2. L'école et les enseignants face à la persistance inconsciente de stéréotypes sexués
Quoique très largement féminisée, l'institution scolaire elle-même perpétue les stéréotypes sexués, car les enseignants n'ont, inconsciemment, pas les mêmes attentes vis-à-vis d'un garçon et vis-à-vis d'une fille.
S'appuyant sur son expérience de recteur, Mme Marie-Jeanne Philippe, présidente du comité de pilotage de la Convention pour l'égalité entre les femmes et les hommes dans le système éducatif, a estimé qu'un conditionnement différent des filles et des garçons s'effectuait dès le plus jeune âge, sans que les enseignants en soient nécessairement conscients. Elle a cité le cas, pour illustrer son propos, d'une école maternelle où une maîtresse n'avait pas perçu spontanément, avant qu'on lui en fît la remarque, la dimension discriminatoire d'une pratique qui conduisait les petits garçons à se tourner vers l'atelier « train électrique » et les petites filles vers l'atelier « cuisine ».
Il est également fréquent d'entendre dire que les garçons seraient « naturellement » bons en mathématiques, alors que les filles seraient « spontanément » plus tournées vers les lettres.
Comme le notait Mme Catherine Marry, sociologue, directrice de recherche au CNRS, dans une conférence prononcée au ministère de l'éducation nationale le 16 octobre 2003, « la croyance des maîtres dans la supériorité des garçons en mathématiques et celle des filles en littérature est décelée, dès l'école primaire, alors même que les différences de performances sont inexistantes. Ces attentes fonctionneraient comme « des prophéties autoréalisatrices », alimentant la moindre confiance des filles et la surévaluation des garçons en mathématique » .
Certaines études ont, en outre, montré que les interactions verbales entre élèves et enseignants sont plus favorables aux garçons qu'aux filles.
Ainsi, dans le numéro de janvier 2003 du magazine Le Monde de l'éducation , Mme Nicole Mosconi, professeur de sciences de l'éducation à Paris X - Nanterre, souligne que l'étude des interactions enseignants/élèves a permis de mettre en évidence le fait que, dans les classes mixtes, les enseignants s'occupent davantage des garçons que des filles, et que cela se manifeste de deux façons différentes : « si l'on s'intéresse à la " position haute " - ceux que l'on appelle les bons élèves - on constate que la fille est interrogée le plus souvent pour rappeler les savoirs de la leçon précédente. Le garçon est sollicité au moment du cours où il y a production du savoir. La fille rappelle, le garçon est intégré aux opérations cognitives. Le garçon est aussi interrogé beaucoup plus souvent que les filles, c'est la règle du 2/3 - 1/3. (...) Tout concourt à valoriser le garçon, à lui donner de l'importance. Les psychologues américains disent qu'il y a une socialisation du garçon à l'indépendance, de la fille à la dépendance. Pour le garçon, il s'agit aussi d'un apprentissage du pouvoir. Il se constitue contre l'enseignant qui le détient et ne veut pas le partager. D'où, dans un système aussi coercitif que le nôtre, le recours à l'intervention spontanée en cas de chahut : les garçons occupent aussi l'espace sonore » .
La persistance de ces stéréotypes sexués et de ces différences de comportement revêt un caractère largement inconscient et involontaire. Il importe donc de mener auprès des enseignants, dont la bonne volonté en ce domaine ne saurait être suspectée, un effort de sensibilisation particulier pour faciliter la prise de conscience des processus qui sont à l'oeuvre et des représentations qui les sous-tendent.
Selon une enquête réalisée par la direction de l'enseignement scolaire en 2005, 18 instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) sur 31 avaient introduit la question de l'égalité dans leur cursus, dont 7 sous la forme de modules obligatoires.
Mais l'organisation de cette formation ne comporte, elle-même, aucun caractère obligatoire : elle relève de projets ponctuels, parfois remis en question par le départ de la personne qui les avait portés, et leur durée, inégale d'un établissement à l'autre, est souvent trop courte.
Compte tenu de l'intérêt que revêt cette formation, la délégation souhaite qu'à l'avenir elle soit dispensée systématiquement et qu'elle comporte également un volet relatif à la mixité professionnelle, comme on le verra plus loin, de façon à convaincre les enseignants de lutter contre les préjugés qui voudraient que certains métiers soient masculins et d'autres féminins.
Même si la prise de conscience en est relativement récente, il faut aussi prendre acte du fait que le contexte de l'école n'est pas unilatéralement favorable aux garçons. « Dans les classes populaires, les écarts se creusent. Les garçons, socialisés à valoriser la force et l'agressivité et à considérer les intellectuels comme des « femmelettes », ont plus de mal à s'adapter à l'école qui ne partage pas leurs valeurs » , comme le relève Mme Nicole Mosconi.
Il n'est d'ailleurs pas impossible que, dans les années à venir, le système éducatif français doive approfondir une réflexion sur les causes d'un accroissement de l'échec scolaire des garçons dans les milieux défavorisés, à l'image de celles qu'ont déjà engagées le Conseil supérieur de l'Éducation du Québec ou certains Community Colleges américains. Relevant que 41,3 % des garçons ont quitté l'enseignement secondaire sans diplôme contre 26 % de filles seulement, le premier s'inquiète de l'avenir des garçons « teflon » qui « n'adhèrent pas » au système éducatif.
Aux États-Unis, des établissements d'enseignement comme le Community College « La Guardia » dans le quartier métissé de Queens à New York, visité par la commission des affaires culturelles du Sénat en septembre 2006, ont dû mettre sur pied des programmes spécifiques de « Black men empowerment » pour tenter de remédier à l'échec scolaire spécifique des jeunes hommes de couleur qui se sentent trop étrangers au système scolaire.
Ces échecs scolaires ne sont d'ailleurs pas sans conséquence sur l'accès ultérieur au travail des garçons et ainsi qu'il a été relevé précédemment, les perspectives d'emploi étant désormais plus favorables aux femmes qu'aux hommes en raison de la désindustrialisation, on peut s'attendre dans l'avenir à des difficultés d'insertion particulières pour les jeunes hommes peu qualifiés.