Mercredi 2 avril 2008 - Audition de M. Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'Etat
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Statut : Institution publique consultative et juridictionnelle créée par l'article 52 de la Constitution de l'an VIII. Composition : Comprend environ 300 membres nommés soit à la sortie de l'ENA soit au « tour extérieur ». Mission et pouvoirs : - conseiller le gouvernement : le Conseil d'Etat examine les projets de loi et d'ordonnance ainsi que certains projets de décret et émet un avis sur la régularité juridique des textes, sur leur forme et leur opportunité. Il peut par ailleurs être consulté par le gouvernement sur toute question ou difficulté d'ordre administratif. Il lui indique quels sont les projets d'actes communautaires qui touchent à des questions législatives et qui doivent en conséquence être transmis au Parlement ; - adresser au président de la République un rapport annuel comprenant les réformes d'ordre législatif, réglementaire ou administratif qu'il propose au Gouvernement ; - juger les litiges entre les citoyens et l'administration : le Conseil d'Etat est l'échelon suprême de la juridiction administrative. Il est juge de cassation des arrêts des cours administratives d'appel et des juridictions administratives spécialisées. Il juge en premier et dernier ressort les recours dirigés contre les décrets, les actes des organismes collégiaux à compétence nationale ainsi que le contentieux des élections régionales et européennes. Il est compétent en appel pour les contentieux des élections municipales et cantonales et des reconduites à la frontière. |
Soulignant les défis et les enjeux auxquels était confrontée la juridiction administrative, M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'Etat , a tout d'abord exposé les efforts récemment entrepris afin de renforcer l'efficacité de la fonction consultative du Conseil d'Etat.
Il a indiqué qu'en réaction au décuplement du volume de la norme en 40 ans, doublé en 15 ans et augmenté de 9,75 % au cours des 18 derniers mois, le décret n° 2008-225 du 6 mars 2008 relatif à l'organisation et au fonctionnement du Conseil d'Etat avait créé une section administrative supplémentaire -la section de l'administration- disposant d'un bloc de compétences homogène et d'une vision transversale des enjeux globaux de la réforme de l'Etat. Il a souligné que cette section aurait désormais seule compétence pour examiner les projets de loi et de décret en matière de fonction publique, de relations entre l'administration et ses usagers, de procédure administrative non contentieuse, de défense nationale, ainsi que de contrats publics et de propriétés publiques. Il a souligné qu'elle aurait donc en charge l'examen des principaux instruments de la gestion publique.
Il a fait observer que d'autres mesures étaient désormais mises en oeuvre afin d'accroître l'efficacité de la fonction consultative du Conseil d'Etat, mentionnant :
- la différenciation des méthodes de traitement des dossiers avec la mise en place de formations ordinaires de sept membres ;
- le renforcement de l'unité de doctrine et de la coordination des sections avec la nomination d'un délégué général dans les sections administratives ;
- l'attribution d'une voix délibérative à tous les membres des sections administratives ;
- le recours accru à des personnes susceptibles d'éclairer les travaux des sections administratives ;
- la réduction du champ des décrets en Conseil d'Etat.
M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'Etat , s'est ensuite interrogé sur les conséquences de la modification de l'article 88-4 de la Constitution par la loi constitutionnelle du 4 février 2008 sur la fonction de veille exercée par le Conseil d'Etat sur les projets de textes communautaires, afin d'anticiper sur les difficultés juridiques et politiques posées par ceux-ci.
Il a souligné que si la réforme annoncée des institutions permettait au Parlement de demander l'avis du Conseil d'Etat sur des propositions de loi, il serait nécessaire de définir les modalités d'application de cette mesure, à commencer par la représentation du Parlement et du Gouvernement devant le Conseil d'Etat, le filtrage des propositions de loi par les présidents des assemblées, et décider si l'avis du Conseil d'Etat serait une condition d'inscription de la proposition de loi à l'ordre du jour des assemblées.
M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'Etat , a souligné que la juridiction administrative devait également relever le défi résultant de l'accroissement du nombre des requêtes et des délais de jugement.
Il a rappelé qu'un effort considérable avait été accompli pour répondre à la multiplication par dix en 30 ans du nombre de requêtes devant la juridiction administrative. Il a indiqué qu'alors que le nombre de magistrats des tribunaux administratifs et des Cours administratives d'appel n'avait été multiplié que par 3,5 pendant la même période, les délais de jugement des affaires avaient été réduits de plus de 20 % au Conseil d'Etat et dans les tribunaux administratifs et de plus de 50 % dans les Cours d'appel, et s'élevaient désormais à moins de 9 mois au Conseil d'Etat, à 13 mois dans les Cours administratives d'appel et à moins de 14,5 mois dans les tribunaux administratifs.
Il a néanmoins jugé ces résultats à la fois insuffisants, dans la mesure où le délai prévisible moyen -hors procédures d'urgence, ordonnances et procédures enserrées dans des délais particuliers- reste le double du délai apparent, et très inégaux, la région d'Ile-de-France étant dans une situation critique. Il a craint en outre qu'ils ne soient fragilisés par le développement des contentieux de masse, notamment avec la perspective du droit au logement opposable.
Il a en conséquence évoqué plusieurs mesures :
- l'élaboration d'un nouvel indicateur budgétaire, mesurant le délai réel de traitement des affaires ordinaires, hors ordonnances, procédures d'urgence et procédures enserrées dans des délais particuliers telles que celles relatives aux arrêtés de reconduite à la frontière, aux refus de séjour assortis de l'obligation de quitter le territoire ou au contentieux électoral ;
- la poursuite du renforcement des moyens et la création de juridictions supplémentaires, en particulier en Ile-de-France où, depuis 2002, les requêtes ont marqué une hausse de 72,5 %, les jugements de 43 % et les effectifs de 20 % seulement, ce qui a conduit à un allongement des délais de jugement ;
- la réforme des procédures, bien que les marges de manoeuvre soient restreintes, 32 % des affaires étant déjà réglées par ordonnance, 30 % par un juge unique et 38 % par une formation collégiale ;
- le développement de l'aide à la décision ;
- l'accroissement des télé-procédures, déjà mises en oeuvre pour le contentieux fiscal devant le Conseil d'Etat et expérimentées à la Cour administrative d'appel et au tribunal administratif de Paris, ainsi que devant le Conseil d'Etat en matière de fonction publique militaire ;
- la prévention de la « pathologie contentieuse » ainsi que des contentieux de masse par le développement, pour ces derniers, du recours administratif préalable obligatoire, notamment dans le contentieux de la fonction publique ou du permis de conduire ;
- l'évitement des contentieux « virtuels », tel celui relatif au refus de séjour des étrangers dans lequel 95 % des décisions ne sont pas exécutées, ce qui représente près de 20 % du total des décisions des tribunaux administratifs ;
- la réflexion préalable à l'instauration d'une action de groupe devant le juge administratif afin de faciliter le traitement des séries de requêtes présentant à juger le même point de droit, quand celui-ci a été tranché par une décision juridictionnelle devenue définitive.
M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'Etat , a indiqué la volonté du Conseil d'Etat de maintenir la qualité de la justice administrative, ce qui impliquait l'accessibilité du juge, l'unité, la cohérence, la stabilité et la prévisibilité de la jurisprudence, la réalité et la profondeur du contrôle juridictionnel, l'efficacité des procédures d'urgence ainsi que l'exécution des décisions de justice.
Faisant observer que beaucoup avait été fait ces dernières années en la matière, il a estimé souhaitable de développer et d'affiner les indicateurs de qualité, tout en développant la formation des magistrats et agents de greffe, ce qui se traduirait par la création d'un centre de formation de la juridiction administrative. Il a également évoqué la nécessité d'une plus grande place donnée à l'oralité dans la procédure par le développement des audiences d'instruction, des enquêtes à la barre et des audiences « interactives ».
Il a souligné l'intérêt d'améliorer la mise en état des affaires pour que celle-ci soit plus prévisible et plus efficace par la mise en place d'un calendrier de procédure.
Indiquant que l'indépendance de la juridiction administrative n'était pas incompatible avec sa responsabilité et son ouverture en direction du corps social, M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'Etat , a insisté sur le fait qu'elle devait en conséquence rendre compte au corps social, aux pouvoirs publics et à la société de l'accomplissement de sa mission. Il a ajouté que cette volonté se traduisait par des initiatives tendant à valoriser les travaux de la juridiction administrative et à renforcer sa communication en direction des publics généralistes et spécialisés ainsi qu'à approfondir ses relations avec l'université, une direction de la communication venant d'être créée à cette fin au Conseil d'Etat.
Il a fait observer qu'il convenait que la juridiction administrative évalue ses activités et ses résultats et, en particulier, le coût et l'efficacité de la justice. Il a indiqué qu'une étude sur ce thème de la section du rapport et des études du Conseil d'Etat était engagée et qu'il était nécessaire de s'inscrire dans la perspective du benchmarking mondial des systèmes de justice, la Banque mondiale devant lancer une étude évaluant les systèmes juridictionnels à travers le monde.
Il a estimé que la juridiction administrative devait définir et publier les principes déontologiques s'imposant à ses membres, ce qui renforcerait sa qualité et son impartialité objective tout en sécurisant leurs pratiques professionnelles. Il a indiqué qu'ainsi seraient rappelés et précisés les principes déontologiques concernant la prévention des conflits d'intérêt et les règles de déport, les obligations professionnelles ainsi que le devoir de réserve.
Il a jugé que la juridiction administrative devait aussi s'ouvrir davantage sur la société et contribuer à éclairer les grands enjeux éthiques, économiques, sociaux, sociétaux et environnementaux des décisions prises au contentieux, évoquant la création d'une procédure d'« amicus curiae » permettant d'entendre, dans certains procès administratifs, des philosophes, des économistes, des sociologues ou des professeurs de médecine.
S'agissant du renforcement des garanties du procès équitable dans le cadre de la procédure administrative contentieuse, M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'Etat , a relevé que le décret du 6 mars 2008 avait prévu, d'une part, qu'un membre du Conseil d'Etat ne peut participer au jugement d'un recours contre un acte pris après avis du Conseil d'Etat, lorsqu'il a pris part à la délibération de cet avis, les justiciables pouvant obtenir communication du nom des membres du Conseil d'Etat ayant participé à la délibération d'un avis relatif à un acte qu'ils contestent, afin de vérifier le respect de cette règle.
Il a ajouté que la composition des formations de jugement avait également été modifiée, les sections administratives cessant d'être structurellement représentées dans la section du contentieux en formation de jugement et dans les sous-sections réunies, le vice-président n'ayant plus de voix prépondérante en assemblée du contentieux et aucun membre d'une section administrative ayant rendu un avis sur un texte pendant devant l'assemblée du contentieux ne pouvant siéger dans cette formation de jugement.
Il a indiqué que les parties pourront s'exprimer oralement, et plus seulement par note en délibéré, après les conclusions du commissaire du gouvernement, de même qu'elles pourront être informées préalablement du sens de celles-ci.
M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'Etat , a rappelé que, si le droit public avait longtemps été moins perméable aux influences extérieures, il avait été totalement transformé par les normes communautaires et celles issues de la Convention européenne des droits de l'homme, relevant qu'entre 32 % et 45 % des 4.000 décisions les plus importantes du Conseil d'Etat faisaient application de ces normes.
Il a estimé nécessaire de mettre en place, à côté de la coopération institutionnelle ou verticale entre juridictions suprêmes, telle que la procédure des questions préjudicielles devant la Cour de justice des Communautés européennes, une collaboration informelle, horizontale entre juges administratifs suprêmes de l'Union européenne. Une telle coopération permettrait aux juges suprêmes de confronter leurs méthodes de travail, leurs jurisprudences et leurs résultats afin de parvenir à une vision partagée de l'application du droit européen et de faire converger le contrôle de la puissance publique.
M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'Etat , a ensuite évoqué la réforme des statuts de la juridiction administrative afin d'en renforcer les garanties d'indépendance et les qualifications, tout en éliminant certaines dispositions obsolètes et inadaptées. Il a indiqué que l'objectif recherché par cette évolution était de :
- mieux encadrer le pouvoir de nomination au tour extérieur des membres de la juridiction administrative ;
- réformer la procédure disciplinaire, qu'il a jugée inadaptée ;
- permettre l'intégration au sein du Conseil d'Etat de fonctionnaires accueillis en détachement ;
- créer des conseillers d'Etat en service extraordinaire au contentieux, pour accueillir au Conseil d'Etat des juristes expérimentés d'origines diverses, y compris du secteur privé ;
- accroître le recrutement de membres du Conseil d'Etat issus des tribunaux administratifs et des Cours administratives d'appel ;
- prévoir une limitation de durée dans l'exercice des fonctions de chef de juridiction.
M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'Etat , a insisté sur le fait que la juridiction administrative s'était engagée dans un vaste mouvement de renouvellement, d'anticipation et d'adaptation depuis 20 ans, qui allait se poursuivre et reposait sur une vision claire de son office : assurer la protection des droits fondamentaux, améliorer la gouvernance publique et faire respecter l'intérêt général.
Il a souligné que cette réforme s'inscrivait dans le cadre d'une démarche collective qui impliquait la juridiction administrative dans son ensemble et de l'unité de laquelle il était le garant.
M. Simon Sutour, rapporteur pour avis des crédits du programme « Conseil d'Etat et autres juridictions administratives », rattaché à la mission « Conseil et contrôle de l'Etat » s'est félicité de ce que la commission des lois puisse entendre le vice-président du Conseil d'Etat. Il a regretté que, depuis l'entrée en vigueur de la loi organique aux lois de finances, le Parlement n'ait plus de ministre identifié pour assumer la présentation du budget de la justice administrative, auparavant rattaché au garde des sceaux et désormais inscrit dans une mission « Conseil et contrôle de l'Etat » placée sous l'autorité du Premier ministre. En outre, il a jugé utile -pour l'information du Parlement- de faire annuellement le point sur les perspectives de réforme des juridictions administratives, notant que plusieurs chantiers étaient en cours.
Le rapporteur pour avis a souhaité savoir si l'impact de la loi du 5 mars 2007 instituant un droit opposable au logement était déjà perceptible sur l'activité des juridictions administratives. Il a rappelé les inquiétudes exprimées par les magistrats administratifs lors de la dernière discussion budgétaire concernant l'augmentation de la charge de travail des juridictions administratives susceptible d'être induite par cette réforme.
Il a demandé si le Conseil d'Etat avait engagé un dialogue avec les administrations publiques pour généraliser les recours gracieux préalables obligatoires, soulignant que cette piste de réforme était régulièrement mise en avant par les magistrats administratifs pour désengorger les tribunaux.
Enfin, il s'est enquis de l'état d'avancement du projet de création d'un tribunal administratif à Toulon, se demandant si le choix du site définitif avait été arrêté. Il a appelé l'attention du vice-président du Conseil d'Etat sur les locaux du tribunal administratif de Nîmes créé en 2006 et installés dans un bâtiment restructuré en profondeur dont les façades anciennes sont restées très dégradées. Il a souhaité que des travaux s'engagent rapidement pour remédier à cette situation, après avoir indiqué que les collectivités territoriales étaient disposées à en financer une partie, en complément de l'Etat.
Relevant que l'introduction de l'action de groupe devant les juridictions judiciaires n'était encore qu'à l'étude, M. Bernard Saugey a souhaité obtenir des précisions sur la réflexion annoncée par M. Jean-Marc Sauvé sur son application devant les juridictions administratives.
M. Pierre-Yves Collombat s'est demandé si l'inflation normative -bien qu'unanimement déplorée- allait dans le sens d'une meilleure administration de l'Etat. Il s'est déclaré dubitatif sur l'effet à long terme des récentes réformes destinées à réduire les délais de jugement. Selon lui, la systématisation des recours gracieux porte en germe le risque de susciter un volume de contentieux plus important, à l'inverse de l'objectif recherché. Il a estimé plus utile de régler les difficultés encore plus en amont.
M. Jean-Pierre Sueur a évoqué la désespérance des tribunaux administratifs face à l'explosion du contentieux des étrangers. Il a souhaité savoir si des solutions étaient envisagées pour résoudre ces difficultés. Il s'est réjoui de ce que le vice-président du Conseil d'Etat ait exprimé la volonté de renforcer l'oralité des débats devant les juridictions administratives.
M. Jean-Claude Peyronnet a souligné le risque que l'encombrement des juridictions administratives ne les conduise à effectuer des choix tant sur la manière de traiter les affaires elles-mêmes que s'agissant du degré de priorité qui leur est accordé. Un minimum de transparence sur les modalités de traitement des contentieux retenues par les magistrats administratifs lui a semblé nécessaire pour permettre aux justiciables d'être suffisamment éclairés sur leur situation. Il a expliqué que certaines situations pouvaient susciter une grande incompréhension, citant l'exemple d'un jugement relatif à l'octroi d'un permis de construire d'une supérette en milieu rural qui avait été rendu après le délai de péremption du permis sans qu'aucune information n'ait été délivrée dans l'intervalle aux parties concernées.
M. François Zocchetto a souligné que le gouvernement avait engagé une réflexion sur la « déjudiciarisation » du contentieux judiciaire qui pourrait aboutir au transfert de certaines matières -comme le contentieux des infractions routières- vers les tribunaux administratifs. Il s'est demandé si les juges administratifs, compte tenu de l'explosion des recours, pourraient assumer des flux d'affaires supplémentaires.
Après avoir marqué son intérêt pour le développement de l'action de groupe, il s'est interrogé sur l'opportunité de l'étendre à la justice administrative.
Après avoir signalé que le gouvernement envisageait, dans le cadre de la réforme des institutions, la possibilité pour les assemblées parlementaires de solliciter l'avis du Conseil d'Etat sur les propositions de loi, M. Jean-Jacques Hyest, président , a souhaité connaître la position de M. Jean-Marc Sauvé sur cette question.
Il lui a également demandé si, dans un souci de transparence, il serait favorable à la communication aux parlementaires des avis du Conseil d'Etat sur les projets de loi.
En réponse, M. Jean-Marc Sauvé a indiqué que la consultation du Conseil d'Etat sur des propositions de loi modifierait la nature de ses missions, celui-ci n'étant plus le conseiller exclusif du gouvernement. Il a souligné qu'il appartenait au pouvoir constituant de préciser les modalités de saisine et d'examen du Conseil d'Etat dans ce cadre, ainsi que les conséquences éventuelles d'un défaut de consultation par les assemblées sur la régularité de la procédure législative.
Abordant la question de la publicité des avis du Conseil d'Etat sur les projets de loi, M. Jean-Marc Sauvé a rappelé que ces avis n'étaient publics que si le gouvernement le décidait. Il s'est déclaré ouvert à une réforme législative tendant à prévoir une communication systématique des avis du Conseil d'Etat aux parlementaires, eu égard à l'exigence de loyauté du débat politique.
Partageant les inquiétudes du rapporteur pour avis sur l'inflation contentieuse susceptible d'être induite par la loi du 5 mars 2007 instituant un droit opposable au logement en vigueur depuis le 1 er janvier, M. Jean-Marc Sauvé a mis en avant le volume des demandes prioritaires à satisfaire, évalué, d'après les statistiques de l'INSEE, à 600.000, soit 1,7 million de personnes au regard du -faible- nombre de logements attribués annuellement au titre du contingent préfectoral (60 à 65.000). Il a expliqué que ce décalage risquait de mettre les préfets dans l'impossibilité d'honorer près de 540.000 demandes, estimant que si seulement 10 % de ces 540.000 ménages choisissaient de saisir le juge selon une hypothèse restrictive, il était permis de redouter un afflux de près de 20.000 affaires supplémentaires par an. Ainsi, ce contentieux pourrait être à l'origine d'un afflux de requêtes annuelles de l'ordre de 10 %.
Le vice-président du Conseil d'Etat a relevé que l'activité contentieuse des tribunaux administratifs serait doublement affectée par cette réforme du fait :
- d'un surcroît de recours pour excès de pouvoirs « classiques » de la part des personnes écartées par les commissions départementales de médiation, étant précisé que ces demandes pourraient affluer dès le printemps, lorsque ces instances commenceront à trier des demandes en grand nombre ;
- de l'introduction d'actions indemnitaires des personnes déclarées prioritaires, mais n'ayant pas obtenu satisfaction après injonction du juge administratif délivrée dans le cadre de l'action spécifique du droit au logement opposable. L'activité des commissions départementales est encore faible, 7.500 dossiers ayant été déposés et 189 décisions rendues, dont 107 rejets. Une montée en puissance est toutefois à prévoir, ce qui ne permet pas encore d'évaluer finement les conséquences du nouveau dispositif.
M. Jean-Marc Sauvé a indiqué que le Conseil d'Etat avait pris en compte, dans ses demandes budgétaires pour la période 2009-2011, les conséquences de l'entrée en application de ce nouveau droit sur les entrées contentieuses, et donc les besoins en termes de moyens. Il a cependant ajouté que dans l'hypothèse où la progression des flux d'affaires nouvelles se révélerait supérieure aux prévisions retenues dans le cadre de la programmation budgétaire, il appartiendrait au gouvernement et au Parlement de réajuster à la hausse les moyens alloués initialement, afin d'éviter une dégradation des délais de jugement.
Il a rappelé l'origine ancienne des premiers recours administratifs préalables obligatoires, introduits dans notre droit il y a cinquante ans en matière fiscale. Il a mis en avant les avantages d'une telle procédure :
- qui permet de satisfaire tant le justiciable que l'administration ;
- qui constitue une solution efficace pour désengorger la juridiction administrative. Il a expliqué que 95 % des requêtes trouvaient une solution dans ce cadre, ce qui limitait fortement les recours contentieux.
M. Pierre-Yves Collombat a souligné la particularité de la matière fiscale, où la négociation entre le justiciable et l'administration est courante, estimant difficile de tirer de cet exemple un enseignement général sur l'impact des recours gracieux préalables sur le volume des contentieux.
Une généralisation de ces recours à l'ensemble des décisions défavorables de l'administration n'a pas semblé pertinente au vice-président du Conseil d'Etat. Celui-ci a cependant estimé que dans des domaines contentieux ciblés (fonction publique militaire ou droit des étrangers), cette procédure avait prouvé son efficacité pour réduire l'inflation des flux contentieux.
Il a évoqué la mise en place d'un groupe d'études, à la demande du Premier ministre placé sous l'égide de la section du rapport et des études du Conseil d'Etat, chargé de réfléchir à une éventuelle extension de ces procédures à de nouvelles matières (fonction publique civile, permis de conduire ou encore contentieux des étrangers), annonçant que ses travaux devraient s'achever avant la fin du mois.
Il a indiqué que la création du tribunal administratif de Toulon, prévue dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation de la justice du 9 septembre 2002, doit intervenir en septembre ou en octobre prochain. Cette juridiction s'installera provisoirement dans un immeuble loué au Conseil général du Var jusqu'en 2012, dans l'attente de la libération des locaux du palais Leclerc actuellement occupés par le tribunal d'instance et le tribunal pour enfants qui doivent être transférés dans la nouvelle cité judiciaire, en cours de construction.
S'agissant du tribunal administratif de Nîmes, M. Jean-Marc Sauvé a déclaré partager les préoccupations du rapporteur pour avis sur la dégradation des façades. Constatant qu'aucun crédit n'avait pu être inscrit au budget cette année pour financer un projet de rénovation, il a assuré que le Conseil d'Etat demanderait que les moyens nécessaires soient alloués à ce chantier en 2009.
M. Jean-Marc Sauvé a souligné qu'une simple réflexion sur les conséquences pour les juridictions administratives de l'introduction éventuelle de l'action de groupe était en cours. Il a souligné que les tribunaux administratifs pouvaient être amenés à traiter un contentieux de masse portant sur une même question de droit. Il a fait valoir que les jugements en série ne constituaient pas un mode de traitement pleinement satisfaisant, comme l'avait montré l'exemple du contentieux sur le droit pour les fonctionnaires de sexe masculin de bénéficier des dispositions prévues à raison du nombre d'enfants élevés au profit des fonctionnaires de sexe féminin. En effet, en dépit de la décision de la Cour de justice des Communautés européennes ayant reconnu ce droit applicable aux intéressés (arrêt Griesmar), cette source de contentieux ne s'est pas tarie, le ministère chargé de l'économie et des finances ayant refusé de tirer les conséquences de la jurisprudence européenne. Il s'est demandé si l'action de groupe aurait pu permettre d'éviter ces difficultés.
Pour M. Jean-Marc Sauvé, la systématisation des études d'impact est le seul moyen de juguler l'inflation législative, à l'instar de ce qui prévaut en Nouvelle-Zélande ou en Australie. Il a regretté que les réformes législatives ne soient pas précédées d'une réflexion sur les coûts susceptibles d'être générés et la valeur ajoutée apportée au regard de la réglementation en vigueur. Il a souligné le très net accroissement de la production tant normative que réglementaire au cours de la douzième législature. Il lui a paru essentiel de s'interroger sur la nécessité d'un texte. Il s'est demandé, à cet égard, si l'impact de la mise en oeuvre du droit au logement opposable sur l'activité des juridictions administratives avait été mesuré.
Evoquant plus particulièrement le contentieux des étrangers, il a indiqué que cette matière représentait un peu plus de 27 % de l'activité des tribunaux administratifs, dont 8 % concernaient les recours à l'encontre des reconduites à la frontière et un peu moins de 20 % les contentieux liés au refus de l'octroi d'un titre de séjour et aux obligations de quitter le territoire français. Dans le contexte actuel de pénurie des moyens de la justice administrative, il s'est demandé s'il était encore pertinent de consacrer un cinquième de la ressource budgétaire à un contentieux dont les décisions de justice ne reçoivent pas d'application.
Le vice-président du Conseil d'Etat a ajouté en outre qu'une commission présidée par M. Pierre Mazeaud réfléchissait actuellement sur des propositions pour unifier le contentieux des étrangers.
Il a rappelé que l'écrit domine la procédure contentieuse, seuls les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation pouvant s'exprimer lors des débats, les plaidoiries n'étant pas systématiques. Il a estimé que le renforcement de l'oralité des débats impliquera de définir qui serait autorisé à s'exprimer et à quel moment pour rendre les audiences plus interactives.
En outre, une telle réforme paraît nécessaire dans la mesure où, compte tenu de la surcharge de l'activité contentieuse, un recentrage de l'intervention des commissaires du gouvernement -« accablés » par le nombre d'affaires à examiner- sur les seuls dossiers qui soulèvent des questions de droit délicates est envisagé. La suppression de la présence systématique du commissaire du gouvernement à l'audience doit avoir pour contrepartie l'introduction de la possibilité pour le juge de recueillir au cours des débats des éclaircissements oraux sur l'objet du litige.
A propos des délais de jugement, M. Jean-Marc Sauvé a indiqué que l'objectif est d'atteindre la durée d'un an pour toutes les juridictions. Il a estimé que les modalités de traitement des affaires ne résultaient pas de choix occultes inavouables de la part des magistrats administratifs.
M. Jean-Claude Peyronnet a pointé le risque que le citoyen n'ait le sentiment inverse.
Le vice-président du Conseil d'Etat a mis en avant les efforts poursuivis pour assurer une plus grande transparence dans le traitement des affaires. Il a expliqué qu'une réforme de la mise en état était en cours afin de permettre l'élaboration d'un calendrier de procédure destiné à être communiqué aux parties et au gouvernement.
Le vice-président du Conseil d'Etat a souligné que la réflexion sur cette question n'était pas encore aboutie. Il a indiqué que, dans le souci d'approfondir son travail d'analyse, il se rendait régulièrement dans les tribunaux administratifs pour rencontrer les magistrats et les bâtonniers.
M. Jean-Marc Sauvé a estimé impensable qu'un transfert de certains contentieux -par exemple dans le domaine routier- des juridictions judiciaires vers les juridictions administratives s'opère sans un débat préalable contradictoire entre ces deux institutions sur l'opportunité d'une telle réforme et les économies susceptibles d'en résulter. Il a ajouté que le Conseil d'Etat non plus qu'aucune autre juridiction administrative n'avait été sollicité par la Commission présidée par le recteur Guinchard chargée de formuler des propositions sur le redéploiement des compétences des tribunaux judiciaires. Il a estimé que le mouvement amorcé depuis vingt-cinq ans pour accélérer le traitement du contentieux de masse en matière d'infractions routières avait prouvé son efficacité, doutant qu'une nouvelle réforme puisse améliorer significativement la situation.
M. Robert Badinter a craint que l'introduction en droit français de l'action de groupe ne conduise à imposer l'autorité de chose jugée à des personnes qui ne sont pas des parties à l'instance.