B. LES ÉTUDES DOCIMOLOGIQUES NE PERMETTENT PAS DE TRANCHER EN FAVEUR D'UNE FORME D'ÉVALUATION PARTICULIÈRE

Votre rapporteur n'ignore pas les critiques sévères dont le contrôle terminal est souvent l'objet. Une étude récente de l'Institut de recherche sur l'éducation (IREDU), publiée par M. Bruno Suchaut, qualifiait ainsi le baccalauréat de « loterie ». Étudier la notation à l'examen, c'est en effet rencontrer l'aléa qui partout caractérise l'évaluation lorsqu'elle n'est pas guidée par un cadre commun à tous les notateurs.

De ce point de vue, il n'y a pas lieu de s'étonner de la dispersion des notes mises par différents correcteurs à une même copie. La docimologie l'a en effet mise au jour il y a bien longtemps déjà : en 1936, la commission française pour l'enquête Carnégie mettait en évidence, à partir de copies de baccalauréat, les très fortes divergences entre correcteurs, confirmant ainsi une intuition largement partagée par les élèves.

En soumettant trois mêmes copies de sciences économiques et sociales à un nombre important de correcteurs, M. Bruno Suchaut a fourni une nouvelle illustration de ce phénomène, dont l'intérêt tient à la nature des exercices corrigés. Car les sciences économiques et sociales appartiennent, par l'effet de leur culture propre, aux disciplines où la conscience des divergences potentielles d'évaluation est vive.

Toutefois, ce constat ne suffit pas à invalider toute tentative de notation au baccalauréat pour deux raisons principales.

La première tient au protocole même de l'étude : les copies ont été notées sans faire l'objet de l'harmonisation ex ante et ex post qui a normalement cours dans les jurys de baccalauréat. Dès lors, la dispersion ne peut qu'être maximale et l'on peut légitimement supposer que ces efforts de coordination ne sont pas sans effet sur l'ampleur des divergences de notation.

La deuxième trouve son origine dans un constat : aucune forme d'évaluation ne s'impose par son objectivité supposée. Les quelques études menées sur un échantillon significatif de résultats le montrent. Ainsi, une enquête a été réalisée en 1992 parmi 1 500 élèves issus de huit lycées de Côte d'Or qui venaient de passer leur baccalauréat dans les séries A1, C et G2. Pour chacun de ces élèves, les notes obtenues en contrôle continu tout au long de l'année ont été comparées aux résultats obtenus lors des épreuves du baccalauréat. 16 ( * )

Sans surprise, les divergences entre notes de contrôle continu et notes obtenues aux épreuves terminales étaient particulièrement fortes, y compris dans des disciplines qui, dans l'imaginaire collectif, ne se prêtent que difficilement aux écarts de notation, comme les mathématiques ou la physique. Certes, la corrélation entre les deux séries de notes est plus forte dans les matières scientifiques que dans les matières considérées comme plus littéraires, mais dans un cas comme dans l'autre, les écarts sont suffisants pour être particulièrement frappants.

De cette divergence, faut-il toutefois tirer comme conclusion que les notes de contrôle continu sont plus fiables que les notes d'examens terminaux ? Rien ne le démontre particulièrement, dès lors qu'aucune mesure absolue de la valeur d'une copie ne peut jouer le rôle d'étalon.

Au surplus, aucun de ces deux modes d'évaluation ne peut être considéré comme plus restrictif ou plus bienveillant. Les auteurs de l'étude précitée ont en effet calculé quel aurait été le taux de réussite des élèves au baccalauréat s'ils avaient été jugés sur leurs notes de l'année. Il s'est révélé nettement plus faible que celui réellement obtenu au baccalauréat : il y aurait en effet eu environ 15 % de reçus en moins dans les séries A1 et G2, et environ 35 % en moins dans la série C. Mais pour autant, la notation aux épreuves terminales n'a pas pour effet de conduire au succès des élèves qui auraient échoué en cas de contrôle continu. L'étude montre en effet que 48 % seulement des élèves qui ont effectivement échoué au baccalauréat cette année-là auraient également échoué sur la base de leurs notes de contrôle continu dans la série C. Pour les séries A1 et G2, cette proportion s'élève à 60 % environ.

Dès lors, il ne semble y avoir aucun lien univoque entre un mode d'évaluation donné et un style de notation plus ou moins strict. Le contrôle continu n'apparaît donc ni plus juste, ni plus restrictif que l'examen terminal.

Votre groupe de travail considère donc qu'il n'y a pas lieu de substituer, même partiellement, du contrôle continu aux épreuves terminales. Ce dernier ne peut donc se développer que là où il serait absurde ou malcommode d'organiser des épreuves ponctuelles, comme ce peut être le cas dans nombre d'enseignements professionnels ou en éducation physique et sportive.

La valeur du contrôle terminal ne doit toutefois pas dissuader l'ensemble de la communauté éducative de mettre en place les procédures d'harmonisation les plus pertinentes et les plus efficaces. Accepter la part d'aléa que comporte toute notation est une chose, ne pas tenter de la limiter en est une autre. Aussi l'harmonisation est-elle légitime dans son principe.

Cela peut également conduire à réfléchir à la forme même des épreuves, à la condition de rester parfaitement conscient qu'un questionnaire à choix multiple ne permet d'évaluer ni la démarche, ni les capacités d'analyse et de synthèse d'un élève. De ce point de vue, l'objectivité supposée de l'évaluation ne doit pas conduire à faire abstraction de la nature des qualités et des compétences dont on veut certifier la possession.

A cet égard, votre groupe de travail souhaite souligner l'attachement qui est le sien à certaines formes traditionnelles d'évaluation, comme la dissertation. Celle-ci permet de juger des capacités de réflexion et d'expression des candidats. Dès lors, si toutes les épreuves n'ont pas nécessairement vocation à prendre la forme de dissertations, il est sans doute bon que cet exercice demeure l'un de ceux auxquels les lycéens sont régulièrement confrontés.

Aux yeux de votre rapporteur, il serait en tout état de cause intéressant de mieux distinguer entre les épreuves qui ont pour vocation d'attester la possession d'un certain niveau de connaissances et celles qui témoignent d'une certaine maturité. Toutes deux sont indispensables et toutes deux doivent donc demeurer présentes au sein des épreuves du baccalauréat.

* 16 Jean-Pierre Jarousse, Alain Mingat et David Oget, Éléments factuels pour une réflexion sur le baccalauréat et son organisation, Notes de l'IREDU, n° 96/5.

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