D. JEUDI 26 JANVIER 2006

1. Situation en Biélorussie à la veille de l'élection présidentielle

L'Assemblée a procédé à un débat d'urgence sur la situation en Biélorussie à la veille de l'élection présidentielle. Elle a entendu M. Alexandre Milinkievitch, candidat unique des forces démocratiques unifiées en Biélorussie. Elle a dénoncé l'entrée en vigueur de la loi « anti-révolution » qui interdit les manifestations de rue et opprime les médias, elle a également condamné les « disparitions » et le régime dictatorial imposé par M. Loukachenko. Les représentants biélorusses, de même que les membres de la délégation russe, ont vivement protesté et ont indiqué, notamment, que des observateurs internationaux étaient conviés à observer les élections de mars prochain. L'Assemblée a adopté une résolution (n° 1482) et une recommandation (n° 1734) qui, tout en se félicitant de la future présence d'observateurs, reprend les griefs évoqués au cours du débat.

2. Politique de retour pour les demandeurs d'asile déboutés aux Pays-Bas

L'Assemblée a ensuite adopté une résolution (n°1483) sur la politique de retour pour les demandeurs d'asile déboutés aux Pays-Bas . L'Assemblée a souligné que l'étude des dossiers doit se faire dans des délais raisonnables, que les retours doivent être organisés avec humanité et ne doivent pas être pratiqués lorsque le demandeur débouté encourt des risques pour son intégrité physique en retournant dans son pays d'origine.

3. Le concept de « Nation »

L'Assemblée a débattu d'un rapport tendant, à définir le concept de « Nation » . Deux conceptions se sont affrontées au cours des débats. La première, française, défend le concept d'une Nation indivisible qui accorde les mêmes droits à tous les citoyens, qu'ils soient issus de l'immigration récente ou ancienne. La seconde, retenue par la recommandation, préconise que, au sein de la Nation, des droits supplémentaires soient accordés aux minorités.

MM. André Schneider, (UMP - Bas-Rhin) et Jacques Legendre (UMP - Nord) se sont exprimés.

M. André Schneider, député :

« Monsieur le Président, mes chers collègues, le sujet que nous abordons est plus souvent traité dans les universités que dans les enceintes parlementaires. Lorsqu'il l'est dans ces dernières, c'est souvent pendant des périodes de crise ou de révolution. Cela est vrai, en tout cas, pour mon pays, la France.

« Le concept de nation a en effet été amplement utilisé lors de la Révolution française de 1789. Inspirés par Sieyès et Rousseau, les révolutionnaires en ont fait un élément moteur dans leur lutte contre la monarchie, pour la république des droits de l'homme. Depuis cette époque, le concept de nation occupe une place centrale dans notre système politique et institutionnel. La nation constitue même la base de ce système et l'article 3 de la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789, partie intégrante du bloc de constitutionnalité, énonce que «le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation».

« La nation est ainsi devenue en France la source des différents pouvoirs, se substituant au droit divin qui légitimait le pouvoir monarchique. Elle peut être définie comme le peuple constitué en corps politique, dont la volonté est mise en oeuvre par des représentants élus, sans qu'aucun corps intermédiaire ne puisse y faire obstacle. La nation relie ainsi l'État à la société en lui conférant une légitimité démocratique. Ce principe connaît des applications pratiques importantes, notamment dans le domaine parlementaire.

« Ainsi, en France, le pouvoir législatif est exercé au nom de la nation. C'est pourquoi la chambre élue au suffrage universel direct porte le nom d'assemblée nationale. De même, les députés représentent la nation et non leur région d'élection ou les citoyens qui les ont élus. Cette réalité juridique connaît toutefois en pratique des atténuations et il est évident qu'un parlementaire représente certes la nation mais aussi les gens qui l'ont élu. Une fois ces faits rappelés, il convient de revenir au sujet d'aujourd'hui : qu'est-ce qu'une nation ?

« Définir le concept de nation est une tâche difficile, comme le souligne notre rapporteur, principalement car il s'agit d'une construction idéologique et non d'une réalité concrète. Autre source de difficulté, il existe plusieurs conceptions de cette notion et il est habituel d'opposer la conception française à la conception allemande qui s'appuie davantage sur des éléments objectifs comme le sol ou la langue.

« En France, c'est Ernest Renan qui a donné la meilleure définition de la notion de nation. En 1882, il l'a définie ainsi : «Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis».

« Cette conception française est importante car elle conditionne l'attitude de notre pays face à la question des minorités nationales. A partir du moment où il existe une nation unique et indivisible source de tout pouvoir, il n'est pas possible de reconnaître l'existence de minorités nationales.

« Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs rappelé cette règle en 1991 en refusant d'introduire dans notre législation la notion de «peuple corse», au motif que la France étant une république indivisible qui assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens quelle que soit leur origine, la Constitution ne connaît que «le peuple français, composé de tous les citoyens français sans distinction d'origine, de race ou de religion».

« Je tenais à faire ce rappel juridique car il explique la non signature par la France de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales. En revanche, mon pays a signé, pas encore ratifié, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, ainsi que la Charte européenne de l'autonomie locale, ces deux textes soulevant moins de problèmes au regard de notre droit constitutionnel, même s'ils ne sont pas exempts de difficultés. Nous respectons nos identités régionales bretonnes, basques, corses ou alsaciennes qui sont une des richesses de notre pays, mais dans le cadre juridique qu'est le notre. Tous ceux qui se reconnaissent dans ces identités appartiennent avant tout à la nation française.

« Tels sont les quelques éléments que je souhaitais développer. Je tiens tout particulièrement à féliciter M. Frunda pour la qualité de son rapport, la rigueur et le souci d'objectivité qui ont guidé son travail. Pour conclure, et puisque j'ai évoqué tout à l'heure Ernest Renan, je citerai une nouvelle fois ce théoricien de la nation pour montrer qu'il avait dès le XIX e siècle perçu l'avènement futur de l'idée européenne. Il écrivait en effet en 1882: «Les nations ne sont pas quelque chose d'éternel. Elles ont commencé, elles finiront. La confédération européenne, probablement, les remplacera. »

M. Jacques Legendre, sénateur :

« Monsieur le Président, mes chers collègues, en tant que français et gaulliste, vous imaginez bien que le rapport de notre excellent collègue, M. Frunda, m'interpelle. En effet, je voudrais tenter de dissiper certaines incompréhensions.

« La conception de «nation» doit être désormais placée dans un contexte profondément renouvelé. La proposition de recommandation qui nous est soumise ne prend peut-être pas suffisamment en compte deux éléments actuels. La multiplicité de nos appartenances s'inscrit désormais dans les structures de coopération européenne. Les minorités ne sont plus seulement des groupes constitués sur le territoire européen depuis des siècles et plus ou moins divisés par des frontières politiques plusieurs fois redessinées ; nos pays abritent aussi des milliers, voire des millions de personnes, en provenance de régions extra-européennes. Les nations plus ou moins constituées sur une base ethnique ont du mal à intégrer des groupes minoritaires, fussent-ils installés sur leur sol depuis des siècles. Depuis lors, les instruments juridiques que sont la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales et la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires représentent des garanties opportunes. Néanmoins pour les États fondés sur la citoyenneté, c'est le contrat social entre tous leurs ressortissants qui régit les droits de chacun selon le principe d'égalité, comme c'est le cas en France.

« La base prétendument ethnique n'a jamais été la clé de notre conception de la nation. Elle l'est d'autant moins aujourd'hui que la pleine citoyenneté est conférée chaque année à 150 000 immigrés, soit l'équivalent du tiers de la population du Luxembourg. Je vais m'attacher à présenter ce concept dans ses dimensions d'ouverture sur l'Europe et sur le monde.

« Nos États appartiennent tous au Conseil de l'Europe ; la majorité d'entre eux adhère désormais à l'Union européenne, c'est-à-dire que nous avons tous consenti à mettre en commun une partie des prérogatives nationales et à élargir la déclinaison de nos souverainetés depuis les normes consacrées par la Cour Européenne des Droits de l'Homme qui s'imposent à tous les continents jusqu'à la subsidiarité la plus proche dans la plus petite de nos communes. Il me semble que définir dans cet espace de la grande Europe des îlots prétendus ethniquement purs est dangereux.

« En outre, la constitution de minorités dotée de droits particuliers m'inquiète si elle n'est pas expressément placée sous l'empire de notre convention européenne des Droits de l'Homme. J'en viens ainsi à ma seconde interrogation: qu'est-ce qu'une minorité nationale ? Le projet de recommandation évoque au paragraphe 11 les minorités nationales traditionnelles. Une telle conception pose deux problèmes: d'une part, la portée du concept de minorité; d'autre part, l'exclusion implicite des groupes issus de l'immigration récente.

« En ce qui concerne les minorités dites traditionnelles, jusqu'où ira l'autonomie ? Sera-ce la fin de la solidarité entre régions riches et pauvres ? Les pressions et les intimidations contre les habitants qui ne sont pas originaires du territoire que revendique les minorités se trouveront-elles justifiées ? Notre Commissaire aux droits de l'homme, Monsieur Alvaro Gil-Robles, avait courageusement montré à quelle dérive pouvait aboutir la gestion des traditions culturelles locales.

« Pour ce qui est des minorités issues de l'immigration, un point de droit d'abord. Je ne pense ni possible ni convenable de leur reconnaître des droits inférieurs à ceux des minorités dites traditionnelles. Cette discrimination pour le coup négative, serait contraire à notre Convention européenne des Droits de l'Homme qui doit commander l'interprétation de toutes nos autres conventions.

« S'agissant toujours de ces minorités, je souhaite, là encore, que soit bien précisé que le respect dû à leurs traditions culturelles et religieuses s'arrête aux normes de la Convention européenne des Droits de l'Homme et à la jurisprudence de la Cour. En particulier, l'égalité entre les hommes et les femmes ainsi que le droit pour les membres de ces communautés de s'en émanciper doivent être garantis.

« Voila, mes chers collègues, les observations que je souhaitais vous soumettre. Prenons garde à ne pas fragiliser nos sociétés en organisant des dérogations à la Convention européenne des Droits de l'Homme, en encourageant les atteintes aux principes d'égalité, y compris par la violence, et en encourageant à la solidarité par des replis identitaires d'une autre époque.

« Si Maurice Barrès a pu dire que la nation reposait sur la terre et les morts, Ernest Renan a, me semble-t-il, donné le vrai sens de ce concept: »Pour nous, la nation est un plébiscite de tous les jours.» C'est bien le défi que la démocratie pose aux responsables politiques : faire vivre l'intérêt général sous le contrôle du suffrage universel et secret. »

À l'issue de ce débat, l'Assemblée a adopté, à une courte majorité, une recommandation (n° 1735).

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