B. AUX SOURCES DE LA SÉGRÉGATION : FILLES ET GARÇONS, DES ATTENTES SOCIALES INÉGALES
La ségrégation professionnelle entre les hommes et les femmes s'opère dès le système scolaire. Elle résulte d'un certain nombre de représentations stéréotypées qui imprègnent la société en général, et auxquelles n'échappent pas les acteurs du système éducatif.
La désaffection « spontanée » des jeunes filles pour certaines filières et certains secteurs cependant porteurs en termes d'emploi, s'explique en grande partie par leur intériorisation de représentations sociales stéréotypées véhiculées par la société et ses différentes composantes. Il en résulte que l'inactivité professionnelle paraît davantage acceptable socialement chez une fille que chez un garçon, et que certains métiers seront considérés, pour les uns comme plus adaptés aux hommes, et pour les autres, comme plus convenables pour les femmes. Cet effet « Pygmalion » conduit un enfant à se comporter en fonction de l'image que lui renvoient familles et enseignants.
1. Une attitude différenciée chez les parents
Un nombre important de travaux atteste d'attitudes différentes, chez les parents, en fonction du sexe de leur enfant.
Cette différence d'attitude peut se manifester dans de multiples domaines, qu'il s'agisse du choix des jouets, des vêtements ou des traits de caractère dont on souhaite encourager le développement. Selon Françoise Vouillot 26 ( * ) , les mères encouragent davantage l'autonomie et l'exploration de l'environnement chez les garçons, alors qu'elles valorisent plus les comportements d'obéissance, de passivité, de conformité chez les filles.
Les attentes quant à l'orientation professionnelle de leurs enfants diffèrent également suivant qu'il s'agit de filles ou de garçons.
Une enquête réalisée par IPSOS pour la délégation interministérielle à la famille a mis en relief les écarts qui existent chez les parents dans les critères à privilégier dans le choix d'un métier, selon qu'il s'agit d'une fille ou d'un garçon.
Certes, interrogés sur les critères qu'ils jugent primordiaux dans le choix d'un métier, les parents ne font pas apparaître de hiérarchies d'ensemble différentes suivant le sexe et placent au premier rang l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée.
Certaines différences subsistent cependant dans la pondération des différents critères.
Ainsi, les critères liés à la réussite professionnelle recueillent davantage de citations pour les garçons que pour les filles, qu'il s'agisse des possibilités d'évolution (9 points d'écart), du niveau de salaire (6 points d'écart) ou encore de la sécurité de l'emploi (5 points d'écart).
En revanche, la souplesse des horaires de travail est citée pour près d'un parent sur deux pour les filles (44 %), alors qu'elle n'est mentionnée que pour 19 % d'entre eux quand il s'agit d'un garçon. Une analyse plus poussée de ces résultats montre d'ailleurs que, dès lors qu'il s'agit d'une fille, ce critère est davantage mis en avant par les mères (49 %) que par les pères (37 %), peut-être en raison de leur expérience personnelle.
L'enquête fait également apparaître que les secteurs mis en avant par les parents continuent de différer selon qu'il s'agit d'une fille ou d'un garçon.
Ils privilégient, pour les garçons, les secteurs de l'énergie et de l'environnement (62 %), et pour les filles, celui des technologies de l'information (61 %) et celui des services et des soins à la personne.
L'écart et les différences de hiérarchies sont prononcés pour le secteur de l'industrie, mentionné par 36 % des parents pour un garçon et par 20 % seulement d'entre eux pour une fille.
L'enquête confirme donc la prégnance d'une représentation encore sexuée des secteurs : dans l'esprit des parents, et plus encore dans l'esprit des mères que dans celui des pères, les services à la personne restent associés à des « métiers de filles 27 ( * ) », tandis que le bâtiment et l'industrie sont plus fréquemment perçus comme un « secteur d'hommes ».
Cependant, en sens inverse, selon certains témoignages, le goût des études scientifiques serait paradoxalement transmis aux filles plus efficacement par leur famille que par les modèles dominants de l'éducation nationale
Comme a pu le vérifier la délégation, notamment en interrogeant systématiquement les intervenantes sur leur parcours personnel, l'excellence scolaire demeure trop largement « une affaire de famille » pour reprendre le titre d'une enquête du CNRS réalisée en 1998 par Mmes Michèle Ferrand, Françoise Imbert et Catherine Marry, afin de cerner les déterminants de la réussite des filles dans les études supérieures scientifiques.
Si les entretiens réalisés par ces sociologues auprès des normaliens et de leurs parents confirment l'importance du rôle des mères, notamment dans la réussite des filles, ils montrent surtout, de façon inédite, la transmission « des domaines d'études et d'emplois » . Du côté des filles, la présence de modèles de femmes scientifiques dans la famille s'avère un facteur essentiel de réussite dans les destinées encore exceptionnelles. Au-delà de leur vision positive de ce type d'activité, d'un certain niveau d'aspiration, les mères et les grand-mères leur ont légué «une absence d'antinomie femmes/sciences » . Cette enquête a remis en cause des idées reçues : traditionnellement, la famille apparaissait comme un lieu de reproduction de la division sexuée des rôles sociaux, l'école étant souvent créditée d'un pouvoir réformateur. Au regard de ces trajectoires, il semblerait aussi que la famille puisse parfois défaire les modèles traditionnels que l'école continue à reproduire.
* 26 Vouillot Françoise, Structuration des pratiques éducatives parentales selon le sexe de l'enfant , in Enfance , n° 4, 1986
* 27 62 % des citations au total chez les mères qui le placent en première position, contre 53 % et troisième position chez les pères.