2. D'une régulation des marchés de détail à une régulation des marchés de gros : prélude à l'effacement de la régulation sectorielle ?
Le nouveau cadre réglementaire adopté en 2004 a pris en compte les avancées déjà réalisées dans le processus d'ouverture à la concurrence du secteur des communications électroniques en allégeant les dispositifs réglementaires contraignant a priori le libre jeu de la concurrence.
Ainsi, le système d'autorisation de l'activité des opérateurs et fournisseurs de services de télécommunications et l'homologation ministérielle préalable des tarifs de détail de l'opérateur historique, mis en place par la loi de 1996, ont été abrogés et remplacés par un système d'obligations conditionnelles portant prioritairement sur les marchés de gros.
Toutefois, le contrôle tarifaire reste possible à un double titre : au titre du service universel et au titre de la situation concurrentielle du marché. Sur chaque marché estimé susceptible d'être régulé par le régulateur lui-même, ce dernier évalue d'abord si les obligations d'accès et d'interconnexion sont suffisantes. Si ce n'est pas le cas et si le marché n'est pas en situation de concurrence réelle, alors seulement le régulateur exerce un contrôle tarifaire sur ce marché, qui peut d'ailleurs prendre la forme d'un encadrement pluriannuel des tarifs (« price-cap »).
Il s'est donc opéré un glissement par rapport au modèle d'origine : le régulateur privilégie l'action de régulation sur les marchés de gros avant de contrôler, en cas de nécessité, les prix de détail. La priorité accordée au contrôle des marchés de gros a déplacé le « curseur » central de la régulation vers l'amont, prenant acte que la concurrence se joue effectivement prioritairement autour des problématiques d'accès au réseau. Il est en effet essentiel de garantir les conditions d'accès des concurrents aux ressources considérées comme « essentielles » en focalisant la régulation sur les « goulets d'étranglement » , c'est-à-dire sur les difficultés d'accès aux facilités essentielles. Un accès libre aux marchés de gros en amont permet d'éviter que des distorsions de prix ne se communiquent à l'ensemble de la chaîne de valeur : il est donc de nature à favoriser l'exercice d'une concurrence effective sur les marchés de détail, qui, si elle ne voyait pas le jour, pourrait néanmoins être organisée par un recours exceptionnel au contrôle des tarifs de détail.
Ce glissement a représenté une étape dans un processus dont l'objectif de long terme reste la suppression de toute régulation ex ante . Cette dernière reste réservée aux situations dans lesquelles les obstacles à la concurrence sont tels que le seul recours au droit de la concurrence ne serait pas suffisamment efficace . Le processus de rapprochement entre le droit sectoriel et le droit commun de la concurrence est d'autant plus souhaitable, comme l'a indiqué le Conseil 78 ( * ) , qu'il convient d'éviter que ne se développent des règles de concurrence propres au secteur des communications électroniques. Le Conseil estime en effet que l'unicité du droit de la concurrence peut seule garantir la sécurité juridique des acteurs.
La suppression de la régulation sectorielle reste ainsi l'horizon. Mme Viviane Reding, commissaire européen en charge des Médias et de la société de l'information, l'a encore confirmé, le 15 février dernier, appelant à la disparition de la régulation ex ante d'ici 2018 79 ( * ) .
Comme ses représentants l'ont confirmé à votre rapporteur, France Télécom appelle aussi de ses voeux une extinction rapide de la régulation sectorielle, qu'il lui paraît raisonnable d'envisager entre 2010 et 2015. Il est logique que l'opérateur historique, sur qui pèse prioritairement le poids de la double régulation, propose une suppression rapide de la régulation ex ante .
Mais même des opérateurs concurrents de France Télécom ont insisté auprès de votre rapporteur sur la nécessité que l'ARCEP conserve à l'esprit l'horizon d'une substitution de la régulation concurrentielle de droit commun à la régulation sectorielle existante. Ainsi, M. Arnaud Lucaussy, directeur de la réglementation et des études économiques de SFR, a fait observer que le régulateur devait, dans l'organisation des structures de marché, rester dans la perspective d'une application du droit de la concurrence ; à titre illustratif, il a évoqué la structure française du marché de la voix sur mobile, où l'appelant paye, ce qui ne crée aucune pression commerciale à la baisse du prix des terminaisons d'appel et, par voie de conséquence, implique sa régulation, alors que, dans le modèle américain où l'appelé paye (il achète des minutes entrantes et sortantes), une régulation a priori n'est pas utile du fait de la pression commerciale qui s'exerce en la matière.
Puisque la perspective d'une régulation concurrentielle de droit commun semble communément admise, peut-on prophétiser la disparition de l'ARCEP d'ici cinq à dix ans ?
* 78 Dans son avis 03-A-07 rendu sur le projet de loi sur les communications électroniques.
* 79 Lors de la 20ème session plénière du Groupe des régulateurs européens réunis à Bruxelles le 15 février 2007.