(2) Des estimations à considérer avec précaution
Quels sont les chiffres avancés en terme de réserves ?
Dans son rapport de 2004, l' AIE cite les statistiques de cinq institutions qui, malgré des méthodes de calcul différentes, aboutissent au même ordre de grandeur en termes de nombre d'années pendant lesquelles les réserves seront suffisantes : entre 36 ans pour World Oil et 44 ans pour Oil & Gas Journal.
En valeur absolue, les estimations vont de 1.051 milliards de barils selon World Oil à 1.266 milliards de barils selon IHS Energy et Oil & Gas Journal en passant par 1.148 milliards de barils pour British Petroleum. Les statistiques de World Oil excluent les huiles synthétiques (qui résultent de la conversion du gaz en huile) et les sables asphaltiques du Canada. Celles de BP incluent au contraire 11 milliards de barils de sables asphaltiques tandis que celles de Oil & Gas Journal retiennent le chiffre de 174 milliards de barils de réserves de sables asphaltiques.
Les réserves sont très concentrées géographiquement. Selon les définitions retenues 2 ( * ) , les pays du Moyent-Orient membres de l'OPEP en détiennent entre 40 à 60%. Sur les cinq pays disposant des réserves les plus importantes, quatre sont situés au Moyen-Orient : l'Arabie saoudite (1 er rang mondial avec des réserves estimées entre 259 et 263 milliards de barils), l'Iran (3 ème rang mondial avec des réserves estimées entre 105 et 135 milliards de barils), l'Irak (4 ème rang mondial avec des réserves estimées à 105 milliards de barils) et le Koweit (5 ème rang mondial avec des réserves estimées à plus de 100 milliards de barils).
Ces chiffres doivent cependant être considérés avec prudence dans la mesure où les réserves annoncées par les pays de l'OPEP n'ont pu être contrôlées par aucun expert indépendant. Comme le fait remarquer l'AIE, les réserves des pays de l'OPEP, et en particulier des pays du Moyen-Orient, ont fortement augmenté dans la seconde moitié des années 80. Ainsi, les réserves de l'Arabie saoudite et du Koweit ont progressé de 50% tandis que celles des Emirats Arabes Unis et de l'Irak étaient également fortement révisées à la hausse. Au total, les réserves des pays de l'OPEP sont passées de 536 milliards de barils en 1985 à 766 milliards de barils en 1990, faisant ainsi progresser les réserves mondiales de 30%. Pour autant, il semble que cette augmentation soit moins liée à la découverte de nouvelles réserves qu'à la décision d'indexer les quotas de production de ces pays sur le montant de leurs réserves.
L'AIE constate également que sur les 97 pays retenus par Oil & Gas Journal pour évaluer le montant global des réserves, 38 n'en ont pas modifié le niveau depuis 1998 et 13 ont laissé ce dernier inchangé depuis 1993 alors qu'ils ont continué à produire. L'AIE donne ainsi l'exemple du Koweit dont les réserves sont restées fixées à 94 milliards de barils entre 1991 et 2002 en dépit d'une production annuelle de 8 millions de barils/jour et de l'absence de découvertes importantes pendant cette période.
Le débat a été relancé récemment lors de la publication par M. Matthew Simmons de son livre « Crépuscule dans le désert » dans lequel il accuse l'Arabie saoudite de surestimer ses réserves.
Les arguments retenus par les pessimistes pour souligner la fragilité des réserves sont connus. Ils reposent sur le fait que la part des réserves issues de la découverte de nouveaux champs a fortement diminué depuis les années 60 et que dans la dernière décennie, les nouvelles découvertes n'ont remplacé que la moitié du pétrole produit. Ils font également remarquer que depuis 40 ans, la taille des champs découverts a beaucoup diminué.
De leur côté, les optimistes rappellent que les progrès techniques en matière de sismique et de forage et la réduction des coûts de production ont permis l'augmentation des réserves à travers la révision à la hausse des estimations initiales et du taux de récupération. Par ailleurs, ils justifient le nombre relativement faible des découvertes par la concentration des réserves dans les pays du Moyen-Orient : compte tenu de l'importance de leurs réserves et de l'existence jusqu'à l'année 2003 de capacités de production excédentaires pour faire face à un accroissement de la demande, ces derniers n'avaient aucun intérêt à se lancer dans des programmes coûteux de recherche de nouveaux gisements.
* 2 Les estimations de l'IHS Energy se basent sur les ressources prouvées et « probablement » techniquement recouvrables. Elles incluent les sables asphaltiques du Canada en cours d'exploitation et certaines réserves d'huile extra-lourde en cours d'exploitation au Venezuela.