2. Budget du Conseil de l'Europe pour 2007 : un enlisement inquiétant
L'Assemblée a ensuite procédé à un débat d'actualité sur la situation alarmante de ses crédits.
Le Président Bernard Schreiner (Bas-Rhin - UMP) a pris, peu avant l'ouverture de la quatrième partie de session, l'initiative de susciter un débat d'actualité sur le blocage du budget du Conseil de l'Europe, sa demande ayant été cosignée par nombre de ses collègues. Les membres de la Délégation française qui sont intervenus dans ce débat, MM. Jean-Guy Branger (Charente-Maritime - UMP) et Guy Lengagne (Pas-de-Calais - Soc), ont d'ailleurs abondé dans le sens du Président Bernard Schreiner.
En raison des besoins financiers criants de la Cour européenne des Droits de l'Homme, et malgré un concours exceptionnel en 2005, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe voit son budget diminuer en 2007 en raison de la globalisation des dépenses des différentes branches de l'Organisation en un budget unique.
Rappelant la décision de gel des dépenses de personnel, l'Assemblée a déploré l'attitude malthusienne du Comité des Ministres et unanimement dénoncé la cécité des gouvernements. Les délégués ont assuré d'agir au sein de leurs Parlements respectifs afin de trouver une issue à cette situation de blocage.
M. Bernard Schreiner, député :
« Si notre Assemblée a tenu à organiser ce débat d'actualité sur la situation budgétaire du Conseil de l'Europe, c'est que la situation est grave. Je souhaite ici exprimer la préoccupation du groupe PPE.
Après des années de croissance zéro - je dis bien : des années - et malgré de réels efforts de rationalisation, nous voilà en face de budgets en diminution pour toutes les instances de notre organisation, à l'exception de la Cour européenne des Droits de l'Homme. Et l'enlisement actuel des débats au sein du Comité des Ministres ne présage rien de bon pour l'avenir.
Les causes de cette situation sont très simples : tout provient du refus des gouvernements de tenir compte des besoins budgétaires croissants et, pour l'essentiel, légitimes de la Cour européenne des Droits de l'Homme. Il faut dire clairement que cette situation est à la fois incompréhensible et inacceptable. Je ne prendrai que deux exemples pour illustrer mon propos.
Les mêmes pays qui chipotent sur nos crédits, acceptent sans sourciller de financer des structures qui sont certes utiles mais dont la légitimité démocratique n'est en rien comparable à celle de notre Assemblée. Je veux parler ici du Forum de la démocratie et du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux. Dans une période budgétaire tendue, la priorité doit être accordée au Conseil de l'Europe et à son Assemblée, quitte à servir un peu moins bien d'autres organisations.
Dans le même ordre d'idées, il est tout à fait extravagant, et je pèse mes mots, que les pays membres de l'Union européenne refusent toute augmentation de crédits au Conseil de l'Europe alors qu'ils s'apprêtent à mettre en place une Agence des droits fondamentaux. Celle-ci fera le même travail que celui que nous avons fait, et très bien fait, jusqu'à présent et - Monsieur le Président l'a révélé - son budget sera dès le départ considérable : 15 millions d'euros. La création de cette Agence est un véritable non-sens, sauf à accepter, à plus ou moins longue échéance, la disparition du Conseil de l'Europe.
Face à cette situation, que faire ? Il nous faut tout d'abord balayer devant notre porte et éviter de donner prise aux critiques en multipliant, au détour des textes que nous adoptons, les structures nouvelles et comités nouveaux de toutes sortes.
Politiquement, il n'est pas tenable, mes chers collègues, de solliciter des crédits de nos gouvernements et d'accepter la création d'organisations budgétivores à l'utilité discutable. Des efforts de rationalisation ou de redéploiement ont été faits, et la rigueur de gestion doit rester notre ligne directrice. Mais, mes chers collègues, ne nous voilons pas la face. Si tous ces efforts doivent être faits, ils ne suffiront pas, et nos gouvernements devront accepter d'augmenter les crédits du Conseil. Toute autre décision de leur part signifierait la marginalisation du Conseil de l'Europe. C'est une logique que je ne peux accepter. C'est pourquoi nous devons nous mobiliser pour faire pression sur nos exécutifs afin de sortir de la situation actuelle. Je l'ai déjà fait en interpellant mon gouvernement. Mes collègues de la délégation française continuent de le faire.
Je suis un ancien de cette maison et je n'accepterai pas sans réagir de voir dépouiller petit à petit le Conseil de l'Europe. Au nom du rôle qu'il a joué après la guerre, de celui qu'il joue auprès des nouvelles démocraties et de celui qu'il jouera demain pour la protection des Droits de l'Homme, de la démocratie et de la paix sur notre continent, le Conseil de l'Europe doit être défendu. Je partage entièrement les arguments de notre collègue Wille, je partage entièrement les arguments de notre Secrétaire général. Monsieur le Secrétaire général, nous sommes derrière vous dans cette bataille afin que le Conseil de l'Europe vive toujours mieux, et, surtout, défende mieux la démocratie. »
M. Jean-Guy Branger, sénateur :
« Je suis intervenu hier à propos de l'évolution institutionnelle de notre Conseil de l'Europe. Je prends de nouveau la parole dans le débat, demandé d'abord par notre collègue, le Président Schreiner, à propos plus particulièrement du budget de notre Organisation.
Vous savez tous que le Comité des Ministres applique depuis plusieurs années la règle de la «croissance zéro en termes réels». Or deux éléments doivent être pris en considération : évidemment, depuis 2001, une inflation, même faible, ronge notre marge de manoeuvre ; et, surtout, la charge de la Cour européenne des Droits de l'Homme s'est considérablement accrue.
Bien entendu, nous sommes tous d'accord pour favoriser l'influence de la Cour européenne des Droits de l'Homme, de plus en plus sollicitée. Je souhaite, pour ma part, très vivement que les progrès dans la ratification du Protocole 14 permettent rapidement l'entrée en vigueur de cette réforme dont dépend l'efficacité de notre Cour.
Je ne souhaite pas seulement cette réforme pour des raisons d'efficacité juridique, mais surtout pour que puisse se développer une jurisprudence qui exerce un effet déterminant sur la stabilité politique et sociale de tous les États membres.
En prenant le parti de la Cour, je souhaite en même temps que son renforcement ne se fasse pas aux dépens des autres organes du Conseil de l'Europe, en particulier de notre Assemblée. En effet, comme je l'ai indiqué dans le débat d'hier, nous devons lutter contre une prolifération institutionnelle qui pèse à la fois sur notre budget et sur l'audience de nos travaux.
Je souhaite également que cesse la multiplication de doublons par l'Union européenne et d'abord la création d'une «Agence européenne des Droits de l'Homme». C'est le fondement même du Conseil de l'Europe. Nous devons réagir ! Ce n'est pas convenable. Extrêmement coûteux, ce nouvel organisme risque de causer des conflits de droit, puis de juridiction affaiblissant finalement les Droits de l'Homme en Europe. De même, je souhaite le maintien et même le développement d'accords partiels aussi essentiels que la Pharmacopée, le groupe Pompidou, Eurimages ou encore le GRECO.
La France a l'honneur d'héberger sur son sol l'Assemblée des 46. Soyez sûrs, mes chers collègues, que je plaiderai pour la garantie des moyens de fonctionnement du Conseil de l'Europe et leur développement pour le plein accomplissement de ses missions. C'est donc au Gouvernement français que je ne manquerai pas de m'adresser, notamment à l'occasion du débat budgétaire, pour prendre toutes ses responsabilités vis-à-vis de notre organisation. »
M. Guy Lengagne, député :
« Monsieur le Président, monsieur le Secrétaire Général, en vous écoutant, je me disais que ce débat était totalement surréaliste. Surréaliste, car, mon cher Terry, à vous interroger sur la façon dont vous alliez pouvoir, dans cet ensemble de 800 millions d'habitants, trouver trois millions d'euros ici, sept millions par là, je me suis dit : mais sur quelle planète suis-je tombé !
Néanmoins les chiffres n'ont de valeur que si on les compare. Certains de mes collègues avaient appelé mon attention sur les difficultés financières du Conseil de l'Europe. J'avais alors demandé le montant de la participation de mon pays, la France. On m'a livré le chiffre de 37 millions d'euros. J'ai répondu qu'il devait y avoir une erreur de zéro quelque part. Trente-sept millions d'euros pour le Conseil de l'Europe, ce n'était pas possible ! Au même moment, je discutais dans ma région de l'éventuelle construction d'une passerelle permettant aux camions de descendre des navires qui relient la Grande-Bretagne et la France. La construction de cette passerelle s'élevait à 40 millions d'euros, un coût supérieur aux 37 millions d'euros accordés par la France en faveur du Conseil de l'Europe.
Je me suis ensuite reporté au budget de la Communauté d'agglomération de 130 000 habitants que je préside : 57 millions d'euros au titre du fonctionnement, 30 millions d'euros au titre de l'investissement. Quant au budget de la ville que j'ai dirigée pendant vingt ans, ce sont 60 millions d'euros annuels. Il y a quelque chose qui ne va pas, me suis-je dit. J'ai considéré qu'il serait intéressant de voir ce qui se passait dans la maison d'à côté. Je rappelle que le fonctionnement de notre Assemblée parlementaire - je ne parle pas des 200 millions d'euros évoqués par M. Terry Davis - représente 15 millions d'euros contre 1,322 milliard d'euros pour le Parlement européen. C'est dire que le budget de fonctionnement de notre Assemblée parlementaire ne représente qu'un peu plus de 1 % du budget de la maison d'à côté. Je continue à penser que quelque chose ne va pas.
Ainsi que plusieurs d'entre vous l'ont déjà relevé, la défense des Droits de l'Homme, le respect de la démocratie constituent notre travail. J'appelle votre attention sur une particularité de notre Assemblée. Demandez autour de vous si les habitants de vos circonscriptions connaissent le nom des parlementaires européens. J'ai fait le test. Personne ne m'a jamais répondu. Ils sont inconnus. Pour autant, je ne dis pas qu'ils ne travaillent pas, mais oeuvrant à Bruxelles ou au Luxembourg, ils n'ont aucun contact avec la population, faute de temps. Or la force de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, est de représenter les parlements nationaux. Dès lors, nous sommes en constant rapport avec la population et nous pouvons faire passer les idées que nous défendons auprès de nos concitoyens. Pour cette seule raison, le Conseil de l'Europe et son Assemblée parlementaire sont irremplaçables.
Le Président van der Linden l'a rappelé à plusieurs reprises : ne nous voilons pas la face. Nous portons une part de responsabilité. Mon ami, M. Branger, l'a indiqué à l'instant : nous sommes parlementaires ; c'est nous qui votons les budgets de nos nations, c'est nous qui pouvons intervenir dans le débat. Je vais vous faire bondir : j'ai le sentiment que nous pourrions, sans dommages pour les pays, doubler le budget du Conseil de l'Europe. Trente-sept millions d'euros aujourd'hui pour la France, soixante-quatorze millions d'euros demain. C'est très largement supportable. Le budget de la France ne le verrait même pas et ma conviction est que les budgets des autres nations, plus faibles ou plus importants, ne le verraient pas non plus.
Mes chers collègues, il nous faut prendre notre bâton de pèlerin, aller plaider dans nos assemblées, soit au Sénat, soit à l'Assemblée nationale, et faire en sorte que le budget ne soit pas ridicule. Monsieur le Président, mon cher Terry Davis, j'ai honte que nous soyons amenés aujourd'hui à tenir un débat de cette nature. Il y va de la dignité de notre Assemblée et, au-delà, de la dignité des Droits de l'Homme. »