COMMUNICATION DE MME ANNE-MARIE PAYET
prononcée le 1
er
mars 2006
Je tiens, avant tout, à remercier le président de la commission pour avoir organisé cette réunion d'information sur le chikungunya, ce fléau qui touche la Réunion depuis près d'un an.
Ma collègue, Gélita Hoarau, vous dressera un tableau général de la situation : elle abordera, entre autres, les moyens mis en oeuvre par le Gouvernement ainsi que les conséquences de la démoustication sur l'environnement. Mais je vais d'abord présenter la maladie ainsi que la situation sanitaire à la Réunion, avant de vous parler des conséquences économiques de cette crise.
1. Qu'est-ce que le chikungunya ?
Le mot chikungunya signifie en swahili « celui qui marche courbé » 2 ( * ) . La première épidémie de chikungunya rapportée par la littérature médicale est survenue en Tanzanie en 1952. Ce virus est présent en Afrique et en Asie du Sud-Est, notamment au Zimbabwe, au Mozambique, en Tanzanie, en Thaïlande, en Malaisie, en Inde et au Cambodge. En Afrique, des cas cliniques ont été observés entre 1957 et 1974, notamment en Afrique du Sud, en Ouganda, au Congo, au Nigeria et au Ghana. Des enquêtes biologiques ont également mis ce virus en évidence en Afrique de l'Ouest. Ayant connu de nombreux épisodes épidémiques, la Thaïlande et l'Indonésie sont les seuls pays à avoir produit les quelques données épidémiologiques disponibles.
Le chikungunya fait partie de la famille des arbovirus au même titre, entre autres, que la dengue et la fièvre jaune. Deux souches de chikungunya ont été identifiées à ce jour : une souche africaine et une souche asiatique. C'est vraisemblablement la première qui est responsable de l'épidémie qui sévit à la Réunion.
Le moustique vecteur de l'infection, l'aedes albopictus, est apparu à Houston, aux Etats-Unis, en 1985, en provenance du Japon. Il s'est disséminé rapidement sur l'ensemble du territoire. Il est également très présent à Rome où les autorités consacrent plus de deux millions d'euros par an à la lutte contre sa propagation. En septembre 2005, il est apparu sur la Côte d'Azur. Ses oeufs supportant très bien le froid, nul doute qu'il faudra se montrer vigilant au printemps 2006, d'autant que la Côte d'Azur, de Nice à Menton, accueille des flux de population importants en provenance de toute l'Europe. Cependant, je tiens à souligner que, dans cette zone, l'Entente interdépartementale pour la démoustication (EID) Méditerranée est chargée d'éradiquer et de surveiller les moustiques, et ce depuis les années soixante. Chaque année, elle traite les larves de moustiques sur une surface de 300.000 hectares, de l'Etang-de-Berre jusqu'à Cerbère.
L'expansion inexorable de l'épidémie
La crise épidémique qui frappe actuellement les îles de l'Océan indien a débuté en Grande Comore au début de l'année 2005, sans doute en provenance d'Afrique de l'Est. Elle a ensuite affecté Mayotte, l'île Maurice, puis la Réunion au premier trimestre 2005 avant de poursuivre sa route vers les Seychelles. Depuis le début de l'épidémie, le chikungunya a touché 157.000 personnes 3 ( * ) à la Réunion et causé, de façon directe ou indirecte, soixante-dix-sept décès.
Les premiers cas apparaissent dans le département en février et mars 2005. A la mi-avril, un dispositif de vigilance et les premiers traitements anti-moustiques sont mis en place conjointement par l'Office régional de la santé et la Drass. La confirmation biologique du premier cas sur le territoire réunionnais (importé des Comores) intervient le 29 avril et début mai, le premier cas autochtone est observé.
C'est le 26 septembre que les premiers cas graves sont signalés par l'hôpital de Saint-Pierre : des cas d'encéphalites sont suspectés sur trois nouveau-nés et trois adultes. Le 25 décembre, le chiffre de 6.273 victimes du virus est avancé par la Drass.
Dès le mois de mai, le ministre de la santé débloque 12.000 euros destinés à l'achat de matériel ; en octobre, ce sont 70.000 euros - en matériel et renforcement de personnel - qui sont affectés à la lutte contre la maladie.
Entre le 28 mars 2005 et le 1 er janvier 2006, 12.000 cas d'infection par le chikungunya sont rapportés par le système de surveillance, ce qui correspond à un taux d'attaque de 9/1000 habitants. La courbe épidémique montre un premier pic avec 450 cas pour la semaine du 9 au 15 mai, puis diminue à partir de juillet. Les autorités sanitaires comptaient alors beaucoup sur l'arrivée de l'hiver austral pour voir s'interrompre la propagation du virus. Il n'en a rien été. Après une période de stabilité, l'épidémie connaît une phase de recrudescence à partir du mois d'octobre et, dès le début de l'année 2006, elle devient explosive et incontrôlée.
En janvier 2006, face à l'importance de l'épidémie, la rentrée scolaire est reportée d'une semaine pour permettre de mener à bien des opérations de démoustication dans les écoles.
Avec l'annonce de 1.000 nouveaux cas par semaine, les ministres de la santé et de l'outre-mer décident, le 9 décembre, l'envoi d'une mission d'évaluation. Le 24, la Drass confirme l'existence de morts entraînées par le chikungunya. Au nom du principe de précaution, l'Etablissement français du sang décide de suspendre les prélèvements au niveau local.
L'épidémie commence à s'attaquer à la région est, jusque là épargnée, et finit par s'étendre également à l'ouest. La mission gouvernementale - composée du directeur général de la santé et du directeur de l'InVS - arrive dans le département à la fin du mois, précédant de quelques jours l'arrivée du ministre de la santé qui préconise alors une stratégie globale de lutte contre l'épidémie.
Face à l'ampleur de l'épidémie, l'association des médecins urgentistes de France réclame des renforts médicaux et trois députés demandent la création d'une commission d'enquête parlementaire.
Début février, l'agence régionale de l'hospitalisation annonce qu'un enfant de dix ans est mort le 13 janvier sans autre cause connue que le chikungunya.
Un contingent de 300 militaires de métropole vient étoffer les effectifs chargés de la démoustication ; 50.000 kits sont distribués gratuitement par la Croix Rouge aux personnes handicapées, aux femmes enceintes en situation précaire et aux enfants.
Le 11, deux cas de chikungunya sont confirmés en Martinique sur des personnes ayant séjourné à la Réunion. Les opérations de démoustication se font désormais jour et nuit, avec de nouveaux insecticides moins nocifs que ceux utilisés auparavant.
A la mi-février, François Baroin, ministre de l'outre-mer, annonce le franchissement du cap des 100.000 malades ; les chiffres officiels font alors état de 52 décès et 110.000 personnes touchées par le virus. Le 19, c'est le cap des 150.000 malades qui est franchi : un Réunionnais sur cinq est donc concerné par la maladie.
Plusieurs ministres se déplacent à la Réunion : le ministre délégué au tourisme, le ministre de l'outre-mer et le Premier ministre. Une délégation d'experts de l'OMS arrive le 20 février dans le département, chargée d'effectuer une mission d'observation dans tous les pays de la zone.
Comment la maladie se transmet-elle ?
L'aedes albopictus, moustique principalement urbain, pique surtout au lever et au coucher du soleil. Ce moustique est également vecteur de la dengue . Il se développe dans une grande diversité de gîtes larvaires : les flaques d'eau, les marécages, les fonds de ravines, les récipients de stockage d'eau ou encore les pneus usagés, les carcasses de voitures et les gouttières.
Le cycle de développement de l'aedes albopictus dure de huit à douze jours. Seule la femelle adulte pique. Elle s'infecte en piquant des malades en phase de « virémie » 4 ( * ) et passe la maladie à un sujet sain après neuf à quatorze jours d'incubation, délai nécessaire à la réplication du virus dans son organisme. Elle peut transmettre la maladie pendant environ dix semaines, soit sa durée de vie : elle infectera alors toutes les personnes qu'elle piquera. Les moustiques ont un rayon d'action de 150 à 200 mètres et ne survivent pas au-delà de 1.200 mètres d'altitude.
Après la piqûre, le virus va progressivement se disséminer dans tout l'organisme. Après une période d'incubation de quatre à sept jours, les premiers symptômes apparaissent et l'organisme va réagir contre l'infestation virale : il produit des anticorps capables de détruire les virus présents dans le corps. Sept jours après l'apparition des symptômes, les anticorps détruisent les virus circulants. Ces anticorps sont néanmoins responsables de la persistance d'une inflammation au niveau articulaire , avec éventuellement des poussées durant les semaines, voire les mois suivants.
Les manifestations de la maladie
Les symptômes se manifestent généralement de manière brutale et se caractérisent par une forte fièvre (40°C et plus) accompagnée de frissons, nausées, vomissements, une ultra sensibilité des yeux à la lumière ainsi que des éruptions cutanées. En outre, des polyarthralgies sévères prédominant aux extrémités (chevilles, poignets, phalanges), des myalgies arrivent souvent en premier plan du tableau clinique. Des troubles de l'expression dus à une paralysie partielle du larynx et de la langue ont été également rapportés ainsi que d'autres signes cliniques, en particulier des oedèmes, des céphalées importantes ainsi que des épisodes hémorragiques modérés. Mais de nombreuses formes inapparentes existent probablement.
La convalescence est longue, marquée par une fatigue intense ; les raideurs et douleurs articulaires sont persistantes et peuvent durer plusieurs mois, en particulier au niveau des mains, malgré l'absence de signes radiologiques.
On a longtemps affirmé qu'une personne infectée par le virus développait une immunité, rendant impossible toute nouvelle contamination. Or de nombreux cas de rechutes ont été signalés. En effet, les médecins généralistes font état de 10 % de cas de récidive . Qu'en est-il réellement ? Des recherches sont actuellement en cours afin d'apporter des réponses à ces questions.
Il n'existe actuellement aucun agent antiviral connu, ni vaccin contre le virus . Dans la majorité des cas, des antalgiques de type paracétamol, ainsi que des anti-inflammatoires de type ibuprofène, peuvent être prescrits pour remédier aux fortes douleurs articulaires et musculaires et pour faire tomber la fièvre. Mais la meilleure solution consiste encore à se protéger des piqûres de moustique.
Présenté au départ comme une affection bénigne, le chikungunya s'est manifesté sous des formes virulentes à la Réunion .
Ainsi, chez les patients âgés ou fragilisés (insuffisants respiratoires, cardiaques, rénaux, hépatiques, patients diabétiques ou immunodéprimés, alcooliques chroniques), le chikungunya provoque des décompensations qui réactivent des pathologies antérieures ainsi que des myocardites. Les affaiblissements ainsi provoqués peuvent alors conduire au décès . Par exemple, certains nourrissons, infectés très jeunes, cesseraient de s'alimenter à cause des douleurs. Chez les sujets âgés, l'incapacité à se mouvoir et à faire les gestes de la vie courante peuvent se révéler dramatiques : ils arrivent parfois aux urgences dans un état de déshydratation et de sous-alimentation avancé.
Les principales formes graves enregistrées à la Réunion sont de trois types :
- douze cas de méningo-encéphalites ont été comptabilisés depuis septembre 2005 (six chez des adultes et six chez des enfants). Un seul précédent de cette nature avait été mentionné dans la littérature médicale par des médecins militaires français au Cambodge, en 1952, chez un enfant de cinq ans ;
- trente-quatre cas de transmissions materno-foetales ont été observés à la Réunion. La transmission de la mère au foetus a été décrite pour la première fois dans le département le 26 septembre 2005 par le groupe hospitalier Sud Réunion (GHSR) ; s'y ajoute le risque que les nouveau-nés soient infectés lorsqu'ils naissent pendant la période de sept jours où le virus est présent dans le sang de la mère, c'est-à-dire au cours de la semaine qui suit les premiers symptômes. Il n'apparaît pas cependant qu'une infection pendant la grossesse soit à l'origine de fausses couches ou de malformations.
A ce sujet, je souhaite souligner cependant que les médecins ont noté une augmentation sensible du nombre de césariennes pratiquées. Ce fait serait-il lié à la maladie ? Il n'y a aucune preuve, en revanche, de transmission par le lait maternel lors de la tétée, en cas d'allaitement en dehors des sept jours de la maladie ;
- depuis janvier 2006, soixante-dix-sept certificats de décès ont été établis - soixante-dix-huit depuis ce matin car une femme enceinte de cinq mois est brutalement décédée hier soir d'une embolie pulmonaire associée au chikungunya ; le directeur de l'ARH ne s'est pas encore prononcé sur ce dossier. Ces certificats font mention du chikungunya comme cause associée, et même directe , de la mort dans dix cas. Ce fait est totalement nouveau au regard de ce que mentionnait la littérature relative à cette maladie.
Parmi les causes de décès invoquées, on retient des défaillances cardiaques, des accidents vasculaires cérébraux, des arrêts cardio-respiratoires, des pneumonies avec choc septique. Sur ces soixante-dix-sept décès, quarante-quatre se sont produits en milieu hospitalier. Parmi les dix décès pour lesquels le chikungunya a été déclaré « cause directe », six se sont produits à domicile et quatre au cours d'une hospitalisation.
Sur l'ensemble des décès liés au chikungunya :
- 55 % concernent des personnes de plus de soixante-quinze ans ;
- 20 % concernent des malades âgés de cinquante à soixante-quatre ans ;
- quatre décès concernent enfin des jeunes de moins de vingt ans, dont un nouveau-né.
Les zones les plus touchées sont l'est (37 %) et le sud (45 %) de l'île qui totalisent 82 % des décès enregistrés.
Le dernier décès enregistré 5 ( * ) - pour cause d'oedème cérébral et d'arrêt cardiaque - est celui de la petite Tricia, âgée de neuf ans. Elle est décédée dans des conditions identiques à celle du petit Dylan, le 13 janvier. Je tiens à souligner que le nombre de décès est susceptible d'être supérieur aux soixante-dix-sept cas rapportés : en effet, en 2005, il est tout à fait envisageable que certaines morts aient été mises sur le compte d'autres maladies avant que l'on ait envisagé que le chikungunya soit une cause associée.
Depuis le début de l'épidémie, une centaine de formes graves a été recensée sur l'ensemble de l'île, qu'il s'agisse des patients qui sont sortis de réanimation avec plus ou moins de séquelles ou des décès enregistrés. Cela correspond quasiment à une forme grave pour 1.000 cas enregistrés . Face à cette évolution, l'éventualité d'une mutation du virus ne paraît plus improbable. D'ailleurs, des virologues métropolitains y travaillent actuellement.
Il me semble important de signaler que certains malades confrontés à des douleurs persistantes, et parfois invalidantes, sans véritable traitement, montrent des signes dépressifs. Des associations à vocation sociale ainsi que des psychiatres signalent une recrudescence des tentatives de suicide .
Faute de recul par rapport à la maladie, les médecins ne sont pas en mesure de se prononcer sur les séquelles éventuelles . Le seul indice dont nous disposons à ce jour est une étude réalisée en Afrique du Sud auprès de 107 patients, deux à trois ans après l'épisode épidémique. Les résultats démontrent que quatre-vingt-quatorze personnes ont totalement guéri et n'ont plus de douleurs articulaires au terme d'une période comprise entre quelques semaines et trois années. Dans les treize autres cas, certains ont conservé des douleurs de façon occasionnelle ou permanente, avec parfois des oedèmes. Mais le panel était majoritairement jeune, ce qui ne correspond aucunement au contexte réunionnais. Ces résultats ne sont donc pas transposables.
Certaines formes atypiques ont mis en évidence de graves lésions hépatiques et cardiaques . Les encéphalites constatées sur certains patients, dont de très jeunes enfants, nous amènent à nous demander s'ils sont susceptibles d'occasionner des séquelles à long terme. S'il reconnaît que les atteintes cérébrales sont rarement sans conséquence, le président du réseau périnatal de la Réunion affirme cependant qu'il « existe des risques potentiels de séquelles sensorielles et cognitives » sur le développement de l'enfant, ce qui se traduirait par un retard à l'acquisition de la lecture, des troubles de la vue, de l'audition, de l'équilibre, de la sociabilité ou encore une diminution de la mémoire.
La situation sanitaire à la Réunion et dans les îles de l'océan Indien
En février 2005, l'apparition du virus, ne soulevait pas d'inquiétudes particulières en termes de santé publique dès lors que la littérature existant sur le sujet faisait référence à une maladie bénigne à déclaration non obligatoire.
En revanche, l'évaluation du nombre de personnes affectées par le virus a suscité une polémique : le 19 janvier, les services de l'Etat ont été accusés d'en sous-estimer l'ampleur en affirmant que, depuis le début de l'épidémie, 157.000 personnes ont contracté le virus. Or, selon une enquête réalisée en janvier en interne par la Confédération syndicale des médecins français, la réalité se rapprocherait davantage des 200.000 cas.
Dès octobre 2005, à la fin de l'hiver austral, on a observé une recrudescence des cas identifiés et une multiplication des foyers de transmission virale : les villes de Saint-Denis, la Possession, Saint-Paul, Saint-Louis et Saint-Pierre ont été successivement affectées.
Depuis le début de l'année 2006, l'épidémie se propage de façon exponentielle : 144.600 nouveaux cas ont été déclarés. Au cours de la première semaine de février, 44.000 nouveaux cas ont été recensés. Au cours des deuxième et troisième semaines, ce chiffre se serait élevé à 22.000, mais ces données ne sont pas encore complètes.
Peut-on en déduire que le pic de l'épidémie est derrière nous ? Nul n'est en mesure de répondre à cette question. Si l'épidémie montre des signes de stabilisation, les épisodes pluvieux enregistrés dernièrement laissent craindre une explosion de la population de moustiques et une recrudescence probable du nombre de malades.
Par ailleurs, les autres îles de l'océan Indien sont elles aussi touchées par l'épidémie :
- à Mayotte, 1.751 personnes sont malades du chikungunya ;
- à l'île Maurice, on compte 4.171 cas suspects, dont 1.173 sont confirmés, et un décès ;
- aux Seychelles enfin, 3.300 malades ont été recensés.
Tous les établissements hospitaliers du département doivent faire face à une très forte activité en raison du nombre de personnes atteintes de la maladie. En effet, 35 % à 40 % des patients qui se présentent aux urgences sont touchés par le chikungunya. Le taux d'occupation moyen des structures atteint les 98 %. Certaines d'entre elles ont même dû faire appel à la Croix Rouge et à des médecins, infirmiers, aides-soignants retraités pour assister leur personnel hospitalier lui-même affecté par la maladie (de 2 % à 8 % en fonction des établissements). Vingt médecins et trente infirmiers venus de métropole sont également arrivés pour servir en renfort.
L'épidémie a permis de mettre en évidence le taux élevé de pathologies chroniques : il y a trois fois plus de diabète sur l'île qu'en métropole, le taux d'élèves réunionnais asthmatiques est deux fois plus élevé. Après la conférence régionale de santé du 13 décembre 2005, le plan régional de santé publique (PRSP) repère dix priorités de santé publique à prendre au sérieux car, comme le résume le Dr Christian Lassalle, « malgré les améliorations des conditions sanitaires, la Réunion n'a pas encore atteint le niveau de la métropole ».
Le taux de mortalité infantile est ainsi nettement supérieur au taux métropolitain : il est de 6,2 o / oo à la Réunion en 2003 contre 4,1 o / oo en France métropolitaine. Que penser, par ailleurs, de la hausse de la mortalité qui atteint les 10 % pour l'année 2005 ? Est-elle imputable à l'épidémie ?
2. Un désastre économique
Aujourd'hui, plus d'un arrêt de travail sur trois est lié au chikungunya et plus de 15.000 salariés seraient contaminés par le virus. Voilà de quoi déstabiliser l'activité de l'île, dont le tissu économique est composé à 80 % de micro-entreprises de moins de dix salariés.
A la mi-janvier, 797 arrêts de travail mentionnant le chikungunya comme motif ont été enregistrés par l'assurance maladie, soit 33 % des arrêts de travail. Pour la caisse générale de sécurité sociale (CGSS), il ne fait aucun doute que cette augmentation entraînera une hausse considérable des dépenses.
La Chambre de commerce et d'industrie de la Réunion (CCIR) évalue à 5 % le nombre de personnes infectées par le virus dans les PME. Les artisans sont plus particulièrement touchés. Ainsi, pour le président de la Chambre de métiers, l'activité des entreprises a ralenti de 20 % à 30 %. En effet, dans le bâtiment, les petites entreprises emploient une ou deux personnes et dès qu'un salarié manque à l'appel, c'est 50 % de l'activité qui tourne au ralenti.
Aujourd'hui, tous les secteurs d'activité, de l'agro-alimentaire à l'agriculture, sans oublier le commerce et les services, sont menacés.
S'agissant de la consommation , les tendances observées donnent à penser que les ménages réunionnais ont restreint leurs dépenses. Parmi les explications possibles : un budget réduit en raison de l'achat nécessaire de produits répulsifs.
Une enquête « spéciale chikungunya » a été menée par l'Institut d'émission des départements d'Outre-Mer (IEDOM) sur les entreprises habituellement interrogées pour le bilan trimestriel de conjoncture. Les premiers résultats sont sans équivoque et révèlent que le commerce de détail enregistre une baisse d'activité de 10 % à 20 % par rapport à la même période de l'année dernière. Le secteur de la grande distribution quant à lui est moins touché, avec une baisse de l'ordre de 5 % à 10 %.
Dans le bâtiment , l'absentéisme record cause des retards de travaux sur les chantiers, ce qui contraint parfois les chefs d'entreprise à embaucher des intérimaires, voire à sous-traiter certaines activités habituellement réalisées en interne. Le président de la fédération réunionnaise du bâtiment et des travaux publics (FRBTP) souligne que 60 % des entreprises du secteur ont subi des arrêts de travail allant de huit à vingt-neuf jours et que 7 % des effectifs sont concernés. La situation est d'autant plus grave que 80 % de ces entreprises comptent moins de vingt salariés. Les pertes quotidiennes pour le BTP sont évaluées à 200.000 euros par jour , soit 50 millions d'euros sur l'année. Le manque à gagner déjà enregistré est de 10 à 15 millions d'euros.
L'activité économique tourne au ralenti et si cette tendance perdure, elle peut entraîner des difficultés majeures. Les recettes de taxe professionnelle (liée au chiffre d'affaires des entreprises) par exemple pourraient bien chuter, ce qui signifie moins de recettes pour les collectivités locales. Une baisse des recettes liées à l'octroi de mer est également possible si la production des entreprises, affectée par une moindre consommation des ménages, est entraînée vers le bas.
Le tourisme , avec ses 400 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel, est sans conteste le secteur le plus touché par la crise. Faute de clients et de rentrées d'argent, nombre d'entreprises sont très proches de la cessation de paiement. Les adhérents du groupement des tours opérateurs français n'enregistrent plus aucune réservation sur la Réunion.
Les transporteurs touristiques subissent eux aussi de plein fouet la crise économique liée au chikungunya et à la désertion des touristes : toutes les réservations pour les mois de mars et avril ont été annulées . Les pertes sont estimées à plus de 3 millions d'euros, ce qui a bien évidemment des conséquences en termes d'emploi.
Les compagnies aériennes desservant l'île ont enregistré une baisse de réservation moyenne de 20 % pour les trois prochains mois. Chez Corsair, les prévisions sont plus pessimistes, de l'ordre de - 33 % pour le mois d'avril. La compagnie a d'ores et déjà annulé quatre vols. Si la crise se poursuit, les pertes en termes de chiffre d'affaires sont estimées à 10 millions d'euros pour Air France et 12 millions d'euros pour Air Austral.
S'agissant des structures d'hébergement, le Club de la grande hôtellerie, qui représente 65 % de l'offre hôtelière dans la catégorie des chambres classées, fait état de 24.222 annulations fermes sur les cinq premiers mois de l'année. Pour le mois de février, il a été noté une baisse de réservation de 35 %. Pour les mois de mars à mai, les prévisions sont respectivement de - 57 %, - 62 % et - 72 %. D'ailleurs, trois hôtels de luxe - les Villas du lagon, les Créoles et les Récifs - viennent de décider de fermer leurs portes, à des périodes différentes, pour la période de mars à juillet.
Autre structure, le Club de l'hôtellerie créole indépendante et familiale représente 364 chambres. Sur les cinq premiers mois de l'année, 1.690 annulations fermes ont été enregistrées. Les prévisions de réservations de mars à juin sont particulièrement pessimistes, allant de - 60 % à - 75 %.
Au service central pour la réservation de gîtes de montagnes, gîtes ruraux et chambres d'hôtes, 1.070 nuitées ont été annulées à ce jour, ce qui représente une perte de chiffre d'affaires de 44.000 euros. Pour février, les réservations ont enregistré une baisse de 60 % et les prévisions pour le mois de mars ne sont guère meilleures. Deux employés de ce service central ont eu un arrêt de maladie lié au chikungunya. Au Relais départemental des gîtes ruraux, 1.248 nuitées ont été annulées. La perte de chiffre d'affaires est estimée à 50.225 euros.
Le manque à gagner déjà enregistré dans l'hôtellerie-restauration s'élève à 500.000 euros . Dans un tel contexte, les professionnels de la filière, ont actionné la sonnette d'alarme et demandé à être indemnisés.
Il est donc nécessaire de mettre en place des actions susceptibles de relancer l'économie locale une fois la crise sanitaire terminée et de réfléchir à la mise en place d'un plan de modernisation du secteur touristique afin de relancer durablement l'activité.
*
En revanche, s'il est un marché qui est actuellement en pleine expansion, c'est bien celui des anti-moustiques et autres produits répulsifs. Une surconsommation de ces produits a été enregistrée. Ainsi, pour le seul mois de janvier 2006, la consommation de ces produits égale celle de toute l'année 2005.
3. Quatre priorités pour préparer l'avenir
En premier lieu, la surveillance et le développement de la recherche sur les maladies tropicales doivent être poursuivis. Le Premier ministre l'a bien compris : dans le discours prononcé à Saint-Denis de la Réunion le 27 février dernier, il a souhaité que soit créé, dans notre département, un centre de recherche et de veille sanitaires dédié aux maladies émergentes . Ce centre aura vocation à réunir l'ensemble des compétences sur le sujet : celles des épidémiologistes, de la médecine hospitalière et des équipes de recherche biomédicale. Il devra être un pôle de référence régionale dans l'océan Indien. Pour mieux combattre les nouveaux virus, il nous faut en effet mieux les connaître. La transmission de la mère à l'enfant, la résurgence des symptômes chez les mêmes personnes, la protection des nourrissons : voilà les questions auxquelles il nous faut trouver des réponses.
Notre investissement dans la lutte contre le chikungunya, et notamment l'action ciblée de la Drass, ne doit pas faire oublier les vieux démons du paludisme . La Grande Ile, notre voisine, est d'ailleurs actuellement victime de la dengue et du paludisme.
De même, il est indispensable de mettre en place une coopération régionale renforcée puisque ces épidémies d'arbovirus touchent simultanément plusieurs pays de la zone océan Indien. La surveillance et l'alerte sur ces maladies doivent être maintenues et renforcées. En outre, il convient de soutenir la protection des pays indemnes et de favoriser le partage d'expérience entre pays victimes. Le ministère des affaires étrangères prendra l'attache du ministère de la santé des pays de la région pour lancer ces coopérations. Dès le 28 janvier 2006, le ministre de la santé a saisi l'organisation mondiale de la santé sur l'épidémie de chikungunya afin d'alerter l'opinion internationale sur cette question de santé publique.
Enfin, il faut poursuivre les recherches pour la mise au point d'un vaccin contre le chikungunya.
*
Des mesures importantes ont été annoncées par le Premier ministre :
- 60 millions d'euros ont été débloqués pour venir en aide aux secteurs économiques touchés par les conséquences de l'épidémie, en particulier les petites entreprises ;
- 22 millions d'euros seront consacrés à la réponse sanitaire et à la prévention ;
- 9 millions d'euros financeront l'effort de recherche des organismes publics sur la maladie ;
- 300.000 traitements anti-moustiques seront gratuitement distribués aux personnes les plus défavorisées et les plus fragiles ;
- les médicaments anti-douleurs prescrits seront remboursés à 100 %.
Ces mesures ont rassuré les Réunionnais : aucune voix ne s'est élevée pour les critiquer. Le Préfet assurera la répartition des moyens. Le Premier ministre reviendra d'ailleurs dans trois mois pour mesurer les résultats obtenus.
Nous devons maintenant nous préparer à gérer la sortie de crise et à créer les conditions du rebond économique. Il conviendra également de :
- renforcer le plan d'urgence déployé par le Conseil général pour les personnes âgées ;
- mettre en place une cellule d'écoute pour les personnes devenues dépressives à la suite de la maladie ;
- tester l'efficacité des insecticides utilisés pour la démoustication ;
- éclaircir les zones d'ombre qui subsistent autour de la maladie, son mode de contamination, l'immunité des patients atteints, les complications et les formes sévères observées pour la première fois à la Réunion ;
- enfin, renforcer le service de prophylaxie, progressivement abandonné à la Réunion avec les progrès de la lutte contre le paludisme, pour pouvoir faire face à d'autres épidémies éventuelles. La difficulté est accrue du fait de la dernière loi de décentralisation, qui a rendu complexe la distinction des rôles entre l'Etat et le département en matière de lutte anti-vectorielle.
* 2 Ce qui s'explique par les douleurs musculaires caractéristiques qui empêchent le malade de se tenir droit.
* 3 Chiffres officiels au 19 février 2006.
* 4 Lors de la piqûre du moustique, la personne touchée va développer une infection : le virus va se multiplier à proximité du point d'inoculation, puis dans les ganglions lymphatiques correspondant à la zone du corps touchée.
* 5 Avant celui du 1 er mars.