2. Des perspectives financières inquiétantes pour les collectivités territoriales

Malgré cela, les conditions d'application des compensations annoncées et l'évolution des charges constituent des sources sérieuses d'inquiétudes.

La question qui se pose est même de savoir si cette réforme ne va pas se transformer en « bombe à retardement » financière pour les collectivités.

On peut distinguer quatre difficultés principales.

a) Les conditions incertaines d'application de certaines compensations
(1) La clause de sauvegarde

L'article 104 de la loi du 13 août 2004 a introduit une « clause de sauvegarde », apparemment protectrice, mais qui se révèle complexe dans son application.

La référence pour déterminer le nombre total d'emplois transférés est la « photographie » des emplois pourvus au 31 décembre de l'année précédant le transfert des compétences, sous réserve que leur nombre ne soit pas inférieur à celui constaté le 31 décembre 2002 .

Au regard de cette clause de sauvegarde, l'effectif global de référence diffère donc selon les collectivités bénéficiaires : dans certains départements ou régions, la référence est le 31 décembre 2002 et dans d'autres, le 31 décembre de l'année précédant le transfert de compétence.

Or, la loi vise, pour déterminer l'année de référence, non pas les transferts de services, mais la date du transfert de la compétence.

S'agissant des personnels du ministère de l'Equipement, il faut donc considérer comme année de référence pour analyser la clause de sauvegarde :

- l'année 2004 pour les routes départementales, compétence transférée antérieurement à la loi du 13 août 2004 ;

- l'année 2005 pour les routes nationales d'intérêt local, compétence transférée aux départements le 1 er janvier 2006.

Cette clause soulève trois questions distinctes : celle du décompte des effectifs, celle de la compensation et du calendrier.

Sur le décompte des effectifs , une instruction du ministère de l'Equipement en date du 12 juin 2006 relative à l'application de la clause de sauvegarde et faisant suite aux propositions du rapport des trois inspections générales, a permis de préciser la méthode de calcul des emplois pourvus au 31 décembre 2002 qui se décompose en deux étapes :

Recensement des agents présents au 31 décembre 2002

La liste des agents en poste à cette date doit être dressée, à partir d'une base de données (dite « OMESPER/GESPER ») fournie par la direction générale du personnel et de l'administration du ministère.

La liste ainsi établie doit être, le cas échéant, comme pour le décompte des emplois pourvus à la date de référence, complétée par celle des personnels que la collectivité concernée a mis à la disposition du service déconcentré et qui participaient au 31 décembre 2002 à l'exercice des compétences transférées.

Détermination de la quotité d'activité

Le calcul du nombre d'emplois pourvus au 31 décembre 2002 (exprimé en équivalent temps plein ou ETP) pour chaque compétence transférée est obtenu par l'application sur le nombre d'agents ainsi recensés d'un taux d'activité exprimant la quotité de temps passé à l'exercice des missions transférées.

Toutes ces informations étant détenues par les administrations d'Etat, comment les collectivités territoriales pourront-elles argumenter leurs désaccords puisque les sources d'information relèvent de l'Etat ?

Par ailleurs, comme l'a souligné le rapport de l'Inspection générale susmentionné, plusieurs modalités de compensation des postes disparus sont envisageables. Or, l'Etat envisage la solution la plus défavorable aux départements :

Le coût sur la base d'un pied de corps

L'Etat défend le choix du « pied de corps » s'agissant des postes « disparus », car il a, jusqu'à la date du transfert, exercé des compétences sans ces moyens.

Cette logique du « pied de corps » répond au fait que le recrutement de nouveaux agents inexpérimentés se ferait sur la base du pied de corps.

C'est la solution préconisée par la mission d'inspection IFG-IGA-CGPC de février 2006 relative au transfert des personnels du ministère de l'Equipement.

Sur la base du niveau médian de grade des agents

Les départements considèrent que le calcul de cette compensation ne peut être fait que sur la base du niveau médian de grade des agents et non sur la base du pied de corps.

Plusieurs arguments forts militent, en effet, pour cette solution :

- lors des précédents mouvements de décentralisation (lois Defferre de 1982-1983, loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse), le principe a toujours été de compenser sur la base du niveau médian, y compris dans le cadre de la loi du 2 décembre 1992 relative à la mise à disposition des services déconcentrés du ministère de l'Equipement, complétée par ses textes d'application faisant référence à l'effectif équivalent des personnels chargés des compétences départementales ;

- la préoccupation des collectivités étant de maintenir la qualité de service, les recrutements devront bien se faire sur une base de rémunération suffisamment attractive, en tenant compte de l'ensemble des éléments constituant la rémunération de l'agent (c'est-à-dire le traitement indiciaire et le régime indemnitaire).

Une dernière difficulté concerne la date d'effet :

Dans la mesure où l'Etat exerçait les compétences transférées sans les agents, l'obligation de compensation des postes vacants n'a pas juridiquement à être immédiate.

Dans ce contexte, il est proposé aux départements que le droit à compensation prendrait effet en fin de processus à l'expiration de la période de droit d'option lors du transfert effectif des derniers agents ayant opté et de ceux n'ayant pas opté, c'est-à-dire au 1 er janvier de la troisième année qui suit la parution du décret en Conseil d'Etat de transferts de services si le décret paraît entre le 1 er janvier et le 31 août d'une année n ou le 1 er janvier de la quatrième suivant la parution dudit décret si celui-ci paraît entre le 1 er septembre et le 31 décembre d'une année n :

- soit le 1 er janvier 2009, s'agissant des postes relevant du ministère de l'Education ;

- soit à partir du 1 er janvier 2010, s'agissant des postes relevant du ministère de l'Equipement.

Il est acquis en revanche (voir Instruction du 12 juin 2006) que les ETP correspondant aux emplois des agents dit « Berkani » sont considérés comme constants entre 2002 et la date de référence. En effet, quand ces agents partent à la retraite, ils ne sont pas remplacés mais les services voient augmenter leurs crédits de fonctionnement pour pouvoir faire appel à des sociétés de nettoyage. La baisse éventuelle d'effectifs intervenue entre 2002 et la date de référence a donc été compensée par des crédits de fonctionnement, qui seront pris en compte dans le calcul de la compensation financière liée au fonctionnement du service.

On notera donc que la clause de sauvegarde n'est pas encore applicable dans la mesure où le bilan des effectifs entre l'année 2002 et le 31 décembre 2004 n'a toujours pas été soumis à la CCEC.

(2) La compensation des emplois vacants

Cette question soulève un problème très délicat, qu'a parfaitement souligné notre collègue M. Yves Krattinger dans une question écrite en date du 24 mars 2005.

Rappelant que la moyenne nationale en termes d'effectifs non pourvus sur l'effectif global de la DDE est de 3,78 % , il exprimait le souhait que cette question entre en ligne de compte dans les négociations portant sur les transferts de personnels induits par la loi du 17 août 2004.

Il précisait que, dans le département de la Haute-Saône, par exemple, 51 postes n'étaient pas pourvus sur 587, soit 8,69 %, soit le plus fort taux des départements métropolitains. Il demandait à l'Etat de prendre en compte ces vacances dans les calculs liés aux transferts.

Sur le montant, on peut noter que deux situations sont susceptibles de se présenter requérant des compensations justifiées.

Les emplois devenus vacants entre 2002-2004/2005

En vertu de l'alinéa 4 de l'article 104 II de la loi du 13 août 2004, sont transférés aux collectivités locales les emplois pourvus au 31 décembre de l'année précédent l'année du transfert sous réserve que leur nombre global ne soit pas inférieur à celui constaté le 31 décembre 2002. Si les effectifs constatés du 31 décembre 2002 étaient supérieurs à ceux constatés au 31 décembre 2004, c'est la référence 2002 qu'il convient de retenir.

Les emplois devenus vacants suite au transfert de la compétence

Deux cas de figures vont se présenter :

- soit l'emploi est devenu vacant durant la phase de mise à disposition des services ;

- soit l'emploi est devenu vacant après le transfert des services, pendant la période d'exercice du droit d'option.

Les modalités de compensation des postes devenus vacants (y compris les fractions) doivent encore faire l'objet d'arbitrage : compensation sur la base d'un coût moyen, médian ou « pied de corps ».

La compensation la plus équitable pour les départements serait une compensation au réel sur la base de la rémunération réellement perçue par l'agent au moment de son départ .

Sur la date de la compensation , elle devrait s'effectuer :

- pour ce qui concerne les postes devenus vacants avant transfert (dont les fractions) du service, par transferts de fiscalité en utilisant le produit de la taxe spéciale sur les contrats d'assurance des véhicules à moteur (TSCA) ;

- s'agissant des postes devenus vacants après le transfert de services, en loi de finances rectificative de l'année n pour les emplois devenus vacant avant le 31 août de l'année n, les montants étant ensuite inscrits de manière définitive dans la plus prochaine loi de finances (et compensés par le transfert d'une fraction de TSCA).

(3) Le régime des primes et des indemnités

Les régimes indemnitaires sont source de difficultés, car ils sont d'abord très divers (exemples : indemnité spécifique de service, prime de service et de rendement, indemnité d'administration et de technicité...).

Pour les agents mis à disposition, ces indemnités continueront à être mises en paiement par l'Etat suivant les mêmes montants qu'antérieurement et sans discontinuité.

Quand les agents transférés aux collectivités sont directement rémunérés par leur nouvel employeur, ils peuvent bénéficier des dispositions introduites par l'amendement gouvernemental dans le projet de loi relatif à la fonction publique territoriale, visant à maintenir à titre individuel le régime indemnitaire des agents transférés.

Ce projet de loi, tel qu'adopté en première lecture par le Sénat, prévoit en effet que « les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent maintenir au profit des fonctionnaires de l'Etat mentionnés à l'article 109 les avantages qu'ils ont individuellement acquis en matière indemnitaire au sens de l'article 88 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 précitée, tant qu'ils exercent leurs fonctions dans leur cadre d'emplois de détachement ou d'intégration lorsque ces avantages sont plus favorables que ceux de la collectivité ou du groupement concerné ».

Cependant, la non-compensation des avantages acquis collectivement avant 1984 constitue une source de désaccord majeur avec l'Etat .

Le Conseil d'Etat a, en effet, rendu le 29 août 2006 un avis par lequel il considère que :

- d'une part les fonctionnaires de l'Etat, s'ils sont nommés dans un emploi transféré, seront en droit de bénéficier des avantages lors de leur intégration dans un cadre d'emplois de la fonction publique territoriale ou de leur mise à disposition de détachement sans limitation de durée ;

- la compensation financière des avantages ayant un caractère de complément de rémunération par l'Etat n'est pas obligatoire dans la mesure où les assemblées délibérantes des collectivités peuvent décider de diminuer ou de supprimer ces avantages.

Les collectivités ne peuvent se satisfaire d'une telle décision et font appel au Gouvernement afin qu'il assume cette charge nouvelle qui pèse sur les employeurs territoriaux.

Elles considèrent qu'elles ne peuvent assumer à la fois le maintien des avantages acquis antérieurement en tant qu'agents de l'Etat et le financement d'un alignement généralisé des avantages octroyés par le passé à ses agents locaux.

D'autre part, elles appellent l'attention sur la nécessité d'une harmonisation de ces régimes indemnitaires. A titre d'exemple, entre les personnels transférés de l'Education nationale et ceux de l'enseignement agricole, le jeu des affectations entraînera à moyen terme la coexistence au sein du même établissement d'agents exerçant les mêmes fonctions mais bénéficiant d'un régime indemnitaire différent du fait de son corps d'origine. Ceci parait ingérable au plan local.

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