B. UNE INNOVATION JURIDIQUE CONSOLIDÉE ET RECONNUE

1. Des compétences accrues en une décennie

En dix années, les compétences dévolues à l'Autorité de régulation se sont étoffées, principalement à la faveur de la transposition des directives européennes de 2002 relatives aux communications électroniques et de celles de 1997 et 2002 relatives au secteur postal.

Les pouvoirs initialement confiés à l'ART par la loi de 1996 sont plus la résultante d'un compromis politique que le reflet d'un édifice logique, dans un contexte où la création de cette autorité indépendante pouvait être perçue comme le signe d'un affaiblissement de la légitimité démocratique.

Les compétences de régulation sont ainsi partagées entre l'ART et le Gouvernement . L'article L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques (CPCE) dispose en effet que la fonction de régulation du secteur des communications électroniques est « exercée au nom de l'Etat par le ministre chargé des communications électroniques et par l'Autorité de régulation (...). »

Le législateur a confié une compétence réglementaire à l'ART, mais l'a limitée, dans son champ d'application et dans ses effets. De manière générale, les actes réglementaires sont ainsi soumis à homologation ministérielle, aux termes de l'article L. 36-6 du CPCE. Surtout, ces actes ne peuvent intervenir que dans les interstices laissés par la loi et les décrets : ces interstices sont parfois étroits, comme en ce qui concerne les droits et obligations attachés à chaque régime de licence, que l'Autorité précise en cas de besoin ; parfois plus larges, comme dans les domaines de l'interconnexion, pour laquelle l'Autorité établit des prescriptions applicables aux conditions techniques et financières, et surtout des normes techniques applicables aux réseaux et terminaux, en vue de garantir l'interopérabilité. Ainsi, plus le domaine de la régulation est technique, plus ouvert est le champ laissé à l'Autorité afin de mieux « coller » aux évolutions des techniques et des marchés.

Cette ligne de partage entre les compétences du Gouvernement et celles de l'Autorité s'est progressivement déplacée au profit de cette dernière : depuis sa création, l'Autorité s'est ainsi vue attribuer par la loi de nouvelles attributions, qui étaient initialement restées entre les mains du Ministre, telles que le contrôle tarifaire 12 ( * ) et l'évaluation du coût du service universel.

Cette évolution est particulièrement notable si l'on compare l'ARCEP à la Commission de régulation de l'énergie (CRE) qui est dotée d'une compétence réglementaire beaucoup plus restreinte, disposant essentiellement d'un pouvoir de proposition.

Outre ce pouvoir réglementaire, l'ARCEP dispose de compétences en matière de règlement des différends (article L.  36-8 du CPCE) et de sanctions (article L.  36-11 du CPCE), conformément aux dispositions de la directive « cadre » 13 ( * ) .

La compétence de règlement des différends donne à l'Autorité une dimension quasi-juridictionnelle et lui permet de mettre un terme à un litige entre deux acteurs -concernant essentiellement, en pratique, les aspects techniques ou tarifaires de l'interconnexion- en restreignant, « pour des motifs d'ordre public économique, le principe de la liberté contractuelle dont ils bénéficient » 14 ( * ) . Ce pouvoir constitue un outil à part entière de régulation : il permet notamment au régulateur de préciser les éventuelles obligations imposées à un opérateur au titre des analyses de marché concurrentielles. Il peut aussi servir de « révélateur » de certaines difficultés d'interprétation ou d'application d'une règle et amener le régulateur à prendre une décision de caractère général. Cet outil, renforcé par la loi de 2004 15 ( * ) , permet donc un va-et-vient dynamique entre l'imposition de « remèdes » de régulation ex ante et l'action correctrice ex post . Depuis 1997, plus de 85 décisions de règlement des différends ont ainsi été rendues par l'Autorité.

Le pouvoir de sanction vise, quant à lui, à mettre un terme à une violation de ses obligations par un opérateur. L'Autorité peut imposer des sanctions administratives qui, selon la gravité du manquement, peut être pécuniaire ou consister en la suspension, voire le retrait du droit d'établir un réseau, de fournir un service de communications électroniques ou d'utiliser une ressource (fréquence ou numéro). Si de nombreuses procédures ont pu être ouvertes par l'Autorité depuis 1997, peu d'entre elles ont abouti à une sanction, l'opérateur se mettant le plus souvent en conformité avant la fin de la période de mise en demeure. On touche là à l'un des atouts majeurs de la régulation ex ante qui permet au régulateur de s'appuyer sur son pouvoir de sanction pour faire aboutir la négociation. Il convient en outre de noter que, depuis la loi de 2004, l'Autorité peut décider de mesures conservatoires, y compris en l'absence de mise en demeure préalable de l'opérateur en infraction, ce qu'elle n'a jamais fait. Enfin, le président de l'Autorité a également la faculté de demander au Conseil d'Etat de statuer en référé pour qu'il soit ordonné à la personne responsable de l'infraction de supprimer les effets de son manquement, y compris sous peine d'astreinte.

La loi n° 2007-309 du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur a encore confié à l'Autorité une nouvelle fonction : la médiation . Cette fonction a été créée pour trouver une issue à l'impuissance des collectivités territoriales confrontées à la déshérence des réseaux câblés. L'article 13 de ladite loi rend possible la saisine de l'Autorité par les communes ou leurs groupements ou bien par les câblo-opérateurs, en cas de difficultés rencontrées pour la mise en conformité des conventions, conclues entre ces collectivités et ces distributeurs de services, avec le nouveau cadre législatif issu de la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle. « Dans les quatre mois suivant cette saisine, l'autorité peut rendre publiques les conclusions de la médiation, sous réserve du secret des affaires. » L'attribution de ce pouvoir de médiation permet à l'Autorité de contribuer à la conciliation entre deux parties et participe ainsi à l'action pédagogique qu'elle a déjà l'occasion d'exercer par le biais du règlement de différends.

Outre ces pouvoirs formels de réglementation, de règlement des différends, de médiation ou de sanction, dont le cumul permet l'efficacité de la régulation et distingue l'autorité des autres administrations, l'ARCEP dispose d'un pouvoir plus informel, fort opportunément qualifié de « magistère d'influence » par notre collègue Patrice Gélard dans son récent rapport consacré aux autorités administratives indépendantes 16 ( * ) . Ce pouvoir d'influence tient à la fois à son pouvoir juridique de savoir, qui lui permet, notamment par le biais d'enquêtes, d'obtenir des informations des acteurs du marché, et à son pouvoir de faire savoir, notamment grâce aux nombreux avis qu'elle publie ou grâce à son rapport annuel.

* 12 La loi de 2004 a transféré à l'ARCEP le contrôle des tarifs du service universel, initialement confié au Ministre.

* 13 Directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil en date du 7 mars 2002.

* 14 Selon les termes de la Cour d'appel de Paris, dans l'arrêt Estel/FranceTélécom du 20 janvier 2004.

* 15 Possibilité de diligenter des consultations et des expertises, possibilité de refuser la communication de pièces qui, en mettant en jeu le secret des affaires, compromettraient le principe du contradictoire, pouvoir d'ordonner des mesures conservatoires en cas d'atteinte grave et immédiate aux règles régissant le secteur.

* 16 Rapport 2005-2006 (Sénat n°404) « Les autorités administratives indépendantes : évaluation d'un objet juridique non identifié » fait par M. Patrice Gélard, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation de la législation.

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