II. ETUDE
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SÉNAT
OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION
DES POLITIQUES DE SANTÉ
LA POLITIQUE DE LUTTE
CONTRE LES INFECTIONS NOSOCOMIALES
RAPPORT FINAL
JUIN 2006
La conclusion s'affirma de suite : ce sont les doigts des étudiants, souillés au cours de récentes dissections, qui vont porter les fatales particules cadavériques dans tous les organes génitaux des femmes enceintes.
Semmelweis a, de suite, idée de la prophylaxie : « désodoriser les mains » en les lavant dans une solution de chlorure de chaux. Le résultat ne se fait pas attendre, il est magnifique. Dans les mois suivants, à la maternité de Bartch qui a recueilli Semmelweis sur l'insistance de Skoda, la mortalité par fièvre puerpérale devient presque nulle ; elle s'abaisse pour la première fois au taux actuel des meilleures maternités du monde, 0,23%.
Il semblait qu'obstétrique et chirurgie eussent dû accueillir avec enthousiasme l'immense progrès qui leur était offert. Il n'en fut rien.
Céline, Les derniers jours de Semmelweis, 1924
A. INTRODUCTION
La présente étude, réalisée à l'initiative de l'OPEPS, a pour objet de dresser un panorama d'ensemble de la politique de lutte contre les infections nosocomiales (IN), pour aboutir à une série de recommandations opérationnelles.
Cette analyse se place dans un contexte particulier puisqu'un programme national de lutte contre les infections nosocomiales vient d'être engagé sur la période 2005-2008 (faisant suite d'ailleurs à un programme précédent ayant déjà fait avancer de nombreux dossiers), et que ce programme a justement pour vocation de résoudre les points de blocage identifiés. Nous en analyserons les composantes dans le présent rapport ; ce programme a déjà connu quelques réalisations avec la publication du premier indicateur constituant le tableau de bord de lutte contre les IN ; cet indicateur, l'ICALIN, est un indicateur de moyens, mais témoigne de la volonté des pouvoirs publics de renforcer la transparence dans ce domaine.
Cette volonté de transparence et d'amélioration des pratiques, de la surveillance et de la prévention des IN a été notamment manifeste suite à certaines affaires dramatiques comme l'affaire de la clinique du Sport, dont l'une des conséquences a été la création d'une association, le LIEN, extrêmement active dans le domaine. Le vote de la loi de mars 2002 sur les « droits des malades » a été un autre moment fort, manifestant la nouvelle place que prennent les usagers dans les choix opérés dans le système de soins. Il s'agit, dans ce dossier des IN, d'un élément très structurant.
Même si, comme nous le verrons, les IN ne représentent pas le principal problème en matière d'accidents médicaux sur le plan quantitatif, elles constituent par contre de très loin le premier thème de sensibilisation des citoyens vis-à-vis de la sécurité des soins. Le terme est connu, assorti le plus souvent et malheureusement de la notion de faute (alors que la plupart des IN sont inévitables, en ce sens qu'aucune mesure de prévention ne permettrait de les éviter), ajoutant à la « judiciarisation » croissante des activités de soins. Il est possible qu'il y ait toutefois dans ce dossier un fort malentendu entre les professionnels de santé et les patients : les professionnels connaissent avec les IN, comme avec les autres accidents médicaux, une culpabilisation, un sentiment d'échec, même en l'absence de faute, et craignent le contentieux ; de leur côté, les patients ne cherchent pas tant à engager un tel contentieux qu'à être informés de ce qui arrive, et c'est très souvent dans cette absence d'information et de considération que se noue le conflit. La situation est rendue encore plus difficile par la complexité des IN, la variabilité des situations, la discussion sur « l'évitabilité », etc. Et les connaissances dans ce domaine sont encore insuffisantes : on ignore encore l'essentiel de la physiopathologie des infections du site opératoire par exemple ; on ne sait pas bien déterminer, au sein des différentes mesures de prévention disponibles, lesquelles sont les plus efficaces, etc.
A noter que, pour ajouter à cette complexité, le terme d'IN tend à être remplacé par le terme d'infections liées aux soins, pour englober les infections acquises en dehors de la sphère hospitalière.
En tout état de cause, la lutte contre les infections nosocomiales est une préoccupation des pouvoirs publics français depuis près de 20 ans.
L'effort entrepris semble avoir porté ses fruits, puisque selon la dernière enquête nationale de prévalence des incidences nosocomiales réalisée en 2001, leur taux de prévalence aurait diminué de 13% pour les patients hospitalisés dans les CHU et de 24% pour les patients hospitalisés dans les CH par rapport à l'enquête précédente.
La France dispose pour suivre ces évolutions de nombreux outils concernant la lutte contre les infections nosocomiales : les rapports du Réseau d'Alerte d'Investigation et de Surveillance des Infections Nosocomiales (RAISIN) coordonné par les CCLIN sur la surveillance des sites opératoires et des services de réanimation, les données collectées par l'Institut National de Veille Sanitaire, les bilans standardisés des CLIN des établissements de santé.
Cependant, si l'amélioration est indéniable, l'effort dans la lutte contre les infections nosocomiales doit être poursuivi.
Il est intéressant de souligner que, dans la dernière enquête effectuée par la Fédération hospitalière de France en avril 2006 auprès d'un échantillon de 1000 français adultes, la tendance de l'opinion s'inverse par rapport à 2004. Les répondants ne sont plus que 44% à estimer qu'il y a plus de risques liés aux infections nosocomiales qu'il y a quelques années, une proportion en repli de 19 points depuis 2004. En parallèle, 42% soulignent une amélioration, soit 18 points de plus que lors de la dernière enquête.
Dès lors, que peut ajouter un travail supplémentaire sur les IN ? Nous avons choisi de nous concentrer sur quelques aspects de ce dossier, afin de :
o situer la France parmi ses voisins dans cette politique de lutte contre les IN,
o déterminer quelle peut être la mortalité attribuable aux IN,
o discuter la question du coût des IN et déterminer si les actions menées présentent un rapport coût/bénéfice favorable, compte tenu du fort taux d'IN non évitables,
o comprendre comment a évolué la politique de lutte contre les IN ces dernières décennies, en nous arrêtant notamment sur la publication d'indicateurs de qualité dans la lutte contre les IN,
o faire le point sur le dispositif juridique complexe régissant les recours possibles des patients victimes d'une IN et les conséquences judiciaires des IN,
afin d'aboutir à des recommandations, sachant que sur de nombreux points, ces recommandations constituent des accents particuliers portés sur les axes du programme national. Il s'agit surtout de prioriser ces actions, éventuellement de les compléter.
Enfin, pour éclairer le contexte, une enquête auprès du grand public et des professionnels de santé a été réalisée par l'IPSOS, afin de mieux appréhender et prendre en compte les attentes des usagers comme des professionnels, et d'évaluer les représentations, les opinions, les attitudes et les comportements en ce qui concerne les risques de santé à l'hôpital.
Certains aspects ne sont par contre pas détaillés, notamment la physiopathologie des IN ou les recommandations pour la prévention ; il s'agit de thèmes évidemment fondamentaux, qui relèvent directement de l'expertise des professionnels et des sociétés savantes.