II. FAUT-IL FUSIONNER L'ARCEP AVEC LE CSA ? UNE ARCHITECTURE INSTITUTIONNELLE ADAPTÉE À L'ÈRE NUMÉRIQUE
Plus se brouille la frontière entre services audiovisuels et services de communications électroniques, plus se pose la question de la fusion ARCEP/CSA. Votre commission considère extrêmement important de réfléchir à l'organisation stratégique de la régulation à l'heure de la révolution numérique, réflexion qu'elle estimerait réducteur de ramener à la seule question d'une éventuelle fusion entre l'ARCEP et le CSA. Elle relève en outre que la convergence a déjà été prise en compte par le droit applicable aux réseaux filaires, unifié dans la loi du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle, mais que toutes ses conséquences n'ont pas encore été tirées en ce qui concerne le cadre juridique de gestion des fréquences.
A. CONVERGENCE ET MOBILITÉ : LES DEUX DÉFIS DE L'ÈRE NUMÉRIQUE
1. La convergence, fruit de la numérisation
La distinction entre services et réseaux, fondatrice de notre architecture juridique, tend à s'estomper, comme l'avait déjà analysé avec clairvoyance le Conseil d'Etat, dès 1998, dans son rapport « Internet et les réseaux numériques ». Internet est assurément au coeur de cette mutation en cours, qui conduit à distendre le lien traditionnel entre tel service et tel support : Internet n'est à proprement parler ni un nouveau service ni un nouveau réseau 90 ( * ) mais une modalité nouvelle d'accéder à une pluralité de services qui, grâce à la numérisation couplée au protocole informatique IP, empruntent tous types de supports 91 ( * ) pour parvenir jusqu'à divers terminaux (téléphone, ordinateur, téléviseur...).
En effet, c'est la technologie numérique, venue du monde informatique, qui permet de transformer données, son et images dans un langage universel exprimé en séries binaires de 0 et de 1. Non seulement elle autorise ainsi le dialogue entre des univers jusqu'alors séparés, mais en outre elle permet la manipulation et la compression des données, si bien que leur transmission en mode numérique est moins limitée par la pénurie de vecteurs (bande passante, fréquences...) que la transmission en mode analogique. Cette capacité des différents supports à transporter des services similaires et à faire communiquer entre eux les terminaux les plus variés et les différentes applications caractérise le phénomène de convergence.
Dès 1997, la Commission européenne avait publié un Livre vert sur la convergence des secteurs des télécommunications, des médias et des technologies de l'information 92 ( * ) . Il distinguait trois niveaux de convergence : d'abord la convergence des réseaux et celle des terminaux ; ensuite, la convergence des industries (télécoms, audiovisuel, informatique) ; enfin, celle des services offerts.
En reprenant cette grille d'analyse, ce qui est sans doute le plus frappant aujourd'hui est la convergence très avancée entre les réseaux . Le temps où le spectre hertzien était essentiellement dédié à la diffusion audiovisuelle et la double paire de cuivre du réseau téléphonique au transport de la voix et à l'accès au Minitel est révolu. La téléphonie mobile transporte la voix -et même, avec l'UMTS, des données ou des images- par ondes hertziennes et la technologie ADSL permet de transporter données et contenus audiovisuels par la paire de cuivre. Le câble ou le satellite, voire le réseau électrique (CPL), permettent également la transmission de services audiovisuels, le transport de données et la téléphonie. La loi du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle en a pris acte en mettant fin au régime juridique particulier des réseaux câblés, désormais soumis à la régulation de l'ARCEP comme tout autre réseau de communications électroniques. De même, l'ARCEP régule désormais l'ensemble des réseaux (hertzien analogique et numérique, satellite, câble et infrastructure ADSL) utilisés pour la diffusion de programmes radiophoniques et télévisuels : un diffuseur comme TDF se voit ainsi imposer des obligations par l'ARCEP en sa qualité d'opérateur puissant 93 ( * ) . Enfin, le déploiement d'un nouveau réseau en fibre optique, par les débits impressionnants qu'il autorisera, sera assurément un instrument très décisif de la convergence.
Du point de vue des terminaux, la convergence est en progrès constant et tangible : un nombre croissant de Français utilisent déjà leur PC pour recevoir la télévision, d'autres se connectent à Internet via leur téléviseur (du type Apple TV), certains se connectent à Internet via leur téléphone mobile -ou « smart phone »-, d'autres encore s'apprêtent à regarder la télévision sur leur téléphone mobile dès que le lancement de la télévision mobile personnelle sera effectif 94 ( * ) . Il est même désormais possible de connecter son réfrigérateur au réseau pour son réapprovisionnement.
Concernant les services, leur convergence progresse également par le biais d'Internet : ainsi, des services de téléphonie vocale sont proposés via l'Internet et leur substituabilité avec la téléphonie vocale fixe du réseau traditionnel est révélée par la concomitance entre la croissance de ces services de voix sur IP et le recul de la téléphonie fixe usuelle. En outre, les offres « triple play » voire « quadruple play » (téléphonie fixe et mobile, télévision et Internet) concrétisent la convergence entre l'offre de services de télévision et celles de téléphonie et d'accès à Internet. S'ajoutent à ces offres des services à valeur ajoutée : vidéo à la demande, visiophonie, jeux en réseau 95 ( * ) ... Les chaînes de télévision sur Internet -WebTV- se multiplient, proposées notamment par des opérateurs non soumis aux contraintes réglementaires ou tarifaires s'imposant aux acteurs traditionnels du secteur audiovisuel.
La convergence entre industries demeure encore timide , pour sa part, du moins en France 96 ( * ) . A l'échelon français, le groupe le plus intégré est assurément Vivendi, qui réunit Canal+ et la myriade de chaînes payantes qui l'entoure, Canalsat (unique opérateur satellitaire français depuis sa fusion avec TPS), NeufCegetel (opérateur fixe de communications électroniques) et SFR (opérateur mobile de communications électroniques). Seule la dimension informatique manque au groupe. Le groupe France Télécom a développé une stratégie d'opérateur intégré, en réintégrant sa filiale Wanadoo fournissant l'accès à Internet et sa filiale Orange de téléphonie mobile, et se lance désormais dans la production de films (par le biais de Studio 37). Free, filiale du groupe Iliad, et Noos, câblo-opérateur, pourraient se porter candidats à l'attribution de la quatrième licence UMTS afin de compléter leur activité filaire par une activité mobile. Opérateur mobile, Bouygues Telecom vient de s'allier à l'opérateur Altitude Telecom pour proposer une offre de convergence fixe-mobile-Internet aux PME. Fort du succès de son iPod, Apple vient de lancer aux Etats-Unis l'iPhone, objet emblématique de la convergence , à la fois téléphone mobile/ lecteur de fichiers musicaux et vidéos/terminal Internet/appareil photo. De son côté, Microsoft a signé des accords avec le fournisseur d'accès à Internet Club-Internet, filiale de Deutsche Telekom, ce dernier ayant adopté la plate-forme logicielle de télévision sur IP de Microsoft offrant guide de programmes électronique, vidéo à la demande et magnétoscope numérique. Orange et Microsoft convergent pour offrir une offre de messagerie instantanée sur téléphonie mobile « Orange messenger by Windows Life »...
Il serait facile de multiplier les exemples de rapprochements industriels, mais, jusqu'à présent, aucune fusion ou acquisition n'a encore donné naissance en France à un géant de l'informatique, de l'audiovisuel et des télécommunications.
En tout état de cause, le phénomène de convergence porte en lui une transformation radicale de nos habitudes de travailler, de nous divertir, d'entrer en relation avec l'autre. Il entraîne aussi des conséquences majeures :
- le rapprochement de trois univers qui vivaient jadis derrière leurs frontières respectives : l'univers des contenus, celui des télécommunications et enfin celui de l'informatique ;
- une nouvelle chaîne de valeur, la répartition des revenus tendant à se déplacer des réseaux vers les services. Une entreprise comme Skype peut ainsi fournir des services de téléphonie sans contribuer le moins du monde au financement des réseaux. Les acteurs économiques se battent aujourd'hui pour la détention du client final auquel ils proposent un bouquet de services toujours plus diversifié. L'accès aux contenus devient en enjeu déterminant de cette compétition ;
- le risque de distorsion de réglementation et de régulation selon l'univers d'où proviennent les acteurs, les services étant en général moins régulés que les infrastructures.
* 90 C'est le réseau des réseaux, la toile d'araignée interconnectant les terminaux entre eux, mais ce n'est assurément pas un nouveau type particulier de support venant s'additionner aux supports existants (câble, réseau téléphonique, satellite...).
* 91 Réseau téléphonique fixe ou mobile, boucle locale radio, câble, satellite, fibre optique...
* 92 A l'initiative de M. Martin Bangeman, alors commissaire européen en charge des télécommunications.
* 93 Sur le marché 18, marché de gros des services de diffusion audiovisuelle.
* 94 Sans doute d'ici la fin de l'année.
* 95 Selon le quotidien La Tribune du 30 mai 2007, le chiffre d'affaires de Vivendi Games (filiale de jeux en ligne tels « World of warcraft ») est dix fois supérieur à celui généré par le site communautaire « myspace » en 2006.
* 96 Dès 2001, aux Etats-Unis, AOL, fournisseur d'accès à Internet, et Time Warner, producteur de contenus, ont fusionné pour former le premier groupe mondial de communication. AOL Time Warner rassemble les industries du cinéma, de la musique, du câble et de la télévision ainsi que la presse, l'édition et les services Internet.