Audition de M. François BARRY DELONGCHAMPS,
directeur des Français à l'étranger et des étrangers en France,
M. Alain LE SEAC'H, sous-directeur de la circulation des étrangers,
et Mme Isabelle EDET, chargée de mission pour l'asile
au ministère des affaires étrangères
(28 février 2006)

Présidence de M. Georges OTHILY, président

M. Georges Othily, président .- Monsieur le directeur, je vous remercie d'avoir répondu à notre convocation, et nous sommes heureux de vous accueillir, ainsi que vos collaborateurs.

Conformément aux termes de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. François Barry Delongchamps, M. Alain le Seac'h et Mme Isabelle Edet prêtent serment

M. Georges Othily, président .- Nous allons organiser notre débat de la manière suivante : vous nous ferez un exposé liminaire, après quoi le rapporteur et nos collègues vous poseront des questions.

M. François Barry Delongchamps .- Monsieur le président, je vous remercie, ainsi que les membres de cette commission, de me donner l'occasion de m'exprimer sur un sujet qui est au centre des préoccupations de ma direction : l'immigration clandestine. Il est en effet très important, à un moment où l'exécutif doit prendre un certain nombre de décisions, que les choix du gouvernement s'inscrivent dans le respect du débat démocratique. A cet égard, les conclusions à venir de la commission d'enquête seront très utiles à la fois au gouvernement et à l'administration.

Je souhaite replacer mon intervention dans la suite de celle que le ministre des affaires étrangères a eu l'occasion de faire devant cette commission, le 17 janvier dernier, et dire toute ma disponibilité pour répondre aux questions que les membres de la commission voudront poser, sans parler des réponses écrites déjà transmises au secrétariat de la commission par mes services.

Je mettrai l'accent, si vous le voulez bien, sur quatre points principaux qui illustrent l'action de la direction des Français de l'étranger dans la lutte contre l'immigration clandestine : le rôle des consulats ; le dialogue avec les pays d'origine de l'immigration ; la participation à la définition d'une immigration choisie ; la mise en oeuvre de la politique de l'asile.

Le premier point concerne donc le rôle du réseau diplomatique et consulaire dans la lutte contre l'immigration irrégulière.

Par définition, nous sommes aux avant-postes de la politique migratoire et il est donc logique que la direction des Français à l'étranger (DFAE), qui assure la gestion, l'animation et le contrôle de l'action de nos consulats, soit impliquée au premier chef dans la définition et la mise en oeuvre de cette politique. C'est d'ailleurs le sens de son rôle dans les textes qui la fondent. Plusieurs des mesures prises récemment relèvent de cette direction.

Dans le domaine de la politique des visas, depuis un an, des mesures importantes ont été prises en vue de la généralisation progressive de la biométrie. Cinq consulats ont été équipés en 2005 et 29 autres devraient l'être d'ici la fin de l'année 2006, pour autant que les moyens budgétaires seront rendus disponibles, et la généralisation de la biométrie est prévue pour 2008.

Le coût global de l'introduction de la biométrie dans les services consulaires est estimé, à ce stade, à 145  M€ entre 2006 et 2008, c'est-à-dire sur trois ans. Il se répartit entre l'équipement des postes en matériel, pour 13 M€, les dépenses en personnel -27 M€- et l'investissement immobilier, qui est considérable : 105 M€.

L'ensemble de ces dépenses pourrait être couvert par tout ou partie de la recette née de l'encaissement des frais de dossier des demandes de visa. J'appelle votre attention sur le fait qu'à ce jour, le ministère des affaires étrangères n'a toujours pas d'assurance claire du Budget sur ce financement. La généralisation de la biométrie reste donc suspendue à une incertitude financière.

Cela ne coûtera pas un centime au contribuable, étant donné que les recettes provenant des visas sont passées de 53 M€ en 2002 à 79 M€ en 2005 à la suite du paiement préalable des frais de dossier -on fait payer maintenant la même somme aux demandeurs de visa quel que soit le résultat de la demande- et du tarif unique Schengen de 35 €, qui s'est substitué aux 17 tarifs différents qui existaient jusqu'en 2003. Nous avons demandé à nos partenaires de l'espace Schengen un relèvement de ce droit de 35 à 60 €, sachant qu'il faut couvrir les coûts, ni plus ni moins, de la biométrie, c'est-à-dire ceux de l'instruction des demandes de visa. Je vous ferai observer que, pour les visas américains ou britanniques, les tarifs sont déjà beaucoup plus élevés.

L'objectif de la France est donc d'obtenir, lors du conseil Justice et affaires intérieures du 27 avril prochain, un relèvement à 60 € qui pourrait intervenir au 1 er janvier 2007, avec effet possible dès le 1 er octobre 2006 pour les pays qui le souhaiteraient.

La lutte contre la fraude documentaire et les détournements de procédure est également un objectif très important.

Le constat est clair : les filières d'immigration clandestine utilisent des procédures régulières, souvent avec la complicité des autorités locales et, dans certains pays d'Afrique, le trafic de vrais-faux documents est assez courant. J'ai eu l'occasion d'en parler ce matin à une commission de l'Assemblée nationale qui m'a interrogé à fond sur ce point dans la perspective du débat sur le projet de loi concernant les mariages.

Pour les services consulaires, le contrôle des actes d'état civil dressés ou transcrits hors de France constitue donc un aspect essentiel de la lutte contre l'immigration illégale. Les mariages célébrés à l'étranger entre un Français et un étranger sont passés de 13 000 en 1995 à 44 900 en 2004. Avant même le regroupement familial et avant l'immigration de travail, bien entendu, c'est le mariage qui est devenu la première source d'immigration légale dans notre pays. La fraude au mariage, qui entraîne une certaine forme de fraude à la nationalité, puisque c'est l'accès à la nationalité française qui est recherché, constitue donc un élément déterminant du phénomène de pression migratoire auquel nous sommes confrontés.

Pour faire échec à ces détournements de procédure, le ministère des affaires étrangères est à l'origine de la modernisation de certaines règles.

Premièrement, j'ai parlé tout à l'heure du projet de loi qui sera présenté prochainement au Parlement par le garde des sceaux. Il s'agit d'un nouveau dispositif selon lequel la transcription des actes de mariages conclus à l'étranger ne sera plus automatique mais subordonnée à des contrôles de l'autorité consulaire et, éventuellement, des autorités judiciaires françaises.

Est prévue, en deuxième lieu, une réforme de l'article 47  du code civil. Il s'agira d'une réforme d'ordre réglementaire destinée à donner à l'administration un délai de huit mois pour statuer sur la validité d'un acte d'état civil étranger et, en cas de refus, pour laisser au demandeur, concurremment avec l'administration, le soin de produire les éléments de nature à forger la conviction du juge.

La troisième orientation concerne le projet de loi sur l'immigration et l'intégration qui vient d'être présenté au cours de la réunion du 9 février du Comité interministériel de contrôle de l'immigration et qui contient plusieurs dispositions modifiant le code civil et relatives à l'acquisition de la nationalité française, notamment par l'allongement des délais au terme desquels les conjoints de Français peuvent acquérir la nationalité française par voie de déclaration.

Ces adaptations législatives seront-elles à la hauteur des enjeux ? C'est une question qu'il faut se poser au regard du naufrage de l'état civil que l'on observe dans bon nombre de pays à l'origine des flux de l'immigration irrégulière et qui pose un problème d'une ampleur exceptionnelle. Des voies nouvelles devraient donc être explorées comme l'utilisation des tests ADN, qui seraient utiles dans le cadre de procédures de regroupement familial, au bénéfice même des demandeurs de bonne foi.

En effet, combien de familles de réfugiés statutaires parfaitement réguliers attendent des mois et des mois un visa pour gagner la France simplement parce que nous ne sommes pas en mesure d'établir avec certitude le périmètre familial correspondant ? Les dossiers et les documents que nous avons ne concordent pas pour certaines familles qui ont quatre, cinq ou six enfants. Si nous disposions d'un instrument qui permette d'établir avec certitude la filiation ou l'appartenance à la famille, je pense que ce serait une très bonne chose. Cela aurait à la fois l'avantage de ne pas pénaliser les demandeurs de bonne foi et de permettre de déceler les fraudes.

Le deuxième cadre du travail de la DFAE est le dialogue avec les pays source d'immigration sur la mise en oeuvre d'accords de réadmission et le rappel à nos partenaires de leurs obligations en matière de délivrance des laissez-passer consulaires.

Pour nous, en liaison avec le ministère de l'intérieur, il s'agit de négocier des accords de réadmission et de suivre leur application. Les accords de réadmission sont des instruments très utiles pour encadrer les procédures d'éloignement et, notamment, la délivrance des laissez-passer consulaires, nécessaires pour l'éloignement des personnes en situation irrégulière démunies de documents d'identité et qui doivent donc être reconnues par leur pays d'origine.

A ce jour, la France a signé 37 accords bilatéraux de réadmission, dont l'application est satisfaisante, et notre pays est lié par quatre accords communautaires conclus par la Commission européenne.

Cependant, je ne suis pas certain qu'une généralisation de ces accords soit souhaitable, pour deux raisons principales.

La première, c'est que les pays avec lesquels la France pourrait souhaiter négocier ces accords n'en sont généralement pas demandeurs, leur opinion publique y étant particulièrement hostile. C'est pourquoi il faut souvent envisager des contreparties, notamment des mesures visant à faciliter la circulation des personnes. En fait, de façon contradictoire, on est parfois obligé de faciliter l'entrée en France à des ressortissants de pays avec qui, par ailleurs, on a besoin de conclure un accord de réadmission. Ce sont des situations paradoxales et, in fine , le remède peut être pire que le mal.

La deuxième raison de prudence, c'est que, bien souvent, des arrangements ad hoc , de simples procès-verbaux passés avec certains pays ou des arrangements entre services de police permettent d'arriver au moins au même résultat, sinon à un résultat meilleur, sans le détour par une négociation compliquée. C'est un diplomate qui vous le dit !

Je pense donc que le choix doit résulter d'un examen au cas par cas.

La DFAE et la Direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur s'orientent vers une systématisation des accords de réadmission plutôt avec les pays d'Europe centrale et orientale ainsi qu'avec les pays de la zone Caraïbe, parce que cela nous paraît tout à fait approprié, mais non pas nécessairement avec tous les autres.

J'en viens à la question de la délivrance des laissez-passer consulaires par les pays que nous qualifions parfois de peu coopératifs. Je dresserai un bilan plutôt encourageant de la politique conduite par le gouvernement pour améliorer ce taux de délivrance. Sur les douze pays qui ont fait l'objet depuis quelques mois de démarches diplomatiques assez pressantes en vue de l'amélioration du taux de délivrance des laissez-passer consulaires par leurs consulats en France, je note que seuls deux d'entre eux posent toujours un problème : la Tunisie et l'Egypte.

Bien évidemment, la question de l'éventualité de sanctions à l'égard de tel ou tel pays relève d'une décision politique et je ne m'aventurerai donc pas sur ce terrain, mais, pour sa part, la direction des Français de l'étranger pourra proposer, le moment venu, une liste de sanctions possibles et graduées à l'encontre des pays toujours insuffisamment coopératifs dans ce domaine.

Mais, au total, tous pays confondus, le taux de délivrance des laissez-passer consulaires s'est effectivement amélioré : il est passé en 2005 à 46 % des demandes contre 35 % en 2004. C'est donc une amélioration de plus de dix points d'une année sur l'autre.

J'en arrive au troisième sujet que je souhaite développer : la participation de ma direction à la définition d'une immigration choisie, notamment par une meilleure sélection des étudiants étrangers.

Comme vous le savez, la France est devenue l'un des pays les plus ouverts avec plus de 50 000 nouveaux étudiants étrangers chaque année, juste derrière les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. L'attractivité de notre pays s'exerce, ou ne s'exerce pas, dès la prise de contact d'un étudiant avec l'une de nos ambassades ou l'un de nos services culturels à l'étranger. Il faut donc mieux accueillir les meilleurs étudiants, les plus motivés, ceux qui ont un projet d'étude de haut niveau, mais aussi mieux les contrôler, dès le pays d'origine, pour s'assurer du sérieux et de la réalité des projets d'études. C'est le rôle qui incombe désormais aux Centres pour les études en France (CEF).

Une évaluation que nous venons de faire montre que l'articulation entre les CEF, qui sont chargés de l'examen pédagogique et linguistique des dossiers, et les consulats, qui sont chargés de la délivrance des visas proprement dits, fonctionne de façon satisfaisante. Nous sommes très satisfaits de la manière dont les CEF se sont développés et nous permettent de nous concentrer sur le travail régalien de délivrance des visas, à partir de l'examen préalable des CEF. C'est une très bonne approche.

Cette nouvelle procédure permet en outre d'alléger le travail des agents qui peuvent consacrer le temps gagné à autre chose, notamment la lutte contre la fraude documentaire.

Je souligne un point important : la transmission de tous les dossiers par les CEF aux services consulaires, quel que soit leur avis pédagogique, laisse aux consulats le soin de conserver toute leur capacité d'appréciation et toute leur compétence. Autrement dit, il est parfaitement imaginable qu'un dossier individuel qui n'aurait pas été jugé satisfaisant par un CEF soit néanmoins admis par un consulat, et réciproquement.

Les conclusions que nous portons à ce stade de la campagne « étudiants » 2005-2006 que nous avons conduite dans les cinq pays où les CEF ont déjà été mis en place -la Chine, le Vietnam, la Tunisie, le Maroc et le Sénégal- nous permettent de considérer que cette expérience a un impact positif auprès des autorités locales, que le système est bien accueilli par le public étranger étudiant, que les rapports entre les services culturels, les services consulaires et les CEF sont constructifs et que la demande baisse, sauf en Chine, ce qui démontre le rôle de filtre qualitatif qui est joué par les CEF.

Il reste bien sûr des difficultés : le poids des interventions locales, qui sont de toute façon une réalité incontournable, les avis divergents entre les universités françaises et les Centres d'études en France -certaines universités françaises n'ont pas exactement les mêmes intérêts que nous parce qu'elles souhaitent avoir le plus possible d'étudiants pour obtenir plus de moyens- et les problèmes d'accès aux dossiers des CEF par les consulats, ceux-ci prétendant, pour pouvoir porter un jugement, avoir accès à la totalité des informations et des dossiers transmis par les étudiants.

Tout cela ne remet pas en cause le bien-fondé de la réforme à laquelle nous avons pris une grande part. Le projet de loi sur l'immigration et l'intégration intègre d'ailleurs bien cette démarche puisqu'il prévoit la délivrance de plein droit d'un premier titre de séjour pour certains étudiants, ceux qui auraient rempli justement un certain nombre de ces conditions.

Ma quatrième et dernière remarque concerne la mise en oeuvre d'une politique de l'asile conforme aux engagements internationaux de la France en contrôlant mieux que par le passé les détournements de procédure.

Comme vous le savez, la politique de l'asile relève essentiellement du ministère des affaires étrangères et non pas du ministère de l'intérieur, contrairement à ce qui se passe chez nos principaux partenaires européens. Au sein du ministère des affaires étrangères, c'est la DFAE qui est en charge de l'asile et qui assure le pilotage ou la tutelle de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). C'est aussi le programme budgétaire dont j'ai la responsabilité qui assure les moyens budgétaires de l'OFPRA.

Comme le ministre l'avait dit très clairement à la tribune du Parlement au moment du débat sur la loi sur l'asile, en 2003, la politique de l'asile ne relève pas du contrôle des migrations, mais encore faut-il que les procédures de l'asile ne soient pas détournées par des migrants dont les motivations peuvent être économiques. Par exemple, des durées d'instruction trop longues encouragent les déboutés à se maintenir sur notre territoire après avoir épuisé toutes les voies de recours.

Nous nous félicitons d'une évolution marquante de ces dernières années : la chute confirmée des délais d'instruction de l'asile et de la demande d'asile proprement dite.

Nous avons vu en 2005 une nouvelle baisse de la demande d'asile globale de l'ordre de 10 %. Il y avait 59.038 dossiers en 2005 contre 65.614 en 2004, après un pic enregistré en 2003, 93.540 demandes dont 31.547 au titre de l'asile territorial, et en 2002 (79.053 demandes dont 18.276 au titre de l'asile territorial).

L'une des remarques qui me font conclure au succès de la réforme de l'asile, c'est que, contrairement à certaines prédictions, l'asile territorial et l'asile conventionnel ne se sont pas additionnés, sans quoi nous aurions dû, en 2004 et en 2005, avoir 20.000 ou 30.000 demandes supplémentaires.

Cette tendance reflète deux réalités différentes : une diminution importante des premières demandes d'environ 15 % (elles passent sous la barre des 50.000), mais une augmentation importante (environ 34 %) des demandes de réexamen. La proportion des demandes de réexamen, c'est-à-dire des déboutés qui demandent un deuxième examen, s'effectue à un rythme moins soutenu en 2005 qu'en 2004, qui avait été marquée par un triplement par rapport à 2003. C'était probablement l'effet du passage d'une loi à une autre et d'un régime de l'asile à un autre.

En 2005, seules les demandes d'asile en provenance d'Haïti, qui ont augmenté de 61 %, et de Serbie-Monténégro sont en augmentation.

Le délai total de traitement des demandes l'asile était supérieur à 18 mois en 2003 et en 2004, et il est actuellement inférieur à huit mois : 2,5 mois à l'OFPRA et un peu plus de quatre mois à la CRR. L'objectif demeure évidemment de traiter les demandes en six mois, délai au-delà duquel il devient plus difficile d'éloigner les déboutés.

Nous constatons également une moins grande « attractivité » de notre pays après l'entrée en vigueur de la réforme de 2003. Les procédures sont plus efficaces et plus rapides et l'OFPRA est devenu le guichet unique avec la fin de l'asile territorial. De même, la mise en oeuvre, à partir de l'été 2005, de la liste des pays d'origine sûrs aboutit également à des procédures accélérées, étant rappelé que chaque demandeur voit sa demande examinée en tant que telle individuellement.

Enfin, on note la stabilisation politique de plusieurs zones de crise : les Balkans, les Grands Lacs, l'Algérie. Ce deuxième facteur plaide pour une certaine prudence parce que la baisse de la demande d'asile est également, pour une part, conjoncturelle.

Dans ce contexte, sans remettre en cause l'économie générale de la loi, il est peut-être encore nécessaire de réfléchir aux moyens possibles d'améliorer notre dispositif : le souhait exprimé par le ministère des affaires étrangères de compléter notre liste nationale des pays d'origine sûrs ; la décision, qui a été prise lors de la réunion du Comité interministériel de contrôle de l'immigration du 29 novembre 2005, de ramener le délai de saisine de la Commission des recours des réfugiés d'un mois à quinze jours, en suivant d'ailleurs l'exemple de nos principaux partenaires dans ce domaine.

Voilà les quatre points que je souhaitais présenter devant vous, monsieur le président, en vous demandant de me pardonner d'avoir été un peu long. Je voulais être aussi complet que possible avant, le cas échéant, de répondre à vos questions.

M. Georges Othily .- Merci, monsieur le directeur. Effectivement, les quatre points que vous avez soulevés nous intéressent à plus d'un titre. Je donne la parole à M. le Rapporteur.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Monsieur le directeur, vous avez évoqué tout à l'heure l'expérimentation en matière de visas biométriques en cours dans cinq consulats et sa généralisation prévue en 2008. En pratique, avez-vous déjà un bilan de la mise en place des visas biométriques dans les cinq premiers consulats ?

M. François Barry Delongchamps .- Nous avons choisi les consulats par rapport aux problématiques essentielles qu'il nous semblait devoir prendre en compte.

La première est la comparution personnelle, sachant qu'actuellement, seuls 40 % des demandeurs de visas comparaissent personnellement dans les services consulaires alors qu'avec la biométrie, sauf preuve contraire -et je ne l'ai pas encore trouvée- il risque d'être nécessaire d'accueillir 100 % des demandeurs, à part quelques personnalités très exceptionnellement. C'est une problématique considérable qui explique d'ailleurs les chiffres que je vous ai donnés tout à l'heure en ce qui concerne les budgets immobiliers. Si on passe de 40 à 100 % de comparutions personnelles, on change complètement les données du problème.

Sur les premiers postes, nous avons voulu évacuer cet aspect et c'est pourquoi nous n'avons retenu que des postes dans lesquels il y avait déjà une comparution pratiquement à 100 %, sauf dans le cas du consulat de San-Francisco, que nous avons choisi parce qu'il pose un double problème : à la fois un problème de géographie et d'éloignement et un problème concernant la comparution personnelle, les deux étant liés.

Il en est de même à Minsk, dont la circonscription est très étendue. Quant à Annaba, l'expérience est moins probante dans la mesure où seules sont touchées les personnes qui sont déjà obligées de se déplacer, mais non pas les VIP ou les personnalités, qui n'ont pas à se déplacer et pour lesquelles on ne change rien : il n'est pas prévu de relevés ni de captures d'empreintes.

L'expérience est incontestablement positive du point de vue du matériel, qui est tout à fait convivial. J'en ai fait l'expérience moi-même : il est tout sauf traumatisant, cela se passe extrêmement simplement, en ne prenant que deux à trois minutes, et cela fonctionne bien. Le personnel est formé sans problème et cela demande simplement un peu plus d'efforts, de temps et de travail parce qu'il faut accompagner les personnes et apporter des explications. Cela pose surtout le problème de l'accueil des 60 % de personnes qui ne viennent pas aujourd'hui.

L'autre conclusion, mais c'est moins à moi d'en parler, c'est que cela a du sens sous deux conditions qui seront vérifiées en vraie grandeur, sachant qu'il ne s'agit ici que d'expériences pilotes destinées à voir comment les choses fonctionnent.

La première, c'est que le système suive à la frontière : ce n'est pas la peine de relever des empreintes pour qu'il n'y ait pas de résultat, dans la mesure où on le fait pour contrôler les gens à la frontière. Nous avons eu une campagne d'explication auprès des autorités étrangères des pays concernés, auxquelles nous avons indiqué que nous avions un véritable souci de contrôle de nos frontières, mais, maintenant que ce souci a été exprimé et compris, il faut qu'il se passe quelque chose à la frontière.

La deuxième, c'est que, dans la mesure où nous sommes dans le cadre de l'espace Schengen, il est évident qu'à terme, cela n'aura de sens que si tous nos partenaires en font autant. C'est d'ailleurs prévu : il y aura une banque européenne des données biométriques ainsi que des terminaux nationaux. Il est important de savoir que seuls 20 % des étrangers viennent en France avec un visa obtenu dans un consulat de France et donc que 80 % -ce n'est pas compliqué à calculer- y viennent avec un titre de voyage qui n'a pas été vu dans un consulat de France. Nous ne maîtrisons donc pas vraiment toute la réalité de la circulation de l'étranger vers la France. Cependant, nous n'avons pas de doute sur la nécessité d'aller de l'avant.

L'étape suivante fait actuellement l'objet d'un projet de décret, qui devrait aboutir dans les semaines qui viennent et qui nous permettra, dès cette année, comme je l'ai dit tout à l'heure, d'équiper un certain nombre de consulats supplémentaires.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Dans le prolongement de ces expériences, il apparaît que l'une des portes d'entrée de l'immigration clandestine est le visa de tourisme de trois mois : la personne rentre de façon tout à fait régulière et ne repart pas. L'une des questions que se pose la commission d'enquête porte donc sur les moyens de contrôler les retours. De ce point de vue, le système du visa biométrique ou un autre système vous paraît-il efficace pour contrôler la sortie du territoire ?

M. François Barry Delongchamps .- Je ne suis pas tout à fait convaincu que le problème se pose à partir du visa de tourisme. Nous avons fait des enquêtes auprès de nos ambassades pour savoir combien de personnes reconduites avaient obtenu un visa touristique dans nos postes et cela nous a permis de constater que, parmi les reconduits, une population qui est supposée composée d'immigrants illégaux, ils étaient peu nombreux à avoir eu un visa. Nous avons donc un phénomène important d'entrées en France irrégulièrement et sans visa.

Evidemment, certaines personnes ont eu un visa et en ont abusé, c'est-à-dire qu'elles sont restées plus longtemps, mais, en moyenne, avec une marge d'erreur assez faible d'un pays à l'autre, on s'aperçoit qu'environ 20 % des étrangers qui sont reconduits dans leur pays ont eu un visa de tourisme et que les autres n'en ont pas eu. 80 % de l'immigration irrégulière ne vient donc pas des visas.

Je vais laisser la parole au sous-directeur de la circulation des étrangers pour qu'il vous parle du dispositif de rendez-vous au retour que nous avons mis en place, alors qu'aucun texte français ou communautaire ne nous y autorise, pour « encourager » les titulaires de visa à se présenter et à montrer leur bonne foi au retour. Je l'ai dit, aucun texte ne nous y autorise et il ne faut pas oublier un petit détail : aucun étranger n'est obligé de revenir dans son pays ou sa ville d'origine après avoir eu un visa français. Il a parfaitement le droit d'aller à l'autre bout du monde. Il sera peut-être pénalisé, mais c'est difficilement défendable devant un tribunal. Simplement, c'est une pratique que nous nous sommes imposée pour aller dans le sens de ce que vous dites.

M. Alain Le Seac'h .- Cette année, nous avons lancé une expérimentation dans une dizaine de postes qui nous avaient semblé plus significatifs en la matière : Bamako, Douala, Kinshasa, Nouakchott, Tunis, Le Caire, Yaoundé, Dakar, Islamabad et Tbilissi. Ce sont des postes dans lesquels les chiffres montrent qu'il y a un risque plus important qu'ailleurs.

Nous avons décidé de procéder au contrôle des retours sans le faire sur une base systématique, parce que c'était trop compliqué au stade actuel, en nous contentant de sélectionner les catégories cibles qui présentaient le plus de risques. En effet, on ne va pas demander aux VIP de se présenter.

Nous sélectionnons en particulier les primo-demandeurs, les bénéficiaires de visas touristiques, qui sont moins faciles à justifier que les visas d'affaires, et les demandeurs de certaines catégories que nous avons identifiées comme étant particulièrement à risques : les ascendants non à charge et les enfants d'âge scolaire.

Le contrôle s'effectue uniquement sur la base de la comparution personnelle, parce que l'expérimentation a montré que, si on voulait faire un contrôle par voie postale en demandant aux gens de produire des documents comme un passeport avec le cachet de sortie, celui-ci n'était pas sûr du tout. La seule façon d'effectuer le contrôle est donc que les gens se présentent eux-mêmes.

Certains de nos postes, pour faciliter les opérations, ont créé une base de données informatique.

Certaines catégories, comme vous l'imaginez, ne se présentent pas à ce type de contrôle : les personnes qui demandent des visas dits de circulation qui permettent à celles qui sont favorablement connues de faire plusieurs séjours pendant une durée déterminée à l'avance. Il est évident qu'elles ne feront pas l'objet de contrôles, mais il s'agit de catégories moins risquées que d'autres a priori.

L'expérimentation est en cours : nous n'avons pas les chiffres définitifs, mais je pense que, dans les prochaines semaines, nous aurons des chiffres plus précis qui nous permettront de voir si nous devons étendre l'expérimentation à d'autres postes ou si les postes qui ont été choisis jusqu'à présent sont suffisants.

M. Jean-Pierre Cantegrit .- Je voudrais d'abord me féliciter que la commission d'enquête entende M. Barry Delongchamps et ses adjoints. J'ai le plaisir, au sein de l'Assemblée des Français de l'étranger, de collaborer avec M. le directeur qui est en charge de l'assemblée de nos compatriotes expatriés, et nous avons beaucoup de séances de travail en commun.

Je voudrais aborder un sujet extrêmement délicat que j'ai déjà évoqué devant cette commission et aussi lorsque, en présence de M. Barry Delongchamps, M. Philippe Douste-Blazy a fait l'ouverture de l'assemblée générale de l'Assemblée des Français de l'étranger : l'accueil dans certains de nos consulats. Je serai très prudent dans mes propos car je sais combien il faut l'être dans ce domaine, mais j'ai fait part au ministre d'un certain nombre de plaintes, dont nous étions destinataires, sur l'accueil du personnel de certains consulats, j'ai cité notamment des consulats d'Afrique centrale, qui ne font aucune distinction entre les demandes et qui créent ainsi des incidents parfois regrettables avec des personnalités africaines, des étudiants qui veulent poursuivre leurs études en France et des hommes d'affaires qui se heurtent à certains problèmes de visas de circulation.

Je sais qu'il ne s'agit que de cas très particuliers, mais ils ont parfois un certain retentissement. Mon attention, en tant que sénateur des Français établis hors de France, est attirée sur ce genre d'incident. Elle l'a été tout récemment sur une demande de visa à Alger d'un homme d'affaires algérien très important, qui fait des investissements en France dans la région de Nîmes et qui ne pouvait pas obtenir de visa pour venir signer un contrat extrêmement important et favorable à notre pays.

Ma question n'est sans doute pas commode, monsieur le directeur, mais je voudrais savoir si, dans les instructions qui sont données par la DFAE, on pourrait demander au personnel non seulement un accueil courtois, ce qui est la moindre des choses, mais aussi un jugement un peu plus affiné en faisant une distinction, dans les demandes qui sont faites, entre celles qui correspondent à l'intérêt de notre pays et celles qui peuvent très normalement nécessiter certaines vérifications.

Voilà le sujet difficile que je souhaitais aborder, monsieur le président.

M. François Barry Delongchamps .- Je vais répondre assez longuement à cette question, monsieur le sénateur, parce qu'elle est effectivement à la jointure de toute la politique des visas. En effet, il ne s'agit pas seulement d'empêcher les étrangers de venir en France ; il s'agit aussi de les aider à venir en France, étant entendu simplement qu'il ne faut pas se tromper. Il faut arrêter les flux migratoires illégaux ou non souhaitables, mais il faut de toute façon accueillir tout le monde de manière convenable et digne.

L'accueil est effectivement une priorité dans tous les cas de figure. Il en est ainsi de la qualité de l'accueil, de la courtoisie et aussi d'une politique systématique visant à éviter les files d'attente dans la rue qui font du tort à l'image de la France et qui, de plus, donnent lieu à toutes sortes de trafics. Quand la demande excessive n'est que ponctuelle ou saisonnière, il faut la gérer dans le temps.

C'est pourquoi j'ai encouragé depuis trois ans les méthodes de prises de rendez-vous par téléphone. Il s'agit de directives non seulement pour les postes, qui n'en ont pas toujours l'habitude et qui voudraient pouvoir traiter les demandes selon les flux, mais aussi pour les personnes concernées, à qui on impose des rendez-vous à certaines heures en leur assurant que, ce jour-là, elles pourront être reçues convenablement, ce qui ne serait pas le cas la veille ou le lendemain. Cela impose à tout le monde une certaine discipline pour le bien commun.

A ce jour, quarante postes ont été dotés d'un système de rendez-vous par téléphone, souvent de façon informatisée, et cela a changé la vie d'un certain nombre de postes, à commencer par celui de Londres, sachant que c'est entre Londres et Moscou que la plus forte demande s'exerce.

Quant à votre deuxième question concernant l'accueil et l'instruction, il ne faut pas oublier que nous avons un problème de personnel. La Cour des comptes, il y a quelque temps, a identifié un déficit de 114 emplois dans les réseaux visas. Les restrictions budgétaires que nous gérons n'échapperont pas à ces considérations. Nous avons mis au point des ratios il y a quelques années : dans les pays à forte pression migratoire, le ratio est de 3 000 visas par agent et par an alors que, dans les pays plus faciles, il est de 4 500 visas par agent et par an.

Le nombre d'agents ne variant pas, il faut savoir qu'avec la loi sur la réduction du temps de travail, nous avons perdu d'un seul coup 9 % de notre force de travail, ce qui représente un certain nombre d'agents.

Cela n'a pas fait diminuer la demande de visas et cela a provoqué une pénurie qui ne peut se traduire que par une seule variable : le temps d'attente. Je n'ai pas l'intention de faire varier la vigilance ou la qualité du travail d'instruction et il n'est pas facile de jouer sur la demande elle-même, même si nous l'avons fait baisser. Nous avons fait baisser la demande, et non pas le nombre de visas délivrés, par l'instauration des droits de frais de visa en 2003. Cela dit, refuser ou accorder un visa prend autant de temps. Par un certain nombre de moyens, nous avons ainsi réussi à gérer ce passage à la RTT, sachant que nous avons eu moins d'emplois et non pas plus.

L'autre voie est une politique générale de l'accueil qui vient de Paris et qui passe par des instructions, des explications et une conception générale. Toute politique doit pouvoir s'exprimer et non pas être cachée et cette politique est donc claire : il y a deux catégories de demandeurs de visa.

La première regroupe ceux dont nous souhaitons encourager la venue en France. La biométrie permettant une procédure accélérée, il faut que nous soyons beaucoup plus généreux que nous ne le sommes en matière de visas de circulation qui, comme l'a dit M. Le Seac'h, n'ont pas à être renouvelés tous les trois mois mais qui permettent, pendant une période de deux, trois, quatre, voire cinq ans de circuler, et non pas de s'établir, aussi souvent qu'on le souhaite, avec des séjours qui ne doivent pas durer plus de quelques semaines d'affilée.

Pour ce faire, il faut que tous les services de l'ambassade, les grandes entreprises et tous les partenaires du poste jouent le jeu en fournissant des listes d'attention positive, parce que le consulat tout seul ne peut pas inventer les noms des gens qu'il faut traiter de façon privilégiée.

Je dis aux hommes d'affaires et à tous les gens que je vois qu'au lieu de se plaindre a posteriori sur les conditions dans lesquelles telle personne a été accueillie, ils auraient été bien inspirés de prévenir le consulat de son arrivée et de s'en porter garant, ce qui aurait fait gagner du temps à tout le monde. Il faut donc absolument que ces listes d'attention positive soient établies et régulièrement mises à jour.

En Afrique, à la suite du discours du président de la République à Bamako, notre politique s'inscrit dans ce cadre. Ceux que nous appelons les acteurs de nos relations et de nos échanges doivent bénéficier de conditions d'accueil et d'attribution de visas satisfaisantes, étant entendu que l'on fait entrer dans cette catégorie tous les artistes, étudiants, professeurs et chercheurs, mais qu'il ne faut évidemment pas se tromper : ce sont forcément des personnes qui sont identifiées comme des acteurs réels de nos relations.

Quant à la deuxième catégorie de demandeurs, ce n'est pas nous qui souhaitons favoriser leur venue en France mais eux -c'est tout à fait légitime et nous n'avons pas à porter de jugement sur ce point- qui veulent venir en France pour telle ou telle raison. Bien entendu, il faut instruire ces demandes avec toute l'équité et la rigueur que les textes nous demandent. Il ne faut pas oublier que les instructions consulaires communes de Schengen prévoient très clairement qu'en cas de doute sur le risque migratoire, on refuse le visa alors qu'il n'est pas vraiment dans la tradition de l'administration française que le doute joue contre et non pas en faveur d'une demande ; j'ai parfois du mal à convaincre certains fonctionnaires sur ce point. Là aussi, il faut gérer l'attente et l'accueil de manière convenable par un système de prises de rendez-vous dont j'ai parlé.

Cette politique fait l'objet d'instructions écrites et de circulaires. Comme dans toute matière humaine, cela prend quelques mois et c'est délicat, notamment du point de vue des relations internationales : on ne peut pas toujours agir de manière systématique et brutale, il faut s'adapter aux réalités locales et à nos intérêts diplomatiques et commerciaux qui exigent parfois des ménagements et des examens au cas par cas, mais c'est notre politique. Elle fait l'objet de circulaires de ma direction que j'ai signées et j'ai aussi rencontré les chefs de poste principalement concernés.

Je résume notre politique : un accueil très important qui est lié à des difficultés en termes de moyens, en particulier humains, une vigilance en matière de sécurité et une distinction assez claire entre un certain nombre de catégories de personnes que nous voulons favoriser ou que nous voulons traiter convenablement.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- J'ai deux questions supplémentaires à vous poser.

En ce qui concerne tout d'abord les accords de réadmission conclus par la France avec les pays voisins de collectivités ou départements d'outre-mer, je pense en particulier au Brésil, au Surinam et au Guyana, mais nous pouvons évoquer aussi les Comores, les choses sont-elles enclenchées, comment fonctionnent-elles et avez-vous des éléments particuliers à nous indiquer sur ce point ?

Ma deuxième question concerne la Guyane. Lorsque nous y étions, il nous a été dit qu'un consul ou un consul honoraire du Guyana devait s'installer prochainement à Cayenne. Où en est-on à ce sujet ?

M. François Barry Delongchamps .- Je vais donner la parole à Mme Edet pour qu'elle vous réponde sur le fond, mais sachez qu'en ce qui concerne la présence d'un consul du Guyana à Cayenne, nous sommes intervenus auprès de la préfecture pour faciliter cette opération qui nous paraît une très bonne chose.

Mme Isabelle Edet .- Un accord a été signé avec le Brésil et il est en vigueur depuis le 28 mai 1996. Cet accord fonctionne et il donne satisfaction.

En ce qui concerne le Guyana, l'accord n'est pas encore signé, mais la visite du ministre délégué au tourisme, M. Léon Bertrand, en novembre 2005, avait pour objectif d'établir un climat de confiance afin de conclure cet accord et de faire comprendre à la partie guyanaise que l'absence de signature de cet accord n'empêchait pas de coopérer en matière de reconduites.

Des fonctionnaires de police français et guyaniens se sont rencontrés récemment pour mettre au point le protocole d'application du futur accord afin que tous les points soient déblayés et négociés avant la signature formelle.

En ce qui concerne l'accord de réadmission avec la Dominique, le projet a été transmis à la partie dominiquaise. Les Dominiquais demandaient des contreparties en matière de facilités d'entrée pour leurs ressortissants et il y avait des réticences du ministère de l'intérieur. Finalement, celles-ci ont été levées et il a été accepté que, pour des séjours très courts, les Dominiquais entrent sans visa. C'est une contrepartie et, comme monsieur le directeur le disait tout à l'heure, le problème de ces accords de réadmission, c'est que, bien souvent, l'autre partie n'est pas demandeuse et qu'il faut un peu l'appâter, d'une certaine façon.

Cela présente donc des difficultés, mais on peut le faire en étant très strict sur les facilités qui sont données. Ce seraient des visas de très court séjour, de l'ordre d'une quinzaine de jours, ciblant des populations très particulières, telles que les groupes scolaires qui participent à des échanges. Il y a donc moyen d'obtenir des contreparties qui ne sont pas trop coûteuses.

Nous avons la même demande de contrepartie de la part de Trinité-et-Tobago et de la Barbade.

En ce qui concerne la mise en oeuvre des accords et le projet d'ouverture d'un consulat du Guyana, les choses progressent puisqu'une personne a été identifiée pour tenir ce rôle de consul honoraire. Cette personne possède la double nationalité, elle agrée aux deux parties et nous n'attendons plus que la présentation formelle d'une demande officielle du gouvernement du Guyana pour ouvrir le consulat.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Merci, madame. Nous n'avons pas évoqué le problème du co-développement et de nos relations avec l'ensemble des territoires qui entourent nos collectivités d'outre-mer. Vous avez sans doute un rôle important à jouer dans ce domaine. Pouvez-vous nous en parler, notamment en ce qui concerne les Comores, la pression sur Mayotte étant très forte, et aussi en ce qui concerne le Surinam ?

M. François Barry Delongchamps .- Le co-développement est souvent l'une des solutions à terme. Au départ, nous avons une immigration économique suscitée par la pauvreté, les personnes cherchant non seulement du travail, mais aussi des soins et toutes sortes de choses. Il est certain que le développement est la réponse la plus intelligente et, à terme, la seule qui devrait être satisfaisante, plutôt que d'ériger des frontières. Avec Melilla, on a franchi un cap : nous avons tous senti, devant ces grillages, que nous étions arrivés à un moment nouveau et décisif.

Pour les Comores, il ne s'agit pas seulement d'un développement économique ou même sanitaire. Comme je l'ai dit quand j'ai été auditionné par la mission d'information de l'Assemblée nationale sur le cas de Mayotte, nous assistons à une francisation rampante de la population de l'archipel, entre la population de l'archipel qui vit en France et qui est considérable et la population du pays : imaginez qu'un tiers de la population française s'installe dans un seul autre pays ! Du fait du droit du sol, nous allons déjà, à terme, vers une francisation d'un tiers à un quart de la population de l'archipel.

La fraude ou les dysfonctionnements locaux de l'état civil aboutissent également à une francisation et on voit bien qu'aller à Mayotte, étant donné les risques considérables que courent les gens qui traversent le bras de mer pour s'y rendre est, pour les Comoriens, presque un pis-aller par rapport à un projet d'immigration en métropole.

Dans le cas des Comores, c'est tout le problème de l'état civil qui se pose. En fait, il se pose non seulement pour les Comores mais pour nous. Etant donné le nombre de mariages, la multiplication des échanges et la mondialisation, je me pose des questions, alors que notre service central de l'état civil est un modèle du genre à l'échelle mondiale. De façon indirecte, je suis chargé probablement de la plus grande mairie du monde avec ce service central, sans parler des actes historiques. Nous pouvons être fiers de notre système et je crois qu'en plus, il s'y attache une grande partie de la citoyenneté française.

Cela dit, nous ne pouvons que nous interroger sur les risques, pour notre propre état civil, de la dégradation de l'état civil d'un très grand nombre de pays partenaires. C'est une question que l'on ne s'est pas encore sérieusement posée. Il y a deux solutions.

Dans une première hypothèse, on peut décider de baisser les bras en se disant que ce n'est pas tenable ou, au contraire, on s'occupe d'organiser et de réformer l'état civil de nos partenaires les plus fragiles. C'est le cas, bien entendu, des pays que vous avez cités.

Le co-développement ne consiste pas seulement à creuser des puits ou à s'occuper des pays de rebond qui, eux-mêmes, souffrent de l'immigration de pays plus pauvres qu'eux ou qui sont sur le trajet d'une immigration tournée vers l'Europe. C'est aussi dans le cadre de la gouvernance de ces pays que se joue une grande partie de la problématique. Cela va donc très loin.

En dernière analyse, une fois que nous avons dit tout ce que nous disons depuis une heure sur les visas, les contrôles et la réforme de telle ou telle législation, tout ce qui relève d'une attitude défensive, il faut trouver une contre-offensive.

C'est un peu le phénomène de la physique des fluides : si on est efficace sur les visas, la pression va augmenter, pour contourner cette efficacité, sur les mariages ou un autre maillon.

Comme, finalement, l'efficacité du dispositif se vérifiera à la solidité du maillon le plus faible, nous allons passer notre temps, comme le petit Hollandais, à aller d'un trou à l'autre de la digue.

A terme, on sent bien que la réponse est là-bas. Il faut que ces pays trouvent en eux-mêmes une gouvernance, un développement et des raisons de fixer les populations qui ne viennent chez nous que parce que, à titre individuel, elles imaginent que c'est leur salut. Je pense d'ailleurs que nous aurions probablement le même raisonnement si nous étions à leur place.

Il faut donc un co-développement bien compris et bien construit, non pas de manière homéopathique, en pensant à la gouvernance. Je pense beaucoup à l'état civil, évidemment, parce que c'est l'une des difficultés actuelles et que la solution ne passe pas par une simple mesure défensive. C'est plus facile à dire qu'à gérer, mais ce n'est pas la direction des Français de l'étranger qui peut maîtriser cet extraordinaire chantier.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Je sais, monsieur le directeur, que vous êtes également en charge des étrangers en France. Je vais donc approfondir la question : quel est le sentiment, aujourd'hui, de l'importante communauté comorienne, qui se situe à Marseille ou sur le territoire national, à l'égard de ce qui se passe sur son propre territoire ?

M. François Barry Delongchamps .- Je ne suis ni le directeur de la population et des migrations, ni le représentant du ministère de l'intérieur. Nous ne nous occupons des étrangers en France que sous l'angle d'un certain nombre de problématiques : en cas de crises, d'élections, d'éloignements ou de catastrophes, nous assurons la liaison avec les autorités françaises concernées. Il en est de même, bien sûr, pour la circulation et l'asile. Nous sommes au contact des représentations diplomatiques et consulaires et, à ce titre, nous pourrions très bien nous interroger par l'intermédiaire de leurs consulats, mais nous n'avons pas d'antennes sur le territoire français qui relève du rôle des ministères.

Je n'ai donc pas de réponse à votre question.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Je souhaiterais faire une dernière réflexion au sujet des gens qui entrent en situation régulière avec un visa de tourisme et qui restent sur le territoire, ce que vous nous avez dit étant en contradiction avec ce que nous avons entendu jusqu'à maintenant. Cela « interpelle » la commission d'enquête et si vous aviez, de ce point de vue, une étude ou un document qui puisse nous éclairer, cela nous serait tout à fait utile.

M. François Barry Delongchamps .- Le ministre vous avait déjà donné des indications en ce sens lors de son audition. Il est effectivement un peu rapide de considérer que seule la politique des visas peut être invoquée, et ce dans les deux sens, sachant que ce n'est pas la seule qui est pertinente, ce qui se passe à la frontière ayant une certaine importance dans l'arrivée ou la non-arrivée des étrangers en France. Nous vous fournirons ces chiffres. Cela dit, il faut être prudent car nous les établissons en ce moment petit à petit et poste par poste. Il s'agit, par rapport aux personnes qui sont éloignées du territoire, de vérifier localement combien ont reçu un visa dans un consulat de France.

Merci beaucoup de votre accueil, monsieur le président.

M. Georges Othily, président .- C'est nous qui vous remercions, monsieur le directeur.

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