III. LES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL SUR LE SCAC ET L'AFD

A. LES PROJETS ET LA COMPTABILITÉ DU SCAC

1. Observations de portée transversale

Comme cela est souvent le cas, un des griefs principaux de votre rapporteur spécial porte sur la lenteur d'exécution de certains projets . Le taux moyen de décaissement (45,6 %) apparaît ainsi perfectible rapporté à l'âge moyen des projets et au petit nombre de projets récents. La date de clôture de la quasi-totalité des projets a ainsi déjà été reportée une fois ou le sera à court terme, les projets les plus lents étant VALEASE 79 ( * ) , l'appui à l'Etat de droit 80 ( * ) et l'appui à l'enseignement du français.

Ces difficultés peuvent être attribuées à plusieurs facteurs :

- l'inertie et les faibles capacités du bénéficiaire ou maître d'ouvrage ;

- un optimisme excessif lors de la conception du projet (la durée prévisionnelle d'exécution est de 3 ans, mais la durée réelle est le plus souvent supérieure) ;

- le fait que la période de décaissement effectif ne couvre que 8 à 9 mois , compte tenu des dates de mise à disposition des crédits (courant février) et de remontée des fonds libres pour la clôture comptable de l'exercice (fin novembre) ;

- ou la discontinuité des contrats et du recrutement des AT 81 ( * ) .

Votre rapporteur spécial considère que l'administration centrale fait preuve d'une gestion à trop court terme du remplacement ou du redéploiement des AT et chefs de projet , ce qui crée sur place des incertitudes, nuit au déroulement des projets et contraint à agir dans l'urgence au détriment de la réflexion de plus long terme. Il devrait être possible pour chaque AT de désigner par écrit à l'avance un intérimaire en cas d'empêchement ou de non-recouvrement des contrats. Votre rapporteur spécial suggère également qu'une « équipe volante » à la disposition des ambassades soit mise en place à la DGCID.

Le SCAC a conçu des fiches synthétiques pour chaque projet, qui récapitulent les objectifs, réalisations, versements et principales observations. Elles se révèlent très utiles mais ne procèdent pas d'instructions précises ni d'un modèle harmonisé de la DGCID. Votre rapporteur spécial réitère ses observations passées sur la nécessité de mettre en place un vade-mecum de synthèse et de notation interne des projets dans tous les postes.

Le poste applique correctement les pénalités de retard et retenues de garantie 82 ( * ) sur les marchés de travaux et fournitures ; néanmoins le manque de concurrence sur les prestations de travaux publics, faute de compétences disponibles, conduit souvent le poste à négocier les tarifs avec un seul soumissionnaire. Votre rapporteur spécial a également relevé que les contrats n'étaient pas systématiquement paraphés (en particulier les contrats de prestations de services), ce qui constituerait à tout le moins une mesure de précaution en cas de perte de tout ou partie de l'original.

Le SCAC a de plus en plus recours aux stagiaires pour compenser les « trous d'air » dans les effectifs, tendance qui n'est pas propre au Cambodge. Les stagiaires sont conventionnés et logés gratuitement, mais ne disposent pas toujours d'une vacation. Le poste envisage une amélioration de leurs conditions indemnitaires , avec un financement partiel ou total de leur voyage aller/retour vers la métropole.

De même, le poste tend à contourner le plafond d'ETPT par des conventions de prestations de services . Les interlocuteurs de votre rapporteur spécial ont estimé que ces conventions n'étaient a priori pas susceptibles d'être requalifiées, mais il importe d'être particulièrement vigilant sur ce point et d'éviter le blocage éventuel de certains projets sur ce motif.

La plupart des missions sont pilotées par CampusFrance (organisme issu de la fusion d'EGIDE et Edufrance), qui se voit attribuer une avance sur 90 % du coût prévisionnel de chaque mission puis restitue le trop-perçu ou demande le solde. L'opérateur procède également à la vérification du service fait et des pièces justificatives avant paiement. Votre rapporteur spécial constate cependant que le rapport de mission n'est pas toujours joint au dossier de paiement de CampusFrance mais remis a posteriori , et que le poste ne conserve pas dans tous les cas une copie du compte-rendu intégral ou synthétique de chaque mission.

Les documents comptables du poste présentent des incohérences et laissent planer le doute sur le niveau réel de consommation des crédits en 2006. Un premier « tableau de bord » sur l'enveloppe programmée, modifiée et consommée faisait en effet état d'un solde disponible de 671.860 euros en fin d'exercice, et non de 4.186 euros comme cela a été ultérieurement rectifié. Les responsables du SCAC ont invoqué une « erreur de manipulation des fichiers » et votre rapporteur spécial ne demande qu'à leur accorder le bénéfice du doute, mais il déplore que le poste ne soit pas réellement en mesure de fournir aisément des données aussi basiques que les crédits effectivement dépensés et disponibles.

La LOLF est encore très imparfaitement appliquée par le poste : la fongibilité est insuffisamment exploitée entre les sous-actions 83 ( * ) et aucune instruction n'a été transmise par la DGCID sur la mise en place et le suivi d'indicateurs locaux de performance (hormis le traditionnel ratio décaissements / engagements). De l'aveu même des responsables du SCAC, certaines interventions qui relevaient de l'ancien titre IV, et ont été fusionnées par le poste, sont redondantes avec les FSP , ce qui n'incite guère aux économies ni à une gestion rationnelle. Tel est le cas en particulier des actions de promotion de la diversité culturelle et de la francophonie.

De manière générale, le poste estime que la LOLF a plutôt compliqué le traitement comptable des opérations et est peu adaptée à la dimension pluriannuelle du FSP . Chaque opération donne encore lieu à des saisies dans trois fichiers, dont un document Excel développé en interne. Lors du rendez-vous de mi-gestion de juin, le SCAC doit avoir engagé la totalité de la fraction (80 % en 2006, 70 % en 2007) des crédits délégués en début d'exercice pour pouvoir bénéficier du reliquat. Le poste considère que cette approche « mécanique » ne tient pas suffisamment compte des conditionnalités - dont le respect peut requérir du temps et des négociations sans rapport avec la contrainte budgétaire - et du chronogramme des FSP, ce qui pour certains projets en phase de démarrage conduit à l'alternative suivante : bloquer le projet faute de financement ou se montrer plus conciliant sur les conditionnalités .

Votre rapporteur spécial estime que le poste doit être proactif auprès des bénéficiaires et rigoureux dans l'engagement des FSP, et l'administration centrale faire preuve de souplesse en cas de faible écart avec la norme d'engagement requise sur des projets dont les engagements financiers les plus lourds peuvent être plus concentrés sur le second semestre.

S'agissant du logiciel de gestion COREGE , le poste rencontre encore des difficultés sur certains engagements pluriannuels 84 ( * ) mais reconnaît qu'il fonctionne beaucoup mieux qu'il y a un an .

2. Remarques spécifiques sur les projets

Le projet d'appui à l'Université royale d'agriculture est considéré comme médiocre , en particulier le volet relatif à la formation des enseignants, faute d'une réelle implication du bénéficiaire. Considérant l'adage « on ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif », votre rapporteur spécial estime nécessaire de réduire les ambitions de ce projet ou de l'arrêter à brève échéance , plutôt que d'envisager un report qui ne garantirait pas un « sursaut » de l'université partenaire.

Votre rapporteur spécial s'interroge sur l'intérêt réel du FSP n° 2004-11 d'appui à la structuration du secteur culturel et émet quelques réserves sur son contenu et son déroulement :

- le décaissement est lent (un tiers en deux ans) et les conditionnalités n'ont été levées que tardivement, ce qui témoigne d'un défaut de conception ;

- si la composante de création d'un centre de ressources audiovisuelles (centre Bophana inauguré en décembre 2006) fut un succès, celle relative aux arts de la scène est balbutiante , faute de disposer d'un partenaire local solide. Il est indispensable, ainsi que le poste l'envisageait lors de la mission de votre rapporteur spécial, de réduire ou supprimer cette composante au profit des trois autres .

Votre rapporteur spécial a également relevé des incohérences dans la convention constitutive du projet FSP « Patrimoine angkorien et développement durable » : une clause suspensive est ainsi imposée à la municipalité de Phnom Penh qui n'est pas partie à la convention, et l'article 8 stipule qu' « aucune entreprise française ne pourra être écartée des adjudications, après appels d'offres, sans l'accord de l'ambassade de France ». Une telle formulation n'est manifestement pas conforme au principe de l'aide déliée auquel la France a souscrit en 2002 sous l'égide de l'OCDE. D'après les informations recueillies sur place, elle serait issue d'un document-type de 1999 ; il reste que la DGCID comme les postes doivent veiller scrupuleusement à ce que les conventions signées au nom de la France ne comportent aucune mention ambiguë ou contraire aux engagements internationaux.

Sur ce même projet, l'inadaptation de l'APSARA est compliquée par des dissensions internes, des pressions (sur le partage des recettes du droit d'entrée de 20 dollars du site d'Angkor) et des interférences politiques . Le projet prévoyait initialement le transfert des compétences et de la gestion du chantier à l'autorité cambodgienne, sur le modèle de l'EPCST de droit français, avec un paiement direct des ouvriers, l'EFEO gardant la seule maîtrise scientifique. Cela s'est révélé un voeu pieu et un tel transfert n'est pas envisageable à moyen terme. Le conseil d'administration de l'APSARA ne s'est apparemment jamais réuni et le vice-Premier ministre en détient la direction de fait.

Le projet mobilisateur SYNERGIE (réseau régional de formation au management et à la gestion), dont la durée prévisionnelle de réalisation est passée de 3 à 6 ans, est jugé utile mais « épuisant » par le SCAC, compte tenu de la mise à disposition tardive des crédits. Votre rapporteur spécial suggère que les étudiants et enseignants soient récompensés par l'attribution de prix et de distinctions prestigieuses du type « palmes académiques ». Les missions de courte durée de professeurs d'université liées à ce projet sont gérées par CampusFrance, et pour la plupart, ne présentent pas de caractère « touristique ».

En matière de francophonie , l'action au Cambodge témoigne de la tendance nette à réorienter les bourses et actions de promotion du français vers les seules élites, plutôt que de mettre en oeuvre une conception universelle du français ou de répondre aux besoins touristiques (hôtellerie en particulier) et économiques . Cette situation peut être interprétée de deux manières : soit la France a « capitulé » devant l'anglais, soit la francophonie change de nature et privilégie une logique de prescription et d'influence en raison du manque de moyens comme du caractère structurellement déséquilibré de la compétition avec l'anglais.

Cette seconde option serait acceptable si les acteurs de la coopération ne cédaient pas occasionnellement à la facilité de l'enseignement en anglais. Ainsi dans le cadre de la composante de mise en réseau d'enseignants universitaires du projet SYNERGIE, des missions de professeurs de grandes écoles de commerce françaises ont été mises en place par Edufrance. Le coût s'est révélé plus élevé (environ 100 euros de l'heure) que celui d'invitations de professeurs d'universités, et les cours ont été donnés en anglais . Dans ces conditions, votre rapporteur spécial estime que l'alternative est soit d'organiser des cours en français, soit d'inviter des professeurs anglophones de la région du sud-est asiatique pour un coût moindre.

Votre rapporteur spécial a également été alerté par un ancien médecin coopérant sur la propension de certaines ONG françaises à utiliser abusivement l'anglais , parfois à la surprise des Anglo-saxons eux-mêmes et au désarroi des responsables cambodgiens.

La promotion de classes bilingues constitue un axe d'intervention opportun , dans la mesure où la langue d'enseignement modèle davantage les réflexes et la pensée que l'apprentissage du français comme langue étrangère, pour autant que le pays partenaire respecte ses engagements, ce qui n'a pas été toujours le cas au Cambodge.

Les crédits de la MAIIONG destinés au Cambodge augmentent de près de 40 % en 2007, conformément à l'objectif d'accroissement de l'aide transitant par les ONG. Votre rapporteur spécial demeure réservé sur cette évolution, qui lui paraît propice à une logique de guichet et au gaspillage , mais reconnaît que la réorganisation intervenue au sein de la DGCID, le nouveau manuel de procédures de la MAIIONG et l'effort de déconcentration (qui renforce le poids de l'avis du poste dans la validation du dossier) devraient permettre une sélection et un suivi plus rigoureux des financements. Les COCAC doivent impérativement faire remonter leurs informations et appréciations sur l'action locale des ONG subventionnées 85 ( * ) afin de nourrir les critères de sélection de la MAIIONG.

Enfin votre rapporteur spécial relève que la pérennité de la petite école française de Siem Reap (25 élèves, dont la moitié de Cambodgiens de familles relativement aisées), dont l'échec de la demande de conventionnement auprès de l'AEFE a été vécu comme « vexatoire », est menacée après 2009, risquant donc de conforter l'« anglicisation » des enfants sur place. Il serait sans doute logique et utile que dans les lieux plus isolés, tels que Siem Reap, l'Alliance française locale puisse également faire office d'école.

* 79 Avec un reste à décaisser début 2007 de près des trois quarts du montant programmé, malgré un premier report de 20 mois de la date de clôture, au 31 décembre 2007.

* 80 La durée d'exécution de ce projet, initialement fixée à 3 ans, a été doublée, sans pour autant avoir l'assurance que les décaissements seront achevés d'ici la date de clôture modifiée.

* 81 Indépendamment de possibles événements tragiques, comme cela fut le cas en 2006.

* 82 Cette garantie, retenue pendant un an à compter de la réception des travaux, est bien calculée sur la base du montant global, intégrant les éventuels avenants.

* 83 D'autant que le poste, plutôt considéré comme « bon élève », obtient en général des délégations de crédits conformes à ses prévisions et demandes.

* 84 Dans le cadre de la procédure de réévaluation qui conditionne la liquidation, il est parfois nécessaire de « réengager » les crédits.

* 85 L'appréciation par le SCAC de l'action du GRET au Cambodge est ainsi plutôt critique.

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