté de conduire aujourd'hui le changement dans l'appareil d'État.
Une mise en mouvement rapide s'impose. C'est dans cette perspective que votre rapporteur spécial formule des préconisations destinées à éliminer les freins administratifs qui pénalisent aujourd'hui le développement d'une immigration professionnelle qualifiée ou non, et à dynamiser les services déconcentrés de l'État .
La France a tout autant besoin d'une immigration professionnelle que de professionnaliser son immigration : l'intégration économique des primo-arrivants (réfugiés, conjoints de français ou d'étrangers...) doit susciter une mobilisation des services de l'emploi, jusqu'ici trop limitée, dans le cadre du contrat d'accueil et d'intégration.
LES CONSTATS ET RECOMMANDATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL
LES OUTILS DE L'IMMIGRATION PROFESSIONNELLE 1) La carte « compétences et talents » rencontre un succès moindre qu'espéré . Dans les préfectures, elle doublonne en partie les dispositifs prévus en faveur des étudiants et des scientifiques. Dans les postes à l'étranger, le « marketing » des ambassades est peu dynamique, lorsqu'il n'est pas inexistant , alors que la carte « compétences et talents » doit d'abord être promue à l'étranger. Le dispositif paraît très contraignant vis-à-vis des candidats en provenance des pays de la zone de solidarité prioritaire . D'ici la fin de l'année 2008, la carte devrait être toilettée de ses aspects relatifs au codéveloppement, et devrait pouvoir être renouvelée au-delà de trois ans, comme le prévoient déjà plusieurs accords relatifs à la gestion concertée des flux migratoires. Un même outil ne peut à la fois servir deux objectifs : attractivité et codéveloppement. 2) Les dispositifs d'encouragement à l'installation professionnelle durable commencent à se multiplier , voire à s'enchevêtrer, au détriment de leur lisibilité . Si chaque carte ou dispositif s'adresse réellement à un public distinct, il convient de faire preuve d'une communication adaptée. L'élaboration d'un « kit immigration professionnelle » est un premier pas positif, mais doit être complété par une communication ciblée sur chaque dispositif . Sur les sites Internet des consulats ne figure aucune information relative à l'immigration professionnelle : des rubriques spécifiques doivent être créées. 3) Les consulats ne souhaitent pas prendre à leur compte l'organisation de l'immigration professionnelle à l'étranger . Pour autant, la mise en place de délégations de l'ANAEM (agence nationale d'accueil des étrangers et des migrations) à l'étranger ne doit pas déboucher sur la création d'un réseau autonome (4 délégations de l'ANAEM existent déjà à l'étranger). Autant que faire se peut, les plateformes « immigration professionnelle » doivent être hébergées dans les consulats, où elles disposeraient d'un bureau dédié, à l'exemple de « CampusFrance », dispositif d'accueil pour les étudiants étrangers dans les centres culturels français. 4) La fiscalité pesant sur l'immigration professionnelle légale est dissuasive : elle doit être réduite. La perte de recettes pour l'ANAEM doit être compensée par un redéploiement vers la fiscalité de l'immigration familiale et, sinon un alourdissement, du moins un meilleur recouvrement de la contribution forfaitaire pour l'emploi d'une main d'oeuvre en situation irrégulière. 5) Les préfectures et les directions du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle doivent développer les accès privilégiés des entreprises et des universités à leurs services. Ce qui existe déjà pourrait être étendu sur la base de listes d'attention positives : les organismes figurant sur la liste bénéficieraient d'un accès privilégié . 6) Ce mécanisme de priorité, pour être accepté, doit s'accompagner d'une nette amélioration de l'accueil en préfecture qui reste le « parent pauvre » du parcours d'immigration et d'intégration, très en deçà des efforts réalisés dans un grand nombre de consulats (grâce notamment à l'externalisation de la prise de rendez-vous et de la constitution des dossiers), et sur les plateformes de l'ANAEM. LA PROFESSIONNALISATION DE L'IMMIGRATION 7) Le dispositif d'accueil et d'intégration mis en oeuvre par les plateformes ANAEM est très encourageant. Néanmoins, l'accès à l'emploi reste le maillon faible du contrat : la mise en place du bilan de compétences constitue un premier pas indispensable. 8) Un rendez-vous systématique avec l'ANPE doit être proposé par l'ANAEM pour encourager à la recherche active d'emploi. De manière générale, les liens ANPE/ANAEM sont aujourd'hui quasi-inexistants. 9) Les crédits alloués aux associations par le nouvel opérateur de l'immigration prévu par la RGPP, issu de l'ANAEM, et une partie des crédits de l'ACSé (Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances) doivent être redéployés vers des actions d'intégration professionnelle effective des primo-arrivants. LE PILOTAGE DU CHANGEMENT 10) Les préfets et les ambassadeurs se sont vus fixer des objectifs en matière de « cartes compétences et talents ». Cette démarche de performance doit être étendue : des objectifs relatifs à l'immigration professionnelle doivent figurer dans les plans d'action des ambassadeurs , et être présentés à l'occasion des « stages de chef de poste » organisés au Quai d'Orsay. 11) La démarche de résultat autour de l'immigration professionnelle sera renforcée si elle est liée à une allocation des moyens, par exemple pour la modernisation des locaux, en fonction des résultats . 12) Les directions départementales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP) disposent d'un forum sur leur intrane t pour faciliter les échanges d'information. Le même outil doit être mis en place entre les plateformes ANAEM et entre les consulats. 13) Les « pôles immigration » mis en place par certaines préfectures doivent être généralisés. Dans les postes à l'étranger, des pôles « immigration professionnelle » doivent être constitués , sous la responsabilité ultime de l'ambassadeur, avec l'ANAEM, les consulats, les services culturels, les missions économiques, les chambres de commerce, les conseillers du commerce extérieur et les partenaires institutionnels du pays concernés. 14) La mise en oeuvre de la nouvelle politique de l'immigration professionnelle sera facilitée lorsque le ministère de l'immigration, de l'identité nationale, de l'intégration et du développement solidaire aura effectivement la responsabilité opérationnelle des visas , comme l'a prévu la RGPP. LA SIMPLIFICATION ADMINISTRATIVE ET LA RÉDUCTION DES DÉLAIS 15) Les procédures d'autorisation de travail examinées par les directions départementales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle doivent faire l'objet d'un délai opposable de deux mois au-delà duquel elles seraient réputées acceptées. 16) La visite médicale obligatoire, dans les plateformes de l'ANAEM, pour l'admission à l'immigration de travail, est inutile et peut-être supprimée. Les délais de convocation à cette visite sont très longs (plusieurs mois) et rallongent inutilement les procédures pour les travailleurs étrangers. 17) La création d'un visa valant premier titre de séjour, prévu par la RGPP , est une mesure de simplification administrative essentielle. Sa mise en oeuvre doit être précédée de la création d'un outil informatique commun et cohérent entre les préfectures et les consulats. COMMENT RAPPROCHER OFFRE ET DEMANDE DE TRAVAIL ENTRE LA FRANCE ET L'ÉTRANGER ? 18) Un site Internet des offres d'emploi et des demandes d'emploi à l'intention des employeurs en difficulté de recrutement et des candidats à l'émigration de travail doit être créé au plus vite par l'ANPE, sur le modèle du site EURES qui vise aujourd'hui à la mobilité professionnelle au sein de l'Union européenne. 19) La présélection des candidats à l'émigration, et la validation des compétences professionnelles, pourraient être organisées par les administrations des pays d'origine : les accords de gestion concertée des flux migratoires pourraient comporter de telles clauses. |