C. MERCREDI 25 JANVIER 2006
1. Situation de la Géorgie au regard de ses obligations en sa qualité de membre du Conseil de l'Europe
L'Assemblée a adopté une résolution (n° 1477) relative à la situation de la Géorgie au regard de ses obligations en sa qualité de membre du Conseil de l'Europe. Le rapport constate des évolutions notables dans la lutte contre la corruption, la constitution d'un système judiciaire performant et l'élimination de la torture. Toutefois, de nombreuses réformes démocratiques restent à faire. L'Assemblée s'est inquiétée en particulier de la situation engendrée par le souhait de sécession des régions d'Ossétie du Sud et d'Abkhazie. La commission pour le Respect des obligations poursuit donc son travail en collaboration avec le gouvernement géorgien. A l'occasion du débat qui s'est engagé, la Géorgie a reçu les encouragements des délégués, à l'exception des Russes, évoquant un « droit à l'autonomie » à l'instar de la région du Kosovo.
2. Intégration des femmes immigrées en Europe
Une résolution (n° 1478) et une recommandation (n° 1732) préconisant une meilleure intégration des femmes immigrées en Europe ont été adoptées. Elles dénoncent la double discrimination, liée à leur sexe et à leur origine, dont souffrent ces femmes. Elles exhortent les États membres à généraliser des mesures concrètes de protection. Les États sont instamment invités à informer les femmes, dès leur arrivée sur leur territoire, de leurs droits et devoirs, en particulier au regard du droit de la famille, et à les aider à apprendre la langue du pays d'accueil.
3. Les violations des droits de l'Homme en République tchétchène : responsabilité du Comité des ministres à l'égard des préoccupations de l'Assemblée
La situation en Tchétchénie a été une nouvelle fois dénoncée, le climat de terreur qui règne dans le pays, les actes de tortures, les violations des droits des prisonniers, les manquements aux libertés individuelles. L'Assemblée a appelé le gouvernement russe à ne pas laisser régner une impunité totale vis-à-vis des forces de sécurité qui se rendent coupables d'exactions. Les membres de la délégation russe, faisant valoir que le rapport était excessif, ont objecté que la situation en Tchétchénie était en voie de normalisation, et que la République avait procédé à l'élection d'un parlement à l'automne dernier. Une résolution et une recommandation ont été adoptées. L'Assemblée proteste contre l'inertie du Comité des ministres du Conseil de l'Europe pour faire évoluer cette situation et lui enjoint de relancer la procédure de suivi en Tchétchénie. Elle demande à la Douma de créer une commission d'enquête en son sein pour faire toute la lumière sur les raisons pour lesquelles les forces de l'ordre n'ont pas arrêté les individus responsables de graves violations des droits de l'Homme.
Une résolution (n° 1479) et une recommandation (n° 1733) ont été adoptées.
4. Nécessité d'une condamnation internationale des crimes des régimes communistes totalitaires
Un débat passionné a ensuite eu lieu sur la condamnation internationale des crimes des régimes communistes totalitaires. L'Assemblée a estimé que l'heure était venue de revenir sur cette page de l'histoire et de condamner toutes les exactions dont les régimes communistes totalitaires s'étaient rendus coupables. Le débat a opposé les groupes de gauche (GUE et groupe socialiste) aux autres groupes politiques de l'Assemblée. Les premiers ont d'abord rappelé le tribut de l'URSS à la victoire sur le nazisme, et ont soutenu que si des crimes avaient été commis, il fallait les condamner, mais que l'on ne pouvait, pour cette raison, condamner les régimes communistes dans leur ensemble. Certains régimes se seraient, selon eux, autoproclamés « communistes » sans en avoir réellement la philosophie. Les seconds ont soutenu la démarche de l'Assemblée, rappelant combien l'oppression avait été présente là où le communiste l'était. Certains délégués ont cruellement rappelé qu'à l'époque, le Conseil de l'Europe n'avait pas tendu la main aux oppressés.
MM. Bernard Schreiner (Bas Rhin - UMP), Jacques Legendre (Nord - UMP) et Yves Pozzo di Borgo (UC-UDF - Paris) se sont exprimés.
M. Bernard Schreiner, député :
« Il est exact que le communisme n'a jamais fait l'objet d'une condamnation courageuse et explicite. Si le nazisme, comme idéologie, et les dirigeants nazis après la Deuxième Guerre mondiale ont été, à juste titre, jugés et condamnés, si les associations d'anciens déportés n'ont cessé de raviver la mémoire collective pour que nul n'oublie l'ampleur des crimes commis, rien de tel ne s'est produit à l'encontre des régimes totalitaires communistes.
« Pourtant, par leur ampleur, les crimes commis n'ont, hélas rien à envier aux crimes perpétrés par le régime nazi, comme le montre le rapport de notre collègue. Les nazis ont exterminé, les communistes des régimes totalitaires ont fait des millions de victimes innocentes. Les chiffres cités dans le rapport font foi et froid dans le dos ! Les manuels scolaires dans nos pays restent malheureusement très discrets sur le sujet.
« Nous, les hommes politiques, sommes restés prudents dans la dénonciation, sans doute parce que des régimes communistes continuent d'exister de par le monde et parce que l'étiquette communiste continue de s'appliquer à certains partis politiques dans nos démocraties, lesquels, d'ailleurs dans leur immense majorité, ont su évoluer et ne doivent en aucun cas être assimilés aux déviations dont nous parlons aujourd'hui.
« Notre collègue nous incite à sortir de ce silence trop poli, de cette prudence politique qui peut s'expliquer de la part des certains gouvernements, mais moins de la part d'institutions comme le Conseil de l'Europe qui se doit non seulement de défendre les droits de l'homme, mais aussi de dénoncer et de condamner leur violation.
« Les membres du Conseil de l'Europe ont parfois l'impression de peu intéresser les medias. Eh bien, et M. Lindblad a eu raison de le dire, ils s'intéressent à notre débat d'aujourd'hui !
« Encore une fois, il ne s'agit pas par ce biais de condamner les partis communistes contemporains avec lesquels le débat doit rester très démocratique dans nos assemblées, mais d'insister sur les actes plus que condamnables commis par des régimes se réclamant de l'idéologie communiste.
« Il ne s'agit pas non plus, pour nous politiques, de dicter aux historiens une quelconque interprétation du passé car, dans ce domaine, les faits sont reconnus, incontestables et ne peuvent qu'appeler une ferme condamnation de tous les démocrates et de tous les défenseurs des droits de l'homme.
« Mes chers collègues, la conscience de l'homme est un bien sacré. C'est la conviction de nos démocraties. Compte tenu des remarques précédentes, j'apporte mon entier soutien à notre collègue M. Lindblad et aux conclusions de son excellent rapport. »
M. Jacques Legendre, sénateur :
« Monsieur le Président, mes chers collègues, le Conseil de l'Europe dénonce, session après session, les atteintes aux libertés, les crimes commis en Europe et même partout dans le monde. C'est son honneur et sa mission que de veiller au respect scrupuleux des droits de l'homme. Comment pourrait-il éviter de condamner les crimes commis par les régimes communistes dictatoriaux ? Nous avons condamné le fascisme, et nous avons bien fait ; nous avons condamné le nazisme, et nous avons bien fait, mais il existe aussi des régimes dictatoriaux d'origine communiste. Il est donc de notre devoir également de les condamner.
« Il ne s'agit pas d'un débat théorique et la condamnation a priori d'une idéologie. Il s'agit d'un constat : dans tous les pays où le parti communiste est arrivé au pouvoir, pendant le terrible XXe siècle, il a supprimé les élections libres, le pluripartisme, l'information libre, il a emprisonné ses opposants et souvent, il les a exécutés. C'est exactement ce que le Conseil de l'Europe dénonce partout où cela se produit. Comment pourrions-nous rester indifférents ?
« Les morts se comptent par millions. On ne va pas débattre du décompte : il s'agit d'exécutions massives et dans de très nombreux pays. Staline était un assassin. Il relèverait aujourd'hui d'un tribunal pénal international. Je ne suis pas sûr que celui-ci ne s'intéresserait pas également aux cas de Lénine et de Trotsky. Je ne vise pas tous les présidents ou tous les responsables communistes. J'ai personnellement beaucoup d'admiration pour le rôle positif qu'a joué Mikhaël Gorbachev.
« Mais alors, que dire de ce qui s'est passé, non seulement en Union soviétique, mais aussi dans beaucoup d'autres pays communistes ? Nous venons d'avoir des témoignages extrêmement émouvants. Faut-il en faire porter la responsabilité à des dirigeants dévoyés ? Il faut bien remarquer que l'évolution criminelle de tous les régimes communistes au XXe siècle pose une véritable interrogation.
« Cette affirmation, quand on la prononce, déclenche des fureurs. Nous n'aurions pas le droit de condamner le communisme parce que l'URSS a vaincu le nazisme ! Certes, mais il faut se souvenir aussi que l'URSS avait commencé par passer un accord avec le nazisme. La mort de Hitler à Berlin, la victoire de l'Armée rouge et des alliés n'excusent pas les crimes de Staline.
« Ce serait du «révisionnisme» que d'attaquer l'ex-URSS. On en viendrait même à être soupçonné de sympathies nazies ! Et bien non ! Il s'agit de condamner des crimes commis à un certain moment par des régimes communistes, comme nous condamnons les crimes commis par le nazisme, comme nous condamnons les crimes commis par le fascisme ! Et je n'aurai garde d'oublier la Chine, qui est un régime totalitaire actuel.
« Alors, mes chers collègues, le Conseil de l'Europe, aujourd'hui, revient simplement à l'esprit de sa création. Quand il a été créé, il n'acceptait en son sein, déjà, aucun régime autoritaire. Il n'a pas accepté, à l'époque, les régimes fascistes ; il n'a pas accepté les régimes communistes.
« Nous avons maintenant la joie d'être tous réunis, ce qui prouve que la démocratie a beaucoup progressé, mais prenons garde : la crise sociale actuelle risque de provoquer ici et là des nostalgies, en particulier chez des jeunes qui ignorent ce qui s'est passé avant. C'est simplement se protéger contre le retour de ces nostalgies que de dire aujourd'hui haut et fort que le communisme au XXe siècle, les régimes communistes tyranniques, ont commis des crimes et que, de tout cela, nous ne voulons plus. »
M. Yves Pozzo di Borgo, sénateur :
« Monsieur le Président, mes chers collègues, Osip Mandelstam, le grand poète russe, meurt au goulag en 1938 après dix ans de bagne. Le philosophe tchèque Jan Patoèka meurt dans les geôles communistes de Prague en 1977.
« Ces deux noms pour donner des visages à deux victimes parmi les 100 millions de morts des régimes communistes, dont vingt millions en URSS et 65 millions en République populaire de Chine. Ces dates aussi pour rappeler que les persécutions ont duré des dizaines et des dizaines d'années, saccageant des générations entières dans les populations que les dirigeants communistes prétendaient émanciper et conduire vers des lendemains enchantés.
« Notre débat est aussi l'occasion de nous remémorer avec émotion les souffrances endurées dans toute la partie orientale de notre continent, de l'Estonie à l'Albanie, de Prague à Vladivostok. Peut-être notre débat devrait-il être suivi d'une exposition sous l'égide du Conseil de l'Europe qui réunit tous les États qui connurent ces régimes totalitaires. Des photos du goulag, des déportations depuis les pays baltes, des famines en Ukraine, des documents aussi, des affiches de propagande, des « jugements » et aussi des journaux clandestins, des samizdats diraient peut-être mieux que nos interventions la réalité de ces régimes.
« Je voudrais surtout que notre débat et cette exposition éventuelle touchent toutes les nouvelles générations sans repères historiques. Lorsqu' est paru en France, en 1997, le « Livre noir du communisme », le Premier ministre socialiste d'alors, M. Lionel Jospin, avait répondu à l'Assemblée nationale à une question du député Michel Voisin le 13 novembre 1997. Il avait pris la défense du parti communiste français, associé à son gouvernement, au nom de son rôle dans la Résistance française et aussi des sacrifices de l'allié soviétique contre le nazisme.
« Il avait raison de saluer le rôle des communistes dans la Résistance intérieure et des combattants soviétiques qui moururent par millions sur le front Est contre les nazis. Mais M. Jospin escamotait le pacte germano-soviétique et les connivences entre les deux régimes qui conduisirent par exemple Staline à livrer certains Juifs russes, polonais ou tchèques à Hitler.
« Et surtout, M. Jospin qualifiait le nazisme d'idéologie «intrinsèquement perverse», reprenant avec cynisme les phrases du pape Pie XI qui qualifiait ainsi la doctrine communiste. M. Jospin célébrait la révolution de 1917 comme source d'inspiration de «nos intellectuels» et même de nos manuels d'histoire ! Il semblait donc approuver le «bilan globalement positif», concédant tout au plus la légère ombre des crimes attribués au seul Staline, alléguant «des différences et des dégradés» entre nazisme et communisme ! Autrement dit, des «dégradés» dans l'horreur !
« Il y a confusion dans les esprits ! Il importe que la réalité des crimes des deux totalitarismes soit connue et enseignée et j'approuve en cela pleinement les propositions de notre rapporteur. Outre les crimes, ne faudrait-il pas aussi montrer les fautes au quotidien des régimes communistes qui en démentent les prétendus principes, et d'abord celui d'une égalité de droit réelle ?
« Pour ne prendre qu'un exemple, dans l'Allemagne dite démocratique, n'y avait-il pas deux régimes de santé, l'un totalement démuni pour les citoyens ordinaires et l'autre doté d'appareils achetés à l'Ouest pour les membres du Parti ? Chaque classe dans les écoles n'était-elle pas jumelée avec une unité de Vopo, relayant un militarisme obsessionnel, bien loin du doux pacifisme enseigné dans nos écoles ? Les citoyens n'étaient-ils pas privés de passeport et même physiquement empêchés de se déplacer par d'incessants contrôles jusqu'au Mur de Berlin érigé dès 1961 ? N'appelait-on pas le point de passage entre l'Est et l'Ouest de Berlin le «Palais des larmes» puisque c'est là que les familles déchirées se donnaient le dernier adieu ? La Stasi n'espionnait-elle pas tout et tout le monde, les lettres, les réunions entre amis, les coups de téléphone ? Enfin, M. Honecker, après la chute du Mur de Berlin, ne s'est-il pas réfugié chez son ami Pinochet... La connaissance de la terreur au quotidien de ce régime devrait achever de ruiner l'influence d'une idéologie qui est intrinsèquement totalitaire.
« Seule la terreur organisée a empêché le renversement des oligarchies communistes par les populations soumises. Berlin dès 1953, Budapest en 1956, Prague en 1968 nous rappelaient, à quelques kilomètres du «Rideau de fer», le malheur de nos cousins européens.
« Le nazisme persécutait ceux qu'il désignait comme des « sous-hommes », les untermenschen. Le communisme, quant à lui, broie les hommes comme une implacable machine à niveler. La paranoïa se réfère à des idéologies différentes mais les résultats, hélas, sont comparables. N'ont-ils pas été en compétition dans la domination de leurs peuples et dans la soumission de leurs voisins ? J'en vois une illustration grotesque dans les deux monuments prométhéens et rivaux bâtis au bord de la Seine lors de l'exposition de 1937 et qui mettaient en vis-à-vis l'aigle nazi avec le couple formé par l'homme nouveau et la kolkhozienne d'élite ! La grande philosophe Hannah Arendt a montré tout ce qu'il y avait de commun dans les phénomènes totalitaires depuis leurs origines intellectuelles jusqu'à leurs méthodes monstrueuses, c'est-à-dire la haine de l'autre, de sa singularité, de sa liberté aboutissant à l'écrasement de la dignité humaine.
« Il est juste que le Conseil de l'Europe, dont le premier acte a été la rédaction de la Convention européenne des Droits de l'Homme et qui est aussi le lieu où le continent européen s'est enfin réconcilié avec lui-même, porte la condamnation des crimes perpétrés par les régimes communistes, comme il le fait du nazisme, et je voudrais m'incliner devant ses millions de victimes à deux jours de l'anniversaire de l'ouverture du camp d'Auschwitz. »
Si l'Assemblée a adopté une résolution (n° 1481) à la majorité simple, elle a néanmoins repoussé une recommandation dont l'adoption requérait une majorité des deux tiers.