2. Un champ et un mode de régulation en extension

Depuis l'innovation juridique qu'a représentée sa création en 1996, l'ART a non seulement vu ses compétences formellement étendues mais son champ d'action a été élargi.

D'abord, l'Autorité a la mission de réguler un nombre croissant de marchés.

Dans le secteur des communications électroniques, l'innovation technologique favorise en elle-même l'apparition de nouveaux marchés : ainsi, il y a dix ans, le marché de l'Internet était si embryonnaire que le mot « Internet » est même absent de la loi de 1996. En 2002 , la Commission européenne a identifié dix-huit marchés pertinents à réguler par les autorités nationales. Et aujourd'hui, alors que l'Internet haut débit a désormais pénétré dans plus de 40 % des foyers français 17 ( * ) , c'est la perspective des réseaux de nouvelle génération, en fibre optique, qui pose des questions de régulation inédites sur ce marché émergent.

Par ailleurs, la loi n° 2005-516 du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales a étendu le champ de régulation de l'Autorité au marché du courrier, lui aussi en cours d'ouverture progressive à la concurrence. L'extension de la régulation concurrentielle au secteur postal étant très récente, votre commission a jugé qu'il était trop tôt pour en tirer utilement le bilan et a donc pris le parti de concentrer son propos sur le bilan et les perspectives de la régulation dans le seul secteur des communications électroniques.

En outre, parallèlement à la multiplication du nombre de marchés qu'elle a en charge de réguler, l'Autorité a connu un accroissement du nombre d'acteurs sur lesquels exercer sa régulation. Ainsi, le nombre d'opérateurs qu'interroge l'ARCEP pour établir son observatoire des marchés a doublé, passant de 115 à 220, même si la traduction de cette extension en termes de chiffre d'affaires ou d'emploi la relativise 18 ( * ) . La loi de 2004 a en effet confié à l'Autorité la régulation de tous les opérateurs de réseaux et de services de communications électroniques, y compris les fournisseurs d'accès à internet ainsi que les opérateurs de transport de données, comme les câblo-opérateurs et les opérateurs techniques de diffusion audiovisuelle qui relevaient auparavant d'un régime particulier fixé dans la loi de 1986. De surcroît, la mission de l'Autorité consiste précisément à permettre l'émergence d'opérateurs alternatifs aux opérateurs historiques, en matière de communications électroniques (France Télécom, TDF) aussi bien qu'en matière postale (La Poste), et à en pérenniser l'existence, ce qui doit entraîner un accroissement mécanique du nombre des acteurs entrant dans son champ de régulation. Mais, de manière plus imprévisible, l'Autorité a aussi reçu du législateur le soin de réguler un type nouveau d'opérateur de communications électroniques : les collectivités territoriales.

En effet, au terme de nombreux débats et pour remédier à la fracture numérique, la loi n° 2004-669 pour la confiance dans l'économie numérique a créé dans le code des collectivités territoriales un article L.  1425-1 qui autorise les collectivités territoriales à établir des réseaux, voire à fournir des services de communications électroniques sur leur territoire, lorsque l'initiative privée est insuffisante. L'Autorité s'est alors vue confier le soin de trancher des litiges relatifs aux conditions techniques et tarifaires de l'exercice par les collectivités territoriales de leur nouvelle compétence. Ceci conduit ainsi à une paradoxale régulation des collectivités publiques, en qualité d'opérateur de communications électroniques, par une autorité administrative indépendante, dont le caractère inédit n'avait pas manqué d'être souligné par votre commission. 19 ( * ) De ce fait, l'ARCEP a développé une importante activité de concertation et de recommandations auprès des collectivités territoriales, notamment au travers du Comité des réseaux d'initiative publique (CRIP).

A ce sujet, votre rapporteur relève que le choix délibéré de l'ARCEP d'encourager prioritairement les collectivités territoriales à recourir au modèle de la délégation de service public est discutable, d'autres formules existantes comme le marché public de services offrent au moins les mêmes garanties juridiques, à un coût souvent moindre pour les collectivités 20 ( * ) .

Non seulement son champ d'action s'est étendu, mais le mode de régulation initié par la création de l'ART s'est imposé.

Tout d'abord, le modèle du régulateur sectoriel a également été choisi pour réguler l'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité. Ainsi a été créée la Commission de régulation de l'électricité par la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, dont le champ d'action a lui aussi été élargi au gaz par sa transformation en commission de régulation de l'énergie en 2003. Le modèle originel de la CRE s'inspire largement du modèle de l'ART, qu'il s'agisse de sa composition 21 ( * ) , des garanties d'indépendance de ses membres ou de plusieurs de ses pouvoirs : règlement des différends, pouvoir de sanction, approbation des tarifs de raccordement au réseau de transport d'électricité, pouvoir réglementaire d'application...

Ensuite, l'ARCEP a obtenu, par son action, une large reconnaissance de ses pairs : elle a conquis une réputation désormais solide en Europe, auprès des autres autorités nationales de régulation comme auprès des opérateurs. L'association européenne ECTA (European Competitive Telecommunications Association), qui défend les positions des nouveaux entrants sur les marchés des communications électroniques, a publié fin 2006 un classement des autorités de régulation de seize grands pays de l'Union européenne 22 ( * ) au regard de leur capacité à promouvoir la concurrence et l'investissement. Ce classement est élaboré à partir de quatre grands critères, à savoir les pouvoirs détenus par l'autorité de régulation, l'efficacité du dispositif de règlement des différends, les conditions générales d'accès au marché et les conditions de disponibilité des différents services fixe, mobile, haut débit. L'ARCEP y occupe la troisième place , derrière le Royaume-Uni et le Danemark 23 ( * ) .

Maître Winston Maxwell, lors de son audition, a lui aussi déclaré que l'ARCEP était perçue comme l'un des meilleurs régulateurs d'Europe, en raison du sérieux des motivations juridiques et économiques de ses décisions, de la cohérence de son action et de son efficacité. Par contraste, il a évoqué les régulateurs allemand, soumis à des pressions politiques indues, et suédois, dont les décisions font l'objet de recours suspensifs permettant à l'opérateur historique de freiner le développement de la concurrence. Il a jugé que cette formidable image de l'ARCEP à l'étranger était un élément de fierté pour la France.

Si l'ARCEP apparaît comme le bon élève de la classe des régulateurs, du point de vue national, peut-on considérer également qu'elle remplit correctement ses missions ?

* 17 Source : rapport du Groupe des régulateurs européens du 17 février 2007, « Broadband market competition report ».

* 18 L'accroissement du champ a augmenté de 2,6 milliards d'euros le chiffre d'affaires du secteur suivi par l'ARCEP, le portant de 36,8 à 39,4 milliards d'euros, et de 5000 le nombre d'emplois concernés, à rapporter aux 137 000 emplois déjà visés dans l'ancien cadre réglementaire.

* 19 Voir l'examen de l'article 1 er A du projet de loi dans le rapport du Sénat n° 345 (2002-2003) de MM. Pierre Hérisson et Bruno Sido, au nom de la commission des affaires économiques.

* 20 La circulaire du 24 janvier 2005 prise en application de l'article L1425-1 du code général des collectivités territoriales n'interdit pas les marchés de services.

* 21 Avec une exception notable : l'association aux délibérations de la CRE d'un commissaire du Gouvernement, dont la présence se justifie par le choix stratégique français de l'électronucléaire.

* 22 Allemagne, Autriche, Belgique, République tchèque, Danemark, Espagne, France, Grèce, Hongrie, Irelande, Italie, Pays- Bas, Pologne, Portugal, Royaume-Uni et Suède.

* 23 Pour plus de détails, voir la page suivante :

http://www.ectaportal.com/en/upload/File/Regulatory%20Scorecards/Press%20Release%20Regulatory%20scorecard%2011%2012%2006.pdf

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