B. LES PRIORITÉS DE LA COMMISSION EUROPÉENNE

Les échanges de la délégation avec M. Franco Frattini et les services de la Commission européenne ont permis de dégager les priorités de cette institution pour les mois à venir. La communication sur le programme législatif et de travail de la Commission pour 2008 , adoptée le 23 octobre 2007, est venue confirmer les actions projetées dans les domaines de compétence intéressant votre commission.

A cette stratégie annuelle devrait s'ajouter une nouvelle stratégie pluriannuelle visant à établir un espace de liberté, de sécurité et de justice , destinée à prendre la suite du programme de La Haye arrivant à échéance en 2008.

1. Sécurité et visas : finaliser les projets en cours

En matière de sécurité, le programme de travail de la commission pour 2008 ne prévoit pas d'initiatives majeures.

A la suite de l'entrée dans l'espace Schengen de neufs nouveaux Etats membres au 1 er janvier 2008, la Commission devra continuer à s'atteler au déploiement du système d'information Schengen de deuxième génération (SIS II) qui succédera au SIS « One for all ». M. Yves Gimard, conseiller « coopération policière » à la Représentation permanente de la France à Bruxelles, est toutefois réservé sur le lancement du SIS II en 2008.

De la même façon, la mise en place des visas biométriques avec le système VIS devrait avancer. Si la proposition de règlement concernant le système d'information sur les visas et l'échange de données entre les Etats membres sur les visas de court séjour a fait l'objet d'un accord politique en juin 2007, en revanche l'examen du projet modifiant les instructions consulaires communes a été suspendu. Or, ce texte est essentiel pour permettre la capture des données biométriques.

Parmi les rares initiatives annoncées par la commission en 2008, il faut relever la communication sur la radicalisation violente . Elle doit permettre le développement d'actions aux fins de lutter contre la radicalisation violente sur la base d'études, d'un questionnaire et d'une grande conférence. Une consultation publique a été lancée.

Cette préoccupation rejoint celle évoquée par M. Gilles de Kerchove, coordonnateur anti-terroriste du Conseil, pour lequel le vrai défi du terrorisme est l'intégration et la prévention de la radicalisation. Lors de la réunion conjointe de la commission LIBE du Parlement européen et des parlements nationaux à Bruxelles en novembre 2007, M. Gilles de Kerchove a expliqué que la lutte contre la radicalisation devait suivre trois axes :

- ne pas faciliter le contact avec des éléments radicaux. Sur ce point, la proposition « Check the web » de M. Franco Frattini tendant à bloquer l'accès aux sites prosélytes violents va dans ce sens. Europol aurait proposé d'assumer cette mission de contrôle des sites au nombre de 2.500 environ ;

- agir sur les motivations en développant le dialogue des cultures et en luttant contre les discriminations ;

- détecter les individus radicalisés.

2. L'immigration et le contrôle des frontières extérieures

La communication sur le programme législatif et de travail de la Commission pour 2008, adoptée le 23 octobre 2007, est prudente en ce qui concerne la politique migratoire où la seule gestion des frontières extérieures est mise en avant. Des initiatives non législatives sont attendues ainsi que quelques initiatives législatives pour mettre en place un cadre juridique favorable aux migrations dites circulaires.

Toutefois, le Conseil européen de Bruxelles du 14 décembre 2007 a réaffirmé la nécessité de poursuivre la mise en place d'une politique européenne globale en matière de migrations, qui complète les politiques des Etats membres. Cet engagement politique renouvelé incite la commission à aller jusqu'au bout de son programme de travail pour 2008 et à mener à leur terme les initiatives déjà lancées.

a) Le renforcement de l'agence Frontex

Les bases d'une politique commune en matière de gestion intégrée des frontières extérieures de l'Union européenne ont été mise en place avec notamment la création de l'Agence pour la gestion des frontières extérieures (Frontex) 33 ( * ) . Située à Varsovie, elle a débuté ses activités le 3 octobre 2005 et est principalement chargée de coordonner la coopération opérationnelle entre les Etats membres à partir d'analyses de risques.

Frontex intervient principalement aux frontières méridionales de l'Europe. Elle assure le pilotage des équipes d'intervention rapide (RABIT) créées en 2007 et composées d'une réserve de 450 gardes-frontières nationaux potentiellement mobilisables, de manière temporaire, par des Etats membres confrontés à des situations de crise. L'agence a aussi mis en place un réseau européen de patrouilles côtières en mai 2007 et gère un répertoire centralisé d'équipements techniques qu'elle peut mobiliser en cas de besoin. Lors d'interventions dans les îles Canaries, elle a appuyé des opérations conjointes de retour.

M. Pierre Simunek, conseiller « Visa, frontière » à la Représentation permanente de la France à Bruxelles, a confirmé cette montée en puissance de Frontex qui ne dispose toutefois pas de moyens propres. Elle ne vient qu'en appui des moyens des Etats membres. Concernant l'idée d'un corps de gardes frontières européens, il a jugé l'idée séduisante a priori mais a souligné l'opposition farouche de nombreux pays, en particulier des nouveaux Etats membres. En tout état de cause, cela nécessiterait probablement une révision de la Constitution, celle-ci interdisant à un fonctionnaire étranger de procéder à une interpellation sur le territoire national. Une piste plus raisonnable consisterait à harmoniser les formations.

En 2008, la Commission devrait rendre un rapport sur l'évaluation et le futur développement de FRONTEX. Cette évaluation doit permettre de se prononcer sur l'extension de ses activités opérationnelles, notamment les opérations de sauvetage en mer, ainsi que sur l'opportunité de lui confier d'autres aspects de la gestion des frontières extérieures, en particulier la coopération douanière. En effet, Frontex ne connaît de la sécurité des frontières que sous l'angle de la gestion des flux migratoires et de la lutte contre l'immigration clandestine. Or, la sécurité des frontières répond à bien d'autres enjeux en termes de lutte contre la criminalité internationale. C'est en ce sens que M. Gilles de Kerchove avait déploré un cloisonnement excessif des structures européennes en matière de sécurité.

Dans cette perspective de montée en puissance, le projet de budget de l'Union pour 2008 triplerait le montant de la dotation budgétaire de l'agence à 37 millions d'euros.

A cet égard, il faut relever que lors de la réunion des commissions des lois des parlements nationaux à Lisbonne en septembre 2007, plusieurs parlementaires, en particulier du Royaume-Uni, ont exprimé leur doute sur la plus-value actuelle de Frontex et ont affirmé la nécessité d'évaluer son activité.

En tout état de cause, la Commission devrait présenter une communication sur la création d'un système européen de surveillance à la frontière. Ce système serait centré sur les frontières maritimes méridionales de l'Union. Sa mise en oeuvre se ferait en trois phases :

- interconnexion et rationalisation des systèmes et mécanismes existants de déclaration et de surveillance au niveau des États membres (2008-2009) ;

- développement et mise en oeuvre d'outils et d'applications communs (2008-2013) ;

- création d'un environnement commun de partage d'informations couvrant la Méditerranée et la Mer noire (2012-2013).

b) Développer les migrations « circulaires »

La communication de la Commission de décembre 2005 sur le programme d'action relatif à l'immigration légale 34 ( * ) prévoyait l'adoption, entre 2007 et 2009, de cinq propositions législatives sur l'immigration économique. Le but est de développer les migrations dites « circulaires », c'est-à-dire des migrations économiques non pérennes favorisant les aller et retour entre les pays d'origine et l'Union européenne, de manière à ce que ces échanges soient mutuellement bénéfiques.

Ce projet porté par M. Franco Frattini au nom de la Commission et à la demande du Conseil se traduit déjà par le dépôt de deux propositions : la directive relative à la « carte bleue européenne » et la directive sur les droits et devoirs des migrants présentées simultanément le 23 octobre 2007 35 ( * ) .

Deux textes restent à être présentés. Dans son programme de travail pour 2008, la Commission a annoncé leur dépôt. Il s'agit :

- de la proposition de directive sur les conditions d'entrée et de résidence des travailleurs saisonniers ;

- de la proposition de directive sur les procédures régissant l'entrée et le séjour temporaire des personnes transférées au sein d'une même entreprise et sur les conditions d'entrée et de séjour des stagiaires rémunérés .

Ces initiatives doivent être adoptées à l'unanimité par le Conseil. La Commission devrait en faire une de ses priorités même s'il sera difficile d'aboutir définitivement sous la présidence française. De son côté, la France est dans une position favorable puisqu'elle dispose depuis la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration de dispositions législatives spécifiques pour ces différentes catégories de migrants (carte « compétences et talents », carte de séjour temporaire d'une durée de trois ans pour les salariés en mission, autorisation provisoire de séjour pour les stagiaires et carte de séjour à entrées multiples pour les travailleurs saisonniers).

3. Vers la mise en place d'un régime européen d'asile

La première phase d'harmonisation des politiques d'asile s'est traduite par l'adoption de trois textes : le règlement n° 343/2003 de Dublin adopté le 18 février 2003 sur les règles relatives à l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile, la directive 2003/9/CE relative à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile et la directive 2005/85/CE relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres.

Toutefois, cette première phase se heurte déjà à des obstacles. Ainsi, une liste des pays dits sûrs qui permettent la mise en oeuvre d'une procédure accélérée d'examen de la demande d'asile n'a pas pu être arrêtée faute de consensus entre les Etats membres.

Conformément au programme de La Haye de 2004 qui prévoit une harmonisation des politiques d'asile d'ici 2010, ce qui implique notamment de définir une procédure unique pour l'examen des demandes, la Commission a présenté en juin 2007 un Livre vert sur l'établissement d'un régime européen commun d'asile. La consultation sur le Livre vert doit se terminer à la fin de l'année.

M. Franco Frattini a indiqué à la délégation de votre commission qu'il espérait présenter un programme d'action au printemps 2008, de façon à ce que les premières propositions législatives soient déposées dans le courant de l'année 2008 pour une adoption en 2010. Ce calendrier apparaît toutefois optimiste.

En outre, la Commission devrait faire avancer la proposition de directive tendant à étendre le champ d'application de la directive relative aux ressortissants de pays tiers ayant le statut de résidents de longue durée aux bénéficiaires du statut de réfugié.

4. Marché intérieur et consommateurs

a) Vers un projet d'instrument en matière de successions transfrontalières

La Commission envisage de proposer un règlement tendant à définir les règles de compétence juridictionnelle et de conflits de loi en matière de successions transfrontalières .

L'instrument projeté pourrait créer à ce titre un certificat d'hérédité européen et mettre en place des mécanismes permettant de déterminer si une personne résidant au sein de l'Union européenne a laissé un testament.

b) Simplifier le droit européen des sociétés et l'adapter aux petites et moyennes entreprises

La simplification du droit des sociétés est au coeur de la réflexion de la Commission européenne pour 2008.

Toutefois, comme l'ont indiqué les services de la direction générale du marché unique à la délégation de votre commission, il existe une incertitude sur le type de simplification à retenir :

- soit supprimer certaines dispositions d'harmonisation apparaissant trop contraignantes pour laisser les Etats membres définir seuls certains points de la réglementation du droit des sociétés jugés « purement internes » ;

- soit maintenir une harmonisation poussée du droit des sociétés en en simplifiant les dispositifs.

Comme l'a précisé M. Gilles Briatta, secrétaire général des affaires européennes à l'occasion de son audition, il est essentiel de veiller à ce que la simplification envisagée des instruments communautaires ne conduise pas à supprimer les obligations relatives à l'information des actionnaires et des marchés, et n'entraîne pas une fragmentation du marché intérieur. En outre, si la première des deux options devait être choisie, elle pourrait avoir pour effet de renforcer la concurrence entre les droits des Etats membres et favoriserait le law shopping . Dans cette hypothèse, il conviendrait que le droit français des sociétés présente une réelle attractivité par rapport aux autres droits nationaux.

Selon les informations recueillies par votre commission, une proposition législative devrait être présentée par la Commission au printemps ou à l'été 2008.

La Commission européenne souhaite également mener une action spécifique en faveur des petites entreprises européennes . Dans ce cadre, la réflexion est engagée pour doter les petites et moyennes entreprises d'une législation spécifique favorisant leur activité transfrontalière et améliorant leur accès aux marchés publics.

A cet effet, est envisagée la création d'une « société privée européenne », destinée aux petites et moyennes entreprises européennes. Le statut de la société européenne datant de 2001 n'est en effet pas adapté aux petites structures, tant par ses modalités de constitution que du fait de la lourdeur de son fonctionnement. La Commission européenne souhaiterait mettre en place un cadre statutaire simplifié ne faisant toutefois pas disparaître la société européenne qui fera l'objet d'une évaluation en 2009.

Un projet d'instrument devrait être présenté par la Commission au printemps ou à l'été 2008. Le Parlement européen a d'ores et déjà annoncé qu'il soutiendrait une telle initiative.

La Commission réfléchit également à des actions destinées à renforcer la transparence et l'accès à la justice économique en Europe . Elle a commandé une étude dont les résultats devraient être connus en juillet 2008. En décembre 2007, M. Franco Frattini a annoncé que, sur la base de ces résultats, une réflexion pourrait être engagée en vue de supprimer totalement la procédure d'exequatur 36 ( * ) au sein de l'Union européenne, d'opérer une harmonisation minimale des règles de procédure et, le cas échéant, de rapprocher certains aspects du droit matériel économique afin de prévenir le law shopping et le forum shopping .

c) Poursuivre la révision du droit communautaire de la consommation

Dans le cadre de la révision de l'acquis communautaire en matière de protection des consommateurs, la Commission souhaite proposer au Conseil et au Parlement européen une « directive-cadre » qui codifierait les dispositions figurant dans sept directives sectorielles distinctes existantes tout en apportant, le cas échéant, certaines modifications destinées à améliorer la sécurité juridique des consommateurs européens.

Des directives « verticales » pourront, le cas échéant, compléter les dispositions générales de la directive-cadre, en fonction de la particularité des biens ou services fournis aux consommateurs.

d) De nouvelles actions en matière de concessions de services publics

Lors des échanges de la délégation de votre commission avec les services de la direction générale du marché intérieur et des services de la Commission européenne, M. Bertrand Carsin, directeur « Politique des marchés publics », a évoqué le dépôt en 2008 d'une proposition de directive relative aux conditions d'octroi et au régime des concessions de services publics dans l'Union européenne.

5. Droit pénal : renforcer Eurojust

La Commission européenne a adopté une communication le 23 octobre 2007 visant à conforter le statut et les missions d'Eurojust .

Constatant le rôle très positif d'Eurojust dans le cadre de la lutte contre le crime organisé mais également la diversité des statuts des membres nationaux représentant les Etats membres, la Commission prévoit d'actualiser la décision du Conseil de 2002 ayant institué cet organe. Aussi propose-t-elle trois séries de mesures pour développer cet instrument :

- élargir les pouvoirs des membres nationaux notamment par une augmentation de la durée du mandat, un renforcement des bureaux nationaux installés auprès d'Eurojust, l'octroi de pouvoirs nouveaux (suggestion de mesures d'investigation spéciales, information de la mise en place d'une livraison surveillée lorsque que deux autres Etats membres sont concernés...) ;

- élargir les pouvoirs du collège d'Eurojust qui pourrait être l'autorité compétente pour trancher les conflits de compétence juridictionnelle entre les Etats membres, déclencher des enquêtes ;

- clarifier les relations avec les autres acteurs de la coopération judicaire tels que les magistrats de liaison et le réseau judiciaire européen ou encore Europol et l'OLAF.

Cette proposition a été discutée par les Etats membres lors d'un séminaire qui s'est tenu à Lisbonne les 29 et 30 octobre 2007. Le Conseil « Justice et affaires intérieures » des 6 et 7 décembre 2007 a été l'occasion de saluer l'initiative de la Commission et de prendre acte de la valeur ajoutée par Eurojust dans le domaine de la coopération judicaire au terme de cinq années d'existence. Cette démarche est actuellement relayée par plusieurs Etats membres, dont la France, qui négocient un nouvel instrument pour actualiser Eurojust qui reprendraient les objectifs définis par la Commission sous des modalités un peu différentes davantage centrées sur le renforcement des capacités opérationnelles de l'unité 37 ( * ) .

6. Développer l'accès à la justice en Europe

La Commission européenne entend favoriser l'accès à la justice en Europe grâce à l'utilisation des nouvelles technologies.

Des études de faisabilité ont été lancées par la Commission afin de :

- mettre en oeuvre par voie électronique la procédure européenne d'injonction de payer, prévue par le règlement CE n° 1896/2006 du 12 décembre 2006 instituant une procédure européenne d'injonction de payer ;

- mettre en place une interopérabilité des systèmes d'information et d'échanges entre les Etats membres.

La Commission a annoncé la présentation d'une communication pour la justice électronique E-justice ») en 2008 .

* 33 Décision du Conseil du 26 octobre 2004. Voir également le rapport n° 228 (2003-2004 Sénat) de M. Alex Türk au nom de la commission des lois sur la résolution n° 68 du 16 mars 2004.

* 34 COM (2005) 669.

* 35 Voir pages 29 et 30.

* 36 La décision d'exequatur, rendue par une juridiction, autorise l'exécution, sur le territoire de l'Etat dont ressortit la juridiction, d'un jugement étranger.

* 37 Voir infra, page 50.

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