3. Les effets ambigus du CIADT du 18 décembre 2003
L'élément le plus saillant du CIADT de 2003 a été l'annonce de cinquante grands projets d'infrastructures de transports.
LES CINQUANTE PROJETS DU CIADT DE 2003 8 projets de lignes nouvelles à grande vitesse (TGV) - TGV Rhin-Rhône (Dijon-Mulhouse) ; - TGV Sud-Europe-Atlantique (Tours-Bordeaux-Espagne) ; - TGV Bretagne-pays-de-la-Loire ; - TGV Est (seconde phase et interconnexion avec le réseau ICE) ; - TGV Catalogne-Italie (Perpignan-Figueras, contournement de Nîmes et Montpellier, TGV vers PACA et Nice) ; - TGV Lyon-Turin ; - TGV Bordeaux-Toulouse ; - Interconnexion des TGV au sud de l'Ile-de-France. 3 grandes liaisons ferroviaires d'aménagement du territoire - Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (POLT) ; - Paris-Rouen-Le Havre et Paris-Cherbourg (LRNVS) ; - Paris-Clermont-Ferrand. 5 grands axes ferroviaires pour le fret - corridor de fret nord-sud par Bordeaux ; - corridor nord-sud par Lyon, magistrale éco-fret ; - axe est-ouest Dunkerque-Lorraine ; - axe ouest-est Le Havre-Amiens-Belgique/Allemagne ; - axe ouest-est Nantes-Lyon et Lyon-Italie. 9 projets autoroutiers - A 19 (Artenay-Courtenay) ; - A24 (Amiens-Lille-Belgique) ; - A 32 (Nancy-Metz-Thionville) ; - A 48 (Ambérieu-Bourgoin-Jallieu) ; - A 831 (Fontenay-le-Comte-Rochefort). - réseau autoroutier lyonnais (A45 Lyon-Saint-Etienne, A89 Lyon-Clermont-Ferrand, A432 Les Echets-Laboisse et contournement ouest de Lyon) ; - réseau autoroutier alpin (A 41 Annecy-Genève, A 51 Grenoble-Sisteron, A 585 antenne de Digne-les-Bains) ; - réseau autoroutier aquitain Autoroutes aquitaines de Bordeaux vers Biarritz (A63) et de Bordeaux vers Pau (A 65) ; - contournements urbains (Strasbourg, Arles, Bordeaux, tunnel de Toulon...). 3 grandes liaisons routières d'aménagement du territoire - Route Centre Europe Atlantique (RCEA) : accélération de la mise à 4 voies des nationales existantes et inscription au schéma autoroutier de la liaison Niort-Limoges ; - RN 88 (Toulouse-Rodez-Mende-Le Puy-en-Velay-Lyon) ; - A34 (Reims-Charleville-Mézières-Belgique). 5 projets fluvio-maritimes - écluse fluviale de Port 2000 ; - nouveaux terminaux conteneurs du port de Marseille-Fos (Fos 2XL) ; - canal Seine-Nord-Europe ; - autoroute de la mer façade atlantique ; - autoroute de la mer façade méditerranéenne. 2 projets aéroportuaires - nouvel aéroport de Nantes-Notre-Dame-des-Landes ; - 3 ème réseau d'aéroports dans le Bassin parisien (Beauvais, Vatry, Chateauroux). |
Toutefois, la grande majorité de ces projets ne sont pas des projets de désenclavement, puisqu'ils ne concernent pas des territoires mal reliés aux grands réseaux. Comme le fait apparaître le tableau ci-dessus, les projets routiers retenus concernent essentiellement des projets de contournement des grandes agglomérations, d'élargissement d'autoroutes déjà existantes. Seuls trois projets entrent réellement dans la catégorie des projets d'aménagement du territoire, à savoir la liaison Reims-Belgique par l'A34 et les axes transversaux que sont la Route Centre Europe Atlantique (RCEA) et la RN 88 entre Toulouse et Lyon.
Quant aux projets ferroviaires dits « d'aménagement du territoire », force est de constater qu'ils sont ceux pour lesquels l'état d'avancement est aujourd'hui le plus faible ; il s'agit de l'amélioration des lignes :
- Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (POLT) ;
- et Paris-Clermont-Ferrand ;
- ainsi que des liaisons entre Paris et la Normandie.
Après avoir fait le point sur l'état d'avancement de chacune des infrastructures annoncées 16 ( * ) , vos rapporteurs ont constaté que malheureusement les projets qui avaient pris le plus de retard étaient précisément les projets les plus orientés vers le désenclavement , qu'il s'agisse de grandes liaisons routières et ferroviaires dites d'aménagement du territoire (GLAT) ou de projets autoroutiers comme celui de l'A 51 entre Grenoble et Gap, alors même que les Alpes du Sud constituent un cas d'école en matière d'enclavement 17 ( * ) .
L'incertitude pesant sur l'avenir de l'ensemble des projets est évidemment accrue par les fortes contraintes qui pèsent sur la capacité de l'Etat à assurer dans la durée le financement des infrastructures de transport depuis la décision prise en 2006 de privatiser les sociétés d'autoroute. Si cette décision a permis une accélération de certains projets en procurant à l'Agence de financement des infrastructures de transport en France (AFITF) 4 milliards d'euros sur les 14,8 obtenus lors de la privatisation, elle a en revanche abouti à priver l'AFITF d'une grande partie de ses ressources pérennes à partir de la fin 2008 18 ( * ) . Or, c'est précisément à ce moment même que la réalisation des projets annoncés au CIADT de 2003 nécessiterait un doublement des moyens de financement.
En effet, le besoin annuel de financement de l'Etat (au travers du budget général ou l'AFITF) pour assurer les engagements du CIADT passera à la fin de cette année de 1,5 milliard par an pour la période 2005-2009 à plus de 2,5 milliards par an sur la période 2009-2012 ; auxquels il convient d'ajouter les engagements financiers supplémentaires pris lors du Grenelle de l'environnement 19 ( * ) .
Si les craintes sont donc aujourd'hui particulièrement fortes s'agissant des infrastructures de désenclavement, c'est parce qu'il semble hélas que le retard qui a été pris ne soit pas le fruit du hasard.
En effet, la réticence de l'administration à l'égard de projets tels que l'A 51 ou la ligne Paris-Orléans-Limoge-Toulouse était en fait perceptible avant même la tenue du CIADT, puisque le rapport qui a servi à la préparation du comité interministériel 20 ( * ) avait classé les projets en fonction d'une évaluation traditionnelle de leur rentabilité socio-économique, ce qui aboutissait, comme à l'accoutumée, à privilégier les projets de contournement urbain et d'agrandissement des grands axes existants au détriment des projets d'aménagement du territoire.
Après le temps des promesses, le CIADT de 2003 apparaît donc rétrospectivement comme un facteur d'incertitudes pour les projets de désenclavement d'autant plus que ceux-ci ne s'inscrivent désormais plus dans un cadre de programmation clair.
L'incertitude sur le sort des projets annoncés est d'autant plus forte pour les projets liés au désenclavement qu'ils ne s'inscrivent malheureusement plus dans un cadre permettant d'en fixer les objectifs.
Supprimés par le CIADT, les schémas de services collectifs de transports institués en 1999 n'ont pas été remplacés par un instrument équivalent. Non seulement, on ne sait pas si les projets annoncés seront un jour réalisés, mais on ignore dans quelle perspective politique ils s'inscrivent et donc selon quels objectifs de désenclavement pourraient être définies des infrastructures prioritaires.
A ce titre, vos rapporteurs trouvent le cas de l'exemple de l'autoroute A 75 entre Paris et Montpellier via Clermont-Ferrand tout à fait significatif de l'absence d'objectifs spécifiques de désenclavement.
Cette autoroute, qui constitue en effet, une des plus belles, sinon la plus belle réalisation de ces dernières années en matière de désenclavement, n'est, en fait, nullement issue, à l'origine, d'une volonté de désenclaver le Massif central. L'objectif poursuivi était simplement de décongestionner le sillon rhodanien, c'est-à-dire de renforcer un axe structurant déjà existant ; et la création d'un barreau parallèle à l'ouest pour relier Montpellier à Paris était juste une des options de ce projet. L'A 75 est donc comme un « itinéraire bis » du traditionnel Paris-Lyon-Marseille.
Au sortir de cet état des lieux, vos rapporteurs estiment donc que la France ne dispose plus d'une politique de désenclavement digne de ce nom .
D'une part, notre pays a pris un retard considérable dans certaines zones du territoire où le critère et la loi de 1995 n'était pas atteint.
D'autre part, toute volonté de définir les besoins à partir de critères objectifs, notamment à travers les schémas régionaux, a disparu au profit d'une liste de projets dont on ne sait s'ils seront réalisés un jour.
Or, vos rapporteurs sont convaincus qu'une politique de désenclavement demeure nécessaire, tant par rapport à l'objectif du développement économique que pour des raisons d'équité.
* 16 Cf. annexe I.
* 17 Ce qui ne signifie pas pour autant que la situation soit simple pour les autres projets, tant le CIADT de 2003 a donné à une certaine confusion sur le point de savoir aujourd'hui quelles opérations demeurent encore d'actualité.
* 18 Celles-ci étaient constituées pour plus d'un tiers des dividendes tirés des sociétés concessionnaires d'autoroutes, soit en 2005 332 millions d'euros sur les 4.912 millions de recettes de l'AFITF.
* 19 Cf. IV.A.1.
* 20 Rapport d'audit sur les grands projets d'infrastructures de transport de l'inspection générale des finances et du Conseil général des Ponts et Chaussées rendu en février 2003.