D. QUELLE ÉVOLUTION POUR L'ANR AFIN DE STIMULER LA RECHERCHE FRANÇAISE ?

Le conseil de la modernisation des politiques publiques (CMPP) du 4 avril 2008 a confirmé l'orientation vers une « augmentation de la recherche publique financée sur projet », orientation parfois critiquée parce qu'elle compromettrait l'autonomie et la capacité d'invention de la recherche. Il est alors objecté qu'afin de soutenir tous les projets d'excellence, susceptibles d'émerger dans n'importe quel domaine, les appels à projet peuvent porter sur une proportion importante de « programmes blancs », et que, pour ce qui concerne les projets de moyen-long terme, le financement sur projet n'a pas vocation à se substituer complètement aux financements récurrents.

Quelles précautions prendre pour qu'une montée en puissance de l'ANR renforce la recherche française sans risque d'inhibition ?


• Remédier aux incertitudes quant à l'orientation stratégique nationale, qui pose problème autant sur le fond que sur la nécessité d'un diagnostic partagé 241 ( * ) .


• Renforcer la prise en compte des dimensions européenne et internationale au sein de l'ANR et évaluer son action , ce qui est prévu en 2008.


• Veiller à ce qu 'une programmation envahissante n'aboutisse pas à décourager les bonnes idées , surtout pour la recherche fondamentale. La National science foundation (NSF) donne l'exemple d'une gestion très volontariste sur la base de programmes blancs, promouvant la prise de risque scientifique afin de favoriser les innovations de rupture.

Il convient de réfléchir :

- à l'équilibre entre financements sur projet et financements récurrents , dans la mesure où tous les projets ne peuvent être financés à un horizon de trois ou quatre ans (celui de l'ANR) ;

- parmi les financements sur projet, à la part réservée aux projets libres (le « programme blanc » de l'ANR), a priori plus favorables à la qualité de la recherche que les financements récurrents.

La justesse de cette réflexion , particulièrement sensible, est suspendue à la mise en place d'une comptabilité analytique -dont la généralisation apparaît encore relativement lointaine- car elle permettrait une prise en charge des projets en coûts complets -dont le principe n'est pas davantage acquis. En attendant, le mécanisme du « préciput » permet de faire progresser la recherche sur projet en ménageant une certaine logique financière. Il est aujourd'hui destiné à compenser les dépenses induites par les projets de recherche financés par l'ANR au sein des laboratoires qui les hébergent. Son renforcement pourrait démultiplier l'incitation à obtenir des financements de l'agence et, à terme, la question de la proportion de financements récurrents pourrait laisser la place à une question plus générale : celle de la proportion de financements libres d'emploi pour les organismes de recherche et les universités.

En conclusion, la sélection sur projet peut soutenir l'excellence et la coordination de la recherche. Les inconvénients qu'on lui prête volontiers -atteinte à la liberté de la recherche, « court-termisme »- semblent pouvoir être évités par une organisation adéquate et la préservation d'équilibres raisonnables : les programmes blancs permettent de réserver une place importante aux projets spontanés, tandis que le maintien de ressources libres d'emploi, au travers des financements récurrents voire du préciput, donnerait aux grands organismes (et aux universités) les moyens de poursuivre les projets de plus long terme.

Schéma de transition du financement des différentes catégories de projets de recherche

Recherche sur projet

Appels à projet orientés

(ANR et organismes de recherche)

Programmes blancs
(ANR)

Financements récurrents

ou

préciput

(Organismes de recherche
et universités)

Projets suscités par un appel à projet ou projets susceptibles de s'y inscrire

Projets de court terme non susceptibles de s'inscrire dans un appel à projet orienté

Projets de long terme

Source : Sénat

NB : Les flèches en pointillé désignent les financements qui auraient tendance à se raréfier au profit de ceux représentés par une flèche pleine dans le cadre d'une montée en puissance de la recherche sur projet.


Les flèches verticales désignent la tendance : hausse (?) ou baisse ( ?).

Ajoutons cependant que tous les termes du débat méritent d'être posés : au-delà d'un certain volume, le financement sur projet, parce qu'il s'effectue nécessairement au détriment des financements récurrents, devient incompatible avec une rémunération garantie pour un même nombre de chercheurs fonctionnaires au sein des différents organismes de recherche (et des universités). Dès lors, la réflexion sur la condition des chercheurs devient inséparable de celle concernant la recherche sur projet.

* 241 Par exemple, le CEA craint que l'ANR n'évolue vers « une machine à financer le monde académique », en l'absence d'autres modalités de financement de la recherche technologique et partenariale. A l'inverse, la direction du CNRS avait souhaité que les appels « blancs » représentent 50 % du budget de l'ANR, alors qu'ils demeurent fixés à 30 %, tout en relevant que cette proportion atteint 70 % à la NSF...

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